L’un des passages les plus poignants de la littérature russe… Allons-y, papa
Anton Tchekhov écrit dans l’un de ses récits :
À l’arrêt d’autobus, un vieil homme et une jeune femme enceinte attendaient ensemble.
L’homme ne cessait de fixer le ventre rond de la femme, intrigué. Puis il osa lui demander doucement :
— Vous êtes à combien de mois ?
La jeune femme semblait ailleurs, perdue dans ses pensées. L’inquiétude se lisait sur ses traits fatigués. D’abord, elle ne répondit pas. Puis, après quelques secondes de silence, elle murmura :
— J’en suis à la vingt-troisième semaine...
— C’est votre premier enfant ? demanda-t-il.
— Oui, répondit-elle d’une voix à peine audible.
— Il ne faut pas avoir peur, ajouta le vieil homme. Tout ira bien, vous verrez.
Elle posa la main sur son ventre, regarda droit devant elle, les yeux brillants, luttant contre ses larmes.
— J’espère… répondit-elle.
Le vieil homme reprit :
— Il arrive parfois que l’on se laisse submerger par des inquiétudes qui, au fond, ne le méritent pas…
— Peut-être…, souffla-t-elle tristement.
Il la regarda avec plus d’attention, plus de compassion.
— Vous semblez traverser une période difficile. Votre mari… n’est-il pas avec vous ?
— Il m’a quittée, il y a quatre mois.
— Pourquoi ?!
— C’est compliqué…
— Et vos proches ? Votre famille, des amis ? Personne pour vous entourer ?
Elle inspira profondément.
— Je vis seule avec mon père… Il est malade.
Un long silence. Puis le vieil homme demanda :
— Est-il toujours ce pilier que vous aviez connu dans votre enfance ?
Des larmes coulèrent sur les joues de la jeune femme.
— Oui… Même ainsi.
— Même dans son état ? Que lui arrive-t-il ?
— Il ne se souvient plus de qui je suis…
Elle prononça ces mots au moment même où arrivait l’autobus.
Elle se leva, fit quelques pas… Puis, se ravisa, revint vers le vieil homme, lui prit doucement la main, et dit avec tendresse :
Allons-y, papa.
Anton Tchekhov
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