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dimanche 3 février 2019

(Pr, SB) Jurer au nom de Dieu ou...?

Prédication du 3 février 2019: "Croix de bois, croix de fer, l'évolution d'un passage de l'évangile" 
 
Lectures: Matthieu 5, 33-37; Matthieu 23, 16-22; Psaume 50, 7-15 


"Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer”. Depuis que nous avons quitté l’enfance, ce genre de serment a disparu de notre vie quotidienne. Et c’est normal: nos engagements, à nous adultes, ils se font par écrit; parfois même devant notaire. Vendre; louer; contrat de travail... c’est la signature qui remplace les serments. Tandis qu’à l’époque où nous étions petits, on n’écrivait pas. C’était le règne du "Croix de bois, croix de fer”; “je le jure sur la tête de ma mère”.

Au temps de Jésus, bien sûr, les gens n’écrivaient pas plus souvent qu’un enfant de 7 ans aujourd’hui. Les engagements se prenaient par oral, tous les contrats, ventes, locations.

Dans ce contexte, il fallait donner du poids à sa parole. Pour montrer qu’on pouvait nous faire confiance, on s’est mis à jurer sur les choses les plus sacrées. Et puisque la crainte de Dieu était forte, dans toutes les religions (la peur d’être puni par le ciel), on prêtait serment en prenant Dieu à témoin, pour qu’il garantisse en quelque sorte le sérieux de notre parole.
  


Chez les juifs spécialement, on jurait à tout propos; dans les situations les plus graves comme dans les cas les plus bénins. Les maris juraient de punir leur femme; les endettés prenaient le Ciel à témoin qu’ils avaient déjà remboursé leur dû...

Afin de cadrer tout ça, les maîtres de la loi avaient développé des règles sur les serments. On en voit dans l’Ancien Testament (AT). Ces règles précisaient qu’il était permis de jurer, mais elles demandaient alors de respecter ses engagements prononcés face à Dieu; de ne pas se parjurer.

Or, vous le savez, la Torah interdit de prononcer le nom du Seigneur. Dès lors, les serments ne pouvaient pas mentionner Dieu. On jurait donc par le ciel ou par la terre, par Jérusalem ou par ses parents, qui renvoyaient indirectement au Père céleste; ou par tout autre objet sacré, comme le Temple ou l’autel des sacrifices.

Cette manière de faire, Jésus la dénonce, comme avant lui les prophètes, il la qualifie d’hypocrite. Jurer par le ciel, c’est aussi grave que de prendre Dieu à témoin de ses engagements. Le respect de la sainteté du Créateur commande de ne pas le mêler à nos petites combines, plus ou moins à cheval sur la limite entre mensonge et vérité. Ou bien notre parole est véridique, et un oui suffit; ou bien elle ne l’est pas, et il faut laisser Dieu en-dehors de ça!
  


Jusque là, tout a l’air assez simple. Mais où ça se complique, c’est quand les chrétiens d’il y a 1950 ans doivent prêter serment. Comment faire pour que les autres nous fassent confiance, mais sans jurer?

Ils auront deux types de réponses, en gros:

° Les uns vont assouplir le commandement de Jésus, en le rapprochant de l’AT: on peut faire un serment pour autant qu’on n’y mêle pas Dieu, ni le ciel ou la terre. Pour ces gens, jurer n’est pas une bonne chose, mais ce n’est pas complètement interdit. Plutôt un moindre mal. C’est ainsi qu’en lisant le NT, on voit des apôtres comme Paul faire des serments, et même prendre Dieu à témoin de leurs paroles!

° Pour d’autres dans la première Eglise, le commandement de Jésus est absolu: “je vous dis de ne pas faire de serment du tout”. Même si nos affaires économiques en pâtissent, il ne faut pas jurer. (Aujourd’hui, il y a même des gens qui pensent que notre passage interdit de prendre des promesses comme celles de baptême, mariage ou consécration pastorale. Pas moins!)

Or l’évangile selon Matthieu est le résultat d’un cheminement, et d’un travail passionnant. On a pu retrouver les traces de l’évolution de nos versets au cours du 1er siècle, entre l’an 30 (quand Jésus a parlé) et l’an 80 (la rédaction définitive de notre évangile).

Cette évolution nous montre bien que la Bible est le résultat d’un long modelage, pour que d’une part elle corresponde au mieux à la volonté de Dieu, mais que d’autre part elle soit bien comprise du monde où elle est annoncée. On assiste ainsi à une sorte de dialogue entre deux manières de voir différentes, jusqu’à aboutir à une formulation qui les respecte le plus possible toutes les deux. Comme le dit le titre d’un petit livre de Bernard Gillièron: “La Bible n’est pas tombée du ciel”.
  


Voyons donc comment ce cheminement s’est produit.

Première étape: Jésus réagit aux abus de la pratique des juifs. L’AT autorise les serments, il les règlemente, mais le résultat est catastrophique: Dieu n’est plus respecté. Jésus donc demande de ne plus jurer du tout. On peut imaginer qu’il a dit à peu près ceci, que nous transmet l’évangile selon Matthieu (vv. 33-34a): “Vous avez aussi entendu qu'il a été dit à nos ancêtres «Ne romps pas ton serment, accomplis ce que tu as juré devant le Seigneur». Mais moi je vous dis de ne faire aucun serment du tout.”

Je vous rappelle que Jésus, et avec lui les premiers chrétiens, attendait la fin du monde pour l’avenir immédiat; quelques années au maximum. Il demande donc une conduite qui marque une rupture avec la morale ancienne. Il s’agit de dresser des signes prophétiques de la proximité de Dieu: ne plus se mettre en colère; ne pas faire violence aux femmes en les regardant, voire en les harcelant; ne pas se venger; aimer ses ennemis... bref, être parfait comme le Père céleste est parfait. Ce n’est pas une éthique pour une longue durée, c’est une attitude de rupture radicale, qui annonce des bouleversements tout proches.

Deuxième étape. Voilà que la fin du monde n’arrive pas. Ou plutôt, dirons-nous avec le recul, elle arrive sous la forme de la résurrection. On doit donc continuer de vivre en société, et les attitudes de rupture que Jésus demande sont de plus en plus difficiles à tenir sur la durée d’une vie entière. Comme les contrats se font encore par oral, il faut bien, de temps en temps, utiliser les serments.

On revient alors à l’AT, qui tolère et règlemente cette pratique. Mais on demande bien de ne pas jurer par le ciel et la terre, ce qui ne serait qu’une manière hypocrite de parler de Dieu sans le nommer.

Dans cette deuxième étape, on ajoute donc aux paroles de Jésus des mots de l’AT, qui les atténuent. Et notre passage devient: “Vous avez aussi entendu qu'il a été dit à nos ancêtres «Ne romps pas ton serment, accomplis ce que tu as juré devant le Seigneur». Mais moi je vous dis de ne faire aucun serment du tout. N'en faites ni par le ciel, c'est le trône de Dieu; ni par la terre, elle est un escabeau sous ses pieds; ni par Jérusalem, c’est la ville du grand Roi.” (vv. 33-35).

Troisième étape: les paroles de Jésus se répandent dans le monde grec, où le serment est beaucoup moins utilisé; et surtout, où il ne s’appuie que très rarement sur les dieux de l’Olympe; les grecs ont plutôt l’habitude de jurer sur leur propre tête.

Les chrétiens de culture hellénistique n’apprécient guère les raisonnements alambiqués des juifs. Ils préfèrent souvent l’interdiction générale des serments.

On ajoute alors le verset 36, qui interpelle la manière grecque païenne de jurer. Notre passage devient: “Vous avez aussi entendu qu'il a été dit à nos ancêtres «Ne romps pas ton serment, accomplis ce que tu as juré devant le Seigneur». Mais moi je vous dis de ne faire aucun serment du tout. N'en faites ni par le ciel, c'est le trône de Dieu; ni par la terre, elle est un escabeau sous ses pieds; ni par Jérusalem,   c’est la ville du grand Roi. N'en fais pas non plus par ta tête, car tu ne peux pas rendre blanc ou noir un seul de tes cheveux.” (vv. 33-36). Et, vous le voyez, cette formulation met à nouveau l’accent sur l’interdiction des serments!

Quatrième étape: l’auteur de l’évangile selon Matthieu s’adresse à des chrétiens pétris d’AT, mais aussi persécutés par les juifs. Il faut leur montrer que Jésus reste dans la ligne de la foi d’Israël bien sûr (il accomplit la loi de l’AT, il ne l’abolit pas); mais il faut leur montrer aussi ce que Jésus a remis en valeur des vieux commandements juifs en les épurant de tout l’arsenal pharisien qui les avait dénaturés.

C’est pourquoi Matthieu rajoute le dernier verset, le 37: “Vous avez aussi entendu qu'il a été dit à nos ancêtres «Ne romps pas ton serment, accomplis ce que tu as juré devant le Seigneur». Mais moi je vous dis de ne faire aucun serment du tout. N'en faites ni par le ciel, c'est le trône de Dieu; ni par la terre, elle est un escabeau sous ses pieds; ni par Jérusalem, c’est la ville du grand Roi. Pas non plus par ta tête, car tu ne peux pas rendre blanc ou noir un seul de tes cheveux. Si c'est oui, dites OUI, si c'est non, dites NON, tout simplement; ce qu'on dit en plus vient du Malin” (vv. 33-37).

À la fois il maintient la sévérité de Jésus face aux serments; mais à la fois il conserve une formule minimum de promesse sacrée.  À la fois il n’est pas en contradiction avec l’AT; et à la fois il redonne de la valeur aux paroles des croyants dépouillées de leurs combines. OUI et NON, c’est là que la vérité se joue, et nulle part ailleurs.
  

Cinquième étape: aujourd’hui! Le chrétien qui lit ce passage n’est guère mieux fixé sur ce qu’il doit faire. On voit bien que le ”Croix de bois” est une manière détournée de jurer au nom de Dieu. Mais nos serments? Et nos promesses?

Il me semble important de souligner trois choses:

1. D’abord, les engagements à l’église de baptême, mariage, consécration: on n’y jure pas! Bien sûr, si nos promesses sont comprises comme un contrat dont Dieu serait l’examinateur, qui nous punirait en cas de non respect, alors elles sont mauvaises, et nous sommes concernés par notre passage de Matthieu.     Mais nos engagements ecclésiastiques n’ont plus guère cet accent. Ils sont au contraire des promesses qui demandent à Dieu son aide pour que nous soyons capables de les tenir.

2. Ensuite, les serments d’ordre politique: installation d’un Conseil général ou communal, et même notre Constitution, qui invoque le “Dieu tout-puissant”. Dans tout cela, la référence à Dieu n’est pas là pour garantir le respect de la promesse. C’est plutôt l’affirmation d’un ordre qui dépasse nos valeurs humaines.

Je trouve heureux que notre fête patriotique, nos élections, nos lois civiles soient inscrites dans le coeur de Dieu. Comme pour dire: tout cela, il y a quelque chose (ou Quelqu’un!) qui le dépasse. Notre Constitution est d’ordre terrestre, et Dieu est au-dessus, qui la transcende, et qui donc en montre les limites. Nous n’adorerons jamais nos lois ni nos autorités, comme l’Empereur de Rome le voulait! Nous reconnaissons qu’elles sont humaines.
  

3. Dernière remarque: nos serments d’ordre privé (comme “Je te jure que je n’ai pas puisé dans la caisse!”).

Sur ce sujet, il est heureux que la Bible nous aide à réfléchir au poids de nos paroles, car c’est là que se joue l’essentiel de notre respect du prochain. L’évangile n’interdit pas; il n’autorise pas n’importe quoi; il nous invite à avancer comme sur le fil du rasoir, en équilibre entre les deux extrêmes qu’il balise. Toujours, il nous demande de nous poser la question, qui est au coeur de ce débat sur les serments: quelle confiance est-ce que les autres peuvent accorder à mes paroles, à mes promesses? Amen                                                                                               


Jean-Jacques Corbaz 




--> On peut lire encore Esaïe 54, 10 (bénédiction) et chanter le cantique Alléluia 46-07




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