À la poubelle! - 10 février 2025
Lectures: Philippiens 3, 2-9, puis 12-14; Jean 3, 16-18
Lors d’une réunion d’évangélisation, un homme témoigne: «Jusqu’à ma conversion, j’étais un mécréant. Je me droguais, je battais ma femme, je me moquais des chrétiens… Mais un jour, j’ai rencontré Jésus Christ, et depuis ma vie a changé: j’ai renié mon passé, je suis devenu un enfant de Dieu…»
Vous connaissez ce genre de témoignage. Dans la lettre de Paul aux Philippiens, nous venons de lire un passage qui lui ressemble: «Mais tout cela, je le considère maintenant comme une perte en comparaison de ce bien suprême: connaître Jésus Christ, pour qui je me suis privé de tout avantage personnel; je considère tout cela comme des ordures…»
L’apôtre Paul fait le même discours que notre ancien drogué. Mais il y a une différence, une différence de taille: le passé de l’apôtre n’est pas dépravé ou immoral; au contraire, c’est l’un des plus prestigieux qui soit quant à la religion. Juif de naissance, Hébreu de pure race, circoncis le jour qu’il fallait; puis plus tard les meilleures écoles rabbiniques, jusqu’au bout de la filière où il devient un prédicateur renommé et super-zélé pour la foi, excellent connaisseur de la loi d’Israël…
Le passé de Paul n’a donc rien de honteux ni de médiocre. D’ailleurs, il y a encore une autre différence avec notre témoin ancien mécréant: c’est que l’apôtre ne renie pas son passé jusqu’à sa conversion seulement, mais aussi plus tard, en-deçà de sa spectaculaire volte-face!
Ce qu’il veut repousser, ce sont tous les avantages «humains», ou «matériels», même ceux du moment présent: «je considère même toute chose comme une perte en comparaison de ce bien suprême: connaître Jésus Christ mon Seigneur, pour qui je me suis privé de tout avantage personnel». Le passé de sa vie chrétienne et même son présent sont englobés dans ces «ordures» qu’il rejette.
En aucun cas Paul ne veut marquer une limite entre deux périodes de son passé, comme le font les convertis d’aujourd’hui. Ce qu’il voudrait nous faire comprendre, c’est qu’il y a une valeur nouvelle qui est entrée dans sa vie avec le Ressuscité: un éclairage différent sur son passé, sur son présent et sur son avenir. Pâques ne lui fait pas renier sa vie jusqu’ici, mais Pâques lui fait la relire, avec d’autres lunettes. Une autre échelle de valeurs.
Mais qu’est-ce qu’il veut dire, quand il compare ses avantages personnels à des ordures?
Le mot utilisé en grec désigne des déchets, ce qu’on jette parce que ça ne sert plus à rien - sinon à nourrir les chiens errants. Dans un milieu juif, ce mot peut aller encore plus loin: il désigne des excréments, quelque chose de sale, qui est impur, qui souille et engendre la pourriture. Paul y va un peu fort, traiter sa vie de fond de poubelle puant!
Normalement, je devrais ici tirer un parallèle entre l’apôtre et nous aujourd’hui. Mais vous me voyez traiter nos vies, ou plutôt les maltraiter, de détritus pourrissant et malodorant?
Parce que notre passé à nous, il n’est probablement pas très différent de celui de Paul: nous avons été baptisés, nous avons suivi l’école du dimanche et le catéchisme, nous avons confirmé solennellement. Et depuis, nous essayons de mener une existence honnête, en fréquentant le culte ou la messe, et surtout en cultivant notre relation à Dieu notre ami. Si je traite tout ça de résidu de vieille poubelle, je vais me faire appeler Arthur!
Et pourtant, c’est bien dans cette direction peu engageante que l’apôtre voudrait nous entraîner. Il essaie de nous faire comprendre les vraies valeurs pour un chrétien. Elles ne sont pas dans notre parcours religieux, même le meilleur, même pas dans notre conversion!. Elles ne sont pas dans ce que nous avons fait, elles sont dans ce que Dieu a fait pour nous!
Les vraies valeurs, depuis le matin de Pâques, elles ne viennent que de Dieu. De son amour absolu, inconditionnel. De sa passion pour chacun.e, qui nous sauve. «Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils pour que nous ayons la vie éternelle».
Alors, me direz-vous, est-ce que Paul veut nous suggérer que parfois notre religion pourrait nous séparer de Dieu au lieu de nous relier à lui?
Il y a de cela, sans doute. Ce n’est pas, bien sûr, d’être baptisé ou confirmé qui nous éloigne du Ressuscité; mais ce qui peut faire écran, peut-être, ce serait parfois le sentiment de bonne conscience que nous donnerait le fait d’être baptisé ou confirmé. Penser que Dieu nous aime à cause de notre parcours religieux et non à cause de son amour à lui, qui est immense et gratuit.
L’orgueil, ce n’est pas seulement de se sentir meilleur que les autres. L’orgueil, ce peut être aussi croire que c’est notre humilité qui nous sauve!!
Paul ne se glorifie pas de sa conversion ou de sa foi. Sa seule gloire, c’est en Dieu qu’il l’a placée. Dans la force de Dieu, qui transcende nos pires faiblesses.
Il ne s’agit donc pas, en lisant notre passage, de nous humilier ou de nous mettre à vivre en fuyant le plaisir. L’apôtre ne dénonce pas la joie. Au contraire, il plaide souvent pour que nous utilisions notre corps pour la gloire de Dieu. Le plaisir est bon et utile. Mais «Tout ce que je désire, c'est de connaître le Christ et la puissance de sa résurrection, d'avoir part à ses souffrances et d'être rendu semblable à lui dans sa mort. Et j'ai l'espoir que je parviendrai moi aussi à la résurrection d'entre les morts. Je ne prétends pas avoir déjà atteint le but ou avoir déjà été conduit à la perfection. Mais je poursuis ma course pour m'efforcer de le saisir, car j'ai moi-même été saisi par Jésus Christ.»
La seule valeur à viser, au fond, nous dit Paul, c’est d’être aimé. Par Dieu et par les autres qui prolongent sa tendresse; être aimé et aimer à son tour.
«Jusqu’à ma conversion, j’étais un mécréant… Mais un jour, j’ai rencontré Jésus Christ, et depuis j’ai renié mon ancienne vie.»
Si ce témoignage ne vise qu’à dire: «maintenant, je suis du bon côté, je suis installé dans une autre vie où ce passé-là n’a plus cours», si ce témoignage ne vise qu’à cela, alors, il n’est au yeux de Paul qu’un déchet, une ordure de plus sur le grand tas d’immondices que les humains ont accumulé devant Dieu depuis la nuit des temps.
Il ne sera positif aux yeux de Dieu, ce témoignage, que si nous ne nous satisfaisons pas du chemin parcouru; et qu’au contraire, nous l’utilisons pour aller plus loin. Comme un tremplin.
Ne pas s’arrêter sur la route. Avec l’apôtre, viser à sans cesse quitter son passé et son présent pour découvrir le futur du Christ à nouveau, chaque jour. Qu’aujourd’hui devienne la charnière dynamique entre hier et demain.
Nous n’aurons fini de nous convertir que lorsque nous parviendrons auprès de Dieu, dans son règne parfait, là où notre épaisseur humaine ne nous empêchera plus d’être en parfaite communion avec le Ressuscité. Non pas donc dans l’éternel repos, comme on le dit souvent. Mais plutôt dans le mouvement dynamique et sans cesse créateur de la Vie en Christ.
Amen
Jean-Jacques Corbaz
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