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mardi 9 février 2021

(Pr, Re Bi) Des regards qui tuent à celui qui envisage

Il y a des regards qui tuent et d'autres qui relèvent; des regards qui pétrifient et d'autres qui envisagent.
Quels regards portons-nous les uns sur les autres? Quelles en sont les conséquences pour nous et pour les autres? La méditation de cette semaine passe nos regards au crible de ceux de la femme de Loth et de Jésus.

 



La puissance d'un regard
Des regards qui tuent à celui qui envisage
Que de choses se jouent au premier regard ! En une fraction de seconde, je peux déterminer dans les yeux de mon vis-à-vis quels sont ses sentiments à mon égard : regard de méfiance ou d’ouverture, hautain ou implorant, fermé ou curieux, résigné ou volontaire…
 
Mais avant de nous interroger sur les regards que nous croisons, arrêtons-nous sur ceux que nous portons nous-mêmes, tant sur les autres que le monde qui nous entoure !
Pour nous y aider, je vous propose de méditer deux regards fort différents.
 
Le regard qui pétrifie
Ce premier regard, c’est celui qui caractérise la femme de Loth dans le livre de la Genèse. D’elle, on ne saura jamais qu’une seule chose : alors qu’elle était en train de fuir la région de Sodome qui allait être détruite,    « la femme de Loth regarda en arrière et fut changée en statue de sel. »[1]
On ne nous en dira pas davantage. Mais ce regard m’interroge : de quelle nature était-il donc pour provoquer de si funestes conséquences ?


Car la seule chose dont nous puissions être sûrs à son propos, c’est que la transformation en statue de sel qui s’en est suivie n’est pas un châtiment divin qui se serait abattu sur cette pauvre femme; mais elle est bel et bien la conséquence directe de son regard.


Et la question se pose : cette pétrification de la femme de Loth est-elle due à ce qu’elle a vu, comme lorsqu’on est pétrifié de peur devant un film d’horreur, ou lorsqu’on est saisi par un tableau ou par une scène devant lesquels nous sommes littéralement « scotchés » - comme on dit ? Ou alors cette transformation est-elle due à l’intensité du regard de cette femme, qui cherchait à voir, encore et malgré tout, la région où elle avait vécu et qu’elle devait quitter à son corps défendant.
 
Un regard nostalgique…

La plupart des commentateurs penchent pour cette deuxième interprétation.[2] Ils comprennent le regard de la femme de Loth comme un élan de nostalgie si puissant qu’il la tiraille au point de la figer entre d’une part ses pieds qui sont en train de l’éloigner de sa maison et d’autre part ses yeux qui refusent de ne plus la voir.


Si l’on suit cette piste, nous pouvons alors nous interroger sur nos propres élans nostalgiques. Lorsqu’on ne se contente plus d’évoquer le bon vieux temps, mais qu’on continue d’y vivre encore, alors que ce temps est irrévocablement révolu. 


Cette attitude est étonnamment très présente dans les milieux d’Eglise, où l’on cultive plus souvent qu’à son tour la nostalgie d’un prétendu âge d’or, fait de temples pleins à craquer, d’une réelle emprise de l’Eglise sur la société, garante des mœurs et de la foi du plus grand nombre.
La pétrification qui s’ensuit est immédiate et tangible. Nos temples en sont d'ailleurs le plus parfait exemple, avec leurs bancs vissés au sol, leurs mobiliers liturgiques scellés, leurs chaires en voie de désaffection, leurs cantiques séculaires et leur aménagement frontal en complet décalage avec le reste du monde actuel. Combien de souvenirs d’enfance – aussi beaux et intenses soient-ils – ne conditionnent-ils pas ainsi l’immobilisme et l’inertie de nos vies d’Eglise ? Comme la femme de Loth, nous sentons bien qu’il faudrait nous réinventer, oser partir à l‘aventure, aller de l’avant, mais nous n’y parvenons pas, faute sans doute d’en éprouver le désir profond. Alors nous faisons semblant de changer, inventons de nouveaux concepts, de nouvelles théologies, célébrations, catéchèse, mais rien ne bouge vraiment, pétrifiés que nous sommes face à la perspective même de devoir quitter notre « glorieux » passé.
 
… ou un regard plein de fureur

Mais l’autre interprétation de la cause de la pétrification de la femme de Loth n’est pas non plus sans intérêt. 

Le « spectacle » auquel elle assiste en se retournant tient en effet du film d’horreur. Le livre de la Genèse le décrit ainsi : « le Seigneur fit tomber du ciel sur Sodome et Gomorrhe une pluie de soufre enflammé. Il soumit à un total bouleversement ces deux villes et leur population, ainsi que toute la région et sa végétation. »[3]


Le regard que la femme de Loth pose sur ce cataclysme n’est pas neutre. Si Dieu déchaîne ainsi sa colère sur les habitants de Sodome, c’est notamment parce que Loth, son mari, n'avait pas trouvé d'autre solution que de proposer à tous les mâles de cette ville de violer leurs deux filles pour préserver les anges qu’ils avaient accueillis chez eux.[4]


On imagine la fureur de cette femme qui n’avait pas eu son mot à dire pour tenter de sauver ses filles et ses hôtes des pulsions déchaînées de ces hommes en rut.


Son regard peut donc aussi être teinté de vengeance, voire d’une certaine satisfaction de voir ces violeurs en puissance anéantis par les foudres divines.


Difficile ici de ne pas faire le lien avec l’actualité horrifiante qui recèle son lot glauque et quasi-quotidien de maltraitance sexuelle d’enfants. Si cette actualité ne peut que susciter de l’indignation, ainsi qu'un élan de solidarité envers les victimes, le regard vengeur de la femme de Loth nous met en garde. Il nous rappelle que si la justice humaine a pour but de sanctionner des comportements fautifs, le jugement des cœurs revient en définitive à Dieu seul. Et que nous n’avons pas à nous en mêler, ni même à y assister.


Lorsqu’on lit aujourd’hui les récits d’exécutions publiques du Moyen-Age, on ne peut qu’être rebuté par la curiosité malsaine des spectateurs qui se pressaient alors pour assister au spectacle.


Les réseaux sociaux ont remplacé aujourd’hui les places publiques. Mais la curiosité malsaine et morbide est restée la même. Lorsqu’ils sont trop pleins de nostalgie ou de haine, nos regards tendent à nous pétrifier, à l’instar de la femme de Loth, et nous donnent alors l’allure de morts vivants.
 
Le regard qui envisage

On trouve fort heureusement un autre regard dans les récits bibliques : le regard de Jésus lui-même. Il en est fait mention dans le dialogue que le Nazaréen mène avec celui que l’on a pris l’habitude d’appeler « l’homme riche ». Ce dernier interpelle Jésus pour lui demander ce qu’il doit faire pour obtenir la vie éternelle. La réponse de Jésus le plonge dans une tristesse infinie, puisqu’il lui enjoint de vendre tous ses biens et de le suivre.


C’est trop demander à notre homme, qui repartira chez lui d’humeur sombre. Et pourtant l’évangéliste Marc prend soin de nous dire qu’avant de lui répondre, Jésus l’avait regardé avec amour.[5] 


Que dire de ce regard de Jésus sinon qu’il envisage ce que pourrait devenir cet homme ? Il n’est ni complaisant, ni mièvre, ni sévère, mais juste brûlant d’un amour à la hauteur de la quête de son interlocuteur : la vie éternelle.


Le regard qui envisage ouvre ainsi des perspectives exigeantes, propose des défis dont l’enjeu est de continuer à grandir sur le chemin qui mène à Dieu et donc à la plénitude d’une vie comblée.


Ce regard, nous sommes invités d’abord à le recevoir, à le laisser nous envisager au sens premier de ce terme et à nous faire emporter par lui au-delà de ce que nous imaginions. Et puis à le partager en le portant à notre tour sur celles et ceux que nous rencontrons.


Plus fort que les regards qui pétrifient, le regard qui envisage ouvre un avenir marqué par la confiance et par l'audace, une vie ouverte à la surprise et à la Vie, à l’itinéraire aussi louvoyant que sa destination est certaine.


C’est un chemin de partage, d’humanisation, de compagnonnage.
Ce regard posé par Jésus sur l'homme riche nous dit à sa manière : si aujourd’hui vous le sentez posé sur vous, n’endurcissez pas vos cœurs au point de devenir semblable à une statue de sel, mais laisse-le dissoudre ce sel qui vous habite pour donner du goût à votre vie et à celle des autres !
 


[1] Genèse 19,26
[2] Jésus lui-même semble avoir adopté cette interprétation lorsqu’il déclare « Souvenez-vous de la femme de Lot » (Luc 17,32) en parlant de la fin des temps et de la tentation de revenir chez soi plutôt que de se laisser emporter dans le mouvement créé par le retour glorieux du Christ
[3] Genèse 19, 24-25
[4] Gn 19,8
[5] Marc 17,21



Christian Vez



 

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