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dimanche 17 juin 2018

(Pr) Quel est l'Africain qui te porte?

Prédication du 17 juin 18, Ollon

Lectures: Proverbes 14, 31; Matthieu 22, 34-39



Ce matin, je vous emmène en Italie. Plus précisément à Venise. La ville est renommée, pour ses canaux, bien sûr, mais aussi pour ses magnifiques palais. L’un d’eux s’appelle la Ca’Rezzonico; c’est un chef-d’oeuvre d’architecture et de décoration intérieure. La salle de bal, au 1er étage, est immense, et superbement ornée: sol de marbre, fresques au plafond... Sur les parois, d’admirables potiches chinoises émerveillent le visiteur par la finesse de leurs couleurs, par leur éclat, et la richesse de leurs formes...

Tout à coup pourtant, l’enchantement se brise. Car on s’aperçoit soudain que ces bijoux de porcelaine orientale sont portés, chacun, par la statuette d’un Africain, nu, qui ploie sous de lourdes chaînes.
  


Redoutable symbole, qui suscite en moi quelques réflexions sur notre société d’aujourd’hui.

Car nous avons vécu, durant bien des années, dans une prospérité exceptionnelle. Nous avons bénéficié des ressources d’une civilisation avancée, héritière de quelques autres, industrieuses et ingénieuses. Nous avons pu jouir d’une sécurité, d’un confort, d’une aisance que beaucoup nous ont enviés, et en même temps nous avons bénéficié d’une culture et de loisirs d’une richesse rare.

Il me semble que cette prospérité était un peu pareille aux porcelaines chinoises de Venise! Au premier coup d’oeil, on ne le voyait pas, mais une analyse plus fine le faisait comprendre: notre aisance était portée par des hommes, des femmes, et même des enfants, souvent Africains. Et c’était leur travail, mal payé, qui nous enrichissait; et c’étaient leurs matières premières, négociées à des prix dérisoires, qui nous permettaient d’acheter, ici, bananes, café, cacao à des tarifs inférieurs à nos propres produits agricoles, et j’en passe des etc, car tout ça vous le savez bien, déjà!
  

On pourrait ainsi s’étendre longuement sur le fait que notre essor reposait sur les épaules d’Africains mal nourris, mais aussi d’Asiatiques mal soignés, de Latino-Américains privés de libertés et de tant d’autres choses.

Dans notre pays, nous avons vécu si longtemps avec la croyance (presque le mythe) que c’était notre travail qui était la principale source de notre bien-être. Il est une des raisons de notre prospérité, bien sûr, mais la principale, c’est la chance que nous avons eue de nous être développés avant les autres continents, et de profiter de relations commerciales qui nous avantageaient.

Mais stop! Nous ne sommes pas ici pour faire de l’économie mondiale. D’autres, plus compétents, s’en chargent volontiers, on en trouve dans tous les bords politiques.

Je voudrais aujourd’hui que cette anecdote de la Ca’Rezzonico serve juste à nous parler de Dieu. Et de nos relations avec lui. Et de nos relations les uns avec les autres.
  

Les statuettes de Venise représentent des Bantous. En effet, l’Afrique a été, durant des siècles, le terrain privilégié des chasseurs de main-d’oeuvre gratuite: les trafiquants d’esclaves. Martin Luther King et ses semblables en Amérique sont les descendants des victimes de ces traitements, inhumains. Et cela, bien sûr, pèse encore d’un poids considérable sur les relations entre Noirs et Blancs, aux Etats-Unis et ailleurs.

De tout temps, on a considéré les personnes à la peau foncée et aux cheveux crépus comme inférieures aux autres. Savez-vous qu’on a retrouvé en Egypte des inscriptions hostiles aux Noirs datant d’il y a 4’000 ans!?! Au 18è siècle, on se demandait encore si Dieu avait pu mettre une âme dans un corps aussi sombre... “Ils sont de la couleur du démon”, a-t-on dit (et écrit!). “Ils ressemblent aux singes”, et pire encore!

Quand je vivais au Cameroun, j’ai souvent pu constater à quel point les Noirs étaient complexés face à nous. Michaël Jackson n’a pas été le premier à se décolorer la peau, beaucoup de jeunes-filles le font, en Afrique. Le plus souvent avec des produits extrêmement toxiques, dangereux! Certain(e)s se défrisent les cheveux, pour ressembler à des Blancs...

“Nous sommes une race inférieure”. Combien de fois ai-je eu la tristesse d’entendre ce discours, au Cameroun. Ce racisme à l’envers!

Le plus navrant, dans tout ça, c’est la forte influence de la foi chrétienne en Afrique! La quasi-totalité des élites a passé plusieurs années dans des écoles missionnaires. Comment a-t-on fait pour trahir le message biblique à ce point? Comment a-t-on pu oublier ainsi l’essentiel de la prédication de Jésus, que toutes et tous sont frères  et soeurs?!?
  

“Opprimer le pauvre, c’est insulter Dieu, qui l’a fait”. Mais ce verset, c’est de la dynamite! Comment de pieux chrétiens ont-ils pu l’entendre, au culte ou à la messe, alors qu’ils s’enrichissaient grâce à des esclaves?!?

Je me dis souvent que le genre humain possède un pouvoir infini d’oublier ce qui contrevient à ses intérêts...

“Opprimer le pauvre, c’est insulter Dieu, son créateur”. Ne faudrait-il pas inscrire ce verset en lettres de feu dans nos églises, pour éviter de l’effacer de nos mémoires, et de nos vies?

Il nous fait comprendre un peu mieux, d’ailleurs, pourquoi Jésus dit que les deux commandements sont pareils, celui d’aimer Dieu et celui d’aimer son prochain. “Et voici le second, qui lui est semblable”, faut-il traduire littéralement. C’est-à-dire que d’aimer son prochain, c’est la même chose que d’aimer Dieu, qui l’a fait. Ce ne sont pas deux actes différents: quand je respecte l’autre, concrètement, eh bien je respecte en même temps son Créateur. Et quand j’honore Dieu, en actes ou en paroles, je suis incohérent si je n’honore pas aussi mon prochain, en particulier le plus pauvre.
  

Vous voyez comme nos réflexions de ce matin rejoignent égale-ment ces mots bien connus de Jésus: “Tout ce que vous avez fait au plus petit des humains, qui sont mes frères, eh bien c’est à moi que vous l’avez fait”.
  
Il y a des fois où on s’habitue aux injustices. Et d’autres où on ne les supporte pas! Ce qui me révolte, aujourd’hui, c’est le décalage entre les valeurs de la Bible et ce que vivent nos contemporains soi-disant chrétiens. Je souffre de voir le Créateur si souvent bafoué dans la personne de celles et ceux qu’il a faits (à son image, dit la Genèse!).

Et ce qui m’anime, c’est l’espérance que de plus en plus de femmes, d’hommes, d’enfants se joignent à cette protestation. Afin que la dynamite de l’évangile retentisse, bouleverse, interroge... et peut-être même transforme!

“Opprimer le pauvre, c’est insulter Dieu, son créateur”.

Dites, et si nous prenions au sérieux notre fraternité?
Amen                                          


Jean-Jacques Corbaz 



dimanche 3 juin 2018

(Pr) Ruth, une incroyable histoire d’amour


  Prédic du 3 juin 2018

Lectures bibliques: Ruth 1, 1-16 ; Romains 6, 3-8 ; Romains 8, 1-2

Il m’est arrivé une étonnante aventure : j’ai eu la chance (en tant que pasteur retraité) de visiter le paradis !
Ce qui m’a le plus frappé, c’était, dans le hall d’entrée, immense, une quantité de cadrans, comme de petites horloges. Chacun de ces cadrans portait le nom d’une personne.
J’ai demandé à l’ange qui m’accueillait ce que c’était.
- Eh bien, me dit-il, ce sont les compteurs des péchés. Chaque fois que la personne commet un péché, l’aiguille avance d’un cran. Ainsi, nous pouvons savoir en permanence où chacun en est.
Intrigué, je demande à voir le cadran de certains de mes paroissiens.  
Edouard Briquet ? Son compteur marque 4h17. 
Pas de souci, me dit l’ange, il est sur la bonne voie.  
Boris Voirol ? 2h24 !! 
Là, nous avons une personne exceptionnelle ! La moyenne est d’environ 7 ou 8 heures.
Encouragé par ces commentaires, je demande à voir mon propre compteur.
- Jean-Jacques Corbaz ? Aïe, non, ce n’est pas possible : votre cadran est sur le bureau personnel de Dieu le Père.
- Ah bon ? Mais pourquoi ? Il surveille les pasteurs de si près ?
- Non, non, ce n’est pas ça ! Mais vous comprenez, il fait si chaud aujourd’hui : il s’en sert comme ventilateur !!!

J’aime bien cette histoire, parce qu’elle décrit exactement ce que beaucoup de gens croient, c’est-à-dire que Dieu s’amuserait à comptabiliser les péchés des humains, qu’ils ou elles soient pasteur, coiffeuse ou ménagère !

J’aime bien cette histoire, parce qu’elle montre exactement le contraire de ce que nous dit la Bible : en réalité, Dieu ne calcule pas nos péchés, il n’épie pas nos désobéissances pour voir si nous méritons le paradis ou non. La Bible ne nous parle de péchés que pour nous aider à réaliser le fait que Dieu les pardonne entièrement, gratuitement, sans condition. Il vient supprimer le péché, c’est-à-dire nos culpabilités face à lui.

Et là, vous voyez comme cela rejoint le baptême de Viktoria, que nous avons célébré tout à l’heure. L’eau est le symbole d’un Dieu qui nous lave, nous purifie de nos fautes, dit le Nouveau Testament.

L’évangile n’insiste sur nos désobéissances que pour montrer qu’elles nous éloignent du projet de Dieu pour nous, ça oui : un projet de bonheur, de liberté, de paix. Mais ce sont nos peurs, nos légendes humaines qui ont bâti tous ces scénarios d’enfer, de purgatoire et de je ne sais quelles punitions. Ce sont nos consciences qui ont de la peine à accepter d’être déchargées gratuitement, comme ça, par amour ! Car Dieu a tant aimé le monde qu’il nous a donné son fils pour que nous soyons sauvés. – On pourrait dire aussi : pour mettre nos compteurs à zéro, et qu’ils y restent !

La Bible, ainsi, n’est pas obsédée par le courroux divin, comme certains le croient. Je dirais plutôt qu’elle est obsédée par une seule chose : la tendresse de Dieu pour nous, et son absolue fidélité à son projet de nous sauver, quoi que nous fassions.


Cet attachement, c’est exactement ce que raconte le livre de Ruth, dont nous avons entendu le début. Je vous encourage à le lire en entier ; d’ailleurs, il n’est pas long : cinq pages en tout. Dans une traduction en français moderne, il se lit comme un roman. Ou plutôt comme une très belle histoire d’amour – émouvante.

Un juif, Elimelek, décide de s’expatrier, à cause de la famine. En ce temps-là, en effet, les réfugiés économiques pullulaient, mais on les laissait entrer ! Elimelek trouve donc refuge à Moab, un pays fertile proche de l’actuelle Jordanie.

Mais cette famille est poursuivie par la malchance : Elimelek meurt bientôt, et ses deux fils, à peine mariés,   le suivent. Ne restent que trois femmes, sans ressources. À cette époque, une veuve ne peut survivre qu’en se remariant, ou alors en se plaçant sous la protection d’un fils.

Nos trois malheureuses n’ont aucun descendant. Il ne leur reste donc qu’une seule chose à faire : retourner chacune dans sa famille, en espérant trouver un mari pour les deux jeunes, ou un parent compatissant, ce qui est nettement plus aléatoire ! Le sort de Noémi n’est vraiment pas enviable ; c’est la famine assurée. Mais il n’y a rien d’autre à faire.

Rien ? Ce n’est pas l‘avis de Ruth, qui refuse de quitter sa belle-mère. Ruth piétine les traditions, parce qu’elle ne veut pas abandonner Noémi. Elle qui est païenne, elle vient vivre en Israël, à Bethléem, pour aider celle à qui elle s’est attachée.

C’est ainsi que tout va changer pour Noémi (dont le nom veut dire « Bienheureuse », et qui pourra le rester, bienheureuse, malgré les coups du sort). Tout va changer pour Noémi, et aussi pour Israël : par des aventures que racontent les chapitres 2, 3 et 4, Ruth non seulement permet à sa belle-mère de survivre, mais encore elle lui donne un enfant ! Ce fils de Ruth sera le grand-père du roi David, le plus fameux, le plus brillant de tous les juifs. Elle, l’étrangère, deviendra l’ancêtre du roi symbole d’Israël, étoile de la foi ! Mieux encore, elle sera, comme David, ancêtre de Jésus lui-même !

Parabole ! L’attachement obstiné de Ruth pour Noémi devient ainsi, comme souvent dans l’Ancien Testament, signe de l’attachement obstiné de Dieu pour son peuple. Pour tous les hommes. Pour toutes les femmes. Et surtout pour les plus démunis !

Et de la même façon, le baptême de Viktoria, et tous nos baptêmes deviennent ainsi symbole, signe et fête de l’attachement obstiné de Dieu pour nous.



J’aime à vous parler de ces deux femmes en ce jour où une petite fille baptisée est accompagnée par deux marraines. En un temps aussi où les personnes du beau sexe sont nettement majoritaires dans nos lieux de culte ; cela alors que notre société a toujours tant de peine à laisser aux dames leur part de pouvoir !

Il y a un petit détail qui, à ma connaissance, n’a jamais été relevé par aucun exégète. Comme un clin d’œil ! À la première ligne du livre de Ruth, l’auteur écrit (je cite) : « C’était au temps où les Juges avaient le pouvoir en Israël ». D’habitude, on ne donne jamais ce genre de précision comme ça. Donc, cette petite introduction veut dire quelque chose d’original, elle met le doigt sur une particularité.

« C’était au temps où les Juges avaient le pouvoir en Israël », et toute la suite nous montre deux femmes obscures, Ruth et Noémi, qui font basculer leur destin, et celui d’Israël,  et celui de l’univers : puisque c’est de leur attachement invraisemblable que naîtront le roi David et surtout Jésus ! Le pouvoir n’était pas où l’on croyait !


Ecoutez cette jolie histoire :
- Sais-tu, demande le rouge-gorge, sais-tu combien pèse un flocon de neige?
- Oh, répond la colombe, rien du tout! C’est insignifiant! Négligeable!
- Ecoute, reprend le rouge-gorge, j’étais dans la forêt, et j’admirais l’hiver. J’ai compté les flocons qui tombaient. Sur une branche, qui était fragile, sont tombés 14’277 flocons. Mais quand s’est posé le 14’278ème (qui pèse trois fois rien, comme tu disais, négligeable...), eh bien, la branche a cassé... Parfois, il suffit de peu pour tout changer.
- C’est peut-être vrai, se dit la colombe (une autorité en matière de paix). Peut-être ne manque-t-il qu’un geste, dérisoire, insignifiant, pour que tout bascule... pour que la paix soit possible... ou qu’on soit heureux...

Non, le pouvoir n’est pas toujours où l’on pense. Selon le livre de Ruth, il est entre les mains de Dieu. Dieu qui ne fait jamais les choses comme on attend. Dieu qui veut toujours faire éclater les petits-cadrans-de-nos-petites-horloges-de-nos-petits-péchés. Pour nous faire éclore librement au grand soleil de sa passion-tendresse !
Amen

 
                                                 Jean-Jacques Corbaz