Lectures bibliques: 2 Rois 5, 14-27; Luc 12, 16-21; Galates 3, 26-29
(Résumé de l’épisode précédent). Dimanche dernier, nous avons vu Naaman, le grand général syrien, se faire secouer et remettre en question, durement. Il a dû beaucoup travailler sur lui-même pour accepter la gratuité de Dieu et apprendre à abandonner les sécurités matérielles. Atteint par la lèpre, et donc contraint de se cacher pour ne pas être mis au ban de la société, il devra littéralement se mettre à nu pour retrouver la santé, au bout d’un long chemin.
Naaman avait emporté avec lui des richesses énormes pour payer sa guérison: 300 kg d’argent, 60 kg d’or, des habits de luxe... Mais Elisée refuse ce cadeau faramineux. Dieu est un Dieu des pauvres, des sans moyens... De ceux qui ne méritent pas. Il est grâce, donc gratuit. Sa bonté est offerte à chacun(e), disponible, toute proche. Ou plutôt: il est d’autant plus près de nous que nous sommes vulnérables et vrais. Donc nus. On dit que plus un arbre est haut, et plus il attire la foudre. Pour l'être humain, c'est l'inverse: plus il est bas, et plus il attire Dieu!
Si fréquemment, aujourd’hui comme hier, les êtres humains jouent des rôles. Comme Naaman, ils veulent avant tout sauver la face. Mais quand on a l’occasion d’entrevoir ce qu’il y a derrière le masque, c’est souvent le choc! Que de dépressions, que de relations foireuses avec sa famille ou ses collègues... Remords, rancunes, qui rongent comme la lèpre... Si peu de vraies raisons de vivre...
Tant que nous jouons un personnage, notre relation avec les autres ne peut être que faussée. Tout comme notre relation avec Dieu, évidemment! Certes, il est très difficile de se montrer nu. D’être soi-même et vrai. Il faut d’abord se connaître. Et ensuite s’accepter! Mais c’est la seule manière d’aller à la rencontre des autres, véritablement; de pouvoir les connaître; de les accepter comme ils sont. De même pour Dieu, évidemment: aller vers lui, le connaître et l’accepter, comme il est!
Dans ce récit plein de merveilleux, Elisée donc réussit beaucoup plus qu’une guérison physique: il permet à Naaman de changer de vie, de découvrir l’essentiel. Il le rétablit dans sa relation avec le divin, avec les autres, et donc avec lui-même.
Alléluia? Tout est bien qui finit bien? Euh ben... Pas tout à fait. Car il y a l’attrait de la richesse, qui est d’une force... incroyable. Le diabolique Mamon, comme Jésus le nomme, a de solides arguments. Et c’est au sein même de sa maison que le prophète Elisée va devoir le constater. Son serviteur Guéhazi succombe au désir. La gratuité, il oublie! Il court derrière Naaman et lui demande de l’argent, une somme considérable. Ce que bien sûr le riche Syrien accorde sans hésiter, et même à double; heureux de pouvoir manifester sa reconnaissance.
Mais attendez une minute avant de condamner Guéhazi. Car cet homme nous ressemble; plus peut-être qu’Elisée ou Naaman. Qu’aurions-nous fait, à sa place? Est-ce que moi j’aurais résisté à la tentation? Honnêtement, je ne sais pas. Car je n’ai jamais vécu sans argent; je n’ai jamais eu peur de mourir de faim; jamais eu peur de n’avoir rien à donner à mes enfants. Au contraire de beaucoup de mes prochains, en Suisse ou à l’étranger.
C’est au fond facile de juger sommairement la tromperie de Guéhazi. C’est facile de dire “Il faut faire confiance”; facile de se réfugier dans une foi personnelle et privée, à distance des autres... quand on n’a pas de gros soucis d’argent. Pour celui ou celle qui vit dans la pauvreté, l’occasion peut faire le larron. “S’enrichir: quel imbécile je serais de refuser cette opportunité”. (Entre parenthèses, n’est-ce pas d’ailleurs l’idéologie que charrie surtout notre société?).
Ne nous voilons donc pas la face (si j’ose dire, dans cette histoire de lèpre et de nudité!!). Ne nous voilons pas la face: il est normal d’avoir des envies. C’est notre condition humaine que de subir des tentations, comme Guéhazi. Et notre vocation de chrétiens, et notre responsabilité, c’est d’apprendre à gérer ces envies. Comme Dieu le disait à Caïn, lorsque ce dernier éprouvait de la jalousie pour son frère: “Le péché est pareil à un animal sauvage tapi derrière ta porte. C’est à toi de le dominer. Sinon, c’est lui qui sera ton maître”.
La fin de l’histoire aurait pu être si belle, pense-t-on parfois, si ce triste épisode de Guéhazi n’était pas venu tout gâcher.
Mais non! Ou plutôt: “Oui... mais”! Car la vie n’est que rarement (très-très rarement!) tissée de réactions modèles comme celle d’Elisée. Lui, il est presque parfait! Inaccessible! La vie, au contraire, elle est pleine de Guéhazi, qui ne résistent pas à l’opportunité de s’enrichir. Et puis, Dieu soit loué, elle nous offre souvent aussi, la vie, des Naaman, qui vont de l’avant, qui cheminent, qui progressent... qui guérissent leurs blessures, peu à peu, avec l’aide de Dieu... qui apprivoisent leurs peurs... mais qui savent qu’ils devront parfois transiger avec leurs principes; qui sont conscients qu’ils vont de temps en temps devoir s’incliner devant des faux dieux; revenir à leurs comportements du passé. Heureusement, ils ne se couperont pourtant jamais de l’amour du Seigneur.
Je trouve génial, la Bible ressemble à notre vie. Celles et ceux qui s’y débattent nous sont souvent semblables. Avec des exceptions, pareilles à quelques rayons lumineux, des exceptions comme Elisée; Moïse; Salomon; et la plus grande de toutes: Jésus!
La fin de l’histoire est belle, pour moi, parce qu’elle me parle d’un monde qui est le mien. Ce qui m’évite la tentation du Yaka (vous savez, quand on a l’impression qu’il suffit de vouloir pour imiter les modèles!). J’aime cette fin, parce qu’elle me met en garde contre les pièges que cette vie nous réserve, à chaque tournant.
En effet Guéhazi, après avoir trompé Naaman, est obligé de mentir à Elisée. Le fameux cercle vicieux. Un vieux sage disait: “Essayer de cacher une faute par un mensonge, ça revient à remplacer sur un habit une tache par un trou”. Un tel mensonge détruit la relation. Il est comme une lèpre, qui grignote peu à peu la vie harmonieuse. Et c’est exactement ce que Guéhazi va expérimenter, littéralement. Il est atteint par la terrible maladie. La peau devient comme de la cendre. Peur de la mort. Et la malédiction, qui nous met au ban de la société... Guéhazi est rongé par sa faute. Pareil à ces grands escrocs qui ne peuvent jouir de leur butin que terrés au fond d’une jungle lointaine, il va sans doute regretter parfois son ancienne vie. Conscient que ses richesses l’ont entraîné dans le malheur.
Peut-être trouvez-vous cette morale un peu taillée à la hache. L’auteur du livre des Rois a dû aussi le penser lui-même! En effet, le récit qui suit immédiatement notre épisode, c’est justement une histoire de hache maniée trop fort... Hum! Qui a dit que l’humour et l’autodérision étaient absents des textes sacrés?
Donc, n’oublions pas les nuances! Ne condamnons pas sans appel Guéhazi, ou d’autres qui font comme lui. Mais méditons plutôt sur nous-mêmes. Sur nos valeurs; nos comportements. Quelles sont mes priorités, dans la vie? Est-ce l’argent? Ou bien l’amour? Est-ce de garder une conscience nette? Ou des relations harmonieuses avec ce et ceux qui m’entourent? Être en bonne santé? Être comme Naaman relié par une communion spirituelle (lui qui emporte de la terre d’Israël pour pouvoir se joindre au culte de Dieu)? Ou bien un peu tout ça à la fois?
Pour moi, le fait de ne pas être seul face au mal est très important. Vivre une foi, une religion, mais relié à d’autres en vue d’essayer de mieux m’ouvrir à Dieu. Afin de tenir tête aux envies destructrices. Pour ne pas oublier l’essentiel.
Vivre en communauté; en paroisse; en Eglise, c’est important pour rester ancré dans l’amour de Celui qui, seul, est la vraie richesse. Et puis, c’est aussi un excellent antidote à notre culpabilité. Eh oui! Car, de voir que nos frères et soeurs sont faillibles, qu’ils succombent parfois à la tentation... eh bien, ça nous aide à supporter nos propres manquements!
Avec Naaman, entre Elisée et Guéhazi, mettre nos pas dans ceux de Dieu. Du Dieu de gratuité. Pour avancer en direction d’une meilleure limpidité. Le véritable trésor. Amen.
Jean-Jacques Corbaz
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