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samedi 24 décembre 2022

(Pr, Co) Jojo. Conte de Noël

Jojo en Chine  Conte du 24 décembre 2022 

Lecture biblique: Luc 2, 1-20


Il était une fois, il y a bien des années, un petit garçon pas très sage qui sʼappelait Jojo.

Jojo était un gentil copain, il aimait beaucoup jouer avec les autres. Il savait bien se faire apprécier des enfants de son âge... mais nettement moins de ses professeurs à lʼécole, ou de son pasteur au catéchisme ! Car Jojo nʼétait pas très attentif, il préférait écouter ses rêves dʼaventure plutôt que ce qu’on lui enseignait. Il sʼimaginait volontiers en train de courir les mers sur un bateau de pirates, ou dʼexplorer les continents inconnus... Mais il avait énormément de peine à se concentrer sur lʼorthographe, le calcul ou la discipline !

À seize ans, Jojo est sorti de lʼécole avec des notes... eh bien, pas fameuses du tout ! Il a eu de la peine à choisir un métier qui lui plaise. Pour finir, il a décidé de devenir marin. Pour partir très loin, comme les aventuriers de ses rêves. Il sʼimaginait capitaine de navire, avec une belle casquette et des galons dorés; et tout un équipage sous ses ordres.
 



Évidemment, la réalité nʼa pas été aussi belle ! Quand Jojo est arrivé dans un grand port, cʼétait à Rotterdam, aux Pays-Bas, personne nʼa voulu lʼembaucher pour être commandant de bateau. Normal, il nʼavait encore jamais navigué ! La seule place qu’il a fini par trouver, ça a été comme mousse. Il devait laver le pont du navire, vider les poubelles, porter des bidons dégoulinant de graisse froide... bref, des tâches vraiment peu agréables.

Par chance, il a pu voir beaucoup de pays. Son bateau passait dʼun port à lʼautre: New York... Rio de Janeiro... Buenos Aires... Amsterdam... la Floride... lʼAustralie... le Japon... la Terre de Feu... En quelques années, il a parcouru ainsi la terre entière. En travaillant, bien sûr. Les marins avaient tellement à faire qu’ils ne pouvaient jamais descendre pour visiter les régions où ils accostaient.

Malheureusement, Jojo est resté mousse longtemps. Comme il nʼavait pas appris grand-chose à lʼécole, il nʼa jamais pu se faire engager pour des activités plus intéressantes. Alors, un jour, il en a eu assez. Marre de toujours nettoyer la saleté et dʼobéir aux autres. Il a quitté son navire en décidant de ne pas revenir à bord, et il est parti à la découverte du pays où il se trouvait.
 
 Cʼétait en Chine. Dans une boutique de fripier, Jojo a acheté des habits; pas chers, des vêtements tout simples de Chinois. Et il sʼest mis à vivre comme les indigènes, pauvrement, mais sans manquer du nécessaire.

Grâce à son heureux caractère et sa gentillesse, Jojo sʼest facilement intégré dans son nouvel univers. Bien sûr, il lui a fallu apprendre à parler le chinois. Mais, quand on est heureux, quand on se fait des amis, cʼest nettement plus facile qu’à lʼécole ! Il a dû aussi sʼadapter à des manières de vivre très différentes de tout ce qu’il connaissait. Par exemple, les Chinois nʼarrivaient jamais à prononcer les “J” de son nom: ils l’appelaient Yoyo !! Quand ils le saluaient, ils disaient: “Bonyour, Yoyo !” Pourtant, Jojo ne se fâchait jamais. Il leur répondait chaque fois avec son grand sourire. Et, grâce à son amabilité, il nʼa eu aucune peine à se faire accueillir chaleureusement, il sʼest vite senti comme un vrai Chinois.

                                         *                 *

Cependant, il lui manquait quelque chose. À chaque fin dʼannée, il y repensait: comme cʼétait beau, la fête de Noël, à lʼéglise de son village; avec le sapin, les chants, et les cadeaux... Il aurait tellement voulu pouvoir revivre cette atmosphère magique de son enfance; lʼodeur chaude des bougies et des branches dʼépicéa, le goût des biscômes et des petites cloches en chocolat, la surprise des paquets brillants aux ficelles dorées...

Alors, un jour, Jojo a pris sa décision: la prochaine fois que ce sera le 25 décembre, je vais fêter Noël avec mes nouveaux amis ! Je leur apprendrai !

Mais quand les Chinois ont reçu lʼinvitation, ils ont été tout étonnés. Ils ont demandé: “Noël ? Quʼest-ce que cʼest, ce machin ?” Ils nʼen avaient jamais entendu parler !

Jojo a donc essayé de leur expliquer: 

- Eh bien, vous verrez. On prend un sapin, on le décore avec des bougies et des guirlandes,on chante, on se donne des cadeaux...


- Ah ? ont fait les Chinois. Dʼaccord, nous verrons.

Et le jour de Noël, ils sont venus. Jojo nʼavait pas trouvé de sapin, mais lʼarbre quʼil avait installé dans sa maison faisait quand même lʼaffaire. Il lʼavait décoré comme il pouvait, avec quelques fils argentés et des étoiles de toutes les couleurs.

Après un bon goûter, Jojo a essayé de leur chanter “Voici Noël”, mais il ne se rappelait plus bien des paroles, alors il faisait “lalalala...” De toute façon, les Chinois ne comprenaient pas le français, ils ne voyaient pas la différence !
  

Les Chinois sont des gens patients et polis. Ils ont donc écouté patiemment et poliment. Mais plus la soirée avançait, plus Jojo voyait ses amis sʼennuyer. Il leur a demandé: “Comment trouvez-vous cette fête ?” “Eh bien, ont-ils répondu, il semble que Noël est une étrange coutume, cʼest vraiment bizarre de fêter un arbre tout décoré...” Jojo leur a expliqué que, chez lui, cʼétait la plus belle fête de lʼannée, mais les Chinois faisaient une tête qui avait lʼair de dire: “Ces Européens, quand même, quels drôles de gens !”

Jojo était très déçu. “Jʼai dû oublier quelque chose, pensait-il, ce nʼest pas possible que mes amis nʼaiment pas Noël !” Quand tout-à-coup une idée lʼa traversé: les cadeaux ! Ils avaient oublié de lui offrir des cadeaux ! Cʼétait ça qui manquait ! Pourtant, quand Jojo le leur a dit, les Chinois ont presque fait la grimace. “Comment ? Vous, les Européens, vous êtes vraiment malins: vous organisez une fête pour qu’on vous apporte des cadeaux ! Nous savions que vous étiez égoïstes, mais pas à ce point !”

Après le départ de ses amis, Jojo est resté tout pensif, triste et plein dʼinterrogations. Il se disait en lui-même: “Cʼest vrai que Noël, cʼest encore autre chose qu’un sapin et des cadeaux. Mais qu’est-ce que jʼai oublié ? Quʼest-ce qui est important, pour fêter Noël ? Tout-à-coup, une nouvelle idée lui est venue: “Mais bien sûr, suis-je bête ! Jʼaurais dû leur parler de Jésus ! Parce que Noël, cʼest la fête de Jésus !

Alors Jojo a couru faire le tour de ses amis pour leur dire: “Jʼai trouvé, je sais pourquoi vous nʼavez pas compris ce que cʼest, Noël. Jʼavais oublié de vous parler de Jésus, la naissance de Jésus !”


- Jésus, mais cʼest qui ? ont répondu les Chinois. 

- Comment, vous ne le connaissez pas ? Vous nʼavez jamais entendu ce nom? Jésus, le fils de Dieu, celui qui est né dans la crèche ?!
 

"Garçon!!? Y a un humain dans mon repas!!"

Mais les Chinois étaient tout surpris, et plus Jojo parlait, moins ils comprenaient. Impossible de leur faire sentir comme Noël était une fête importante pour lui. “Cʼest pourtant simple, pensait-il, en Suisse, tout le monde sait ça ! Ah, si seulement ces Chinois étaient allés au catéchisme, le pasteur aurait pu le leur expliquer !”

Malheureusement, il nʼy avait là-bas ni pasteur ni catéchisme à des centaines de kilomètres à la ronde, ni personne qui nʼait jamais entendu parler de Jésus. Et Jojo nʼarrivait pas à se souvenir de ce qu’on lui avait enseigné au caté, puisquʼil avait si peu écouté. La seule chose qui lui était restée, cʼétait une parole de Jésus qui disait: “Tout ce que vous avez fait aux plus petits des humains, qui sont mes frères, cʼest à moi que vous lʼavez fait.” Et le pasteur leur avait fait écrire cette phrase que Jojo nʼavait jamais très bien admise: “Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir.” Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir? Tout de même, cʼest plus agréable de recevoir des cadeaux, non ?

Jojo aurait peut-être oublié toutes ces questions autour de Noël; mais les Chinois sʼen souvenaient, eux ! Ils souriaient lorsqu’ils rencontraient leur ami européen, et ils lui demandaient malicieusement quand il allait encore fêter son arbre et ses cadeaux. Les enfants, pour rigoler, avaient même pris lʼhabitude dʼappeler un “Jésus” ce qu’ils ne comprenaient pas. Quand leurs parents leur parlaient de choses trop compliquées, ils disaient: “Cʼest un Jésus, ce nʼest pas pour nous !” 


Lʼannée suivante, lorsque décembre est revenu, les questions et les moqueries des Chinois sont reparties de plus belle. Mais, le soir de Noël, Jojo a eu tout-à-coup une illumination: “Jʼai trouvé !” a-t-il dit. Il a pensé à toutes les personnes de son village qui avaient besoin qu’on les aide, ou qu’on les encourage, et il est allé chez eux pour leur donner un coup-de- main: le vieil oncle Li, il lʼa aidé à transporter son bois pour lʼhiver, tout un tas de bûches qui lui tiendront chaud; sa voisine, malade, Jojo a été lui préparer un bon repas, pour qu’elle reprenne des forces; et la famille des Chen, qui habite si loin de la rivière, il a aidé les enfants à porter le seau, bien trop lourd pour eux.

Les Chinois étaient de plus en plus étonnés. ils se demandaient: “Mais qu’est-ce qui lui arrive, à notre Européen, pour qu’il agisse ainsi ?” Et quand quelqu’un lui a posé directement la question, Jojo a répondu en souriant: “Eh bien, cʼest Jésus !” 

- Jésus ? Comment ça, Jésus ?


- Mais oui, Jésus, Noël, et Dieu. Je mʼétais trompé, lʼannée passée: à Noël, l’important, ce nʼest pas le sapin, cʼest d’aider les autres. 

- Alors là, si cʼest ça, Noël, ça devient vraiment intéressant, ont fait les Chinois.

Et vous savez, depuis ce jour, il y a tout un village de la Chine lointaine qui fête Noël, chaque 25 décembre; sans sapin, sans cantiques, sans pasteur, mais: avec beaucoup de générosité.

Et Jojo, parmi eux, Jojo a parfois envie de revenir une fois chez lui, en Europe, pour parler à ses copains dʼenfance de ce qu’il a découvert, à lʼautre bout du monde, là où personne ne savait rien sur Jésus, ce qu’il a découvert: le vrai sens de Noël.
  




Bernard Reymond, adapté par Jean-Jacques Corbaz  



vendredi 23 décembre 2022

(SB, Re) Jésus est-il Dieu?

 

MERCI à Louis Pernot : 
 
« pour beaucoup, la théorie de l’incarnation, c’est tout simplement que Jésus est Dieu, comme si le Dieu transcendant descendait sur Terre sous la forme de Jésus Christ. Mais depuis les premiers siècles de notre ère, on a vu que les choses étaient bien plus compliquées.

Dire, en effet : « Jésus est Dieu » est simple, mais très problématique. Dieu ne porte pas des sandales, Dieu ne peut pas mourir sur une croix, et encore moins se dire à lui-même : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ». Il y a dans l’Évangile de nombreux passages montrant que Dieu et Jésus ne sont pas la même personne : ainsi la prière de Jésus à Getsémané : « Non pas ma volonté mais la tienne »...
 
Les théories plus ou moins subtiles ont alors foisonné pour essayer de dire de quelle manière Dieu pouvait être présent en Jésus Christ. Certaines imaginant que Dieu n’a en Jésus qu’une apparence humaine, Jésus n’étant pas vraiment un homme, d’autres que Jésus est bien un humain, mais que c’est Dieu qui prend la place de sa pensée et de son âme... Aucune bien sûr n’est vraiment satisfaisante et chacune mène au même problème qui est de perdre la pleine humanité du Christ.
 
Tout cela vient d’un verset de l’évangile de Jean (cette notion d’incarnation étant absente des trois premiers évangiles) : « Et la Parole (de Dieu... qui est Dieu) s’est faite chair. » (Jn 1,13).
 
Mais comme on l’a vu depuis le Moyen Âge, ce verset pose problème : Dieu étant l’absolu, par définition, il ne peut pas « devenir » quoi que ce soit. Il faut donc comprendre qu’en Jésus, Dieu se rend présent sans pour autant que l’on puisse identifier l’un à l’autre.
 
Que Dieu se rende présent en Jésus-Christ n’est pas problématique : Dieu est, de toute manière, un peu présent en chacun de nous, en Jésus il peut l’être plus qu’en quiconque. L’affirmation de la divinité du Christ peut être de dire simplement qu’en lui, Dieu est pleinement présent.
 
Là est l’importance du mot « incarnation ». L’Évangile ne dit pas brutalement que Jésus est Dieu, mais qu’il est l’incarnation de Dieu, ou tout au moins de sa Parole, puisque Dieu est sa propre parole créatrice. Dire que Jésus incarne la Parole de Dieu signifie qu’il n’est pas en lui-même cette Parole, mais que celle-ci se trouve pleinement présente en lui. En lui, on peut ainsi entendre et voir cette Parole en ce que s’il parle, c’est en conformité avec la Parole, et s’il agit, il agit dans le sens de cette Parole.
 
D’ailleurs, couramment nous utilisons le mot d’« incarnation » relativement à une idée, une idéologie, un discours ; nous pouvons dire, par exemple : Gandhi est l’incarnation de la non-violence, Hitler a incarné le Nazisme, ou l’antisémitisme, etc. Et si l’on peut dire de quelqu’un qu’« il est la bonté même », on peut comprendre que l’on dise, de la même manière, que « Jésus est Dieu-même ». Il n’y a pas besoin pour ça d’imaginer que Jésus soit une sorte d’ectoplasme, réincarnation d’une âme pré-existante qui serait Dieu sans être Dieu.
 
Cependant, il est vrai qu’il y a deux manières de concevoir l’incarnation. Jésus est comme le point de rencontre entre le divin et l’humain. Mais ce point, on peut le penser à partir du haut, ou à partir du bas. Les tenants d’une christologie plutôt divine conçoivent l’incarnation comme un mouvement venant d’en haut : en Christ, c’est Dieu qui descend vers nous. Les tenants d’une christologie plus humaine voient l’incarnation dans l’autre sens, comme un mouvement ascendant : Jésus est un homme qui a su incarner Dieu ou sa Parole. Les uns et les autres forment les deux camps qui depuis des millénaires s’excluent mutuellement. Mais sans doute faut-il garder les deux aspects qui ont chacun leur importance. » 
 
L. P. Ev et Lib n° 217 , 2008 .
  


 

lundi 5 décembre 2022

(Pr, Hi) L'épée et le chapelet

Prédication du 5 décembre 2022    Un autre saint Nicolas: von Flüe!

Lectures bibliques: Esaïe 2, 2-5; Matthieu 5, 1-9


Ce matin, je vous invite à découvrir un personnage étonnant, Nicolas. Peu de gens en savent davantage que quelques clichés à son sujet!

Il naît le 21 mars 1417, donc 100 ans avant la réforme de Luther. Son nom de famille est «Leoponti», mais il sera connu sous celui de son village, qui s’appelle «Flüeli», dans le demi-canton d’Obwald. Donc Nicolas de Flüe.

En ce temps-là, l’Europe vit des années difficiles; le monde du moyen Âge bascule et s’effondre. Beaucoup de conflits divisent les villes, et les campagnes; les autorités politiques, et religieuses. Ces dernières s’accrochent souvent au pouvoir qu’elles ont exercé pendant des siècles, et aux privilèges qu’elles en retiraient.

L’Europe se construit (déjà!), autour des passages à travers les Alpes, dont la Suisse centrale et le fameux Saint-Gothard. Mais les cantons helvétiques, en ce temps-là, sont aussi différents et désunis que les membres de l’Europe aujourd’hui. Voire davantage, puisqu’ils se font la guerre entre eux!! Les conflits ont des causes économiques; débouchés commerciaux; crises d’énergie qui menacent (re-déjà!!). Le tout habillé d’antagonismes religieux… Vous voyez qu’il n’y a rien de très nouveau sous le soleil!

Dans ce monde en crise, Nicolas de Flüe ne craindra pas de s’engager. Ce n’est pas un homme qui fuit les conflits, bien au contraire! Mais il s’engagera toujours pour chercher la paix et la réconciliation.

Appelé sous les drapeaux, il sert l’armée comme officier. Et il se bat comme il prie, avec ardeur, tenant d’une main son épée et de l’autre son chapelet - et cela sans jamais que la première n’oublie le second! 
Statue de Nicolas, Boncourt

Aux heures de pause, au lieu de boire ou rigoler avec les autres, Nicolas se retire dans une église ou un endroit tranquille pour méditer et prier. Cela lui donnera la force de ne jamais perdre de vue ce qu’il a reçu comme mission de la part de Dieu. Il fait le moins possible de dommages à l’ennemi, cherchant du mieux qu’il peut à le protéger! Etonnant, ce militaire pacifique!

Courageux au combat, il reste toujours compatissant envers les vaincus. Il encourage ses troupes à se modérer dans la victoire, et à éviter les pillages, les destructions, les incendies… Un jour, il va même éteindre de ses mains le feu que ses supérieurs avaient fait bouter à un couvent où les Autrichiens s’étaient réfugiés. Il a bien failli perdre la vie lors de cet épisode!

Une fois la paix revenue, ses qualités font de lui un homme recherché et sollicité pour sa sagesse et ses conseils, tel un Salomon! On l’appelle pour les affaires les plus délicates. Lui qui n’a qu’un désir, c’est de vivre de manière cachée pour se consacrer à Dieu, à la prière et à sa famille; lui qui n’a aucune envie d’exercer une charge publique, il finira par accepter les responsabilités de juge et de conseiller cantonal.

Et imaginez: quand le tribunal qu’il préside donne tort à un habitant, il l’invite chez lui et lui fait un cadeau pour le consoler!

Ce n’est pourtant pas un homme de compromission: il refusera toujours de transiger avec la vérité et la justice. Il démissionnera de ses fonctions de juge à cause des partialités de ses collègues, qu’il ne supporte pas.

Il va également s’opposer aux prêtres de sa paroisse, parce qu’ils demandent une dîme beaucoup trop lourde pour les petits paysans, ou parce qu’ils abusent de leur pouvoir. Et toujours il garde une foi profonde et une pratique religieuse infatigable: eucharistie, prière, jeûne lui sont une véritable colonne vertébrale, un soutien fort.

Nicolas de Flüe n’est pas un réformateur, pas même un précurseur. C’est bien plutôt un homme de service et de réconciliation.

À 30 ans, il épouse Dorothée, qui n’a que 14 ans! Ils auront 10 enfants; et sa femme jouera un rôle déterminant, positif, dans tout ce qui va se passer. Elle accepte avec joie la personnalité hors normes de Nicolas, et elle le soutiendra en toutes circonstances, même lorsqu’il décidera de se retirer seul, loin de sa famille. Dorothée restera toujours sa grande confidente, et l’amour les unira toujours, y compris quand Nicolas vivra en ermite, au Ranft. Par la prière partagée, la foi, fervente, la recherche de la justice et de la paix, leur communion ne se dissipera jamais.


La maison où Nicolas vivra avec sa femme

Plus le temps passe, plus Nicolas éprouve le besoin impérieux de la solitude, pour accomplir sa foi. Plus il avance dans la vie, et plus il progresse dans la spiritualité, plus il a soif de Dieu et se sent appelé à tout abandonner. C’est une réelle souffrance qui s’empare de lui, et qui le mène à la dépression. Jusqu’au jour où il finit par accepter cette étrange vocation. Avec l’accord de Dorothée et de ses grands enfants, il quitte tout, ne gardant que trois choses: une robe de pèlerin tissée par sa femme, un bâton et son chapelet. Il demande profondément pardon à sa famille, il les bénit, puis s’en va.

Le lieu de sa première retraite est vite découvert. Quelques hommes le supplient de revenir au village. Mais un songe finit par révéler à Nicolas un endroit bien plus caché, dans la gorge obscure du Ranft. Il s’y construit une cabane de branchages entourée d’épais taillis.

Une fois encore pourtant, ceux qui le cherchent réussissent à le trouver. Mais, convaincues par sa motivation et sa foi, les autorités de son canton décident de lui bâtir, là, une petite habitation et une chapelle. Il y vivra jusqu’à la fin de ses jours, dans le jeûne et la prière. Aujourd’hui encore, cet ermitage subsiste. Une planche nue en guise de lit, et une pierre du torrent comme oreiller: c’était vraiment le confort minimum!!

La renommée de cet étrange croyant se répand, jusqu’à l’étranger. Des princes et des rois, et même le Pape (Paul II) le soutiennent. Jusqu’à l’archiduc d’Autriche, naguère son ennemi. Et c’est ce rapprochement qui permettra que la paix soit signée entre la Confédération et Vienne!

Ainsi, peu à peu, cet homme qui s’est retiré du monde, et qui ne fait aucun bruit, devient si lumineux, si rayonnant qu’il attire des visiteurs en nombre. On vient parler avec lui, lui soumettre des difficultés. Il y a aussi des pèlerins, des curieux… Bref: la foule!

Une renommée de sainteté se répand rapidement. Même des théologiens, des évêques, des savants cherchent auprès de lui force et réconfort. On pourrait presque croire que le passage d’Esaïe que nous avons lu a été écrit pour lui. Les nations qui viennent le consulter, l’arbitrage, la promotion de la paix…

Nicolas reste en toute occasion ce chrétien exigeant et sans compromission. Quand les plus grands lui demandent conseil, il ne craint pas de leur rappeler leurs responsabilités, avec franchise et indépendance.
 

 

En Suisse, Nicolas de Flüe est surtout connu pour sa médiation lors du Convenant de Stans. Avant même les guerres religieuses, comme le Sonderbund, les cantons s’entre-déchirent, surtout entre la ville et la campagne, les cantons ruraux et ceux plus citadins. Rappelons que nous sommes avant la Réforme de Luther!

Une guerre terrible éclate, où certains Etats confédérés en arrivent même à faire intervenir l’Autriche, l’ancien ennemi commun! Aucun arbitrage ne parviendra à calmer l’incendie.

En 1481, la Diète (c’est-à-dire l’Assemblée des représentants de tous les cantons) se réunit à Stans. La situation apparaît sans issue. Le curé du lieu court vers Nicolas et ramène du Ranft un message de l’ermite, message dont on a hélas perdu la teneur. Mais cette lettre est efficace: une heure plus tard, le calme et la paix sont revenus sur les Confédérés! Un pacte est conclu, c’est le Convenant de Stans. Ce pacte règlera les relations entre les cantons, et il restera en vigueur jusqu’en 1798, donc 317 ans!

D’autres médiations, moins connues, seront tout aussi efficaces, et cela dans toute l’Europe centrale. Nicolas ne sait ni lire ni écrire, mais il marquera son temps comme aucun autre! D’ailleurs, quand j’étais enfant, l’expression «Nicolas de Flüe» était synonyme de médiateur, de conciliateur.

Pour lui, la miséricorde vaut mieux que la justice, elle est le meilleur ciment qui puisse lier les Etats. L’esprit de conquête, l’appât du gain ne font qu’égarer les gens  et engendrer les conflits. Nicolas ne connaît pas d’autre chemin que celui des Béatitudes: heureux les pauvres… les doux… les miséricordieux… les artisans de paix… ceux qui ont le coeur pur… ceux qui ont soif de justice…

En 1487, à l’âge de 70 ans, Nicolas rend son dernier souffle, entouré de son curé et de sa femme. Il est pleuré par toute l’Europe, et sera canonisé. Il devient pour tous Saint Nicolas de Flüe. Mais si peu de ses paroles ont pu traverser les siècles jusqu’à aujourd’hui!
 

La chapelle du Ranft  
Il ne nous appelle pas à faire comme lui, à quitter femme et enfants pour ne vivre que de prière. Mais certainement à une forme spirituelle de décroissance. Je crois qu’aujourd’hui plus que jamais, son exemple nous invite à réfléchir à nos priorités, et à notre cohérence: comment ma foi au Christ change-t-elle ma vie, et mes actes? Comment mieux promouvoir la paix et la réconciliation?

Faute de pouvoir conclure avec un message qui viendrait de lui, je vous propose quelques lignes de Frère Roger, de Taizé, cet illustre Vaudois qui partage avec Nicolas bien des soifs intérieures: «Le pardon est ce qu’il y a de plus neuf dans l’Evangile. L’Evangile apporte un renversement: le Christ ne condamne ni ne punit jamais. Sans pardon, quel avenir pour notre personne humaine? Sans pardon, sans réconciliation, quel avenir pour les chrétiens divisés, quel avenir pour la famille humaine sur la terre?» (Roger Schütz)
Amen


Jean-Jacques Corbaz  



vendredi 2 décembre 2022

(Bi) Il va m'apprendre

Quelques mots du poète Christian Bobin, décédé tout récemment:


"A Noël, je vois venir à ma rencontre un nouveau-né qui, déjà, est mon maître. Un enfant qui va me donner à manger comme on donne à manger à un nourrisson. Un enfant qui va m'apprendre des vérités élémentaires et pourtant tellement essentielles.

Il va m'apprendre que d'un côté il y a les stratégies, les calculs, la force la puissance, l'argent, la jalousie. Et que, de l'autre, il y a l'attention à l'autre, l'oubli de soi, le don, l'ouverture, la bonté.

A Noël arrive un enfant qui va nous rendre la vie impossible, mais sans cet impossible, il n'y a rien."

 

Christian Bobin