Prédication : Le Jugement Dernier (Mt 25,31-46)
Le
jugement dernier n’a pas bonne presse dans nos Eglises… Et on imagine
facilement pourquoi !
Par
exemple, lorsqu'arrive la Semaine Sainte, ne répétons-nous pas à
Vendredi Saint que Jésus est mort pour nos
péchés ? Ne rappelons-nous pas la résurrection le dimanche suivant,
chaque année ? Que faire dès lors d’un Jugement dernier… alors que
nous avons vécu un événement qui est censé avoir amené le Salut à tous
les hommes ??
Pour
certains, il vaut mieux ne pas en parler, simplement. Pour d’autres, il faut
l’éluder de manière expéditive : « l’idée d’un Dieu qui juge
n’est pas en accord avec celle d’un Dieu qui aime. » D’autres encore
affirment : « on ira tous au paradis ! » comme ont pu le dire un
certain nombre de théologiens, de Jacques Ellul à Michel Polnareff.
Mais
selon moi, l’une comme l’autre de ces solutions n’apportent pas de réponse à
l’énigme du Jugement de Dieu. Elles ne sont d’aucun secours pour le croyant qui
s’interroge.
En
effet, face au Jugement dernier, je suis personnellement aux prises avec un
paradoxe. Et je suis persuadée de ne pas être la seule.
L’idée
d’un Dieu qui punit, d’un Dieu qui abandonne toute une partie des êtres humains
(sa propre création !), cette idée-là m’est très difficile. N’est-ce pas
ce même Dieu qui a promis de ne plus jamais punir les hommes comme il l’a fait
lors du déluge ? N’est-ce pas ce même Dieu qui nous a tant aimé qu’il
s’est fait homme ?
Mais
d’un autre côté…
J’ai
besoin de savoir que les crimes qui sont passés sous silence ici-bas sont
reconnus auprès de Dieu. Qu’en est-il des victimes des génocides dont les
meurtriers ne seront jamais poursuivis, car trop nombreux ? Qu’en est-il
de la femme violée, de l’enfant abusé qui se terrent dans le silence et dans la
honte ? Qu’en est-il des époux bafoués, des amis trahis, des travailleurs
exploités ? Qu’en est-il simplement des blessés du quotidien ?
Oui,
j’ai besoin d’un Dieu qui juge. Car porter un jugement, c’est articuler une
parole de vérité : ce n’est pas punir un coupable à cause de la liste de
ses fautes, mais c’est reconnaître les torts causés à une victime qui en
souffre. C’est lui redonner un statut. C’est lui dire : « ce qui t’es
arrivé était injuste, et je le sais. » De
manière générale, je suis convaincue que le jugement fait partie de la Bonne
Nouvelle de Dieu pour nous. Sans lui, l’amour divin perdrait tout son sens.
Mais
attention ! On confond souvent Dieu-juge et Dieu-punisseur. Et je pense
que le passage de Matthieu que nous venons d’entendre n’est pas tout à fait
étranger à cela. C’est vrai qu’on y lit qu’une partie du troupeau est vouée aux
châtiments éternels…
Pourtant
je pense qu’il est nécessaire de replacer le passage dans un contexte plus
large.
Au
début du tableau, il est question du Fils de l’Homme, et de son retour en
gloire. Le Fils de l’Homme, à cet endroit précis, correspond parfaitement à
l’idéologie apocalyptique juive de l’époque : un personnage céleste,
transcendant, il juge pour mieux
séparer, et surtout pour mettre de côté.
Mais
immédiatement après, un retournement se produit ! Voilà que Jésus s’abaisse
plus bas que terre : il s’identifie aux petits. Qui sont-ils ?
Matthieu parle des prisonniers, des malades… En somme, ce sont ceux qui,
aux yeux de la société, manquent d’un petit bout d’humanité. Ce sont
ceux dont la vie sociale et même matérielle dépend entièrement d’une personne,
n’importe laquelle, qui va bien vouloir leur tendre la main.
Le
fait que Jésus s’identifie aux laissés pour compte à cet endroit précis est
loin d’être anodin. En effet, dans l’Evangile de Matthieu, la première
déclaration qui suit cette description du jugement dernier est une annonce de
la Passion, où Jésus s’identifie implicitement, mais très clairement au Fils de
l’Homme. Vu sous cet angle, le
personnage du Fils de l’Homme prend un tout autre sens, et notre conception
traditionnelle du Dieu juge inatteignable prend un sacré coup dans l’aile. Le
Christ nous apprend qu’il est en fait juge et partie : il parlera depuis
le banc des plaignants. Il est de leur côté, car il a traversé lui-même leurs
souffrances absurdes en mourant sur la Croix.
Personnellement,
cela me fait penser aux victimes dont je parlais tout à l’heure : ces
personnes qui sont abandonnées et seules avec leur douleur, Jésus-Christ les
relève. C’est cela, la première fonction du Jugement : c’est de redonner la
parole, à travers le Christ, à ceux qui ont perdu la faculté ou le droit de
s’exprimer par eux-mêmes.
Que
dire alors des justes et des maudits ?
Tout
d’abord, je crois nécessaire de rappeler que l’Evangéliste Matthieu se
distingue surtout par sa mise en scène spectaculaire et surtout par sa
rhétorique extrêmement tranchée. Il ne faut donc pas négliger la dimension
métaphorique et pédagogique de ce texte qui paraît un peu effrayant et violent.
Il
me semble en effet qu’il décrit deux tendances qui coexistent au sein de
nous-mêmes plutôt que deux groupes de personnes bien définis. Personne ne peut
se targuer d’être parfaitement juste, ni parfaitement mauvais. Selon ce que je
comprends de Matthieu, nous sommes sans cesse face à un choix dans nos
relations humaines : nous pouvons être bâtisseur du Royaume en accueillant
même les plus insignifiants, même ceux dont la souffrance nous fait fuir. Ou
alors nous pouvons nous conduire comme des « diables », c’est-à-dire
littéralement des agents de séparation et d’exclusion.
Quoi
qu’il en soit, nous sommes incapables de mesurer l’exacte portée de nos actes
au moment où nous agissons, et ce quel que soit le choix que nous fassions
(c’est de cela que témoignent les réactions des justes et des maudits dans
notre passage : « mais quand t’avons nous fait cela ? »).
Il s’agit de la deuxième fonction du Jugement : il existe pour nous
éclairer sur nos actes, sur l’incidence que nous avons dans le monde et dans le
projet de Dieu.
Plutôt
qu’un Jugement qui interviendra à la fin de l’Histoire, je préfère voir ici le
rappel permanent de Dieu qui nous affirme à quel point nous sommes responsables
dans les relations que nous entretenons avec nos semblables et vis-à-vis du
Royaume que nous construisons : Matthieu nous le dit à sa manière
(tranchée) : 2 chemins s’ouvrent à nous : l’un vers le Royaume, et
l’autre vers un monde de solitude, de détresse et de conflits.
Non, je ne crois pas que l’idée d’un Dieu qui juge est
incompatible avec celle de la grâce et de l’amour infinis. Elle le serait avec
la conception d’un Dieu tout sucre-tout miel, un Dieu sympa et bon copain ;
mais pourrait-on alors parler d’amour véritable envers tous, spécialement
envers les victimes que nous sommes tous à un moment ou à un autre ?
Serait-ce là un amour juste ?
Bien
au contraire. Dieu, par son jugement, nous offre une parole qui nous relève et
qui met des mots sur notre souffrance ; il nous offre une parole qui nous
révèle à nous-même dans ce que nous avons de plus lumineux et de plus sombre. Dans
tous les cas, le jugement, par son existence même, témoigne qu’aux yeux de
Dieu, nous avons une place à tenir ici et maintenant, même si nous ne le
soupçonnons souvent pas.
Chers
frères et sœurs, je suis convaincue que le jugement est une parole qui nous dit
inlassablement : « qui que tu sois, quoi que tu fasses, quel que soit le
mal que tu as subi, tu comptes ! »
Amen.
Noriane Rapin
Prédication pour le culte du 14 avril 2013 à Belmont
Pour aller plus loin :
André Herren, Le jugement dernier en procès, éd. Ouverture, 2012.
Marie Balmary, Daniel Marguerat, Nous irons tous au paradis, Albin Michel, 2012.
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