Jean 11, 21-27; 1 Corinthiens 11, 17-22. Récit d’Actes 20, 7-12
C’est une maison bleue, adossée à la colline, en ville de Corinthe. La maison de Maxime, mon ami.
Maxime, il voyage beaucoup, à cause de son métier. Rome, Athènes... Ephèse... Alexandrie... Jérusalem... Depuis des années! Car il dirige un commerce d’épices orientales. Mmh, ça sent bon dans ses entrepôts!
Il voyage beaucoup, Maxime. Il travaille dur aussi. On peut le dire: il a réussi dans la vie. Il a des quantités d’amis un peu dans toutes les cités; il est largement au-dessus du besoin. Cultivé, curieux de tout, il parle couramment les langues commerciales de son temps: le grec; le latin; l’égyptien; et même l’araméen.
Or un jour, à Antioche, Maxime entend parler d’une femme juive qui fait partie d’un groupe étrange: les “chrétiens”. Elle accueille à sa table tous ceux qui sont de passage. On y rencontre, paraît-il, des gens passionnants.
Quelqu’un lui a déjà parlé de cette espèce de secte?... Ah oui, c’est le gérant de son dépôt à Jérusalem; un Juif très sympathique.
Ce soir-là, Maxime est libre. Pour une fois, il a terminé avec ses rendez-vous d’affaires. Alors, il décide d’aller chez cette femme, pour voir. Et là, il n’est pas déçu: il est accueilli avec chaleur.
À table, son voisin parle beaucoup. Plutôt exalté, le gaillard! Il se présente: Paul; dans le textile! Hébreu, mais, il y tient, mais aussi citoyen romain: il vient de Tarse. Maxime et lui découvrent qu’ils ont plusieurs relations communes, et qu’ils voyagent autant l’un que l’autre. Leurs chemins se sont d’ailleurs déjà croisés parfois, mais sans qu’ils ne se rencontrent.
Tout à coup, Paul s’interrompt et dit:
- Je crois que tout le monde est là, on va commencer!
Et puis, sans s’occuper de Maxime, il s’adresse à toute la tablée, plus de trente personnes:
- Mes frères, mes soeurs; nous sommes réunis, ce premier jour de la semaine, pour que vive en nous Jésus notre Seigneur, le Christ. En rompant le pain, nous recevons le cadeau de sa présence...
Maxime ne comprend pas grand-chose. Et Paul parle; parle avec enthousiasme.
Maxime, ébahi, contemple les autres: ils sont tellement attentifs! Mais ce qui le surprend le plus, lui le commerçant grec qui aime l’ordre, ce qui l’étonne, c’est le mélange de tous ces gens: il y a des riches et des pauvres; des patrons et même des esclaves; il y a des hommes et des femmes; des Egyptiens, des Juifs, des Grecs; des gens à la peau foncée... Maxime est interpellé; d’habitude, on ne vit pas comme ça!
Pourtant, il règne là une atmosphère paisible: chacun semble à l’aise avec tous les autres, accepté, reconnu... Maxime a l’impression d’être dans un monde à part.
Alors, quelques jours plus tard, il a envie de revivre ce genre d’ambiance. À Troas, où il se trouve maintenant, il découvre qu’il y a une communauté du même style, une “Eglise de maison”, chez un certain Carpos. Maxime y va. Il y trouve le même accueil chaleureux, le même mélange humain; et le même respect les uns des autres. Un peu moins étonné, un peu moins largué surtout, Maxime sent son intérêt grandir. Il lui vient le désir de faire partie, lui aussi, d’un tel groupe.
Dans toutes les villes importantes où il s’arrête, il trouve une communauté de “chrétiens”. De plus en plus convaincu, il finit par demander le baptême. Et puis, quand il revient chez lui, à Corinthe, il fonde dans sa maison une Eglise pareille à celles qu’il a visitées dans son périple.
Pourtant, l’ambiance n’y est pas vraiment la même. La communauté est très mélangée, bigarrée, c’est vrai; mais il y a des petits groupes qui se forment à l’intérieur de son Eglise. Maxime sent des tensions, des rivalités. Ainsi, quand quelqu’un parle, les autres clans ne l’écoutent pas vraiment... Et quand ils rompent le pain, ce n’est pas réellement un partage.
Maxime est déçu. Parfois, il doute de son choix. Mais où a passé cette joie qu’il ressentait si fort aux premiers temps? Cette “communion” chaleureuse?
Alors, c’est presque soulagé qu’il prépare son voyage suivant. Oui, ça lui fera du bien de prendre un peu de recul. Et puis, tiens, pourquoi pas, il pourrait retourner chez Carpos; il doit justement passer par là-bas. Peut-être que son ami pourrait lui donner un bon conseil... Et ce serait super de retrouver cette atmosphère positive qui l’avait enthousiasmé, à ses débuts.
À Troas, Maxime est accueilli avec beaucoup de chaleur. Carpos prend des nouvelles de la communauté de Corinthe. Il ne s’étonne pas des difficultés que traverse cette jeune Eglise. “Repose-toi, fais-toi du bien! Demain, c’est dimanche, jour de la Résurrection du Seigneur. Nous allons nous réunir ici pour rompre le pain. Et, grande nouvelle: Paul lui-même sera là, parmi nous!”
Le lendemain, la chambre où se tiennent les réunions est pleine. Maxime est heureux de retrouver bon nombre de connaissances, voire des amis. Il y a aussi plusieurs nouveaux-venus... Tous se saluent, joyeusement. On sent une envie profonde d’échanges et de paix les uns avec les autres. Comme ça fait du bien!
Sur la table, chacun a déposé de quoi manger, pour le repas qu’ils partageront tout à l’heure, après la Cène. Un peu à part, Carpos a placé le pain sur un plat, et le vin dans une cruche. Il y a des fleurs, toutes simples; mais une beauté harmonieuse se dégage de cette table.
Tiens, se dit Maxime, c’est une bonne idée de mettre légèrement de côté le pain et la coupe de la communion, pour ne pas les mélanger avec le repas qui suivra.
- Frères et soeurs, dit Carpos, nous avons la joie d’accueillir Paul, que vous connaissez tous. Il vient de fêter Pâques à Ephèse, et il va nous parler pour affermir notre foi et notre solidarité en Christ.
L’apôtre prend la parole; rempli d’enthousiasme, comme toujours! Il en a des choses à raconter! La nouvelle Eglise d’Ephèse bouillonne d’espoirs et de projets. Il y a tant de signes que Dieu agit, par son Saint-Esprit!
Paul parle, parle longtemps, pétillant... C’est presque minuit, et il parle toujours! Mais ce soir, Maxime ne trouve pas le temps long: il essaie de graver dans son coeur l’énergie bienfaisante qui se dégage des paroles de l’apôtre; l’optimisme; la conviction aussi... Comment a-t-il pu douter, et se décourager?
Plus tard pourtant, Maxime se souviendra très peu de ce message. Car il va se passer un événement qui va rejeter tout le reste au second plan. Dans la chambre haute, il y a beaucoup de lampes, beaucoup de lumière; donc il fait très chaud. Un jeune homme, qui s’appelle Eutyque, est assis sur le bord de la fenêtre. Soudain, Maxime le voit se pencher, lentement. Mais? Il s’endort! C’est vrai qu’il est tard, et que Paul ne s’arrête pas de prêcher!
Et puis, catastrophe! Dans son sommeil, Eutyque se penche tellement qu’il... tombe par la fenêtre. Ouille! Nous sommes au 2è étage, crie quelqu’un, il va se tuer!
Carpos se précipite dans la nuit de la cour, auprès du corps brisé. Et là, dans un grand silence soudain, il dit: “Hélas, il est mort! Je n’ai rien pu faire.”
Alors Paul dévale les escaliers. Arrivé près de son hôte, il prend Eutyque dans ses bras. “Pas d’inquiétude, fait-il d’une voix forte, il est vivant!!”
- (Hein) qui est vivant, demande une voix?
- Mais, le Seigneur Jésus, répond Paul, ça fait des heures que je vous le dis!
L’apôtre remonte alors vers la lumière, dans la pièce illuminée, auprès des autres. Il rompt le pain en remerciant Dieu. Puis il mange, et tous font comme lui. Quant au jeune homme, Eutyque? On l’a porté pour remonter, lui aussi. Il est vivant!
- Oui, vivant! me dit Maxime, très ému.
Il y a maintenant des années que cela s’est passé. L’Eglise de Corinthe a vécu depuis un renouveau étonnant, sous la conduite de mon ami. Car Maxime ne s’est jamais découragé. Cette aventure de Troas, chez Carpos, lui a donné une force intérieure admirable. Et il est devenu, à son tour, un stimulant pour les autres.
Il aime raconter cette histoire; je l’ai entendue au moins 20 fois. S’est-elle réellement passée? Quelle importance, au fond! L’important, c’est qu’elle ait porté, et qu’elle porte encore la communauté dirigée par Maxime; qu’elle lui redonne confiance et rayonnement, dans les difficultés.
- Tu comprends, me dit-il, c’est un signe. La victoire du matin de Pâques, elle s’est manifestée une nouvelle fois, au milieu de nous! Dans la parole partagée; dans le pain rompu, fraternellement; eh bien le Christ devient présent, tout proche. Vivant!
- Et... et Eutyque? m’arrive-t-il souvent de demander.
- Le jeune homme? répond Maxime. On ne l’a jamais revu. Paul, lui aussi, a disparu, plus tard, à l’étranger. Mais, ce soir-là, il a été pour moi comme une incarnation du Christ: descendu dans la nuit de la mort, il est remonté vers la lumière de la chambre haute, porteur de vie! Porteur de vie, pour nous tous!
- Mais... est-ce vraiment vrai, ce que tu me racontes là?
- En tout cas, commente Maxime, cet épisode de Troas a toujours été pour moi une source puissante de courage, d’espoir et de solidité. Pour nous tous, ajoute-t-il en regardant sa communauté. Pour nous tous. J’espère qu’un jour, tu pourras le dire toi aussi.
C’est une maison bleue, adossée à ma mémoire. J’aime y retourner, pour y puiser courage et force. Le témoignage de Maxime. Et sa communauté. Je m’y sens tellement vivant!
Amen
Actes 20, 7-12. - Jean-Jacques Corbaz
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