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mardi 28 janvier 2014

(FA, SB, Vu) L’invention de Dieu

23 jan 2014 - Jocelyn Rochat

Sous ce titre polémique, le professeur de l’UNIL Thomas Römer raconte l’existence et la carrière du Yahvé de la Bible avant qu’il ne devienne le dieu unique. On découvre une divinité sudiste, montagneuse, combattante, que le sang versé était capable d’apaiser.

Notre Père n’a pas toujours été seul aux cieux, ni même au monde. C’est, du moins, l’histoire que raconte Thomas Römer dans un livre à paraître en février. Un ouvrage très attendu, puisque, avant même sa parution, l’auteur a déjà reçu plusieurs demandes de traductions en anglais, en allemand et en italien. «Ça ne m’était jamais arrivé», raconte le professeur de l’UNIL et du Collège de France qui soupçonne le titre provocant, L’invention de Dieu, d’être la cause de cette agitation très inhabituelle.

Thomas Römer y raconte en effet comment le «dieu d’Abraham» est devenu le dieu unique dans le judaïsme, le christianisme et l’islam. «Est devenu, parce qu’il ne l’a pas toujours été.» Bien sûr, l’historien des religions n’imagine pas une seconde que quelques Bédouins se sont réunis autour d’une oasis pour inventer leur Créateur. «Il faut plutôt comprendre cette “invention” au sens anglo-saxon du terme: on découvre quelque chose, on le construit. Et c’est vrai que, quand on regarde comment s’est développé le discours sur ce dieu, et comment il est finalement devenu le dieu unique, on peut y voir une sorte d’invention collective.»


Moïse et le dieu incognito

Mais revenons à l’origine de cette affaire, qui commence par un épisode que tout le monde croit connaître: la première rencontre entre un dieu, que l’Ancien Testament appelle Yahvé, et Moïse. En réalité, on devrait plutôt parler des premières rencontres. Car «ceux qui connaissent bien la Bible savent que la vocation de Moïse est racontée deux fois, avec des différences sensibles», rappelle Thomas Römer.

Dans la première version, en Exode 3, Moïse est au service de son beau-père, un prêtre du pays de Madian. Il fait paître du bétail au-delà du désert, près de la Montagne de Dieu, quand un messager lui apparaît dans une flamme, au milieu d’un buisson. Et cette divinité engage la conversation d’une manière assez inattendue: «Je suis le dieu de ton père, le dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob», dit-il. Moïse, qui a bien saisi l’étrangeté du propos, objecte aussitôt: «Je vais aller vers les fils d’Israël et je leur dirai: le dieu de vos pères m’a envoyé. Et ils me diront: quel est son nom? Que leur dirai-je?» A cette question logique, la divinité incognito répond «d’une autre phrase ambiguë que l’on peut traduire de toutes sortes de manières, poursuit Thomas Römer. On peut comprendre “Je serai qui je serai”, ou bien “Je suis qui je suis”».

Le dieu du buisson ardent épaissit encore son mystère en ajoutant une troisième phrase énigmatique: «Tu diras aux fils d’Israël que “Je serai” t’a envoyé vers eux». Et ce petit jeu de cache-cache continue jusqu’au verset 16, où la divinité donne enfin son nom: Yahvé (mais peut-être devons-nous prononcer yaho ou yahou, car le texte écrit Yhwh, à charge pour le lecteur d’ajouter les bonnes voyelles).

Un contact, deux histoires

Changement de décor dans la deuxième version de cette histoire, qui est racontée en Exode 6. Là, Moïse ne se trouve plus au pays de Madian, mais en Egypte. Et la divinité qui approche ne fait aucun mystère: «Je suis Yahvé. Je suis apparu à Abraham, Isaac et à Jacob en tant que El Shaddaï, mais, sous mon nom de Yahvé, je ne me suis pas fait connaître.» Si le texte est, cette fois, transparent, il fait néanmoins difficulté. «Car Moïse a déjà été approché en Exode 3. Pourquoi reçoit-il un nouvel appel en Exode 6? On voit bien qu’à l’origine, ces deux textes n’étaient pas liés. Il faut donc imaginer que les rédacteurs de la Bible, qui ont œuvré près de mille ans plus tard, ont choisi d’associer deux traditions différentes qui racontaient cet épisode», estime Thomas Römer.

On retiendra que, malgré les variations, ces deux textes s’accordent pour dire que le nom de Yahvé a été révélé pour la première fois à Moïse. Et pas avant. «Ces récits montrent bien que la relation entre Yahvé et Israël n’a pas existé de tout temps, mais qu’elle a commencé à un moment précis», estime le professeur de l’UNIL.

Pourquoi Israël ne s’appelle pas Israyahou

La Bible ne cache pas davantage que le peuple d’Israël a vénéré un autre dieu avant Yahvé. C’est ce que confirme l’analyse des noms choisis dans la région. Alors que Yahvé n’est lié à aucune ville ou lieu-dit, les références à d’autres divinités sont nombreuses. On trouve par exemple un Béthel, pour Beth-El, la maison de El. On apprend encore que le prophète Jérémie vient d’Anatot, région liée à la déesse Anat. Et le livre de Samuel mentionne un Baal-Persin. Ce lieu où David bat les Philistins porte clairement la marque de Baal. Même Jérusalem a été construite autour du nom de Salimou, la déesse du crépuscule. «Ces indices permettent d’imaginer que Yahvé n’est probablement pas un dieu autochtone», explique Thomas Römer. D’ailleurs, «si le peuple d’Israël avait toujours été le peuple de Yahvé, il se serait appelé Israyahvé, ou Israyahou. Le nom même d’Isra-El montre que ce peuple a vénéré un autre dieu, El, avant que Yahvé ne s’impose.»

El est d’ailleurs bien connu des historiens des religions antiques. Ce grand dieu de Canaan a laissé de nombreuses traces jusque dans la Bible. Notamment dans la Genèse (33:20), où l’on voit Jacob changer de nom et devenir Israël, après avoir survécu à un combat nocturne avec une divinité. Israël signifiant littéralement «celui qui a combattu El», on comprend que Jacob érige un autel à «El, le dieu d’Israël». Ce qui nous «permet d’imaginer que les fils de Jacob, les premiers habitants de la région, ont d’abord été des adorateurs de El plutôt que de Yahvé».

Dieu créateur de monde, dieu paresseux

Si l’on ne connaît pas tous les détails du culte rendu à El, on sait qu’il s’agissait d’une divinité qui règne, un dieu père comme on en trouve plusieurs à l’époque dans la région, raconte Thomas Römer. Ils sont tellement paisibles qu’on les appelle parfois deus otiosus, dieu paresseux. Ce sont des dieux qui ont créé le monde et qui sont tellement fatigués qu’ils se retirent un peu et laissent le souci de régler les affaires courantes aux jeunes divinités.» Bref, à bien des égards, El ressemble à ce «bon dieu» qui est aux cieux et qui règne aux siècles des siècles.

Une lecture fine de l’Ancien Testament tend donc à montrer que les premiers croyants du peuple d’Israël vénéraient El, et qu’ils habitaient la région. «Israël, c’est autochtone, conclut Thomas Römer. Ce n’est pas un peuple qui sort d’Egypte, comme on le présente dans le Pentateuque, même si cela n’exclut pas certains apports extérieurs de populations qui seraient entrées en conflit avec les Egyptiens.»

Si le peuple d’Israël ne s’est probablement pas enfui du pays des pharaons, on peut en revanche imaginer que son futur dieu unique, Yahvé, a réellement fait un long voyage avant d’arriver en Terre promise. Car les deux textes de l’Exode, et de nombreux autres dans la Bible, s’accordent pour dire que Yahvé vient du Sud. Soit d’Egypte, soit de Madian, un pays que l’on situe dans la péninsule Arabique. Et c’est ce périple que Thomas Römer tente de reconstituer dans L’invention de Dieu.

Thomas Römer. Professeur à l’Institut romand des sciences bibliques et au Collège de France. Nicole Chuard © UNIL  

Les témoignages d’Aménophis et de Ramsès

Commençons par la piste égyptienne, la plus connue. Plusieurs éléments plaident pour ce scénario. A commencer par Exode 6 qui précise que c’est au pays des pharaons que Yahvé approche son prophète. Ensuite parce que Moïse a de nombreux traits égyptiens, à commencer par son nom (qui signifie «fils de», sans qu’on sache de qui). Enfin, parce que, «si Moïse avait été inventé de toutes pièces, on n’aurait certainement pas choisi un Egyptien», estime Thomas Römer.

Ces arguments théologiques sont confortés par plusieurs trouvailles. Les archéologues ont en effet retrouvé des traces de Yahvé en Egypte, comme il y en a un peu partout au Proche-Orient. Une inscription datant de l’époque du pharaon Aménophis III, découverte au Soudan actuel, parle d’un Yahvé qui vivrait «au pays des Shasous». On sait par ailleurs que les Shasous, des populations nomades qui erraient «dans le sud de l’Egypte, en Haute-Nubie», sont parfois entrés en conflit avec l’Egypte. Dans un autre papyrus, le pharaon Ramsès III se félicite d’avoir détruit Séir parmi les tribus de Shasous: «J’ai pillé leurs tentes avec leurs gens, leurs biens ainsi que leurs troupeaux sans nombre. Ils ont été faits prisonniers et déportés comme butin, tribut d’Egypte.»

Le «maître des autruches»

La piste égyptienne est donc défendable, mais elle n’est pas la seule. Car Exode 3 propose un scénario alternatif, très bien documenté. Il nous renvoie au pied de la Montagne de Dieu, au pays de Madian, où paissent les moutons du prêtre Jéthro, le beau-père de Moïse. «Dans la Bible, les Madianites sont parfois présentés comme des gens affreux, les pires ennemis d’Israël, note Thomas Römer. Ils ont pourtant recueilli Moïse qui a fui l’Egypte après avoir tué un homme. Et Jéthro lui a permis d’épouser une de ses filles, nommée Cippora.»

Selon les archéologues, le pays de Madian serait situé dans la péninsule Arabique, le long de la mer Rouge, sur un haut plateau avec des vallées qui étaient peuplées de nomades, un peu comme les Shasous. On sait encore que ces populations pratiquaient un peu l’agriculture et qu’elles élevaient du bétail, notamment des dromadaires. Les archéologues ont aussi retrouvé des représentations d’une de leurs divinités, peut-être le premier Yahvé, représenté en «maître des autruches». Et ils ont fouillé un sanctuaire madianite, qui ressemblait à une tente posée sur des murs. Intéressant quand on sait que la Bible parle d’une «tente de rendez-vous avec Yahvé».

Autre détail troublant, les rédacteurs de L’Exode n’ont pas voulu nommer la divinité qui était adorée par Jéthro, alors qu’ils reconnaissent à ce grand prêtre un savoir-faire stupéfiant. Ainsi, quand Moïse revient voir son beau-père, après avoir libéré son peuple d’Egypte, et qu’il lui raconte les prouesses de Yahvé au pays de pharaon, Jéthro décide de remercier Dieu avec un sacrifice. «C’est un texte très étonnant, poursuit Thomas Römer. Parce qu’il nous apprend que c’est Jéthro, et pas Moïse, qui offre le premier sacrifice au dieu d’Israël.» A ce moment-là, Moïse n’a pas encore reçu les dix commandements. «Les règles concernant les sacrifices n’ont pas été données au peuple. Et le clergé israélite n’a pas été constitué, cela ne viendra que bien plus tard. Pourtant, Jéthro sait comment pratiquer», observe Thomas Römer. «Moïse aurait-il découvert le culte de Yahvé grâce à son beau-père Jéthro? Le culte de Yahvé viendrait-il des Madianites? C’est assez spéculatif, mais on peut défendre cette idée», estime le professeur de l’UNIL.

«Un dieu guerrier, qui fait peur aux croyants»

Cette piste nous emmène encore à la découverte d’un Yahvé des origines qui se révèle très différent du «bon dieu» que nous connaissons. D’abord parce qu’il ne trône pas dans les cieux, mais qu’il est attaché à une montagne. La Bible précise qu’il «habite au Sinaï», mais il ne faut pas penser au sommet israélien visité par les touristes du XXIe siècle. «La localisation du Sinaï primitif reste un mystère, dit Thomas Römer. On a souvent l’impression que les auteurs ne savent pas toujours où le situer, si ce n’est qu’il faut chercher dans le Sud.»

Selon les traductions, le nom de Yahvé pourrait signifier, «celui qui souffle, qui fait venir le vent». La Bible nous parle encore d’une divinité qui fait trembler la Terre et ruisseler les nuages. C’est un dieu de l’orage et de la fertilité», explique Thomas Römer.

La divinité qui parle à Moïse au pays de Madian est enfin «un dieu guerrier, dangereux, qui fait peur aux croyants. Ce n’est pas une divinité qui veut simplement le bien-être de son peuple. Il faut se méfier de lui, le craindre et savoir se mettre en situation de survie.» Parce qu’il est capable d’attaquer les humains. A commencer par Moïse, qui se retrouve menacé par Yahvé, et qui échappe à la mort grâce à une intervention de sa femme, la Madianite Cippora, qui prend un silex et coupe le prépuce de leur fils, afin de calmer la colère du dieu.

Cet épisode, peu raconté au catéchisme, en dit long sur ce dieu colère, comme sur les rites de sang qui semblent liés à son culte primitif. «Moïse pratique un rituel très différent de celui qu’on trouve dans le reste de la Bible, détaille Thomas Römer. Il asperge l’autel et asperge le peuple, et parle du «sang de l’alliance» que Yahvé a conclu avec les Hébreux. C’est intéressant, là encore, observe Thomas Römer, parce qu’on trouve aussi, chez les tribus arabes préislamiques, des rituels utilisant du sang, souvent jeté sur la pierre.»

L’arrivée à Jérusalem

Reste à expliquer comment ce dieu guerrier et amateur de sang, attaché à une montagne du Sud, a réussi à voyager jusqu’à Jérusalem, où trônent d’autres dieux. Ce voyage fait l’objet de nombreux chapitres dans le prochain livre de Thomas Römer. En résumé, et pour faire très simple, le professeur de l’UNIL suggère qu’un petit groupe de nomades, dans le Sud, peut-être des Shasous qui auraient obtenu un succès sur les Egyptiens, a découvert ce dieu Yahvé chez les Madianites. La conversion des nomades à ce dieu guerrier aurait permis à Yahvé de devenir mobile, et de quitter le Sud pour migrer lentement vers Jérusalem. On trouve peut-être une trace de ce périple dans le Deutéronome (33: 2-5), où l’on peut lire: «Quand s’assemblèrent le peuple de Yahvé et les tribus d’Israël». Arrivé en Israël, Yahvé aurait d’abord cohabité avec les divinités locales comme El, avant d’adopter certaines de leurs caractéristiques plus pacifiques, et de prendre progressivement toute la place pour devenir l’Unique.

Une religion n’est jamais stable

Bien sûr, ce scénario risque de faire sursauter des croyants les plus traditionnels des trois grandes religions monothéistes. Pourtant, cette reconstitution s’appuie sur la Bible. «Les textes ne cachent pas du tout que Yahvé n’a pas toujours été le seul dieu, que le monothéisme n’était pas là dès le début, note Thomas Römer. On peut donc les lire comme une sorte de recueil de traditions diverses qui montrent comment s’est constitué l’état final.» Enfin, l’état final, c’est beaucoup écrire. «Car une religion n’est jamais stable ou immuable. Il y a toujours des éléments en évolution. On ne sait pas à quoi ressemblera le christianisme dans cent ou deux cents ans. C’était la religion triomphante en Occident, elle est en train de devenir minoritaire en Europe, et elle se transforme parfois de manière inquiétante dans d’autres parties du monde.»


C’est aussi pour cela que travaille Thomas Römer. «Il faut, le plus possible, éclairer les lecteurs de la Bible. Leur dire tout ce qu’on peut savoir de la constitution de cette religion de Moïse, qui est à l’origine du judaïsme, du christianisme et de l’islam. C’est un intérêt d’historien et de philologue, mais aussi, de manière un peu plus militante, une manière de montrer aux gens que ces textes ont un contexte historique, un contexte qu’on ne peut pas oublier quand on les lit aujourd’hui.»

«L’invention de Dieu». Par Thomas Römer. Editions du Seuil, parution prévue le 27 février 2014




dimanche 12 janvier 2014

(Pr) “Presque comme nous” - Caïn et Abel

Lectures bibliques: Genèse 4, 1-15; Ephésiens 2, 13-17

“Chers frères et soeurs”, dit M. le pasteur en commençant son sermon. Et quand il dit ça, M. le pasteur, il veut en général souligner que nous sommes proches; égaux; semblables.

Et pourtant, ce n’est pas simple, d’être frères et soeurs. Depuis Caïn et Abel jusqu’aux chrétiens qui s’entretuent. En Irlande,  quand catholiques et protestants se massacrent parmi, c’est plutôt rude à avaler! Au Proche-Orient, quand musulmans et chrétiens se balancent des bombes, on se demande quelle mouche les pique. On a même vu, au Liban, des chrétiens partir en guerre contre d’autres chrétiens... On a envie de dire comme la Bible: “Caïn, qu’as-tu fait de ton frère?”


Le premier drame de l’homme, c’est donc cette propension incroyable à croire qu’on va régler les difficultés par la violence. Taper sur son semblable: dominer, agresser; jalouser, zigouiller...

Dès ses premières pages, la Bible aborde ce thème... universel. Les premiers frères, Caïn et Abel, sont aussi le premier meurtrier et la première victime.

Pour éviter de nous égarer, disons tout de suite que ce récit n’a aucune prétention historique. Ça ne s’est pas passé comme ça, c’est une image, un mythe. La preuve: Caïn dit “le premier homme qui me rencontrera va me tuer”. Puis il se marie et s’établit dans une ville! Ne cherchons donc pas un compte-rendu sur la vie du premier couple sur terre et de ses enfants. Le récit du meurtre d’Abel s’intéresse à tout autre chose: il veut nous faire réfléchir sur notre violence. À nous.

C’est à nous que Dieu dit, à travers ce texte, les paroles qu’il adresse à Caïn: “Le péché de la violence, il est en toi, tapi à ta porte, comme une bête féroce. Il te faut le maîtriser! Domine-le, sinon c’est lui qui te dirigera!”

Ne nous mettons donc pas trop vite à la place du juge. Ou à la place de Dieu. N’accusons pas trop rapidement Caïn, ou le président Syrien El-Assad, ou les terroristes. Ceux qui tuent, qu’ils soient nazi, ou membres d’Al-Qaïda, ou despotes sanguinaires, ce sont des hommes, des fils d’Adam. Ce sont nos frères. Et c’est justement là le drame. Nos semblables. En faire des monstres n’avance à rien. Quand on a arrêté la secrétaire des Brigades Rouges, en Italie, c’était une vieille dame de 75 ans, d’apparence toute gentille...

Ils ont l’air bien braves aussi, ces écoliers qui veulent “casser du nègre”. Ou ces Fribourgeois qui ont tué un réfugié Kurde, il y a quelques années. Nos semblables.

Ce que la Bible veut nous dire, à travers ce meurtre d’Abel, c’est qu’il n’y a pas d’un côté une race perverse (les assassins) et de l’autre les gentils, donc nous. Mais il y a des frères et des soeurs, qui tous portent en eux une violence quotidienne! Et que cette violence, elle peut éclater; ou bien être maîtrisée.


Mais la Genèse va plus loin: Caïn tue son frère. Sa victime lui ressemble. Ils sont presque identiques. Et c’est dans ce “presque”, et c’est dans cette différence infime que sa haine a germé.

On rejette souvent les autres quand ils sont différents. Pourtant, voilà que Hitler n’extermine pas les Noirs, mais les juifs. Les Turcs ne massacrent pas les Tamouls, mais les Kurdes. Et en Syrie, ce sont des Syriens qui massacrent d’autres Syriens.

En 1939, le juif allemand est presque un Allemand. Ce “presque” devient insupportable, car le plus petit avantage semble une énorme injustice. On va donc élargir le fossé, accentuer les différences. On exagère l’influence des juifs, leur pouvoir: “ils tiennent tout”, dit-on, “ils nous dominent”...

On les caricature, on les peint en diable sur la muraille: nez crochu, pieds fourchus! On les accuse de tous les maux: chômage, récession, misère...

C’est l’histoire de deux Allemands au bistrot. “Toutes les catastrophes viennent des juifs”, dit l’un. “Toutes? fait l’autre. Même le naufrage du Titanic?” - “Ice-berg, c’est pas un nom juif, ça?”

Dans ce climat de haine et de frustrations, il suffit d’une minuscule étincelle pour déclencher le drame. Dieu préfère l’offrande d’Abel - et Caïn le tue!

Si la Bible était un livre de morale et de bons conseils, il faudrait sans doute en arracher la page où on peut lire cette histoire. Il faudrait d’ailleurs en arracher presque tout l’Ancien Testament!

Mais la Bible n’est pas un modèle: elle reflète ce que nous sommes. Son univers, c’est le nôtre! Elle est le témoignage de femmes et d’hommes qui essaient de dire pourquoi le monde est comme il est, avec ses injustices et ses scandales. Et avec les paroles de Dieu, qui voudrait le transformer! N’arrachez pas de votre Bible les pages de l’Ancien Testament, non, mais lisez-les toujours en les mettant en rapport avec le changement total que Jésus a introduit: aimez vos ennemis... pardonnez aux autres... depuis la croix, chacun reçoit gratuitement le pardon pour ses péchés... chacun reçoit gratuitement le pardon pour ses violences, pour ses attitudes injustes qui attisent la colère... Dieu veut nous réconcilier, avec lui et les uns avec les autres. C’est ça, le centre, l’essentiel du Nouveau Testament.

À notre époque, les mouvements des populations nous mettent en contact avec de plus en plus d’humains qui sont nos frères et nos soeurs, presque comme nous. Mais pas tout à fait. Nous sommes désécurisés, et on est tenté par des raisonnements simplistes, du genre “tout ça c’est la faute aux juifs” (ou aux réfugiés, ou aux musulmans, ou à ceux qui ne votent pas comme nous...).

Par la Bible, Dieu nous dit: “Regarde d’abord la violence qui est en toi, tapie à ta porte, il te faut la maîtriser! Domine-la, sinon c’est elle qui te conduira!”

Dieu nous appelle à la vigilance contre toutes les formes de mépris, de violence, de haine. En particulier celles qui ont pour cibles nos presque semblables; jusqu’aux plus anodines: les histoires belges des Français, ou nos witz sur les Fribourgeois, qui accentuent les différences avec des tout proches. Et nos réactions, nos jalousies à l’égard d’un ancien copain d’études qui réussit mieux que nous: “Il n’est pourtant pas plus malin que moi. J’aurais dû aussi y avoir droit!”

Et puis, toutes les fois où j’exagère ce qu’a dit untel, parce que je ne suis pas d’accord avec lui. Je le caricature pour mieux le rabaisser! Je grossis les défauts des autres, comme si du coup ça me rendait meilleur! Je critique, sans respecter la règle d’or qui est: ne jamais dire en l’absence de quelqu’un ce qu’on ne dirait pas s’il était présent. Et même, en présence de l’autre, veiller à le respecter aussi, bien sûr!

Oui, je sais, c’est très difficile. Je n’y arrive pas souvent, moi non plus! Mais au fond, le seul moyen de désamorcer la haine, de respecter la différence de l’autre, n’est-ce pas de le regarder avec la bienveillance fondamentale de Jésus-Christ? N’est-ce pas de croire que Dieu l’aime autant que moi, - et moi autant que lui?

“Chers frères et soeurs”... Dans la Bible, il y a beaucoup de frères qui s’entretuent, depuis Caïn jusqu’aux enfants du roi David. Relèverons-nous le défi de montrer que Jésus a changé tout ça, que “par la Croix, il a détruit la haine”, qu’”il nous donne la paix et nous réconcilie”, comme dit la lettre aux Ephésiens? Il nous appartient, à chacun(e), de réaliser cela, de le concrétiser, chaque jour. Quand nous pouvons le vivre, cela nous fait porter vraiment le nom de chrétiens, frères et soeurs du Christ.  Amen


                                                                                           Jean-Jacques Corbaz 

jeudi 9 janvier 2014

(Hu) cheveux blancs?

- Maman pourquoi as-tu des cheveux blancs?
- C'est à cause des bêtises que tu as faites.
- Ouh ben maman, quand je vois les cheveux de grand-maman, je me dis que tu en as fait, toi, des bêtises... 


(anonyme)

dimanche 5 janvier 2014

(Pr) De l'argent facile au bonheur: choisis la vie

Lecture biblique: Deutéronome 30, 15-19

Il y a quelques années, une réclame dans un journal disait ceci: “Faites fortune en un temps record! Le secret de la richesse vous sera révélé! Contre le versement de 500.- sur le compte X, vous recevrez par retour du courrier la recette garantie pour gagner très facilement des quantités d’argent!”

Ceux qui versaient la somme demandée recevaient la fameuse recette; elle tenait en trois mots: “Faites comme moi!!”
                                                                   *                  *
Des méthodes qui promettent la réussite, eh bien, les journaux en sont pleins. Et la TV, et internet, ô combien, et les pub’, les magasins... Partout, on nous promet que nous serons heureux! Et dans ce foisonnement, il y a mille fois plus d’attrape-nigauds que de vraies solutions, c’est évident. Il y a même des gaillards qui disent que la foi chrétienne, c’est justement une de ces techniques pour le succès...

Est-ce que le fait de croire en Dieu, c’est une méthode pour être heureux? Le Deutéronome répond résolument “non”. Pendant 30 chapitres, il explique jusque dans les petits détails comment Dieu veut que nous vivions. Il y a les 10 commandements, et des milliers d’autres...

Le passage que nous avons entendu en est la conclusion: ces lois, dit Moïse, elles ne sont pas inaccessibles. Ce ne sont pas des recettes ésotériques. Elles ne réclament pas des super-performances de foi, ni des convictions de saints ou de saintes... Ces lois ne sont pas l’apanage de quelques élus au-dessus de la moyenne. Non, elles nous concernent tous, au ras des pâquerettes. Chacun peut s’engager dans la direction qu’elles indiquent. Elles nous appellent, tous, à une obéissance on ne peut plus ordinaire.

Mais attention, là, de ne pas partir dans une fausse direction. Nous avons la manie (et les protestants plus encore que les catholiques), nous avons la manie de lire la Bible comme si Dieu nous parlait à nous, personnellement, aujourd’hui. Or, ce grand discours de Moïse, à la fin du Deutéronome, il s’adresse à l’ensemble du peuple d’Israël. Dans les autres traductions que “français courant”, on lit: “devant toi... choisis la vie”. Merci aux traducteurs de “français courant” de mettre “vous”!

Car quand Moïse dit “tu”, il ne parle pas à une personne isolée, mais à une communauté rassemblée: au peuple d’Israël.

Ce passage du Deutéronome ne s’adresse pas à Boris, à Monique ou Michèle. Il interpelle l’Eglise entière, la communauté des croyants. C’est elle qui peut choisir la vie plutôt que la mort; le bonheur plutôt que la malédiction. C’est ensemble que nous allons marcher sur les chemins de Dieu ou sur ceux qui s’en écartent. L’enjeu n’est pas tellement la vie ou la mort d’une personne, mais celle de tout un peuple!

Cette précision permet de ne pas nous tromper sur ce mot de “vie”. Il ne s’agit pas de préserver l’existence d’un individu à tout prix. Ici, la vie, c’est la solidarité. Quand une personne arrive au terme d’une maladie incurable, la vie dont parle la Bible, ce n’est pas forcément l’acharnement thérapeutique, la lutte pour nous prolonger à tout prix. Le décès peut être un choix plus vivant que la poursuite d’une existence de souffrances sans espoir.

“Choisis la vie”, ça veut donc dire: les 30 chapitres précédents, qui expliquent en long et en travers la volonté de Dieu pour vous, c’est cela le chemin du bonheur. En avançant sur cette voie, jour après jour, solidaires, vous le verrez: vous serez authentiquement vivants; animés du souffle même de Dieu, de sa Vie majuscule, qui transfigure les nôtres!

La foi n’est pas une méthode, mais un choix fondamental, qui s’opère, en communauté (en Eglise), et qui se vérifie dans la pratique toute quotidienne de l’amour les uns des autres.

Pas pour faire plaisir à Dieu! Pas pour prouver que nous sommes de bons croyants! Mais: pour que nous soyons heureux! Parce que ce chemin de la foi, c’est ce qui nous permettra de vivre le mieux ensemble: ne pas tuer, ne pas voler ou frauder, respecter ses parents, c’est cela qui permet à un peuple de garder de bonnes relations internes.

Attention donc: la “mort” ou la malédiction dont on parle ici, ce ne sont pas des punitions que Dieu nous infligerait pour nos désobéissances. Quel mal ont fait de telles interprétations! Non, la “mort” ou la malédiction sont ici les conséquences logiques des violences humaines.

Vous le voyez, le Deutéronome pense que la loi est bonne et utile! “C’est pour ton bien!” On est très loin des commandements légalistes des pharisiens contemporains de Jésus.
                                                               *                  *
Aujourd’hui encore, le Deutéronome nous l’affirme: si tu veux parvenir au bonheur, il n’y a pas de truc miracle ou de recette infaillible. Tu n’y arriveras ni en payant, ni en souffrant; ni en restant les bras croisés!

Le seul chemin, il est à parcourir ensemble. Reliés. Solidaires. Aimer son prochain, respecter ce qu’il possède; chercher à l’écouter, à le comprendre avant de le critiquer ou de le démolir... Ensemble, vous verrez que ce chemin permet d’être merveilleusement vivants, même dans la souffrance ou dans la mort.

Un dernier mot: cet humble chemin, c’est exactement celui qu’a parcouru Jésus. Lui seul a été jusqu’au bout de l’amour des autres. Ça l’a mené sur la croix: il a choisi la Vie, dans la mort, pour qu’avec lui nous soyons réellement vivants!     Amen

                                                                                                            Jean-Jacques Corbaz 

jeudi 2 janvier 2014

(Ci) Faire avec l'incertitude

Pour commencer l'année sans peurs, ces superbes lignes sur la foi. Puissent-elles nous accompagner tout au long de 2014!


Croire, c'est aussi, voire peut-être surtout, supporter les points d'interrogation, les affronter, et avoir le courage de faire avec l'incertitude et l'indétermination.
Peut-être faut-il, pour se mettre à croire, avoir d'abord renoncé aux réponses.

 
Klaas Hendrikse