Lectures: Lévitique 19, 17-18; Galates 6, 1-2; Jean 15, 9-13
“Tu aimeras ton prochain comme toi-même”: tarte à la crème du christianisme? Rengaine moralisante? Banalité poussiéreuse? Monsieur le pasteur, changez de disque, SVP!
Et le pasteur dit “non”! Non, ce n’est pas ce que vous croyez, si vous pensez qu’aimer son prochain comme soi-même, c’est être gentil, peut-être? Ou avoir des sentiments d’affection, de tendresse, à l’exemple de Jésus? Pourquoi pas se laisser flageller ou tondre par les autres, sans rien dire, et “tendre l’autre joue”, selon le mot de l’évangile?
Alors asseyez-vous, bouclez votre ceinture et partons ensemble à l’aventure! À la découverte de l’amour du prochain.
Première surprise: ce n’est pas Jésus qui a inventé la formule. Ni les 10 commandements de Moïse. La plus ancienne mention, dans la Bible, de “Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, c’est ce passage du livre du Lévitique que nous avons ouvert ce matin. Un texte qui a été rédigé probablement pendant l’Exil à Babylone, dans un temps où les déportés vivaient une situation désespérante. Nous y reviendrons.
Deuxième surprise: “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” ne nous est pas donné comme une morale, ou une manière de savoir-vivre, Mais plutôt comme la conséquence d’une bonne gestion des conflits! Je m’explique. Le passage commence par ces affirmations inattendues (traduction la plus fidèle possible): “Tu ne laisseras pas de haine dans le secret de ton coeur à l’égard de ton frère, tu n’hésiteras pas à lui faire des reproches afin de ne pas te charger d’un péché envers lui. Tu ne te vengeras pas toi-même et tu ne garderas pas de rancune contre tes compatriotes. C’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur”.
Avant donc de nous parler d’aimer, la Bible nous demande d’exprimer nos reproches, de réprimander! On nous avait pourtant bien appris que ce n’est pas gentil de gronder, de chicaner, de blâmer! Et pourtant, selon ce passage du Lévitique, aimer son prochain, c’est d’abord lui adresser des réprimandes, sans hésiter, si nous en avons sur le coeur!
Faire des reproches à son prochain, c’est encore se rapprocher de lui. Et vous avez bien entendu qu’il y a la même racine dans ces trois mots. Reproches, prochain, se rapprocher: il y a toujours l’adjectif “proche”.
Troisième surprise: ce commandement de réprimander son frère (ou sa soeur) n’est pas une bonne action, à bien plaire, un petit “plus” facultatif pour bons élèves, Non, ce commandement nous est donné (je cite le Lévitique) “afin de ne pas te charger d’un péché envers lui”! “Tu n’hésiteras pas à le réprimander afin de ne pas te charger d’un péché envers lui”. Purée! La Bible sort vraiment l’artillerie lourde, sur ce verset! S’abstenir de dire nos reproches, c’est un péché!?
Pour bien comprendre cela, il faut se souvenir que le péché, dans l’Ancien Testament (AT), ce n’est ni une mauvaise action parmi les autres, ni la porte de l’enfer. Dans l’AT, le péché, c’est tout ce qui nous sépare de Dieu. Tout ce qui nous sépare de Dieu, et, par conséquent des autres humains. Oui, le péché, c’est une rupture de relation avec Dieu et avec l’humanité où il nous appelle à vivre en communauté.
Si donc je garde mes reproches par-devers moi, si je laisse mes ressentiments macérer sans les exprimer, je coupe ma relation avec mon prochain, et du même coup (!) avec Dieu. Haïr en secret, c’est refuser de rencontrer l’autre, c’est fuir la relation avec ce frère. Au contraire, dire mes réprimandes, c’est permettre au lien de se reconstituer. Vous voyez que nous sommes très proches de la notion de paix dans l’AT; le shalom, la paix qui n’est pas l’absence de conflit, mais le fait de vivre en relation. La paix, c’est, au milieu des conflits, de se tendre la main. Et de se dire ce qu’on a sur le coeur.
Et la petite phrase qui conclut ce passage (je cite): “Je suis le Seigneur”, eh bien elle n’est pas là pour faire joli; ni pour donner un air plus pieux à ces exigences. Mais elle souligne que ces commandements viennent de Dieu, et que Dieu s‘engage lui-même dans leur mise en pratique. Les appliquer, c’est vivre notre relation avec Dieu, c’est ne pas pécher, donc ne pas nous couper de lui.
Résumons. Les réprimandes que nous avons sur l’estomac, Dieu nous demande de ne pas les laisser tourner en rancunes ou vengeances sournoises. Au contraire, n’hésitons pas à adresser des reproches à notre prochain, pour nous rapprocher de lui; et du même coup pour nous rapprocher de Dieu. Autrement dit, des réprimandes constructives! Vous imaginez le slogan sur les panneaux d’affichages de la SGA: “Des reproches au prochain, ça rapproche”!
Si vous n’êtes pas trop fatigués, j’aimerais ajouter deux ou trois choses. (Rassurez-vous, je n’ai pas de réprimandes à vous exprimer!). J’ai envie de faire encore quatre remarques.
1° Première remarque. J’ai fait une allusion à “tendre l’autre joue”; est-ce que ça ne dit pas exactement le contraire de notre passage? Eh bien non. J’ai beaucoup étudié ce verset, et je suis convaincu, avec de nombreux théologiens aujourd’hui, qu’il ne veut pas dire “se laisser frapper et encore frapper”, mais qu’il signifie “tendre une joue autre, différente, sortir de la relation “frappeur-frappé”; briser le cercle vicieux de la violence. Je reviendrai sur cette question avec une exégèse de ce verset dans quelques semaines. *
2° Deuxième remarque: il y a aimer et aimer. Nous entendons fréquemment ce verbe comme l’expression d’un sentiment. Mais un sentiment, ça ne se commande pas! Il est parfaitement inutile d’exiger qu’on aime. L’AT, quand il parle d’aimer, pense à l’autre aspect du mot: se comporter, concrètement, comme des gens qui s’aiment. La Bible ne nous demande jamais des inclinations, des émotions, des élans spontanés vers notre prochain. Elle nous invite à une conduite, à des gestes, des attitudes d’amour - ce qui est tout autre chose!
3° Troisième remarque, le prochain. Vous allez me dire “mais on ne peut pas aimer le monde entier comme cela. On s’y épuiserait!” - Et vous aurez mille fois raison.
Le livre du Lévitique s’adresse aux juifs en Exil, disions-nous. Dans un temps de grand désespoir, il s’agit de resserrer les liens du peuple déporté. On demande d’aimer les frères, les prochains, les compatriotes. L’AT ne demande pas de vivre ces “reproches qui rapprochent” avec tout le monde, mais à l’intérieur seulement d’Israël.
Ouf, pensez-vous! Cependant, n’oublions pas que Jésus, dans l’évangile, a étendu Israël au monde entier. C’est l’Eglise, universelle, qui est le nouveau peuple saint! Donc rien n’est simple, avec Dieu! Heureusement que le Christ, sur la croix, a donné sa vie par amour total pour nous, qui aimons si imparfaitement. Ne l’oublions jamais.
4° Dernière remarque: “comme soi-même”. Savez-vous qu’on trouve l’expression “aimer comme soi-même” dans un édit du roi d’Assyrie (donc un païen!) en 670 avant JC. Soit avant la rédaction du livre du Lévitique! Moralité: si Jésus n’a rien inventé sur ce chapitre, l’AT non plus. Nous avons affaire à une expression courante déjà dans l’antiquité. Et cette expression voulait dire, en général, que les sujets d’un roi, à la guerre, devaient être prêts à donner leur vie pour leur souverain; ils montreraient ainsi qu’ils aiment leur roi comme eux-mêmes.
Dans le Lévitique, comme plus tard dans l’évangile, il ne s’agit pas de se battre, bien sûr. Mais nous recevons aussi une exigence de nous conduire à l’égard des autres sans penser à soi d’abord. Pourtant, il faudrait une seconde prédication pour dire haut et fort aujourd’hui qu’il est parfois plus difficile de s’aimer soi-même que d’aimer autrui... À méditer...
Conclusion. “Tu ne laisseras pas de haine dans le secret de ton coeur à l’égard de ton frère, tu n’hésiteras pas à le réprimander afin de ne pas te charger d’un péché envers lui. Tu ne te vengeras pas toi-même et tu ne garderas pas de rancune contre tes compatriotes. C’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur”. La possibilité de haïr n’est pas niée. Il est normal d’en vouloir à une autre personne. Mais c’est le silence qui est coupable. C’est le silence qui nous coupe du prochain et de Dieu. Ce qui détruit, ce n’est pas la haine, mais c’est de ne pas l’exprimer. C’est de la laisser croupir, et macérer. Et tourner en rancune, ou vengeance mesquine.
Parler pour renouer le lien. Reprocher pour se rapprocher du prochain. Et de Dieu. Aimer, c’est se battre pour préserver ces relations-là. Amen
Jean-Jacques Corbaz
* “Tendre l’autre joue”: je développerai cette exégèse le 17 août 14
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Merci pour la prédication de ce jour.
RépondreSupprimerLes psy approuvent des deux mains à l'injonction suivante :
“Tu ne laisseras pas de haine dans le secret de ton coeur à l’égard de ton frère, tu n’hésiteras pas à lui faire des reproches afin de ne pas te charger d’un péché envers lui".
Bien sûr, il y a la manière d'aborder ce frère avec lequel on est en désaccord, mais c'est malsain de ruminer ce sentiment d'injustice.
Avec mes amitiés. Bon dimanche, et bon été !
André Hoffer (St-François - St-Jacques)