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lundi 27 février 2023

(Po, Hu) Sept mars

Il y a dans l’air une irrationnelle allégresse, force intense contenue et qui demande à chanter. Il y a dans l’air comme un vent de promesse, souffle tiède précurseur de l’été. On se débarrasse des pulls de laine, des bottes fourrées, des sous-vêtements de grand froid. La neige, qui semblait s’incruster, indécente, se liquéfie et s’évapore comme dans un sourire. Trois jours après les moins dix, quelques degrés au-dessus de zéro semblent le Portugal en avril.
Mais c’est surtout le soleil! Celui qu’on avait presque oublié, celui qui nous négligeait perce maintenant les nuages, serein, et annonce que dans… pas possible! deux semaines, c’est le printemps!


Il y a dans l’air une joie folle, gonflée des espoirs les plus absurdes. Je cours, libéré, sur les sentiers vallonnés de ma campagne. À côté de mon chemin, des vaches me regardent avec l’air de réfléchir au temps qui passent. Mais pourquoi faut-il qu’elles aient ces yeux qui coulent, cet air si triste, à regretter les jours d’averse grise? Elles me semblent toujours affligées du même deuil, comme une mère pleure son fils parti très loin faire fortune, aux USA - vous savez, là où l’on fabrique le corned beef…

Jean-Jacques Corbaz, mars 1986  

(Po) Ce fleuve nommé Broye

www.notrehistoire.ch

Ce fleuve nommé Broye
Charrie entre ses bras
Des montagnes de soie
Où l’on est toujours en-deçà.

Et ces quintaux de brume
Ourlent la terre brune
Comme un collier de plumes
Qui voudraient effacer la lune.

D’où viennent ces nuages bas
Que tant de soirs exhument?
On dirait un géant qui fume
Sur nos champs de tabac.

D’où viennent l’angoisse et le froid,
Et ces sombres rancunes
Qui braisent, sournoises, une à une
- Où pourtant vit la foi?

Ne me demandez pas pourquoi
Le prophète se tait, c’est par peur, je crois,
Peur qu’on l’attende dans la Broye
Comme le loup au fond des bois.

Car ce fleuve bien nommé broie
Du noir, du blanc, mauve ou grenat,
Mélangés dans son brou de noix,
Et sans faveur aucune
Dans sa pâleur commune
La misère du pauvre et celle du roi,
Celle qu’on traîne et celle qu’on parfume,
Celle qu’on cache et celle qu’on assume.

- Et puis, ce fardeau sur les bras,
Comme une croix,
Sans un refus, sans un pourquoi,
En Mer du Nord l’emportera.

Alors, ce fleuve nommé Broye,
Je sais qu’il s’ouvrira
À la fête, à la joie:
Le Christ y est venu, déjà.


Jean-Jacques Corbaz, novembre 1982  



(Po) Aurore

Le jour a mis son aube blanche.
J’ouvre les yeux, calme, apaisé,
Sur ma peau la tiédeur étrange
Des eaux grondantes au goût salé
Où le noir se mêle à l’orange.
Je me souviens: hier, j’ai pleuré.

Et mes combats à larmes blanches,
Et mes amours, lourdes pervenches,
Et mes espoirs, tranche par tranche,
Je les dépose à tes genoux.
Regarde, ils roulent en avalanche,
Et derrière eux, tiens, c’est dimanche,
Et derrière eux, je suis debout!

Jean-Jacques Corbaz, novembre 1984  

(Po) Au coeur de l’arbre - chanson


Au coeur de l’arbre vient le fruit,
Au coeur du fruit naissent les graines,
Au coeur des graines attend la vie,
Et de la vie pousse le chêne.

Au coeur de l’homme naît la vie,
Au coeur de la vie, Dieu sans cesse,
Au coeur de Dieu, tant de tendresse
Que j’ose traverser la nuit.

Au coeur de l’arbre vit le bois,
Au coeur du bois dorment les planches,
De deux planches, on fait une croix
Qui porte Dieu entre ses branches.

Au coeur de l’homme vient l’amour,
Au coeur de l’amour, Dieu qui m’aime,
Au coeur de Dieu, ce nouveau jour
Qu’il vient ouvrir dans la mort même.

Au coeur de l’homme naît la vie,
Au coeur de la vie, Dieu sans cesse,
Au coeur de Dieu, tant de tendresse
Que j’ose traverser la nuit.

Au coeur de l’arbre vit le bois,
Au coeur du bois dorment les planches,
De deux planches, on fait une croix
Qui porte Dieu entre ses branches.


Au coeur de l’arbre pousse… Dieu,
Au coeur de l’homme, l’espérance,
Au coeur de la mort, un grand feu,
C’est Dieu qui vit, c’est Dieu qui danse.


Jean-Jacques Corbaz, avril 1983  




(Po) 2033 (chanson)

Quand les p’tits neutrons vont faire la bombe…

1. Le fracas s’est tu, la fumée se repose,
    Les accents aigus jonchent la ville chose,
    Silence absolu, calme anormal, morose,
    Au sol, les oiseaux dorment, les ailes écloses.

Refrain: 2033,
              Si lourd et froid,
              Quelques neutrons volent encore,
              2033,
              Trop calme, sans voix,
              Je crois que même Dieu est mort.

2. Les mirages ailés et les oeufs qu’ils déposent,
    Cadeaux délicats, maintenant font la pause,
    Voyez le progrès: la bombe propre et rose
    Tue hommes et rats sans détruire les choses.

Refrain: 2033,
              Si lourd et froid,
              Quelques neutrons volent encore,
              2033,
              Trop calme, sans voix,
              Je crois que même Dieu est mort.

3. Quelqu’un crie là-bas, il n’a pas eu sa dose,
    C’était un enfant, il s’est tu maintenant,
    Dormez doucement, vous n’avez rien à craindre à présent.
    Les accents trépas jonchent la ville chose…

Refrain: 2033,
              Si lourd et froid,
              Quelques neutrons volent encore,
              2033,
              Trop calme, sans voix,
              Je crois que même Dieu est mort.
              Je crois que même Dieu est mort.

Jean-Jacques Corbaz, août 1982  



vendredi 17 février 2023

(Po, Li) Voie de givre - Joie de vivre



 


















Tu sais, le monde est beau
Dans ses multiples peaux,
Dans ses visages immenses
Il invite à la danse
Et nous sort du tombeau.


            Tu sais, la vie est belle,
            Tremblante d’impuissance,
            Fragile transhumance
            Faite d’espoirs rebelles
            Qui la rendent irréelle...



Comme lustre elle allume au ciel une lune de cuivre,
Nous fait signe d’entrer, si frêle, on n’ose pas la suivre
De peur de l’effrayer.
On reste dans ses livres,
Le coeur battant,
Essoufflé,
Tremblant d’espérer vivre
Quelques germes de liberté.


            Tu sais, cette peur même est belle:
            Dans nos désespérances,
            Nos bonheurs en partance,
            Poussent d’obscurs appels,
            Soifs de naissance:
            Vienne un nouveau Noël!


                        Vienne une autre beauté
                        Qui nous rende un peu ivres,
                        Nous desclérose et nous délivre
                        De nos timidités.

  


Tu sais, le monde est beau
-Et moi, tu vois ce que je vaux...


            Cette tension me fait survivre,
            Éveil et sommeil, alternés,
            Vide et plein mélangés
            Me traçant une voie de givre,
            Mon Dieu, pour te laisser
            Venir m’apprivoiser.




Jean-Jacques Corbaz
Écrit en novembre 1984



(FA, Vu) Signes

Nous avons besoin de signes. Dans un monde où Dieu semble absent, muet ou impuissant, nous avons besoin de signes de sa présence, de son attention pour nous, de sa grâce. Plus que jamais. Tout comme nous avons besoin régulièrement de signes de l’affection de celles et ceux que nous aimons.


Nous avons besoin du signe de l’eau versée sur le front du baptisé; du signe du pain rompu pour tous et de la coupe offerte à chacun. 


Mais nous avons besoin d’autres signes, plus nombreux, plus fréquents, de signes qui sortent des églises pour aller sur les places, et dans les maisons, et partout où se trouve l’être humain: nous avons besoin de l’imposition des mains, rappel du baptême, signe donc de l’amour de Dieu, de son pardon qui fait grâce, de sa présence et de sa paix; nous avons besoin de croix, qui nous rappellent que cet amour nous a été révélé à son point culminant sur la colline de Golgotha, pour permettre la lumière fulgurante du matin de Pâques; nous avons besoin de bougies, signes de paix et de vie intérieure; nous avons besoin de musiques, d’images, d’architectures qui nous parlent de Dieu; nous avons besoin…


Nous avons besoin de tant d’autres signes encore: l’amour entre les êtres vivants, la vie fraternelle, le pardon mutuel, signes de l’amour (de la vie, du pardon) de Dieu; la solidarité, l’engagement pour la justice, la responsabilité, signes de l’attention de Dieu pour les plus faibles; la joie, l’espérance, la paix, celles de Dieu que nous sommes appelés à vivre.


Nous avons besoin de signes. Mais tous ces signes ne sont que des signes, évidemment! Tout comme le signal routier n’est pas le carrefour qu’il annonce, comme l’alliance à ton doigt n’est pas l’amour que tu éprouves pour ton conjoint, eh bien ni le baptême, ni la communion, ni la croix, ni la musique religieuse, ni la solidarité, ni la joie ni même l’amour ne sont Dieu. Ils ne sont au plus que des reflets de sa présence. Des reflets qu’il nous appartient de rendre les plus fidèles ou les moins ternes possible!

Jean-Jacques Corbaz, novembre 1984  

 




mardi 14 février 2023

(Po, Li) Souffle de Pâques, souffle de vie


Il souffle un air de folie,
Un air ventre à terre ébouriffe tes cheveux d’ange heureux,
Je te découvre, poète malicieux,
Chapeau bas, joues en feu.

Il respire un air d’embellie,
Le temps reprend son souffle pour mieux danser,
Pour mieux nous surprendre, enchantés,
Et nous illusionner...

Il souffle un air de magie,
Qui reprend, non, s’arrête, qui repart à l’envers,
Inspire, soupire, pour laisser nos fenêtres
Et nos coeurs grands ouverts.

Il souffle un air d’utopie,
Un vent, tripotant nos envies, nos frontières.
Nous inviterait-il encore à naître ?
À nous laisser éclore à d’obscures lumières ?

* * *

Il souffle un air de folie,
Un vent qui me parle de toi, grand poète surpris...
Il souffle un air de vie:
Mon Dieu, serait-ce ton Esprit ?

Jean-Jacques Corbaz

lundi 13 février 2023

(Po) Liberté (à la manière de…)

Sur mon cahier d’écolier
    j’écris ton nom: liberté.
Sur les murs de la ville, sur les toits, les clochers,
    j’écris ton nom: liberté.
Rêve, vieux compagnon, qui toujours se défile,
Toi qui, comme le nez de Cyrano,
    dans tout lieu d’un quart-d’heure me précède,
Que je n’atteins jamais
Et qui me fait… courir!
Rêve, trop beau
    peut-être, pour se réaliser?


             *                   *

Sur mon cahier de travail
    s’écrit ton nom: liberté.
Sur les murs de ma vie - mes amours, mes regrets,
    s’écrit ton nom: liberté.
Sur les cloches qui le dimanche m’appellent,
Sur la Bible et les chants, sur mes mots malhabiles,
Gravée sur une croix, multipliée par mille,
Avec des traits fragiles, obstinée et rebelle,
    Déjà Dieu te chantait: liberté.

             *                   *

Sur mon cahier d’éternité,
Lorsqu’un jour, trop usé, je m’éteindrai,
C’est toujours ton nom que j’écrirai.


Jean-Jacques Corbaz, 18 février 1989  
 



(Pr, SB, Vu) Trouver Dieu au bout du labyrinthe

Prédication du 13 février 2023: "Dieu est amour? Pas si simple"

Introduction aux lectures:

Un jour où les personnages bibliques étaient tous réunis, l’apôtre Jean répétait, comme d’habitude, le même refrain. Il disait: “Dieu est amour! Dieu est amour!”.
Tous les autres approuvaient visiblement.
Tous? Non, car une voix discordante s’éleva, du milieu de l’assemblée des personnages bibliques. Cette voix disait: “Non, pas d’accord, ce n’est pas si simple!”
Qui était ce personnage contestataire?
Vous l’avez peut-être deviné, il s’agit de Job.

Dans les grandes lignes, vous connaissez son histoire:
Homme riche, intègre, ami de Dieu, Job subit tout à coup une série de coups du sort. Ses troupeaux et ses domestiques lui sont enlevés les uns après les autres. Tous ses enfants trouvent une mort tragique. Puis c’est sa santé même qui est atteinte.
Job a tout perdu, mais il reste fidèle à Dieu.
Arrivent alors des amis qui cherchent les causes de ces malheurs. Ils le font dans le cadre de la pensée juive d’alors: si tu es victime de coups du sort, disent-ils, c’est que tu as péché d’une façon ou d’une autre...

Je vous propose ce matin (mais vous n’avez pas trop le choix!) de nous arrêter sur le chapitre 10 de ce livre, qui nous permettra de méditer sur ce thème, universel, de la souffrance et de l’injustice.

Je vous préviens, cette prédication sera un peu plus longue et difficile que d’habitude. Merci de vous accrocher! Mais je crois que c’est important pour découvrir un peu mieux ce que cet étonnant livre de Job veut nous dire.

Nous écouterons d’abord ce chapitre 10; puis un passage de l’évangile de Jean, qui lui est comme un écho; et enfin deux versets de la lettre aux Romains.


Lectures: Job 10; Jean 9, 1-5; Romains 8, 1-2
  


C’est l’histoire d’un homme qui nous ressemble. Job connaît la réussite, le bonheur. Puis brusquement, l’extrême opposé. De terribles malheurs lui tombent dessus. Des bandes de brigands; puis la tempête, la foudre, la maladie. Il ne lui reste rien.

C’est l’histoire d’un homme qui nous ressemble. Job, comme nous, cherche à comprendre: “Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu? Pourquoi?”

C’est l’histoire de trois hommes qui nous ressemblent. Ce sont les amis de Job. Ils viennent chercher avec lui. Et ils proposent sans cesse la même explication: “Tes malheurs viennent de quelque chose que tu as fait. C’est la seule raison: tu as péché et Dieu te punit.”

C’est l’histoire d’un homme qui ne nous ressemble pas! Car Job refuse d’entrer dans ce système. Il répète sans cesse: “Mais non, je n’ai rien fait. Je ne suis pas coupable!”

Nous, il nous arrive si souvent de chercher des torts en nous-même. Ou d’imiter les amis de Job, qui disent: “Il n’y a pas de fumée sans feu”. “Tu n’as qu’à te secouer!” “Quand on voit toutes les souffrances à travers le monde...”

Mais culpabiliser les autres, mais se culpabiliser soi, ça n’aide pas, bien sûr. Au contraire, ça enfonce encore plus.

Or, le système du “Dieu te punit”, ce n’est pas un système chrétien! C’est même exactement l’opposé. La loi “péché = punition”, ce n’est pas de la religion, c’est de l’épicerie! Il suffit de fixer le tarif, au départ; et après, l’homme peut décider tout seul de la sanction. Dans ce système, on peut se passer de Dieu!

Au fond, c’est assez exactement la tentation d’Adam et Eve, au début de la Bible. Vous vous souvenez? Ils goûtent à l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal. Pouvoir savoir, pouvoir décider ce qui est bien, ce qui est mal, c’est en somme se mettre à la place de Dieu!

Que ce soit pour s’auto-justifier (dire: “je connais le bien, je sais que je suis juste”); ou pour s’auto-accuser (“je connais le mal, je sais que je suis mauvais”); ou pour accuser les autres (“je connais le mal, je sais que vous êtes mauvais”), le système des amis ne mène à rien, sinon à rejeter Dieu, à lui enlever sa liberté. C’est hélas une tentation universelle, et nous la voyons tragiquement à l’oeuvre dans tous les fondamentalismes, du Proche-Orient aux USA.
  

 
Job, de toutes ses forces, essaie de sortir de ce cercle vicieux. Mais il lui faudra pas moins de 40 chapitres pour y parvenir! Il lui faudra explorer bien des pistes, pour découvrir qu’elles sont sans issue.

Le livre entier de Job est comme un labyrinthe, où le héros essaie quantité de chemins, avant de trouver le seul qui ne soit pas une impasse.

Le chapitre 10, que nous avons lu, nous permet d’en comprendre deux ou trois, de ces voies sans issue. Et cela peut nous servir, à notre tour.
   
Première fausse piste: “Je ne suis pas coupable, c’est la faute de Dieu”. Job essaie de se justifier en accusant son Créateur: “Je savais que tu me voulais du mal” dit-il. “Seigneur, ça te fait plaisir de me voir souffrir?”. Tu guettais ma faute, tu as joué avec moi comme un chat avec une souris”...

Quand on se sent trop coupable, il arrive que la seule manière de le supporter soit d’accuser quelqu’un d’autre. De projeter sa culpabilité sur autrui. De manière un peu désespérée, Job va ainsi renvoyer sur Dieu l’accusation qui lui pèse.

Ce qui est étonnant, ici, c’est que Dieu n’en veut pas à Job de cette réaction. Dieu ne retourne pas la culpabilité sur Job. Jamais! Il sait que nous avons souvent besoin d’explorer ce chemin-là. Dieu comprend que nous devons parfois passer par un tel stade. Nous avons le droit d’accuser Dieu, de nous révolter, lors d’une épreuve. Nous avons le droit de crier à l’injustice.

Deuxième
fausse piste: Job va aussi explorer, mais de manière moins marquée, le chemin de l’auto-accusation: “C’est ma faute” dit-il alors. Comme un dépressif, Job prend sur lui ses malheurs, il ploie sous leur poids.

D’ailleurs, la frontière est parfois difficile à tracer entre “se sentir accusé” et “être vraiment accusé” par un autre. Voyez ces petites questions dans un couple qui peuvent mettre le feu aux poudres. Par exemple: “Tu fais quoi, ce soir?” “Quoi, tu m’accuses de ne jamais rester à la maison?”

Ainsi, dans tout notre chapitre, il y a en hébreu un double sens:  la plupart des verbes qui parlent de pourchasser, d’accuser, de faire du mal à Job, on ne sait jamais exactement si le sujet du verbe c’est Dieu, ou si c’est Job lui-même (un peu comme, en français, quand je dis “J’ai vu manger un oiseau”, ça peut vouloir dire que c’est l’oiseau qui mange ou vouloir dire que c’est l’oiseau qui est mangé!

Dans notre chapitre, l’ambiguïté est voulue. C’est à la fois Job qui frappe et qui est frappé. Il n’y a pas de pire bourreau que celui qui se persécute lui-même. Des fois, on se battrait, pour ne plus se sentir coupable! On se tuerait, tellement on a honte!

Et c’est dans cette forme de dépression donc que Job met le doigt sur une troisième piste, qui le rapprochera de la clé du labyrinthe: sortir de l’alternative “Ou bien je suis juste, et c’est l’autre (l’Autre!?) qui est coupable; ou bien je suis coupable, et c’est l’autre qui est juste”. Tout à coup, Job ne sait plus s’il est bon ou mauvais. Il sent d’ailleurs que là n’est pas vraiment l’important. Le mal ne s’explique pas.

Job sortira de la dépression au moment où il pourra regarder ses malheurs en face, ne plus fermer les yeux sur son sort si cruel. Job quittera la dépression quand il sortira du jeu de l’accusateur et de l’accusé. Quand sa misère devient extérieure à lui-même.

Dieu est-il méchant? Ou amour? La réponse pour Job est donnée à travers plusieurs autres doubles sens dans ce chapitre. Je n’en mentionnerai qu’un seul: quand il dit, au verset 8, “Tu m’as créé et formé”, Job emploie un verbe hébreu qui veut dire ou bien “façonner”, ou bien “blesser”. Encore une fois, Bien et Mal mélangés!

D’ailleurs, créer n’implique-t-il pas une violence? Mettre au monde peut-il se faire sans traumatisme? Il faudrait le demander à un nouveau-né!! Donner la vie à quelqu’un, n’est-ce pas le placer dans un monde d’injustice et de violence?

Un Anglais m’a dit un jour: “Que Dieu vous blesse”! Il voulait dire, bien sûr, “Dieu vous bénisse” (“God bless you”)...

La vie n’est-elle pas à la fois bien et mal; bonheur et malheur; joie et souffrance; guérison et blessure... Et Dieu n’est-il pas la source de toute vie?
   
Vous le voyez, les questions sont vastes, et nos intelligences humaines ne suffisent pas pour y répondre. C’est ce que Dieu va faire découvrir à Job, après un long itinéraire.

Neuf chapitres plus loin, notre héros exprimera quelque chose d’important, à travers ce verset bien connu: “Je sais que mon rédempteur est vivant, et en dernier il se lève sur la poussière”. “Il n’est plus un étranger”.

Le rédempteur, c’est celui qui prend mon parti, qui me soutient, me comprend. On ne sort de la dépression que si un rédempteur (ou une rédemptrice!) nous accompagne un bout de chemin, regarde et porte avec nous notre souffrance.

Mais voici encore un double sens, un de plus: en hébreu, le rédempteur, ça désigne aussi parfois celui qui abîme, celui qui souille, qui profane! Car rien n’est jamais tout blanc ou tout noir, comme l’esprit cartésien nous a hélas trop appris. L’hébreu sait mieux que nous la pensée intuitive, où le bien est inséparable du mal; où l’amour ne va pas sans blessure. Comme dans la réalité. Le mot «passion» n’est-il pas d’ailleurs lui aussi à double sens, puisqu’il signifie «amour», mais également «souffrance»?

Pour nous accompagner et nous aider à voir clair dans nos souffrances, le rédempteur doit aussi nous faire mal, nous plonger dans ce que nous voudrions fuir. Un psychothérapeute, un superviseur doit mettre à la lumière ce qui dans nos émotions est douloureux, pour nous apprendre à le maîtriser.

Mais, c’est seulement au moment où nous avons fait le tour de nos illusions, de nos croyances, de nos culpabilités et de nos innocences, ce n’est que lorsque tout cela est tombé en poussière, comme c’est le cas pour Job, que le rédempteur devient une aide. “Je sais mon rédempteur vivant, et en dernier sur la poussière il se lève”. Alors, sur cette poussière, Dieu se révèle comme le Rédempteur majuscule, qui nous comprend et nous sauve. Il n’est plus un étranger.
   

La véritable consolation, Job la trouvera enfin au 42ème et dernier chapitre, lorsqu’il parle à Dieu comme à un ami, sans chercher de coupable. Le chemin dans le labyrinthe lui a donné, non pas la réponse à toutes ses questions, mais je dirai la force de vivre avec des questions sans réponse. Car il sait que Dieu vit avec lui et pour lui.
  
Dieu est amour? Pas si simple. Dans les souffrances, les injustices, ça ne veut rien dire. Rien. Avant de prêcher le Dieu d’amour, il ne faut pas oublier tout l’itinéraire dans le labyrinthe, dans l’obscurité, jusqu’à ce que nos échafaudages, nos auto-justifications et nos auto-accusations soient réduits en poussière. Dieu n’est pas un étranger, mais il y a tout ce chemin à parcourir pour le trouver. Un chemin où il nous confronte à nos blessures, pour nous aider à déboucher sur la guérison.
  

Chaque année, le temps du Carême nous est ainsi offert pour avancer sur ce chemin-là, en méditant sur la passion, donc les souffrances du Christ. Blessure et bénédiction! Le seul antidote contre les théories qui excluent Dieu, c’est le fait que Jésus a passé lui-même par ce chemin du labyrinthe. Il l’a parcouru pour, au matin de Pâques, nous permettre d’accéder à un sens pour notre vie; une authentique relation d’amour avec lui. Où nous pouvons nous-mêmes devenir de petits rédempteurs ou rédemptrices pour les autres! Amen                                          


Jean-Jacques Corbaz



vendredi 10 février 2023

(Po) Hors

 
Hors du temps,
Hors de l’os, qui structure et qui mobilise,
Hors de l’or, appât jaune à dents grises,
                                        - et qui grise!
Hors du port, sans cuirasse, sans carapace,
Je sors.

Me reste,
Plus profond que le squelette,
Plus tenace qu’une arête,
Au creux de mon coeur en fête,
Ne reste,
Poussière légère,
Frêle, presque irréelle,
Que souvenirs de sa tendresse,
Promesse,
Qui germera, qui germe
En moi.

Dehors,
Hors du fort,
Je suis porté par ce sourire,
Par lui je me bats, je respire,
Il m’engage et me survivra…
Ma sécurité, elle est là:
Cet appel, cette voix
D’un Juif errant cloué sur une croix.

Jean-Jacques Corbaz, mars 1989