Prédication du 25.9 et du 10.10.22 - «Passe-moi la pommade ! »
Lectures bibliques: Philippiens 1, 1-11; Jean 17, 18-23; Esaïe 49, 13-16
Je ne sais pas comment vous commencez vos lettres. Quand vous voulez écrire des choses importantes, de quelle manière abordez-vous le sujet ? Assez différemment, j'imagine, de l’apôtre Paul, qui disait : « Que Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ vous donnent la grâce et la paix ».
Evidemment, vous n’écrivez plus comme ça. Pendant des siècles, les prêtres et les pasteurs ont commencé leurs cultes par cette phrase, qui était traduite ainsi : « Que la grâce et la paix vous soient données, de la part de Dieu le Père et de Jésus Christ son fils, notre Seigneur ».
Alors, on est un peu « vaccinés », si j’ose dire. Ça nous coule dessus comme l’eau sur les plumes d’un canard… ou comme l’averse sur la terre gelée.
Peut-être donc faut-il nous arrêter un instant et réfléchir : pourquoi l’apôtre Paul entame-t-il ses lettres par ces deux mots, grâce et paix ?
La grâce, c’est le pardon de Dieu, à cause de Jésus crucifié. C’est le salut gratuit, la vie redonnée sans qu’on la mérite, comme un condamné à qui l’on fait grâce. Et la paix, c’est une relation fraternelle, harmonieuse, entre les êtres.
La grâce est verticale, elle nous relie Dieu ; c’est l’axe de la croix (geste). La paix est horizontale, elle relie les humains entre eux ; ce sont les bras de la croix (geste).
Au fond, nous avons là le résumé de tout le christianisme !
Mais il nous faut aller plus loin. On sent nettement, dans les 11 versets que nous venons de lire, une affection, un lien sentimental très fort. Paul est en relation intense avec les chrétiens de Philippes ; une relation où s’expriment des émotions, un souci mutuel. Il les porte vraiment dans son cœur, comme il l’écrit au verset 7. Ce lien affectif, explique-t-il, cette tendresse, viennent du Christ, de sa faveur. C’est toujours grâce et paix (gestes).
Une petite pause. Revenons en 2022, au Bouveret ; pour nous demander s’il y a toujours place, dans nos communautés chrétiennes et nos paroisses, pour des relations comme celle-là. Grâce et paix. Joie du salut reçu, gratis, et affection visible entre nous. Bigre ! Cette lettre serait-elle plus incisive qu’on ne l’avait imaginé ?! Car on a tellement tartiné sur l’amour chrétien, dans le style « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », les yeux dans les yeux, les problèmes oubliés… L’affection entre chrétiens a fini par devenir une image de Saint-Sulpice, mièvre et vaguement écœurante.
Tonnerre ! L’amour qui vient du Christ est nettement plus consistant ! Plus pointu ! Il va jusqu’à la croix ! Ce n’est pas une douce pommade qu’on se passe en rêvant ! Ou alors, si vous tenez à la pommade, prenez du Fortalis (vous savez, cette embrocation avec laquelle les sportifs se massent avant l’effort) !
L’erreur ne vient-elle pas de ce que nos affection « chrétiennes » (entre guillemets) puisent davantage dans nos rêves que dans l’évangile ? La paix sans la grâce, c’est peut-être une absence de conflits, mais ce n’est pas une relation durable et forte. Pour cela, une chose est nécessaire : le pardon !
C’est cet amour-là, qui est fait d’échanges et de risques, que Jésus a vécu. C’est cet amour qu’il voudrait voir éclore entre nous. S’il n’y a pas de place dans l’Eglise pour ces sentiments-là, où y en aura-t-il ?!
Ne laissons pas aux mouvements évangéliques le monopole de l’attention mutuelle, de l’affection commune, du souci les uns pour les autres. Puisons véritablement à la source de la tendresse du Christ pour nourrir les nôtres ! Pour qu’elles grandissent et fleurissent ! Ces liens affectifs seront d’ailleurs notre meilleure publicité, notre meilleure vitrine !
Depuis quelques années, nous vivons dans nos Eglises un manque cruel de ministres, pasteurs et diacres. Cette situation donne une importance grandissante aux laïcs engagés, aux bénévoles de toutes sortes. Des responsabilités accrues incombent à ces personnes, qui ne sont pas toujours préparées à ces tâches.
Alors, je souhaite avec vous leur passer un peu de pommade, à ces chrétiens qui ont accepté d’être eux aussi des pommades de la part du Christ ! C’est-à-dire des stimulants pour permettre à l’Eglise entière de mieux avancer, de mieux courir vers le but, pour reprendre une autre image de Paul.
Nous leur disons merci. Merci avec des mots. Merci avec des bulletins de vote, s’il s’agit de personnes engagées à élire. Merci avec des sourires, et surtout avec des coups de main, des appuis, des coups d’épaule !
Merci, et : que ça continue ! Telle était la prière de Paul – et telle est aussi la nôtre, aujourd’hui. Une pommade qui aide à avancer, à courir vers le but !
Car après les louanges, la prière de l’apôtre débouche sur le boulot à accomplir. Ce boulot, Paul l’exprime en trois verbes: aimer ; connaître; et discerner (ou choisir).
Le second travail, c’est connaître. Moins attrayant, sans doute. Mais à quoi sert-il d’avancer si l’on ne sait pas où l’on va ? Par deux fois, Paul mentionne dans notre passage le « jour du Seigneur », c’est-à-dire la fin des temps. Nous avons un horizon, notre vie a un sens, une direction. L’Eglise n’est pas une espèce de « machine à Tinguely » qui tourne dans le vide, et qu’il faut faire fonctionner simplement pour qu’elle se perpétue elle-même (ce qui est la grande tentation de toute structure, chrétienne ou non) ! L’Eglise a une perspective, un horizon mobilisateur, que nous sommes invités à regarder. Pour mieux, encore une fois, courir vers le but !
Enfin, nous sommes appelés à discerner, à choisir. Parmi les multiples pistes qui sillonnent notre monde, nous avons besoins de personnes responsables qui nous aident à déterminer auxquelles de ces pistes donner la priorité.
Un dernier coup de pommade. Pour lier le tout ! Car l’Eglise, c’est d’abord une communauté. Je suis frappé de l’insistance de notre passage sur le collectif. Paul n’écrit pas à des individus, mais à un groupe.
Sans doute, à notre époque excessivement individualiste, il faudra bien quelques kilos de Fortalis pour réveiller et réchauffer nos muscles communautaires, ceux qui peuvent nous empêcher de boiter.
À Venise, au Palais des Doges, il y a une fresque représentant le Paradis. On y voit une multitude de têtes les unes à côté des autres. C’est tout !
Car le Paradis, notre horizon de chrétiens, ce n’est pas un vacancier somnolant sous un palmier, avec un agneau à ses pieds. Le Paradis, c’est une foule de femmes et d’hommes, enfin, enfin rassemblés. Donc, où il y a place pour nous, chers amis !
Saint Esprit, un bon coup de Fortalis, s’il te plaît ! Amen
Jean-Jacques Corbaz