Du 5 juin : "Les Vaudois du Piémont, précurseurs de la
Réforme"
Introduction aux lectures:
Nous avons parlé, il y a deux semaines, des vrais
et des faux prophètes avec Ezékiel. Aujourd’hui, je vous invite à prolonger
cette réflexion à propos d’une époque plus proche de nous, où se posait aussi
la question: vrais ou faux prophètes? Nous allons nous arrêter sur un mouvement
religieux qui existe encore, et qui a toujours à nous interpeller quant à notre
foi: la “Chiesa Valdese”, autrement dit les “Vaudois du Piémont”. Les deux
premiers passages sont emblématiques de ce qui les anime pour l’essentiel.
Lectures: Luc 9, 1-6;
Romains 1, 16-17; Ezékiel 13, 1-3 puis 10-12
Y en a point
comme nous! C’est, paraît-il, ce qu’aiment affirmer les gens du Pays de Vaud.
Or nous sommes parfois étonnés d’apprendre qu’il y en a d’autres comme nous,
d’autres Vaudois en Europe: ceux dits “du Piémont”. On les situe ainsi parce
qu’ils se sont longtemps cantonnés dans ces vallées du nord de l’Italie.
Qui
sont-ils? Et d’où viennent-ils? Il m’a semblé intéressant, à l’occasion des 500
ans de la Réforme, de nous intéresser de plus près à ces cousins pas si
lointains, cousins par le nom et aussi par la foi!
Les Vaudois
du Piémont ont été longtemps persécutés, parce qu’ils contestaient l’Eglise
catholique. Pour eux, l’essentiel de la foi était de vivre selon la pauvreté de
l’Evangile, dans l’esprit des Béatitudes. Leur modèle était l’envoi des
apôtres, tels que nous l’avons entendu dans l’évangile et tel qu’il traverse
tout le livre des Actes.
Leur mouvement est né au 12è siècle, donc bien avant la Réforme. À Lyon, un riche marchand,
qui s’appelle Valdesius ou Pierre Valdo, décide de vendre tous ses biens. Nous sommes en 1173. Il fait voeu de pauvreté et devient prédicateur sur le modèle des apôtres
bibliques.
Valdo crée
autour de lui un groupe de disciples, qui se nomment les Pauvres. Très vite,
ils sont persécutés par l’Eglise catholique. Ils sont bannis de Lyon,
excommuniés, et traqués par l’Inquisition. Ils vont se disséminer en Europe,
ils disparaissent ici et réapparaissent plus loin, au fil des persécutions.
Jusqu’à la
Réforme pourtant, donc pendant 350 ans, ces groupes clandestins restent en
relation les uns avec les autres.
Ils s’organisent. On voit naître chez eux une véritable théologie
originale; une théologie différente des deux autres grands mouvements spirituels de l’époque: les Cathares et les
Franciscains.
Par rapport
aux Cathares, ils adressent les mêmes critiques à l’Eglise catholique: ils dénoncent
la corruption du clergé et le fait que le message de Rome s’est fortement
éloigné de l’Evangile. Mais, contrairement aux Cathares, les Vaudois gardent
une foi trinitaire, résolument biblique, basée sur le Nouveau Testament. Ils
n’ont pas de dérives ésotériques ou dualistes comme les «Albigeois». Ils ne
veulent pas une autre Eglise, mais (on peut dire) une Eglise autre, fondée sur
l’enseignement et l’exemple des apôtres.
Par rapport
aux Franciscains, ils partent clairement du même constat, des mêmes critiques
aussi contre à Rome, et contre le rôle de l’argent dans l’Eglise. Ils auraient
pu être frères. Mais ils sont devenus ennemis. Pourquoi? Parce que les
disciples de François d’Assise ont fini par choisir l’obéissance au pape, alors
que les Vaudois ont jugé prioritaires la fidélité à l’Evangile et la
transformation nécessaire de l’Eglise. À 40 ans de distance, les deux
fondateurs finiront à l’opposé l’un de l’autre: Valdo sera excommunié, tandis
que François sera proclamé saint.
Le point
critique pour les Vaudois était la donation de Constantin à Rome, au 4è siècle:
un document (dont l’authenticité est contestée) document selon lequel
l’empereur aurait remis au pape le pouvoir sur la partie occidentale de
l’empire. Dès ce moment, disent les disciples de Valdo, l’Eglise a perdu sa
légitimité, en acceptant le pouvoir politique et la richesse. Les dérives du
catholicisme viennent de cette erreur fondamentale: une Eglise qui gère le
pouvoir ne peut pas être l’Eglise du Christ.
Vous le
voyez, cette attitude des Vaudois est typiquement prophétique. Comme Ezékiel,
ils dénoncent ceux qui se sont écartés de la volonté de Dieu. En refusant la
monarchie du pape et les dîmes, en rejetant la doctrine du purgatoire, par
exemple, ils annoncent clairement le grand bouleversement spirituel qui
secouera l’Europe sous l’impulsion de Luther 350 ans après. On peut y voir
aussi des accents qui évoquent l’Eglise Libre de notre canton, trois autres
siècles plus tard!
Nous
arrivons au 16è siècle. Très tôt, les Réformés entrent en contact avec les
Vaudois. Entre temps, ceux-ci se sont réfugiés dans quelques vallées des Alpes
surtout, en Italie du nord.
Après moult
enquêtes et de vives négociations, le rapprochement se concrétise. En 1532 une
assemblée se tient à Chanforan, au Piémont. Les disciples de Valdo y décident
de se rallier au mouvement réformateur de Suisse et de Strasbourg.
Cette
décision va modifier le mouvement vaudois de manière importante. Car la Réforme
de Luther ou Calvin est bien plus proche des pouvoirs temporels, ces pouvoirs
dont nos cousins du Piémont se méfient, et c’est peu dire. “Pouvons-nous
intégrer une société qui nous a brimés, et persécutés? Est-ce que nous n’allons
pas trahir nos idéaux en nous alliant à des Eglises de bourgeois et de
magistrats citadins?” se demandent-ils.
Le débat a été passionné et prolongé.
Mais la
décision prise est logique. Il y a tant de points aussi qui rassemblent les
deux parties. D’abord, le fait bien sûr d’être en butte à l’Eglise de Rome;
celui de contester sa théologie, et surtout de vouloir être ancré
prioritairement dans la Bible, dont on accepte de part et d’autre l’autorité
absolue. Le fait aussi de demander vigoureusement une réforme de l’Eglise.
L’importance enfin de se trouver des soutiens, en un temps de persécutions.
Une fois la
décision prise de s’allier, les Vaudois organisent leurs Eglises selon le
schéma réformé: ministère de pasteurs-théologiens, culte public, prédication.
Ils décident encore de s’unir aux protestants pour traduire la Bible en
français. Ce sera la traduction d’Olivétan, réalisée par un réformé suisse,
mais quasi totalement payée par nos cousins du Piémont.
Je parle de
ceux du Piémont. En fait au 16è siècle, il y a encore plusieurs autres groupes
de disciples de Valdo qui existent, ailleurs. Mais ils n’ont pas survécu. Ceux
de Provence ont été massacrés en 1545, ceux de Calabre en 1560. Ceux d’Italie
du nord ont survécu de justesse. Jusqu’à la fin du 18è siècle, ils ne formaient
que quelques petites paroisses presque réduites à l’état de ghetto, décimées
lors des guerres de religion, écrasées d’impôts, soumises à toutes sortes de
brimades... Dites, on croirait parler des chrétiens d’Orient en 2016!
La survie de
la Chiesa Valdese, en fait, a tenu à plusieurs facteurs. Il y a d’abord, la
situation politique: les vallées vaudoises ont été souvent occupées par les
armées françaises, et elles touchent au Dauphiné protestant, ce qui leur donne
des possibilités de fuite, de secours et de contacts.
Ensuite, il
y a la situation géographique: la région est montagneuse, les vallées étroites
et isolées; la guérilla y est plus adaptée face à une grosse armée.
Enfin, la
survie des Vaudois du Piémont a été le fruit d’une importante solidarité
internationale. Les cantons suisses, mais aussi la Suède, l’Angleterre et les
Pays-Bas ont jugé nécessaire de protéger cette minorité opprimée.
C’est seulement en 1848 que l’Italie reconnaît enfin aux Vaudois des droits civiques, et qu’elle cesse de les persécuter. Depuis, nos cousins bénéficient d’une liberté certes, mais d’une liberté assez réduite. En effet, le catholicisme est religion d’Etat et les cultes non romains ne sont que tolérés.
Les
disciples de Valdo auraient pu simplement profiter de cette tranquillité…
relative, pour vivre heureux et pour accéder à des situations économiques plus
favorables, ou à des positions sociales meilleures (avant, ils en étaient
exclus). Plusieurs l’ont fait, bien sûr. Mais les plus actifs spirituellement
se sont attelés à un projet ambitieux : celui de renouveler l’Italie dans
le domaine de la foi. Comme Valdo sept siècles avant, ils se sont mis à
diffuser l’Evangile, en utilisant les méthodes de leur temps.
Presse,
brochures, conférences publiques: ils ont produit une activité missionnaire
gigantesque, sans rapport avec leur petit nombre. Pourtant ils l’ont fait non
pas pour gagner des prosélytes, mais pour provoquer, par la lecture de la
Bible, davantage de réflexion théologique, de regard critique et d’enthousiasme
religieux. On peut penser que le mouvement de renouveau du catholicisme, qui
s’est manifesté dans le concile Vatican II, en a été un des fruits.
Aujourd’hui,
l’exemple des Vaudois peut nous interroger, et nous stimuler: alors que notre
Eglise devient minoritaire et qu’elle a de la peine à se faire entendre dans la
société; alors qu’on se moque facilement des chrétiens à cause de leur foi;
alors aussi que l’avenir paraît bouché pour nous qui nous réclamons des valeurs
de l’Evangile: si nous pouvions, comme nos cousins du Piémont, faire preuve de
résilience et d’imagination, de pétillance et de courage, pour essayer de
transformer la société où nous vivons? pour y promouvoir plus de joie de croire
et d’espérer?
L’héritage
des disciples de Pierre Valdo tient en deux intuitions fortes, qui pourraient
devenir nôtres. D’abord, que toute Eglise chrétienne ne peut avoir qu’une
référence essentielle, c’est l’Evangile du Christ. Et par conséquent qu’elle
est appelée à devenir une communauté fraternelle plutôt qu’une organisation
ecclésiastique.
Esprit
d’indépendance, voire anticonformisme ont toujours été chez les Vaudois
associés à une relation de respect. Qu’ils soient pacifistes ou résistants, les
membres de la Chiesa Valdese ont toujours respecté les institutions, sans pour
autant s’y soumettre. Ils ont su sans cesse garder leur liberté et en
revendiquer les droits.
Pour eux, la
liberté découle de l’Evangile et s’y enracine, elle y puise richesse et force.
Un christianisme sans liberté, disent-ils, ce n’est plus l’Evangile. Et donc
une société sans liberté n’est plus humaine.
Il y a là de
la graine à prendre, non ? Y en a point comme nous! Tu crois,
vraiment ? Tu crois ? Amen
Jean-Jacques Corbaz, d’après le pasteur Giogio Tourn, de la Chiesa Valdese
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