Elle respire à peine. C’est la seule chose en elle qui n’est pas immobile.
Elle
semble si frêle, les traits tirés: la page va se tourner, il faudra
apprendre à vivre sans elle, physiquement.
J’ai
beau avoir l’habitude, je suis toujours à ce moment saisi d’une
timidité maladroite: que dire? que faire? Ce manque m’aide à être
vrai, je crois. Lorsque la carapace sera trop dure, il me faudra
changer de métier.
Alors,
me taire. M’approcher. Me présenter (elle m’entend). La toucher
doucement. Et écouter.
Celle
qui est couchée ici n’est pas une
mourante: c’est Blanche ou Rose, paysanne volubile qui cousait la
nuit; qui blaguait avec ses petits-enfants; puis qui a égayé l’EMS,
cette année, par son à-propos, ses chants – et les caprices de sa
mémoire!
Celle
que je vois rejoint celle de mon souvenir. Je peux ouvrir la bouche,
et laisser s’approcher Celui qui m’envoie.
«Vous
savez, Dieu est là, tout proche. Il veille sur vous, comme une mère
au chevet de son enfant. Avec tendresse».
Bien
sûr elle le sait. A l’école du dimanche; au catéchisme; au
culte; dans nos échanges, nos prières, elle l’a laissé grandir
en elle, s’enraciner. Solidement.
«Il
est mon berger, je ne manquerai de rien». Sa main serre la mienne,
elle a bougé! Ou alors c’est la bouche pour dire «amen» ou
«merci». Ou encore une larme qui perle et descend lentement. Vie.
Je
la sens soudain si forte, dans sa dernière fragilité. Non, elle ne
manquera de rien: ce voyage indicible, elle l’entreprend en
compagnie de Celui qui nous donne pleine sécurité quand nous Lui
faisons confiance.
Je
suis souvent trop ému, alors, pour adresser une pensée
reconnaissante à celles et ceux qui ont transmis leur foi à Rose ou
Blanche, et lui ont permis de mourir si sereine, si lumineuse. Ces
lignes veulent le dire.
Et
aussi nous aider, peut-être, à penser à nos jeunes, nos enfants:
dans huitante ans, quel départ leur aurons-nous préparé?
Jean-Jacques Corbaz
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