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samedi 24 décembre 2022

(Pr, Co) Jojo. Conte de Noël

Jojo en Chine  Conte du 24 décembre 2022 

Lecture biblique: Luc 2, 1-20


Il était une fois, il y a bien des années, un petit garçon pas très sage qui sʼappelait Jojo.

Jojo était un gentil copain, il aimait beaucoup jouer avec les autres. Il savait bien se faire apprécier des enfants de son âge... mais nettement moins de ses professeurs à lʼécole, ou de son pasteur au catéchisme ! Car Jojo nʼétait pas très attentif, il préférait écouter ses rêves dʼaventure plutôt que ce qu’on lui enseignait. Il sʼimaginait volontiers en train de courir les mers sur un bateau de pirates, ou dʼexplorer les continents inconnus... Mais il avait énormément de peine à se concentrer sur lʼorthographe, le calcul ou la discipline !

À seize ans, Jojo est sorti de lʼécole avec des notes... eh bien, pas fameuses du tout ! Il a eu de la peine à choisir un métier qui lui plaise. Pour finir, il a décidé de devenir marin. Pour partir très loin, comme les aventuriers de ses rêves. Il sʼimaginait capitaine de navire, avec une belle casquette et des galons dorés; et tout un équipage sous ses ordres.
 



Évidemment, la réalité nʼa pas été aussi belle ! Quand Jojo est arrivé dans un grand port, cʼétait à Rotterdam, aux Pays-Bas, personne nʼa voulu lʼembaucher pour être commandant de bateau. Normal, il nʼavait encore jamais navigué ! La seule place qu’il a fini par trouver, ça a été comme mousse. Il devait laver le pont du navire, vider les poubelles, porter des bidons dégoulinant de graisse froide... bref, des tâches vraiment peu agréables.

Par chance, il a pu voir beaucoup de pays. Son bateau passait dʼun port à lʼautre: New York... Rio de Janeiro... Buenos Aires... Amsterdam... la Floride... lʼAustralie... le Japon... la Terre de Feu... En quelques années, il a parcouru ainsi la terre entière. En travaillant, bien sûr. Les marins avaient tellement à faire qu’ils ne pouvaient jamais descendre pour visiter les régions où ils accostaient.

Malheureusement, Jojo est resté mousse longtemps. Comme il nʼavait pas appris grand-chose à lʼécole, il nʼa jamais pu se faire engager pour des activités plus intéressantes. Alors, un jour, il en a eu assez. Marre de toujours nettoyer la saleté et dʼobéir aux autres. Il a quitté son navire en décidant de ne pas revenir à bord, et il est parti à la découverte du pays où il se trouvait.
 
 Cʼétait en Chine. Dans une boutique de fripier, Jojo a acheté des habits; pas chers, des vêtements tout simples de Chinois. Et il sʼest mis à vivre comme les indigènes, pauvrement, mais sans manquer du nécessaire.

Grâce à son heureux caractère et sa gentillesse, Jojo sʼest facilement intégré dans son nouvel univers. Bien sûr, il lui a fallu apprendre à parler le chinois. Mais, quand on est heureux, quand on se fait des amis, cʼest nettement plus facile qu’à lʼécole ! Il a dû aussi sʼadapter à des manières de vivre très différentes de tout ce qu’il connaissait. Par exemple, les Chinois nʼarrivaient jamais à prononcer les “J” de son nom: ils l’appelaient Yoyo !! Quand ils le saluaient, ils disaient: “Bonyour, Yoyo !” Pourtant, Jojo ne se fâchait jamais. Il leur répondait chaque fois avec son grand sourire. Et, grâce à son amabilité, il nʼa eu aucune peine à se faire accueillir chaleureusement, il sʼest vite senti comme un vrai Chinois.

                                         *                 *

Cependant, il lui manquait quelque chose. À chaque fin dʼannée, il y repensait: comme cʼétait beau, la fête de Noël, à lʼéglise de son village; avec le sapin, les chants, et les cadeaux... Il aurait tellement voulu pouvoir revivre cette atmosphère magique de son enfance; lʼodeur chaude des bougies et des branches dʼépicéa, le goût des biscômes et des petites cloches en chocolat, la surprise des paquets brillants aux ficelles dorées...

Alors, un jour, Jojo a pris sa décision: la prochaine fois que ce sera le 25 décembre, je vais fêter Noël avec mes nouveaux amis ! Je leur apprendrai !

Mais quand les Chinois ont reçu lʼinvitation, ils ont été tout étonnés. Ils ont demandé: “Noël ? Quʼest-ce que cʼest, ce machin ?” Ils nʼen avaient jamais entendu parler !

Jojo a donc essayé de leur expliquer: 

- Eh bien, vous verrez. On prend un sapin, on le décore avec des bougies et des guirlandes,on chante, on se donne des cadeaux...


- Ah ? ont fait les Chinois. Dʼaccord, nous verrons.

Et le jour de Noël, ils sont venus. Jojo nʼavait pas trouvé de sapin, mais lʼarbre quʼil avait installé dans sa maison faisait quand même lʼaffaire. Il lʼavait décoré comme il pouvait, avec quelques fils argentés et des étoiles de toutes les couleurs.

Après un bon goûter, Jojo a essayé de leur chanter “Voici Noël”, mais il ne se rappelait plus bien des paroles, alors il faisait “lalalala...” De toute façon, les Chinois ne comprenaient pas le français, ils ne voyaient pas la différence !
  

Les Chinois sont des gens patients et polis. Ils ont donc écouté patiemment et poliment. Mais plus la soirée avançait, plus Jojo voyait ses amis sʼennuyer. Il leur a demandé: “Comment trouvez-vous cette fête ?” “Eh bien, ont-ils répondu, il semble que Noël est une étrange coutume, cʼest vraiment bizarre de fêter un arbre tout décoré...” Jojo leur a expliqué que, chez lui, cʼétait la plus belle fête de lʼannée, mais les Chinois faisaient une tête qui avait lʼair de dire: “Ces Européens, quand même, quels drôles de gens !”

Jojo était très déçu. “Jʼai dû oublier quelque chose, pensait-il, ce nʼest pas possible que mes amis nʼaiment pas Noël !” Quand tout-à-coup une idée lʼa traversé: les cadeaux ! Ils avaient oublié de lui offrir des cadeaux ! Cʼétait ça qui manquait ! Pourtant, quand Jojo le leur a dit, les Chinois ont presque fait la grimace. “Comment ? Vous, les Européens, vous êtes vraiment malins: vous organisez une fête pour qu’on vous apporte des cadeaux ! Nous savions que vous étiez égoïstes, mais pas à ce point !”

Après le départ de ses amis, Jojo est resté tout pensif, triste et plein dʼinterrogations. Il se disait en lui-même: “Cʼest vrai que Noël, cʼest encore autre chose qu’un sapin et des cadeaux. Mais qu’est-ce que jʼai oublié ? Quʼest-ce qui est important, pour fêter Noël ? Tout-à-coup, une nouvelle idée lui est venue: “Mais bien sûr, suis-je bête ! Jʼaurais dû leur parler de Jésus ! Parce que Noël, cʼest la fête de Jésus !

Alors Jojo a couru faire le tour de ses amis pour leur dire: “Jʼai trouvé, je sais pourquoi vous nʼavez pas compris ce que cʼest, Noël. Jʼavais oublié de vous parler de Jésus, la naissance de Jésus !”


- Jésus, mais cʼest qui ? ont répondu les Chinois. 

- Comment, vous ne le connaissez pas ? Vous nʼavez jamais entendu ce nom? Jésus, le fils de Dieu, celui qui est né dans la crèche ?!
 

"Garçon!!? Y a un humain dans mon repas!!"

Mais les Chinois étaient tout surpris, et plus Jojo parlait, moins ils comprenaient. Impossible de leur faire sentir comme Noël était une fête importante pour lui. “Cʼest pourtant simple, pensait-il, en Suisse, tout le monde sait ça ! Ah, si seulement ces Chinois étaient allés au catéchisme, le pasteur aurait pu le leur expliquer !”

Malheureusement, il nʼy avait là-bas ni pasteur ni catéchisme à des centaines de kilomètres à la ronde, ni personne qui nʼait jamais entendu parler de Jésus. Et Jojo nʼarrivait pas à se souvenir de ce qu’on lui avait enseigné au caté, puisquʼil avait si peu écouté. La seule chose qui lui était restée, cʼétait une parole de Jésus qui disait: “Tout ce que vous avez fait aux plus petits des humains, qui sont mes frères, cʼest à moi que vous lʼavez fait.” Et le pasteur leur avait fait écrire cette phrase que Jojo nʼavait jamais très bien admise: “Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir.” Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir? Tout de même, cʼest plus agréable de recevoir des cadeaux, non ?

Jojo aurait peut-être oublié toutes ces questions autour de Noël; mais les Chinois sʼen souvenaient, eux ! Ils souriaient lorsqu’ils rencontraient leur ami européen, et ils lui demandaient malicieusement quand il allait encore fêter son arbre et ses cadeaux. Les enfants, pour rigoler, avaient même pris lʼhabitude dʼappeler un “Jésus” ce qu’ils ne comprenaient pas. Quand leurs parents leur parlaient de choses trop compliquées, ils disaient: “Cʼest un Jésus, ce nʼest pas pour nous !” 


Lʼannée suivante, lorsque décembre est revenu, les questions et les moqueries des Chinois sont reparties de plus belle. Mais, le soir de Noël, Jojo a eu tout-à-coup une illumination: “Jʼai trouvé !” a-t-il dit. Il a pensé à toutes les personnes de son village qui avaient besoin qu’on les aide, ou qu’on les encourage, et il est allé chez eux pour leur donner un coup-de- main: le vieil oncle Li, il lʼa aidé à transporter son bois pour lʼhiver, tout un tas de bûches qui lui tiendront chaud; sa voisine, malade, Jojo a été lui préparer un bon repas, pour qu’elle reprenne des forces; et la famille des Chen, qui habite si loin de la rivière, il a aidé les enfants à porter le seau, bien trop lourd pour eux.

Les Chinois étaient de plus en plus étonnés. ils se demandaient: “Mais qu’est-ce qui lui arrive, à notre Européen, pour qu’il agisse ainsi ?” Et quand quelqu’un lui a posé directement la question, Jojo a répondu en souriant: “Eh bien, cʼest Jésus !” 

- Jésus ? Comment ça, Jésus ?


- Mais oui, Jésus, Noël, et Dieu. Je mʼétais trompé, lʼannée passée: à Noël, l’important, ce nʼest pas le sapin, cʼest d’aider les autres. 

- Alors là, si cʼest ça, Noël, ça devient vraiment intéressant, ont fait les Chinois.

Et vous savez, depuis ce jour, il y a tout un village de la Chine lointaine qui fête Noël, chaque 25 décembre; sans sapin, sans cantiques, sans pasteur, mais: avec beaucoup de générosité.

Et Jojo, parmi eux, Jojo a parfois envie de revenir une fois chez lui, en Europe, pour parler à ses copains dʼenfance de ce qu’il a découvert, à lʼautre bout du monde, là où personne ne savait rien sur Jésus, ce qu’il a découvert: le vrai sens de Noël.
  




Bernard Reymond, adapté par Jean-Jacques Corbaz  



vendredi 23 décembre 2022

(SB, Re) Jésus est-il Dieu?

 

MERCI à Louis Pernot : 
 
« pour beaucoup, la théorie de l’incarnation, c’est tout simplement que Jésus est Dieu, comme si le Dieu transcendant descendait sur Terre sous la forme de Jésus Christ. Mais depuis les premiers siècles de notre ère, on a vu que les choses étaient bien plus compliquées.

Dire, en effet : « Jésus est Dieu » est simple, mais très problématique. Dieu ne porte pas des sandales, Dieu ne peut pas mourir sur une croix, et encore moins se dire à lui-même : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ». Il y a dans l’Évangile de nombreux passages montrant que Dieu et Jésus ne sont pas la même personne : ainsi la prière de Jésus à Getsémané : « Non pas ma volonté mais la tienne »...
 
Les théories plus ou moins subtiles ont alors foisonné pour essayer de dire de quelle manière Dieu pouvait être présent en Jésus Christ. Certaines imaginant que Dieu n’a en Jésus qu’une apparence humaine, Jésus n’étant pas vraiment un homme, d’autres que Jésus est bien un humain, mais que c’est Dieu qui prend la place de sa pensée et de son âme... Aucune bien sûr n’est vraiment satisfaisante et chacune mène au même problème qui est de perdre la pleine humanité du Christ.
 
Tout cela vient d’un verset de l’évangile de Jean (cette notion d’incarnation étant absente des trois premiers évangiles) : « Et la Parole (de Dieu... qui est Dieu) s’est faite chair. » (Jn 1,13).
 
Mais comme on l’a vu depuis le Moyen Âge, ce verset pose problème : Dieu étant l’absolu, par définition, il ne peut pas « devenir » quoi que ce soit. Il faut donc comprendre qu’en Jésus, Dieu se rend présent sans pour autant que l’on puisse identifier l’un à l’autre.
 
Que Dieu se rende présent en Jésus-Christ n’est pas problématique : Dieu est, de toute manière, un peu présent en chacun de nous, en Jésus il peut l’être plus qu’en quiconque. L’affirmation de la divinité du Christ peut être de dire simplement qu’en lui, Dieu est pleinement présent.
 
Là est l’importance du mot « incarnation ». L’Évangile ne dit pas brutalement que Jésus est Dieu, mais qu’il est l’incarnation de Dieu, ou tout au moins de sa Parole, puisque Dieu est sa propre parole créatrice. Dire que Jésus incarne la Parole de Dieu signifie qu’il n’est pas en lui-même cette Parole, mais que celle-ci se trouve pleinement présente en lui. En lui, on peut ainsi entendre et voir cette Parole en ce que s’il parle, c’est en conformité avec la Parole, et s’il agit, il agit dans le sens de cette Parole.
 
D’ailleurs, couramment nous utilisons le mot d’« incarnation » relativement à une idée, une idéologie, un discours ; nous pouvons dire, par exemple : Gandhi est l’incarnation de la non-violence, Hitler a incarné le Nazisme, ou l’antisémitisme, etc. Et si l’on peut dire de quelqu’un qu’« il est la bonté même », on peut comprendre que l’on dise, de la même manière, que « Jésus est Dieu-même ». Il n’y a pas besoin pour ça d’imaginer que Jésus soit une sorte d’ectoplasme, réincarnation d’une âme pré-existante qui serait Dieu sans être Dieu.
 
Cependant, il est vrai qu’il y a deux manières de concevoir l’incarnation. Jésus est comme le point de rencontre entre le divin et l’humain. Mais ce point, on peut le penser à partir du haut, ou à partir du bas. Les tenants d’une christologie plutôt divine conçoivent l’incarnation comme un mouvement venant d’en haut : en Christ, c’est Dieu qui descend vers nous. Les tenants d’une christologie plus humaine voient l’incarnation dans l’autre sens, comme un mouvement ascendant : Jésus est un homme qui a su incarner Dieu ou sa Parole. Les uns et les autres forment les deux camps qui depuis des millénaires s’excluent mutuellement. Mais sans doute faut-il garder les deux aspects qui ont chacun leur importance. » 
 
L. P. Ev et Lib n° 217 , 2008 .
  


 

lundi 5 décembre 2022

(Pr, Hi) L'épée et le chapelet

Prédication du 5 décembre 2022    Un autre saint Nicolas: von Flüe!

Lectures bibliques: Esaïe 2, 2-5; Matthieu 5, 1-9


Ce matin, je vous invite à découvrir un personnage étonnant, Nicolas. Peu de gens en savent davantage que quelques clichés à son sujet!

Il naît le 21 mars 1417, donc 100 ans avant la réforme de Luther. Son nom de famille est «Leoponti», mais il sera connu sous celui de son village, qui s’appelle «Flüeli», dans le demi-canton d’Obwald. Donc Nicolas de Flüe.

En ce temps-là, l’Europe vit des années difficiles; le monde du moyen Âge bascule et s’effondre. Beaucoup de conflits divisent les villes, et les campagnes; les autorités politiques, et religieuses. Ces dernières s’accrochent souvent au pouvoir qu’elles ont exercé pendant des siècles, et aux privilèges qu’elles en retiraient.

L’Europe se construit (déjà!), autour des passages à travers les Alpes, dont la Suisse centrale et le fameux Saint-Gothard. Mais les cantons helvétiques, en ce temps-là, sont aussi différents et désunis que les membres de l’Europe aujourd’hui. Voire davantage, puisqu’ils se font la guerre entre eux!! Les conflits ont des causes économiques; débouchés commerciaux; crises d’énergie qui menacent (re-déjà!!). Le tout habillé d’antagonismes religieux… Vous voyez qu’il n’y a rien de très nouveau sous le soleil!

Dans ce monde en crise, Nicolas de Flüe ne craindra pas de s’engager. Ce n’est pas un homme qui fuit les conflits, bien au contraire! Mais il s’engagera toujours pour chercher la paix et la réconciliation.

Appelé sous les drapeaux, il sert l’armée comme officier. Et il se bat comme il prie, avec ardeur, tenant d’une main son épée et de l’autre son chapelet - et cela sans jamais que la première n’oublie le second! 
Statue de Nicolas, Boncourt

Aux heures de pause, au lieu de boire ou rigoler avec les autres, Nicolas se retire dans une église ou un endroit tranquille pour méditer et prier. Cela lui donnera la force de ne jamais perdre de vue ce qu’il a reçu comme mission de la part de Dieu. Il fait le moins possible de dommages à l’ennemi, cherchant du mieux qu’il peut à le protéger! Etonnant, ce militaire pacifique!

Courageux au combat, il reste toujours compatissant envers les vaincus. Il encourage ses troupes à se modérer dans la victoire, et à éviter les pillages, les destructions, les incendies… Un jour, il va même éteindre de ses mains le feu que ses supérieurs avaient fait bouter à un couvent où les Autrichiens s’étaient réfugiés. Il a bien failli perdre la vie lors de cet épisode!

Une fois la paix revenue, ses qualités font de lui un homme recherché et sollicité pour sa sagesse et ses conseils, tel un Salomon! On l’appelle pour les affaires les plus délicates. Lui qui n’a qu’un désir, c’est de vivre de manière cachée pour se consacrer à Dieu, à la prière et à sa famille; lui qui n’a aucune envie d’exercer une charge publique, il finira par accepter les responsabilités de juge et de conseiller cantonal.

Et imaginez: quand le tribunal qu’il préside donne tort à un habitant, il l’invite chez lui et lui fait un cadeau pour le consoler!

Ce n’est pourtant pas un homme de compromission: il refusera toujours de transiger avec la vérité et la justice. Il démissionnera de ses fonctions de juge à cause des partialités de ses collègues, qu’il ne supporte pas.

Il va également s’opposer aux prêtres de sa paroisse, parce qu’ils demandent une dîme beaucoup trop lourde pour les petits paysans, ou parce qu’ils abusent de leur pouvoir. Et toujours il garde une foi profonde et une pratique religieuse infatigable: eucharistie, prière, jeûne lui sont une véritable colonne vertébrale, un soutien fort.

Nicolas de Flüe n’est pas un réformateur, pas même un précurseur. C’est bien plutôt un homme de service et de réconciliation.

À 30 ans, il épouse Dorothée, qui n’a que 14 ans! Ils auront 10 enfants; et sa femme jouera un rôle déterminant, positif, dans tout ce qui va se passer. Elle accepte avec joie la personnalité hors normes de Nicolas, et elle le soutiendra en toutes circonstances, même lorsqu’il décidera de se retirer seul, loin de sa famille. Dorothée restera toujours sa grande confidente, et l’amour les unira toujours, y compris quand Nicolas vivra en ermite, au Ranft. Par la prière partagée, la foi, fervente, la recherche de la justice et de la paix, leur communion ne se dissipera jamais.


La maison où Nicolas vivra avec sa femme

Plus le temps passe, plus Nicolas éprouve le besoin impérieux de la solitude, pour accomplir sa foi. Plus il avance dans la vie, et plus il progresse dans la spiritualité, plus il a soif de Dieu et se sent appelé à tout abandonner. C’est une réelle souffrance qui s’empare de lui, et qui le mène à la dépression. Jusqu’au jour où il finit par accepter cette étrange vocation. Avec l’accord de Dorothée et de ses grands enfants, il quitte tout, ne gardant que trois choses: une robe de pèlerin tissée par sa femme, un bâton et son chapelet. Il demande profondément pardon à sa famille, il les bénit, puis s’en va.

Le lieu de sa première retraite est vite découvert. Quelques hommes le supplient de revenir au village. Mais un songe finit par révéler à Nicolas un endroit bien plus caché, dans la gorge obscure du Ranft. Il s’y construit une cabane de branchages entourée d’épais taillis.

Une fois encore pourtant, ceux qui le cherchent réussissent à le trouver. Mais, convaincues par sa motivation et sa foi, les autorités de son canton décident de lui bâtir, là, une petite habitation et une chapelle. Il y vivra jusqu’à la fin de ses jours, dans le jeûne et la prière. Aujourd’hui encore, cet ermitage subsiste. Une planche nue en guise de lit, et une pierre du torrent comme oreiller: c’était vraiment le confort minimum!!

La renommée de cet étrange croyant se répand, jusqu’à l’étranger. Des princes et des rois, et même le Pape (Paul II) le soutiennent. Jusqu’à l’archiduc d’Autriche, naguère son ennemi. Et c’est ce rapprochement qui permettra que la paix soit signée entre la Confédération et Vienne!

Ainsi, peu à peu, cet homme qui s’est retiré du monde, et qui ne fait aucun bruit, devient si lumineux, si rayonnant qu’il attire des visiteurs en nombre. On vient parler avec lui, lui soumettre des difficultés. Il y a aussi des pèlerins, des curieux… Bref: la foule!

Une renommée de sainteté se répand rapidement. Même des théologiens, des évêques, des savants cherchent auprès de lui force et réconfort. On pourrait presque croire que le passage d’Esaïe que nous avons lu a été écrit pour lui. Les nations qui viennent le consulter, l’arbitrage, la promotion de la paix…

Nicolas reste en toute occasion ce chrétien exigeant et sans compromission. Quand les plus grands lui demandent conseil, il ne craint pas de leur rappeler leurs responsabilités, avec franchise et indépendance.
 

 

En Suisse, Nicolas de Flüe est surtout connu pour sa médiation lors du Convenant de Stans. Avant même les guerres religieuses, comme le Sonderbund, les cantons s’entre-déchirent, surtout entre la ville et la campagne, les cantons ruraux et ceux plus citadins. Rappelons que nous sommes avant la Réforme de Luther!

Une guerre terrible éclate, où certains Etats confédérés en arrivent même à faire intervenir l’Autriche, l’ancien ennemi commun! Aucun arbitrage ne parviendra à calmer l’incendie.

En 1481, la Diète (c’est-à-dire l’Assemblée des représentants de tous les cantons) se réunit à Stans. La situation apparaît sans issue. Le curé du lieu court vers Nicolas et ramène du Ranft un message de l’ermite, message dont on a hélas perdu la teneur. Mais cette lettre est efficace: une heure plus tard, le calme et la paix sont revenus sur les Confédérés! Un pacte est conclu, c’est le Convenant de Stans. Ce pacte règlera les relations entre les cantons, et il restera en vigueur jusqu’en 1798, donc 317 ans!

D’autres médiations, moins connues, seront tout aussi efficaces, et cela dans toute l’Europe centrale. Nicolas ne sait ni lire ni écrire, mais il marquera son temps comme aucun autre! D’ailleurs, quand j’étais enfant, l’expression «Nicolas de Flüe» était synonyme de médiateur, de conciliateur.

Pour lui, la miséricorde vaut mieux que la justice, elle est le meilleur ciment qui puisse lier les Etats. L’esprit de conquête, l’appât du gain ne font qu’égarer les gens  et engendrer les conflits. Nicolas ne connaît pas d’autre chemin que celui des Béatitudes: heureux les pauvres… les doux… les miséricordieux… les artisans de paix… ceux qui ont le coeur pur… ceux qui ont soif de justice…

En 1487, à l’âge de 70 ans, Nicolas rend son dernier souffle, entouré de son curé et de sa femme. Il est pleuré par toute l’Europe, et sera canonisé. Il devient pour tous Saint Nicolas de Flüe. Mais si peu de ses paroles ont pu traverser les siècles jusqu’à aujourd’hui!
 

La chapelle du Ranft  
Il ne nous appelle pas à faire comme lui, à quitter femme et enfants pour ne vivre que de prière. Mais certainement à une forme spirituelle de décroissance. Je crois qu’aujourd’hui plus que jamais, son exemple nous invite à réfléchir à nos priorités, et à notre cohérence: comment ma foi au Christ change-t-elle ma vie, et mes actes? Comment mieux promouvoir la paix et la réconciliation?

Faute de pouvoir conclure avec un message qui viendrait de lui, je vous propose quelques lignes de Frère Roger, de Taizé, cet illustre Vaudois qui partage avec Nicolas bien des soifs intérieures: «Le pardon est ce qu’il y a de plus neuf dans l’Evangile. L’Evangile apporte un renversement: le Christ ne condamne ni ne punit jamais. Sans pardon, quel avenir pour notre personne humaine? Sans pardon, sans réconciliation, quel avenir pour les chrétiens divisés, quel avenir pour la famille humaine sur la terre?» (Roger Schütz)
Amen


Jean-Jacques Corbaz  



vendredi 2 décembre 2022

(Bi) Il va m'apprendre

Quelques mots du poète Christian Bobin, décédé tout récemment:


"A Noël, je vois venir à ma rencontre un nouveau-né qui, déjà, est mon maître. Un enfant qui va me donner à manger comme on donne à manger à un nourrisson. Un enfant qui va m'apprendre des vérités élémentaires et pourtant tellement essentielles.

Il va m'apprendre que d'un côté il y a les stratégies, les calculs, la force la puissance, l'argent, la jalousie. Et que, de l'autre, il y a l'attention à l'autre, l'oubli de soi, le don, l'ouverture, la bonté.

A Noël arrive un enfant qui va nous rendre la vie impossible, mais sans cet impossible, il n'y a rien."

 

Christian Bobin

 

vendredi 18 novembre 2022

(Bi) La «méthode Coué»

Tu crois?  

La «méthode Coué» fait souvent rigoler ou sourire. Superstition, croyances primitives, pensons-nous en êtres modernes, rationnels.


Et pourtant, ça marche! Pas à tous les coups, bien sûr. Ce n’est pas automatique. Mais son efficacité est parfois étonnante. Car l’auto-persuasion agit, mais jamais toute seule. Elle n’est active qu’en combinaison avec un autre élément: la conviction. La conviction entière, profonde, qui mobilise complètement. Alors, les résultats sont spectaculaires. On a vu des cancéreux guérir parce qu’ils étaient persuadés qu’ils n’étaient pas malades.


Vous voyez le parallèle avec la foi chrétienne? Car là aussi, sans conviction forte, profonde, agissante, sans confiance totale, Dieu ne peut rien.


Comment vivre en paix avec nos voisins, proches ou Proche-Orientaux, si nous ne sommes pas tout entiers gagnés par la conviction fabuleuse que Dieu travaille à la réconciliation, et qu’il a besoin de nous pour cela?


Denis de Rougemont le disait si bien: «L’avenir est notre affaire».

 

                                                                                                Jean-Jacques Corbaz, pasteur

 

 

(Co, Hu) Alice, ma veuve


(en "réponse" à un feuilleton d'Anne Rivier - merci -, où Alice écrivait à feu son pasteur de mari; j'ai rebondi sur ce qu'elle disait pour donner la parole et le son de cloche à Jean-Paul Wermeille. Occasion de dire deux ou trois choses sur la mort et sur l'amour!)

N.B. On peut lire les deux premiers épisodes d'Anne Rivier, qui ont inspiré mon texte, sur le site des Editions Domaine Public, à la page http://www.domainepublic.ch/articles/7943

Mon propre texte s'y trouve à la page http://www.domainepublic.ch/articles/686


Alice, ma veuve, ma chérie,


Je souris en pensant à ton étonnement à me lire. Multiple. D’abord, parce que je ne t’ai pas écrit souvent. Alors, maintenant que je suis “ton feu”, ce doit être particulièrement inattendu. Pourtant, tes lettres me touchent, et y répondre s’impose à moi de manière presque brûlante.



Et puis, bien sûr que j’hésite à t’appeler “ma chérie”. Tu le sais, les mots ne sont jamais sortis facilement, ni de ma bouche ni de ma plume. Pas démonstratif, pudique, voire taciturne, le Jean-Paul Wermeille. Combien de fois t’ai-je dit “ma chérie” au cours de ces vingt dernières années? Trop peu à mon désir. C’est bête, il me semble que souvent, je n’osais pas.



Oui, oui, évidemment, il y a -non, il y avait- Julie Cachelin. Ou plutôt son fantôme, puisque je n’ai jamais réussi à aborder le sujet avec toi. Quel âne j’ai été... Il a fallu que ce soit toi, qui pourtant ne respires pas (pas encore) l’Esprit d’En-Haut, qui y viennes. Une fois de plus, je ne brille pas par mon audace. Mais ça, tu le sais très bien. Très.



Alors, d’abord, merci d’avoir eu le courage de mettre Julie à plat sur la table -si j’ose dire en pensant à son nez proéminent! Imagines-tu l’émotion que tu me fais, quand je lis “j’avais peur que tu nous plaques”? Mais, ma brave Alice, je croyais bien être le seul à redouter une rupture. Et ça, ça ne m’aidait pas à cracher le morceau. Sans toi, je devenais quoi? Et sans Jeanne, mon trésor...



Tu te souviens, quand tu écoutais dix fois par jour la chanson de Jean Ferrat? “Avec le commodore et avec l’ami Pierre, ce qu’on va s’en payer mes petits rigolos, en dansant la bourrée des trois célibataires: nos femmes s’sont fait la malle avec leur libido”... Comme j’angoissais en imaginant que c’était ton envie que tu exprimais en repassant sans cesse ce disque. Alors, j’ironisais, pour exorciser ma peur: “Avec le pommodore et avec l’abbé Pierre...” -et tu bisquais, bien sûr, à tous les coups.



Je vais essayer de ne plus jouer au jeu des reproches, les yeux dans les poches. Nous n’y avons que trop été assidus, tous les deux, après nos années de soleil. Sache donc que Julie Cachelin a débarqué dans mes désirs un automne de lassitude: j’étais fatigué d’écouter les mêmes récits de paroissiennes grippées de solitude, les mêmes peurs d’avoir un cancan, un cancer; les mêmes tout petits riens qui empoisonnent l’existence, goutte à goutte, faute de savoir prendre de la distance. Et voilà que, quand je rentrais à la maison, j’entendais un lamento semblable. Je ne dis pas que c’était de ta faute, je précise, mais ce dont j’avais besoin, c’était une autre musique.



Oui, bon, tu as compris: la fugue, ça se joue à l’orgue. Et Julie a su y mettre les jeux qu’il fallait. “Le pasteur Merveille”, elle m’appelait. Une fois de plus ma faiblesse de caractère m’a trahi, tu viens aussi de le penser toi-même.



Et puis, un corps jeune, différent, mystérieux; à conquérir. Malgré mon côté routinier, je rêvais de changement, comme pour retrouver mes seize ans; ardent. J’ai aimé désirer. Tu vois, même petit bourgeois, ton feu n’est pas de bois.



J’ai donc un tantisoit fui la réalité, et tu m’en vois terriblement désolé. Pourtant, sache-le, peu à peu ma relation avec Julie m’est devenue moins gratifiante. Je me sentais moins libre. J’avais davantage besoin de m’évader, de sortir.



C’est alors que j’ai vraiment apprécié le jardin. Seul avec mes légumes, je n’entendais plus que la voix fragile du Créateur à travers le vent, le soleil, la vie qui pousse et fleurit... Les abeilles, les papillons étaient mes meilleurs paroissiens. J’ai passé de plus en plus de temps dans ce coin (tu te souviens? Paradis, ça veut dire jardin).



Bien sûr, il m’arrivait de culpabiliser. Il y avait tant à faire dans nos cinq villages: les malades, les dépressifs, les solitaires; les enfants, les catéchumènes; les couples à marier, les baptêmes; les oui, les morts à enterrer, les veuves à entourer... Mais quand je me sentais las, peu disponible, eh bien je ne trouvais que la force d’aller désherber mes carreaux. Faible, je te l’accorde. Mais je n’avais pas mieux en stock.



Savais-tu que, souvent, on peut choisir le lieu de son Départ? Pour moi, en tout cas, je n’aurais pas voulu quitter la vie ailleurs. C’est dans ce jardin que je me suis senti le plus heureux.



Et c’est pour cela aussi que j’ai aimé les paroles de Laporte. Pas à l’église, donc, -et ça me fait presque plaisir que tu le trouves pire prédicateur que moi-. Mais ce qu’il a dit sur le silence, touchant, et le dépouillement. Je crois qu’il avait compris plus de choses que je ne lui en avais dites.



Le culte, par ailleurs, je n’en attendais rien. Absolument rien. Les services funèbres ne sont pas faits pour les morts, mais pour les vivants. Ceux qui restent doivent apprendre à vivre sans l’absent, quels que soient leurs sentiments pour lui (et tu l’éprouves bien, j’aime ton expression de deuil à plein temps). Le culte, c’est justement un temps fort de ce travail. Parler ou non du défunt? Prier? Chanter, juste ou faux? Rire? Pleurer? Sermonner? Se taire? La seule vraie question est: de quoi avez-vous besoin pour passer ce cap?



Alors, un autre ou Laporte, que m’importe. Tu l’appelles deux fois mon ami; j’hésiterai à le qualifier ainsi. Mais ai-je jamais eu de réels amis? Collègue à mon sens lui convient mieux. J’allais écrire “colllègue”, avec un triple “L” colllé au palais, royal et giscardien... Son parler ampoulé me fait encore sourire, ici-haut.



Mais. Permets-moi de marquer ici un désaccord. Notre fille ne manque pas d’humour. Seulement, elle avait besoin d’autre chose, pendant ce prêche besogneux. Besoin de repenser sa vie, de la réorganiser. D’inventer une autre relation avec moi. Déjà que ce n’était pas simple, face à face. Déjà que ma tendresse était presque toujours maladroite: ou trop proche, donc intrusive, ou trop lointaine, donc paraissant indisponible ou indifférente. Jeanne n’avait pas les mêmes demandes que toi, en ce calme premier octobre. Toi, tu as plus vécu, tu sais mieux prendre du recul.



Jeanne. Tu lui feras lire cette lettre, je t’en prie. Moi qui ai tant parlé d’amour en chaire, mais qui ai si mal su vraiment aimer, en chair, j’aurais voulu lui montrer mon affection tellement mieux, plus fort, plus lumineux. Crois-tu que ces lignes...



Je vous embrasse toutes les deux. Un jour, je pourrai de nouveau vous serrer dans mes bras. Ici, c’est... c’est impossible à décrire, mais mille fois, des milliards de fois mieux que tout ce que j’imaginais. Vous verrez. Je vous attend.








PS

Je me suis souvent demandé pourquoi tes parents t’avaient donné cette ribambelle de prénoms, comme s’ils te destinaient à une vie d’altesse royale: Alice, Ophélie, Patricia, Irène, Denise. En adressant ma missive à Alice O.P.I.D. Wermeille, comme derrière le miroir, j’y ai vu le signe que l’humour ne leur avait pas posé de lapin!


Jean-Jacques Corbaz, octobre 2004

lundi 7 novembre 2022

(Co, Pr) David et la violence

Narration des 30.10 et 7.11.2022 

Comment David et Saül se sont raccommodé (1 Samuel 24)

Esaïe 9, 1-6; 2 Corinthiens 5, 17-20; Matthieu 5, 43-45 


L’histoire pourrait commencer comme un film d’action: les deux hommes se regardent, mâchoires serrées, l’oeil noir... Tous deux transpirent. À cause de la chaleur, mais aussi parce qu’ils sont tendus à l’extrême, chacun guettant la réaction de l’autre. Prêts à dégainer, à se voler dans les plumes comme deux coqs agressifs!


Derrière eux, leurs troupes attendent, en retenant leur souffle. L’air est moite. David n’entend que la respiration de son ennemi, bruyante, un peu rauque. Est-ce qu’il a peur? se demande David. Avec une telle armée sous ses ordres?!? Est-ce qu’il essaie d’évaluer les forces en présence? On dirait... on dirait qu’il cherche à mettre de l’ordre dans son esprit.


David a envie de fermer les yeux. De prier. Et... de se souvenir. C’était presque aussi oppressant, quand il s’était battu contre le géant. Comment avait-il fait? Il n’avait pas réfléchi alors. Heureusement d’ailleurs, car sinon il se serait enfui! À toutes jambes! Il n’avait pensé à rien, à rien d’autre qu’au lion qu’il avait tué d’un coup de fronde, pour protéger son troupeau. Et il avait fait les mêmes gestes, exactement. Machinalement, comme si quelqu’un d’autre le dirigeait depuis l’intérieur.


Et c’est ainsi qu’il avait gagné. Abattu le géant Goliath, le champion des Philistins! La gloire, tout soudain!


La gloire, oui, mais aussi le début de la peur! Et des manoeuvres par derrière, des jalousies de la cour, des coups tordus et compagnie! - Tout ce qui l’avait amené là, à se cacher dans cette caverne, à Eïn-Guédi... Et puis maintenant à se montrer, en position de faiblesse, à Saül, qui le cherche, à Saül qui veut le tuer, à Saül son pire ennemi!


Après la victoire sur les Philistins, le peuple, fier et insouciant, avait célébré en chantant: “Saül a tué ses mille, et David ses dix mille”. On l’avait porté en triomphe, et les plus fous disaient déjà, sur un ton exalté, qu’il ferait un bon roi! Un tout bon! Un meilleur roi peut-être que Saül!?


La légende s’amplifiait. Le jeune berger, à la tête d’une division de l’armée royale, avait volé de succès en victoire. Et la ferveur populaire avait fait le reste. “ Saül a tué ses mille, et David ses dix mille”.


- Dix fois plus que moi! Son chef, son roi! Auraient-ils déjà oublié, mon peuple, tout ce que j’ai fait pour eux: les Philistins, toutes ces années de guerre?


Comme une pourriture, la jalousie s’était mise à ronger le coeur de Saül:


- Qu’est-ce qu’il a de mieux que moi? Oui, il est jeune, il est beau... les gens l’adorent. Pourtant, c’est moi que Dieu a choisi, pour régner sur son peuple; c’est moi, et pas lui!


Saül avait mal. Mal à sa couronne, et peut-être même à sa foi. Mal à son culte. Les regards admiratifs que les filles de Jérusalem lançaient sur David devenaient pour Saül des insultes. Même ses propres enfants, Mical et Jonathan, ne voyaient de beau que ce jeune berger frondeur.


Trop, c’est trop! Un jour que David chantait une de ces chansons modernes qui lui couraient sur le fil, Saül avait vu les yeux de Mical, tout ronds, émerveillés, béats...

- Oh non, ma fille, pas toi!


Saül avait disjoncté. Empoigné sa lance, et... essayé de transpercer le jeune coq! Lequel avait évité le coup, comme par miracle. Et s’était enfui, loin dans la montagne.



Depuis, c’était la guerre civile. Le pays s’était divisé en deux: d’un côté, les partisans du vieux roi, les loyalistes; et de l’autre, la bande à David, les fougueux, les têtes brûlées.


Guérilla; échauffourées, à coups de pierre, à coups d’épées; razzias, pour se ravitailler... La violence était montée... avec l’angoisse et la peur... la colère et la haine... Espions, délations... Tous les coups étaient “bons” (euh enfin, « bons »...).


Jusqu’à cette rencontre, maintenant, devant la grotte, à Eïn-Guédi. La bande à David, harassée par la poursuite, s’était réfugiée au fond de la caverne, pour souffler un peu. Elle savait l’armée royale sur ses talons.


Mais voilà que, sans le savoir, Saül s’était arrêté au même endroit. Pile devant la grotte, il avait ordonné une pause. Un besoin naturel, comme on dit! Le roi s’était isolé derrière un rocher, près de l’entrée... s’était accroupi (joli terme des Anciens pour parler d’autre chose!)... il était là, seul, sans défense, à quelques mètres de son mortel ennemi!


Les compagnons de David se sont dit que la chance avait tourné. Ils ont poussé leur chef: “Va-z-y, il est à toi!” - “Dieu le livre entre tes mains!” - “C’est la fin de nos persécutions!”


La belle occasion a fait frissonner le jeune chef de guerre. Mais c’est un autre combat, intérieur, qui s’est alors engagé dans son coeur: tuer celui que Dieu a choisi pour régner sur Israël? Mais c’est céder au piège, au cercle vicieux de la violence... Pourtant: c’est aussi la fin de tous mes ennuis. Il ne me voit pas, un seul coup suffira. Si souvent nous avons prié le Seigneur qu’il nous délivre de ce roi paranoïaque...


David s’est levé, doucement... doucement... sans bruit... Il s’est approché... comme un chat... Et, soudain, vif comme un serpent qui mord, a sorti son épée et... coupé un morceau du manteau de Saül.


Saül qui n’a rien vu, rien senti. Saül qui s’est levé, royalement soulagé (!) - et qui a rejoint ses troupes. Pendant que David, dans le silence de la caverne, David affrontait le regard de ses compagnons fâchés, qui n’avaient rien compris. Qui le traitaient intérieurement de lâche, de faible... Qui s’apprêtaient à jaillir de l’ombre pour attaquer le roi à sa place...


Alors, David s’est relevé. Il s’est interposé entre les deux armées. Lentement, le coeur battant, il est sorti de la grotte, jusqu’en plein soleil. Face à Saül, face à l’armée royale qui le traquait, ébloui de lumière, il a appelé:


- Majesté!!  ...  Majesté!?


Saül s’est retourné, surpris.


- Majesté! Pourquoi écoutes-tu les mauvaises langues qui disent que je te veux du mal? Regarde: tout à l’heure, à l’entrée de la caverne, je te tenais au bout de mon épée. Vois ce morceau de ton manteau. J’aurais pu te tuer. Mais j’ai dit:  non! Non, jamais je ne porterai la main sur mon roi!



 

Et voilà pourquoi les deux hommes se regardent maintenant, crispés; en sueur... Prêts à dégainer... sous les yeux de leurs troupes, qui retiennent leur souffle... Un seul geste de Saül, et: c’est la tuerie, effroyable!


Le roi ouvre la bouche. Il va donner ses ordres. Ses lèvres bougent, mais aucun son n’en sort... Ses joues brillent, des perles de transpiration coulent, mais... mais non, ce... ce sont des larmes?! Saül pleure!?


- David, c’est toi? David...


L’émotion l’empêche d’en dire davantage. Puis il se reprend:


- David, tu es plus juste que moi... Je t’ai fait du mal... et toi... Tu m’as épargné!”


Dans les rangs des deux armées, on sent la tension qui tombe. Les mains se décrispent... Les soldats reposent leurs armes... Et chacun peut voir une colombe qui survole calmement la caverne d’Eïn-Guédi, ses rochers, ses ombres...


D’habitude, quand le roi rejoint son gibier, il n’a pas de pitié. Quand un chef d’armée tient son ennemi, il ne le laisse pas continuer tranquillement son chemin... Aujourd’hui, pense-t-on, aujourd’hui la bonté, l’espoir de paix sont plus forts que la haine. 

 

- Je le sais, dit Saül à David, un jour, c’est toi qui seras le roi de ce peuple. Et un jour, bien plus tard, sur l’arbre des générations et des générations, un rameau portera le nom de Fils de David. On l’appellera Roi merveilleux, Conseiller, Dieu fort; Prince de la paix. Aux hommes de bonne volonté, il proclamera: Heureux les créateurs de paix, ils seront appelés “enfants de Dieu”.




Maintenant, c’est David qui pleure. De joie; de soulagement. Et là-haut, encore, c’est même Dieu qui pleure. Heureux que sa volonté soit faite, sur la terre...


Mais il le sait, mais nous le savons: il restera encore des milliers, des millions d’occasions où, là aussi, la paix se jouera sur un souffle, fragile... sur une obéissance...


Saurons-nous, comme Saül, comme David, la saisir?


Amen 


Jean-Jacques Corbaz



lundi 10 octobre 2022

(Pr) Courir vers le but… avec du Fortalis!??

Prédication du 25.9 et du 10.10.22  -  «Passe-moi la pommade ! »

Lectures bibliques: Philippiens 1, 1-11; Jean 17, 18-23; Esaïe 49, 13-16

Je ne sais pas comment vous commencez vos lettres. Quand vous voulez écrire des choses importantes, de quelle manière abordez-vous le sujet ? Assez différemment, j'imagine, de l’apôtre Paul, qui disait : « Que Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ vous donnent la grâce et la paix ».

Evidemment, vous n’écrivez plus comme ça. Pendant des siècles, les prêtres et les pasteurs ont commencé leurs cultes par cette phrase, qui était traduite ainsi : « Que la grâce et la paix vous soient données, de la part de Dieu le Père et de Jésus Christ son fils, notre Seigneur ».

Alors, on est un peu « vaccinés », si j’ose dire. Ça nous coule dessus comme l’eau sur les plumes d’un canard… ou comme l’averse sur la terre gelée.

Peut-être donc faut-il nous arrêter un instant et réfléchir : pourquoi l’apôtre Paul entame-t-il ses lettres par ces deux mots, grâce et paix ? 


La grâce, c’est le pardon de Dieu, à cause de Jésus crucifié. C’est le salut gratuit, la vie redonnée sans qu’on la mérite, comme un condamné à qui l’on fait grâce. Et la paix, c’est une relation fraternelle, harmonieuse, entre les êtres.

La grâce est verticale, elle nous relie Dieu ; c’est l’axe de la croix (geste). La paix est horizontale, elle relie les humains entre eux ; ce sont les bras de la croix (geste).

Au fond, nous avons là le résumé de tout le christianisme !

Mais il nous faut aller plus loin. On sent nettement, dans les 11 versets que nous venons de lire, une affection, un lien sentimental très fort. Paul est en relation intense avec les chrétiens de Philippes ; une relation où s’expriment des émotions, un souci mutuel. Il les porte vraiment dans son cœur, comme il l’écrit au verset 7. Ce lien affectif, explique-t-il, cette tendresse, viennent du Christ, de sa faveur. C’est toujours grâce et paix (gestes).


Une petite pause. Revenons en 2022, au Bouveret ; pour nous demander s’il y a toujours place, dans nos communautés chrétiennes et nos paroisses, pour des relations comme celle-là. Grâce et paix. Joie du salut reçu, gratis, et affection visible entre nous. Bigre ! Cette lettre serait-elle plus incisive qu’on ne l’avait imaginé ?! Car on a tellement tartiné sur l’amour chrétien, dans le style « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », les yeux dans les yeux, les problèmes oubliés… L’affection entre chrétiens a fini par devenir une image de Saint-Sulpice, mièvre et vaguement écœurante.
    
Tonnerre ! L’amour qui vient du Christ est nettement plus consistant ! Plus pointu ! Il va jusqu’à la croix ! Ce n’est pas une douce pommade qu’on se passe en rêvant ! Ou alors, si vous tenez à la pommade, prenez du Fortalis (vous savez, cette embrocation avec laquelle les sportifs se massent avant l’effort) !

L’erreur ne vient-elle pas de ce que nos affection « chrétiennes » (entre guillemets) puisent davantage dans nos rêves que dans l’évangile ? La paix sans la grâce, c’est peut-être une absence de conflits, mais ce n’est pas une relation durable et forte. Pour cela, une chose est nécessaire : le pardon !

C’est cet amour-là, qui est fait d’échanges et de risques, que Jésus a vécu. C’est cet amour qu’il voudrait voir éclore entre nous. S’il n’y a pas de place dans l’Eglise pour ces sentiments-là, où y en aura-t-il ?!

Ne laissons pas aux mouvements évangéliques le monopole de l’attention mutuelle, de l’affection commune, du souci les uns pour les autres. Puisons véritablement à la source de la tendresse du Christ pour nourrir les nôtres ! Pour qu’elles grandissent et fleurissent ! Ces liens affectifs seront d’ailleurs notre meilleure publicité, notre meilleure vitrine !


Depuis quelques années, nous vivons dans nos Eglises un manque cruel de ministres, pasteurs et diacres. Cette situation donne une importance grandissante aux laïcs engagés, aux bénévoles de toutes sortes. Des responsabilités accrues incombent à ces personnes, qui ne sont pas toujours préparées à ces tâches.

Alors, je souhaite avec vous leur passer un peu de pommade, à ces chrétiens qui ont accepté d’être eux aussi des pommades de la part du Christ ! C’est-à-dire des stimulants pour permettre à l’Eglise entière de mieux avancer, de mieux courir vers le but, pour reprendre une autre image de Paul.

Nous leur disons merci. Merci avec des mots. Merci avec des bulletins de vote, s’il s’agit de personnes engagées à élire. Merci avec des sourires, et surtout avec des coups de main, des appuis, des coups d’épaule !

Merci, et : que ça continue ! Telle était la prière de Paul – et telle est aussi la nôtre, aujourd’hui. Une pommade qui aide à avancer, à courir vers le but !

Car après les louanges, la prière de l’apôtre débouche sur le boulot à accomplir. Ce boulot, Paul l’exprime en trois verbes: aimer ; connaître; et discerner (ou choisir).


Aimer, d’abord. Nous le savons : Dieu a besoin de nous pour dire sa tendresse et son espoir au monde d’aujourd’hui. Il ne peut pas réconforter, consoler ni accueillir si nous lui refusons nos mains et nos bouches, nos intelligences et nos cœurs. C’est le premier défi lancé à l’Eglise de 2022 : vivre l’amour, concrètement, comme nous le disions le mois dernier. Nous accueillir, nous entraider, aller les uns vers les autres, non par devoir, mais à cause de l’amour passionné que Christ nous donne gracieusement !

Le second travail, c’est connaître. Moins attrayant, sans doute. Mais à quoi sert-il d’avancer si l’on ne sait pas où l’on va ? Par deux fois, Paul mentionne dans notre passage le « jour du Seigneur », c’est-à-dire la fin des temps. Nous avons un horizon, notre vie a un sens, une direction. L’Eglise n’est pas une espèce de « machine à Tinguely » qui tourne dans le vide, et qu’il faut faire fonctionner simplement pour qu’elle se perpétue elle-même (ce qui est la grande tentation de toute structure, chrétienne ou non) ! L’Eglise a une perspective, un horizon mobilisateur, que nous sommes invités à regarder. Pour mieux, encore une fois, courir vers le but !

Enfin, nous sommes appelés à discerner, à choisir. Parmi les multiples pistes qui sillonnent notre monde, nous avons besoins de personnes responsables qui nous aident à déterminer auxquelles de ces pistes donner la priorité.


 

Un dernier coup de pommade. Pour lier le tout ! Car l’Eglise, c’est d’abord une communauté. Je suis frappé de l’insistance de notre passage sur le collectif. Paul n’écrit pas à des individus, mais à un groupe.

Sans doute, à notre époque excessivement individualiste, il faudra bien quelques kilos de Fortalis pour réveiller et réchauffer nos muscles communautaires, ceux qui peuvent nous empêcher de boiter.

À Venise, au Palais des Doges, il y a une fresque représentant le Paradis. On y voit une multitude de têtes les unes à côté des autres. C’est tout !

Car le Paradis, notre horizon de chrétiens, ce n’est pas un vacancier somnolant sous un palmier, avec un agneau à ses pieds. Le Paradis, c’est une foule de femmes et d’hommes, enfin, enfin rassemblés. Donc, où il y a place pour nous, chers amis !

Saint Esprit, un bon coup de Fortalis, s’il te plaît ! Amen


Jean-Jacques Corbaz