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dimanche 24 février 2019

(Pr, Hu) De Dieu, qui est le plus sourd ?!?

Prédication du 24 février 2019  "Dont vous êtes le héros"


Lectures: Genèse 1, 24-31; Genèse 2, 7-9; Matthieu 6, 19-24+33


 
C’est comme une fois, y a le grand-père Ouin-Ouin, 85 ans, qui se confie à son médecin:
- Docteur, j’ai l’impression que ma femme devient sourde.
- Ah, répond le toubib. Mais c’est léger, ou déjà prononcé, cette surdité?”
- Oh ben, difficile à dire...
- Ecoutez, propose le médecin, vous allez faire un test. Vous vous placez à une douzaine de mètres d’elle, et vous lui posez une question. Si elle ne répond pas, vous vous approchez et répétez jusqu’à ce qu’elle réagisse. ...

C’est ainsi qu’en rentrant, grand-père Ouin-Ouin voit sa femme qui prépare à manger. Du corridor, il lui demande:
- Qu’est-ce que tu fais pour dîner?
Pas de réponse. Alors, le père Ouin-Ouin fait trois pas, et renouvelle sa question. Toujours rien. Il se rapproche encore, deux fois, même jeu, même résultat. Ce n’est que lorsqu’il est à un mètre qu’il l’entend hurler:
- Pour la cinquième fois: DU POULET!!

   


Chers amis, je me demande parfois si nous ne serions pas avec Dieu comme le grand-père Ouin-Ouin avec sa femme. Nous disons qu’il doit être sourd, puisqu’il ne répond pas à nos prières. Mais on peut se demander: et si c’était nous qui n’entendions pas ses réponses?

Le Créateur nous donne un monde beau et bon, agréable et délicieux, dit la Bible à sa première page. Et il nous demande d’en prendre soin. Il nous en confie la responsabilité.

S’il pleut un peu trop souvent à votre goût, les amis, ne pensez-vous pas parfois que c’est parce que Dieu pleure? Que le Ciel est triste de nous voir accaparer tant de choses pour nous tout seuls, plutôt que choyer la nature comme un trésor précieux (la nature et les autres vivants, humains, plantes ou animaux)? Tellement nous la jouons perso en visant notre enrichissement à nous, au détriment des autres?

Le Jardin d’Eden, que la Bible appelle aussi le Paradis, est un lieu de délices. Son nom veut dire “jouissance”. Alors, mais oui, la Bible nous appelle à jouir! Vous ne le saviez pas?!

En ces jours tout proches du Carême, il est bon de rappeler cet objectif de Dieu pour nous. Jouissez! Et ré-jouissez encore!

- Attends, mais ça va pas?!? Si vous osiez m’interrompre, si vous en aviez le culot, vous m’enverriez chez le psychiatre! Car la Bible nous dit aussi que, ce paradis, nous n’y vivons plus. Que nous en avons été chassés. Avant même qu’Adam et Eve n’aient enfanté, eh bien les premiers videurs sévissaient déjà. Zou! Loin du bal!
 


Alors, écoutez-moi bien. Le Jardin d’Eden, le Paradis, c’est, nous dit la Bible, le lieu normal que Dieu a préparé pour nous.  Ce n’est pas bien sûr un endroit de la géographie; et ce récit n’est pas non plus, évidemment, quelque chose qui a eu lieu dans l’histoire du passé, ou dans la préhistoire. C’est quelque chose qui se passe aujourd’hui. Et dont tu es l’acteur principal, la personne la plus concernée! C’est une histoire dont tu es le héros, en somme.

Ce récit est un symbole de notre manière de vivre, en 2019. J’habite, tu habites aujourd’hui au Paradis, tu ne le savais pas? Dieu nous y a placés pour que nous y soyons pleinement heureux. Chacun(e). Avant comme après la mort. Genèse 1 nous le répète: Dieu, en voyant sa création, s’exclame: «C’est très bon!».

Mais ce jardin de jouissance, je m’en chasse moi-même chaque fois que je me conduis de manière égoïste; chaque fois que je mets au premier plan mes intérêts matériels à moi, plutôt que ceux de tous les vivants ensemble. Tu vois? Quand je joue à «moi d’abord», je me sors du paradis moi-même.




C’est ça, le «fruit défendu», en fait. C’est d’oublier le projet de Dieu, le bien des autres vivants, et de ne penser qu’au mien (au singulier, «au mien»; si vous le mettez au pluriel, c’est déjà un progrès!).
 
«Cherchez d'abord le Règne de Dieu et la justice que le Créateur demande. Il vous donnera tout le reste en plus». Vous voyez le rapport?

Jouis, mais pas tout seul! Sois heureux, mais rend heureux les autres, et le monde, et la vie! D’ailleurs, heureux, tu le seras mille fois plus si tu n’es pas heureux tout seul, tu vois!

Jouis, mais pas tout seul! Jouis, et ré-jouis les autres, tu jouiras mille fois mieux! Tu vivras au paradis!

Voilà le programme que nous esquisse l’évangile, ce matin, pour notre semaine - et pour le reste de notre vie (voire au-delà!). Programme bien plus difficile qu’il n’y paraît au premier abord. Je dirais même que c’est un défi; un sacré défi (oui, sacré!)! De bannir l’égoïsme de nos vies. Ne pas laisser le Jardin d’Eden nous filer entre les doigts comme du sable ou de l’eau.

Mes amis, sans le Saint-Esprit, sans la prière, sans écouter Dieu surtout, si nous restons sourds à ses réponses, ça me semble mission impossible!
  


Ecoutez pour conclure ce joli texte que j’aime beaucoup, signé Christiane Favre. Il a été écrit il y a déjà 25 ans!

«Nous sommes très intelligents. Si, si, ne soyons pas modestes. Nous sommes les seuls descendants de la grande famille des primates à inventer des machines qui travaillent à notre place.

Elles font tout ce que nous n’avons plus envie de faire, presser des citrons, distribuer les billets de banque, fabriquer des voitures. Et même construire des maisons. Absolument. J’apprends qu’au Japon, on n’a bientôt plus besoin de main-d’oeuvre. Un gigantesque engin peut assembler tout un immeuble, étage par étage, comme un grand Meccano, avec des morceaux préfabriqués en usine par d’autres robots.

Des robots qui ne font pas la pause des quatre-heures, qui n’attrapent pas la grippe, ne carburent pas à la bière et ne sont pas syndiqués.  C’est dire à quel point ils sont performants.

Je comprends qu’on nous les préfère.

Mais à ce train-là, notre seul boulot sur cette terre sera bientôt de concevoir, construire et entretenir les robots. Et encore. Un type plus intelligent que les autres finira bien par inventer un androïde qui fera mieux que nous.

À ce moment-là, nous ne serons plus du tout indispensables.

Vous me direz que nous aurons enfin de très longues vacances. Oui. Mais il y aura un problème. Les robots peuvent tout faire, sauf consommer et payer des impôts. J’ai peur que l’Etat ne puisse plus nous offrir des congés payés.

Enfin, ne voyons pas toujours les choses en noir. Nous aurons du temps. Nous vivrons de chasse et de cueillette et, n’ayant plus les moyens d’habiter dans les immeubles que les robots auront construits à notre place, nous remonterons dans les arbres pour y loger chez nos cousins. Les singes.

La famille, y a que ça de vrai quand on est dans la mouise».

Christiane Favre 


 

Hem! Pas grand-chose à ajouter; juste espérer que nos cousins primates ne soient pas trop sourds à nos appels...
Amen 


Jean-Jacques Corbaz 






(Po, Li) "Se remélange"

Re-création

Au commencement, Dieu a créé tout ce qui existe.
Pour créer, Dieu a séparé:
Il a séparé la lumière de l'obscurité,
Il a séparé la terre de l'eau, et l'eau du ciel,
Il a séparé les végétaux des minéraux, et les animaux des végétaux,
Et l'homme des animaux.
 


Mais: tout ce que Dieu a séparé se re-mélange:
La lumière et la nuit, - et ça fait la grisaille,
La terre et l'eau, - et ça fait la boue,
L'eau et le ciel, - et ça donne la pluie,
Les hommes et les bêtes, - et ça fait la guerre, et la bêtise,
Les êtres vivants et la terre, - et ça fait la mort.

À la fin du commencement, ce fut le commencement de la fin.
 


Alors, Dieu décida de se mélanger aux humains,
Et à la terre, et à la mort, et à la nuit,
Alors, Dieu choisit de se mêler de notre existence,
Ce fut Noël, et le début du Royaume.

Le début seulement! Car la suite... elle dépend de nous!
Aujourd'hui règnent toujours ici ou là la bêtise, la violence et la nuit,
Mais puisque chez nous  Dieu est venu planter sa tente,
Il nous remplit d'un autre espoir, comme une attente,
Il nous appelle à vivre, à sourire, à lutter
Pour que grandisse ce qu’il a créé.

C'est sa tendresse proche qui me fait vivre
Comme les îles au parcours du voilier
Je ne sais que la suivre,
Emerveillé.

Jean-Jacques Corbaz  






dimanche 3 février 2019

(Pr) Vous avez dit: fragile? Le colosse aux pieds de terre

Prédication du 10 février 2019: "Des souris, des chats et de l'argile"

Lectures: Daniel 2, 26-35; Luc 24, 13-35; Matthieu 6, 26-34; 2 Corinthiens 4, 6-10


Il était une fois... des souris, réunies en conférence mondiale. Le sujet était d’une importance capitale: il s’agissait de trouver enfin une solution au problème des chats.

Les débats sont passionnés, les avis divergents abondent. Jusqu’au moment où l’unanimité se fait sur une proposition: celle d’accrocher des grelots au cou des chats.

Quel soulagement! Chacun se prépare alors à rentrer chez lui, fier d’avoir participé à une conférence réussie. Mais c’est alors qu’une petite souris demande la parole. “S’il vous plaît, dites-moi: qui va accrocher les grelots au cou des chats?”

Hem! Un silence accablé tombe sur l’assemblée. Echanges de regards; coups d’oeil appuyés en direction de quelques souris réputées pour leur courage. Mais personne ne se propose... Le silence, peu à peu, se transforme en brouhaha. Evidemment, la conférence se termine en queue de poisson. Fiasco total!




Ce conte est l’oeuvre d’un écrivain juif israélien, Itzhak Orpaz. Ce matin, je l’entends comme une invitation à nous regarder nous-mêmes avec lucidité. Avec humilité, disait-on autrefois.

N’est-il pas vital et urgent que les habitants de notre terre, chacun(e), reconnaissent leur fragilité; leurs limites; leur vulnérabilité... comme les souris de notre histoire?

C’est cela aussi que nous suggère la fameuse image du colosse aux pieds d’argile. À l’image du prophète Daniel, nous avons, nous chrétien(ne)s, la vocation d’expliquer ce mystère; de l’interpréter pour nos contemporains.

Aux temps bibliques, cette métaphore parle de politique.  Comme le dit Daniel dans les versets qui suivent notre passage, la tête en or représente le roi d’alors, Nebucadnetsar, souverain de Babylone. Il est puissant, glorieux... et même béni par Dieu, raconte la Bible.

Les parties de la statue faites d’argent et de bronze désignent des royaumes qui viendront après lui. Moins forts, moins resplendissants... mais solides quand même. Les parties en fer annoncent, elles, un règne de guerres et de massacres, qui écrasera et pulvérisera tout sur son passage. Mais cette dernière puissance sera mélangée, à sa base, avec de l’argile. Signe que certains éléments de ce royaume, trop friables, contribueront à sa ruine.
  


Les exégètes ont vu dans ces pouvoirs successifs les royaumes de Babylone (l’or, nous l’avons dit); puis de Perse (l’argent) et de Grèce (médaille de bronze - oh pardon!). Le fer pourrait alors désigner l’Empire romain, la nouvelle puissance qui écrase tout au temps où est rédigé le livre de Daniel. Mais il y a d’autres interprétations, et beaucoup de variantes historiques ou politiques.

Peu importe en fait le contexte. Si cette image du colosse aux pieds d’argile a si bien traversé le temps, c’est qu’elle parle fortement à nos imaginations. Et je crois que le Saint Esprit y joue son rôle! À travers elle, Dieu peut nous dire quelque chose, aujourd’hui.

C’est ainsi qu’au 20è siècle, on a souvent vu derrière le royaume de fer une représentation du nazisme. Ou du stalinisme. Ou de l’ex-URSS. Plus récemment, certains y ont reconnu les USA.

Mais ce passage biblique nous parle aussi d’autre chose que de pays en guerre. Car cet or qui devient de l’argent, puis du bronze, puis du fer, et qui enfin se mélange avec de la terre cuite: n’est-ce pas une image universelle d’un temps de réussite éclatante, qui pâlit peu à peu; puis se durcit dans une défensive qui écrase la contradiction; puis qui s’écroule à cause de quelques points faibles soudain apparus au grand jour?

On pourrait penser à nos entreprises humaines; nos puissances, économiques ou commerciales; aux systèmes qui sont censés résoudre nos problèmes; à nos constitutions, nos lois (tiens, au hasard, la 5è république en France!). On pourrait faire des parallèles avec la fragilité climatique de notre planète, et cette espèce de sclérose qui nous empêche d’agir efficacement (merci les jeunes de nous mettre en face de nos responsabilités!).

Après l’éclat des débuts, oui, tout se ternit; puis se durcit; l’agressivité augmente. Jusqu’à ce qu’un grain de sable ne vienne tout flanquer par terre.

Même nos structures d’Eglises pourraient être concernées, oui même elles, qui s’avèrent aujourd’hui en décalage avec la société qui est en train d’émerger...

On pourrait lire enfin, derrière cette métaphore, nos vies humaines: l’éclat de la jeunesse; l’argent et le bronze des âges mûrs; puis la rigidité grandissante qui s’empare de nous quand nous vieillissons; jusqu’à ce que la mort nous mélange à la terre!
 


Il y a un temps pour tout, disait déjà l’Ecclésiaste. Un temps de grandeur, et un temps de décadence. Individuellement et collectivement, nous connaissons tou(te)s le même phénomène.

Mais si nous en parlons, dans ce culte, en présence de Dieu, c’est que nous ne voulons pas nous arrêter là! Comme l’exprime le Nouveau Testament (NT), en particulier les trois passages  que nous en avons entendus tout à l’heure, notre fragilité, notre “pieds-d’argilité”, elle est habitée par le Père de Jésus Christ! Il veut nous aider à discerner où est l’essentiel; la vraie valeur; soit reconnaître notre vulnérabilité, et y sentir le souffle bienfaisant de la présence toute proche de Dieu.

Comme les pèlerins d’Emmaüs, les croyants du NT se découvrent accompagnés; protégés; bénis. De découvrir la vérité sur leurs rêves de toute-puissance; de se savoir souris face à des chats; de reconnaître que la statue a des pieds d’argile, eh bien ça ne les effraie plus, ces pèlerins. Leur relation nouvelle avec le Christ les rassure et les inspire. Ils repartent pour Jérusalem. Demain, ils gagneront le monde.

Non pas découragés, mais merveilleusement encouragés à accomplir leur métier d’adultes et de croyants au milieu des humains. Préparés par la Parole et nourris par la communion; pour se glisser dans les mille et une conversations des vivants, pour se “faufiler entre” et pour rayonner de l’incroyable Espérance majuscule du matin de Pâques.

Reconnaître nos fragilités. Ne pas s’y résigner, mais au contraire lutter pour que cette terre soit un peu mieux à l’image des espoirs du Créateur. Car c’est dans nos faiblesses que s’affirme et resplendit la force de Dieu.
  


Dans nos tempêtes, dans nos peurs, le Christ est là, qui nous dit: “souris!“

Pensez-y, la prochaine fois que vous serez appelés à accrocher un grelot au cou d’un chat! Amen                                          


Jean-Jacques Corbaz






 





(Pr, SB) Jurer au nom de Dieu ou...?

Prédication du 3 février 2019: "Croix de bois, croix de fer, l'évolution d'un passage de l'évangile" 
 
Lectures: Matthieu 5, 33-37; Matthieu 23, 16-22; Psaume 50, 7-15 


"Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer”. Depuis que nous avons quitté l’enfance, ce genre de serment a disparu de notre vie quotidienne. Et c’est normal: nos engagements, à nous adultes, ils se font par écrit; parfois même devant notaire. Vendre; louer; contrat de travail... c’est la signature qui remplace les serments. Tandis qu’à l’époque où nous étions petits, on n’écrivait pas. C’était le règne du "Croix de bois, croix de fer”; “je le jure sur la tête de ma mère”.

Au temps de Jésus, bien sûr, les gens n’écrivaient pas plus souvent qu’un enfant de 7 ans aujourd’hui. Les engagements se prenaient par oral, tous les contrats, ventes, locations.

Dans ce contexte, il fallait donner du poids à sa parole. Pour montrer qu’on pouvait nous faire confiance, on s’est mis à jurer sur les choses les plus sacrées. Et puisque la crainte de Dieu était forte, dans toutes les religions (la peur d’être puni par le ciel), on prêtait serment en prenant Dieu à témoin, pour qu’il garantisse en quelque sorte le sérieux de notre parole.
  


Chez les juifs spécialement, on jurait à tout propos; dans les situations les plus graves comme dans les cas les plus bénins. Les maris juraient de punir leur femme; les endettés prenaient le Ciel à témoin qu’ils avaient déjà remboursé leur dû...

Afin de cadrer tout ça, les maîtres de la loi avaient développé des règles sur les serments. On en voit dans l’Ancien Testament (AT). Ces règles précisaient qu’il était permis de jurer, mais elles demandaient alors de respecter ses engagements prononcés face à Dieu; de ne pas se parjurer.

Or, vous le savez, la Torah interdit de prononcer le nom du Seigneur. Dès lors, les serments ne pouvaient pas mentionner Dieu. On jurait donc par le ciel ou par la terre, par Jérusalem ou par ses parents, qui renvoyaient indirectement au Père céleste; ou par tout autre objet sacré, comme le Temple ou l’autel des sacrifices.

Cette manière de faire, Jésus la dénonce, comme avant lui les prophètes, il la qualifie d’hypocrite. Jurer par le ciel, c’est aussi grave que de prendre Dieu à témoin de ses engagements. Le respect de la sainteté du Créateur commande de ne pas le mêler à nos petites combines, plus ou moins à cheval sur la limite entre mensonge et vérité. Ou bien notre parole est véridique, et un oui suffit; ou bien elle ne l’est pas, et il faut laisser Dieu en-dehors de ça!
  


Jusque là, tout a l’air assez simple. Mais où ça se complique, c’est quand les chrétiens d’il y a 1950 ans doivent prêter serment. Comment faire pour que les autres nous fassent confiance, mais sans jurer?

Ils auront deux types de réponses, en gros:

° Les uns vont assouplir le commandement de Jésus, en le rapprochant de l’AT: on peut faire un serment pour autant qu’on n’y mêle pas Dieu, ni le ciel ou la terre. Pour ces gens, jurer n’est pas une bonne chose, mais ce n’est pas complètement interdit. Plutôt un moindre mal. C’est ainsi qu’en lisant le NT, on voit des apôtres comme Paul faire des serments, et même prendre Dieu à témoin de leurs paroles!

° Pour d’autres dans la première Eglise, le commandement de Jésus est absolu: “je vous dis de ne pas faire de serment du tout”. Même si nos affaires économiques en pâtissent, il ne faut pas jurer. (Aujourd’hui, il y a même des gens qui pensent que notre passage interdit de prendre des promesses comme celles de baptême, mariage ou consécration pastorale. Pas moins!)

Or l’évangile selon Matthieu est le résultat d’un cheminement, et d’un travail passionnant. On a pu retrouver les traces de l’évolution de nos versets au cours du 1er siècle, entre l’an 30 (quand Jésus a parlé) et l’an 80 (la rédaction définitive de notre évangile).

Cette évolution nous montre bien que la Bible est le résultat d’un long modelage, pour que d’une part elle corresponde au mieux à la volonté de Dieu, mais que d’autre part elle soit bien comprise du monde où elle est annoncée. On assiste ainsi à une sorte de dialogue entre deux manières de voir différentes, jusqu’à aboutir à une formulation qui les respecte le plus possible toutes les deux. Comme le dit le titre d’un petit livre de Bernard Gillièron: “La Bible n’est pas tombée du ciel”.
  


Voyons donc comment ce cheminement s’est produit.

Première étape: Jésus réagit aux abus de la pratique des juifs. L’AT autorise les serments, il les règlemente, mais le résultat est catastrophique: Dieu n’est plus respecté. Jésus donc demande de ne plus jurer du tout. On peut imaginer qu’il a dit à peu près ceci, que nous transmet l’évangile selon Matthieu (vv. 33-34a): “Vous avez aussi entendu qu'il a été dit à nos ancêtres «Ne romps pas ton serment, accomplis ce que tu as juré devant le Seigneur». Mais moi je vous dis de ne faire aucun serment du tout.”

Je vous rappelle que Jésus, et avec lui les premiers chrétiens, attendait la fin du monde pour l’avenir immédiat; quelques années au maximum. Il demande donc une conduite qui marque une rupture avec la morale ancienne. Il s’agit de dresser des signes prophétiques de la proximité de Dieu: ne plus se mettre en colère; ne pas faire violence aux femmes en les regardant, voire en les harcelant; ne pas se venger; aimer ses ennemis... bref, être parfait comme le Père céleste est parfait. Ce n’est pas une éthique pour une longue durée, c’est une attitude de rupture radicale, qui annonce des bouleversements tout proches.

Deuxième étape. Voilà que la fin du monde n’arrive pas. Ou plutôt, dirons-nous avec le recul, elle arrive sous la forme de la résurrection. On doit donc continuer de vivre en société, et les attitudes de rupture que Jésus demande sont de plus en plus difficiles à tenir sur la durée d’une vie entière. Comme les contrats se font encore par oral, il faut bien, de temps en temps, utiliser les serments.

On revient alors à l’AT, qui tolère et règlemente cette pratique. Mais on demande bien de ne pas jurer par le ciel et la terre, ce qui ne serait qu’une manière hypocrite de parler de Dieu sans le nommer.

Dans cette deuxième étape, on ajoute donc aux paroles de Jésus des mots de l’AT, qui les atténuent. Et notre passage devient: “Vous avez aussi entendu qu'il a été dit à nos ancêtres «Ne romps pas ton serment, accomplis ce que tu as juré devant le Seigneur». Mais moi je vous dis de ne faire aucun serment du tout. N'en faites ni par le ciel, c'est le trône de Dieu; ni par la terre, elle est un escabeau sous ses pieds; ni par Jérusalem, c’est la ville du grand Roi.” (vv. 33-35).

Troisième étape: les paroles de Jésus se répandent dans le monde grec, où le serment est beaucoup moins utilisé; et surtout, où il ne s’appuie que très rarement sur les dieux de l’Olympe; les grecs ont plutôt l’habitude de jurer sur leur propre tête.

Les chrétiens de culture hellénistique n’apprécient guère les raisonnements alambiqués des juifs. Ils préfèrent souvent l’interdiction générale des serments.

On ajoute alors le verset 36, qui interpelle la manière grecque païenne de jurer. Notre passage devient: “Vous avez aussi entendu qu'il a été dit à nos ancêtres «Ne romps pas ton serment, accomplis ce que tu as juré devant le Seigneur». Mais moi je vous dis de ne faire aucun serment du tout. N'en faites ni par le ciel, c'est le trône de Dieu; ni par la terre, elle est un escabeau sous ses pieds; ni par Jérusalem,   c’est la ville du grand Roi. N'en fais pas non plus par ta tête, car tu ne peux pas rendre blanc ou noir un seul de tes cheveux.” (vv. 33-36). Et, vous le voyez, cette formulation met à nouveau l’accent sur l’interdiction des serments!

Quatrième étape: l’auteur de l’évangile selon Matthieu s’adresse à des chrétiens pétris d’AT, mais aussi persécutés par les juifs. Il faut leur montrer que Jésus reste dans la ligne de la foi d’Israël bien sûr (il accomplit la loi de l’AT, il ne l’abolit pas); mais il faut leur montrer aussi ce que Jésus a remis en valeur des vieux commandements juifs en les épurant de tout l’arsenal pharisien qui les avait dénaturés.

C’est pourquoi Matthieu rajoute le dernier verset, le 37: “Vous avez aussi entendu qu'il a été dit à nos ancêtres «Ne romps pas ton serment, accomplis ce que tu as juré devant le Seigneur». Mais moi je vous dis de ne faire aucun serment du tout. N'en faites ni par le ciel, c'est le trône de Dieu; ni par la terre, elle est un escabeau sous ses pieds; ni par Jérusalem, c’est la ville du grand Roi. Pas non plus par ta tête, car tu ne peux pas rendre blanc ou noir un seul de tes cheveux. Si c'est oui, dites OUI, si c'est non, dites NON, tout simplement; ce qu'on dit en plus vient du Malin” (vv. 33-37).

À la fois il maintient la sévérité de Jésus face aux serments; mais à la fois il conserve une formule minimum de promesse sacrée.  À la fois il n’est pas en contradiction avec l’AT; et à la fois il redonne de la valeur aux paroles des croyants dépouillées de leurs combines. OUI et NON, c’est là que la vérité se joue, et nulle part ailleurs.
  

Cinquième étape: aujourd’hui! Le chrétien qui lit ce passage n’est guère mieux fixé sur ce qu’il doit faire. On voit bien que le ”Croix de bois” est une manière détournée de jurer au nom de Dieu. Mais nos serments? Et nos promesses?

Il me semble important de souligner trois choses:

1. D’abord, les engagements à l’église de baptême, mariage, consécration: on n’y jure pas! Bien sûr, si nos promesses sont comprises comme un contrat dont Dieu serait l’examinateur, qui nous punirait en cas de non respect, alors elles sont mauvaises, et nous sommes concernés par notre passage de Matthieu.     Mais nos engagements ecclésiastiques n’ont plus guère cet accent. Ils sont au contraire des promesses qui demandent à Dieu son aide pour que nous soyons capables de les tenir.

2. Ensuite, les serments d’ordre politique: installation d’un Conseil général ou communal, et même notre Constitution, qui invoque le “Dieu tout-puissant”. Dans tout cela, la référence à Dieu n’est pas là pour garantir le respect de la promesse. C’est plutôt l’affirmation d’un ordre qui dépasse nos valeurs humaines.

Je trouve heureux que notre fête patriotique, nos élections, nos lois civiles soient inscrites dans le coeur de Dieu. Comme pour dire: tout cela, il y a quelque chose (ou Quelqu’un!) qui le dépasse. Notre Constitution est d’ordre terrestre, et Dieu est au-dessus, qui la transcende, et qui donc en montre les limites. Nous n’adorerons jamais nos lois ni nos autorités, comme l’Empereur de Rome le voulait! Nous reconnaissons qu’elles sont humaines.
  

3. Dernière remarque: nos serments d’ordre privé (comme “Je te jure que je n’ai pas puisé dans la caisse!”).

Sur ce sujet, il est heureux que la Bible nous aide à réfléchir au poids de nos paroles, car c’est là que se joue l’essentiel de notre respect du prochain. L’évangile n’interdit pas; il n’autorise pas n’importe quoi; il nous invite à avancer comme sur le fil du rasoir, en équilibre entre les deux extrêmes qu’il balise. Toujours, il nous demande de nous poser la question, qui est au coeur de ce débat sur les serments: quelle confiance est-ce que les autres peuvent accorder à mes paroles, à mes promesses? Amen                                                                                               


Jean-Jacques Corbaz 




--> On peut lire encore Esaïe 54, 10 (bénédiction) et chanter le cantique Alléluia 46-07