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lundi 4 novembre 2024

(Pr, FA, SB, Vu) Les mystères de l’Apocalypse. Prédication du 4 novembre 2024


Introduction aux lectures:

Apocalypse. Mot galvaudé, traité à toutes les sauces. Si souvent synonyme de catastrophe, de déchainements violents, d’anéantissement final.

Pourtant, en grec, apocalypse signifie «ouverture», ou «révélation». 

Écoutez cet extrait de l’introduction que donne à ce livre biblique la traduction en français courant :

«Ce livre se compose en grande partie de visions et de révélations. Il les exprime dans un langage symbolique et imagé, que les croyants, familiers de l’Ancien Testament, pouvaient plus facilement comprendre, alors qu’il restait mystérieux pour les autres lecteurs. (…)

L’affirmation centrale du livre est claire : en opposition au triomphe momentané des forces du mal, la victoire totale et définitive sera remportée, pour Dieu et pour les siens, par Jésus. (…) 

Les lecteurs d’aujourd’hui comprendront mieux ce livre difficile s’ils n’y cherchent pas les détails d’un avenir catastrophique. L’intention de l’auteur n’est pas de faire peur aux croyants (ni de décrire exactement ce qui viendra), mais de leur donner du courage dans les temps difficiles».

 

Lectures: Apocalypse 4, 1-11; Apocalypse 5, 1-10; Psaume 4, 2-9



Prédication

Le livre de la Genèse, qui raconte la Création, souligne un fait curieux: chaque fois qu’il invente quelque chose, Dieu dit que c’est très bon. Même quand il crée l’être humain! Ça vous étonne?

D’autres pages de la Bible sont plus réservées à ce sujet. Elles soulignent plutôt que notre espèce est aussi capable du pire. Car, oui, le Livre sacré est à notre image, et il décrit les faces sombres de l’humanité autant que les côtés ensoleillés!

L’Apocalypse appartient à la catégorie des plus pessimistes, vous l’avez deviné sans peine. C’est bien normal: elle a été composée dans une époque troublée, tissée de violences, d’injustices et de persécutions pour les chrétiens. Oui, un peu comme aujourd’hui!

En ce temps-là, ce sont les Romains qui tiennent le couteau par le manche. Les légions italiennes sèment la terreur au nom d’un empereur qui demande qu’on s’agenouille devant lui. Quiconque refuse est massacré sans pitié.

En particulier ce sont les disciples du Christ qui sont persécutés. Pourquoi? Parce que l’évangile est une force de résistance supérieure aux autres religions ou philosophies. Et une force de résistance qui donne des boutons de fièvre aux despotes, eh bien il faut l’abattre, ça ne rate jamais!

Dans ces temps opaques, il y a près de 2000 ans, un chrétien écrit un livre mystérieux qu’il nomme l’Apocalypse. Ce n’est pas le premier, loin de là. À cette époque, des quantités d’apocalypses sont rédigées, soit par des juifs soit par des chrétiens. Il y en a plusieurs centaines! La plupart ne sont pas dans la Bible.

Apocalypse veut dire «révélation»; ou «ouverture». L’auteur veut nous dire que, dans un sens imagé, Dieu ouvre dans l’Apocalypse un paquet fermé, caché. Et dans ce paquet, les croyants trouvent des réponses à leurs questions. Ou bien ils trouvent des consolations. Ou ils trouvent quelque chose qui donne un sens à leur vie, au milieu de leurs souffrances.

Leurs questions? Vous les devinez. «Pourquoi la violence a-t-elle le dessus? Pourquoi Dieu laisse-t-il tous ces gens qui croient en lui se faire massacrer par les djihadistes... euh pardon, par les Romains?»...

L’Apocalypse dite de Jean essaie de répondre à ces questions. Ou plutôt, de dire comment Dieu y répond. Nous verrons tout-à-l’heure qu’il y a là une nuance fondamentale. Elle le fait de manière imagée et codée, comme toutes ses semblables. Elle s’exprime par le biais de symboles, d’images, de chiffres; de fantasmagories. Mais on peut voir trois différences importantes entre notre Apocalypse et les autres. Trois différences qui vont correspondre aux trois dernières parties de cette prédication.


Première différence (montrer le «livre»): le livre qui donne les réponses, ce livre est fermé. Il y a sept sceaux qui empêchent de l’ouvrir. Impossible! Et on nous dit que personne de chez personne n’est capable de le desceller et d’en permettre la lecture.

Ainsi donc, les explications à nos mystères, elles restent cachées. Personne sur la terre, vraiment personne, ne peut donner des réponses justes aux questions des victimes, aux «pourquoi». C’est essentiel.

Il y a des quantités de gens qui croient savoir répondre à toutes ces interrogations. Ceux qui ont le pouvoir pensent détenir aussi le savoir. L’Empereur de Rome, par exemple.

Mais non. Sur terre, personne ne peut. L’Empereur de Rome pas plus qu’un autre. Seul un extraterrestre en est capable! Quelqu’un qui vient d’ailleurs, celui que notre Apocalypse appelle l’Agneau. L’Agneau, c’est une figure cachée du Christ, vous l’avez compris.

Vous voudriez ouvrir ce livre? Vous voudriez que je l’ouvre? Non, impossible. Il restera fermé. Ni vous ni moi ne sommes capables, ou «dignes» d’accéder aux réponses ultimes. Mais nous savons qu’elles existent, même si elles nous sont inaccessibles pour l’instant. Souvenez-vous en: nous savons qu’elles existent.

Deuxième différence avec les autres apocalypses de l’époque: c’est à propos du héros, celui qu’on appelle ici «le fort», «le lion de Juda», «le fils de David». Eh bien dans les autres apocalypses, on voit le SuperHéros arriver en pleine puissance, il venge les croyants massacrés, il élimine les méchants sans pitié. Il démolit les adversaires de Dieu. Bref, il fait trois fois plus de mal que ceux qu’il combat n’en ont commis!

Jésus n’agit pas ainsi, vous l’avez compris. Il est «le lion de Juda», «le fort», «le descendant de David», oui, mais il a l’apparence (vous vous souvenez?),   il a l’apparence d’un agneau. Et davantage encore: d’un agneau égorgé.   Jésus ne vient pas détruire les méchants qui nous massacrent ou nous terrorisent; il vient souffrir avec nous, comme nous. Il est solidaire de tous les égorgés de la terre.

Et c’est vraiment ce qu’il a fait: en acceptant de mourir crucifié, il nous donne la plus belle preuve de solidarité pour nous. La plus belle manière de nous dire «je t’aime». De nous aider à vivre.

Et puis, il nous donne le plus fort enseignement de ce dont nous parlions il y a quelques mois, un enseignement éminemment moderne: que la violence ne se soigne pas par la violence. Toute agression ne fait qu’augmenter la haine. La seule façon de guérir ce monde des violences qui le meurtrissent, c’est l’amour, et encore l’amour; et le pardon; et le respect. Dire «stop» à la terreur, à la vengeance, et à la haine. Trouver une attitude autre, vous vous souvenez? Tendre une autre joue.




Troisième différence avec les nombreuses apocalypses de l’époque: Dieu! Les autres apocalypses décrivent Dieu en long et en large, comment il est lumineux, et puissant, et cuirassé, et chamarré... Ici, on nous parle presque uniquement du trône du Père céleste; et de tout ce qui entoure son siège royal.  Mais Dieu, lui, on n’en parle pas. On ne nous dit jamais comment il est, à quoi il ressemble.

Pourquoi? Eh bien, parce qu’il y a cette interrogation qui nous coince. Cette question qui nous reste en travers de la gorge, et que vous connaissez bien: «Si Dieu règne sur ce monde, alors pourquoi laisse-t-il faire toute cette violence que nous subissons, tout ce mal, ces injustices?»

À cette interrogation, nous l’avons dit déjà, personne ne peut donner une réponse exacte et parfaite, aujourd’hui comme hier. Le livre (montrer) restera fermé. Dieu est invisible, il nous échappe. Nous sommes incapables de comprendre; à l’image d’un petit enfant qui ne peut pas s’expliquer pourquoi il doit aller au lit avant son grand frère... Ici, j’aime le dire, ici-bas nous sommes au pays des «pourquoi». Mais là-haut, vers Dieu, un jour nous accèderons au royaume des «parce que».

Mais attendez avant de sortir de ce lieu de culte! Souvenez-vous d’un détail, dans le passage que nous avons lu. Un détail «essenciel» (sic) ! La vision de l’Apocalypse dont nous parlons, où se passe-t-elle? Le prophète qui la décrit, où situe--t-il la scène? Eh bien, au Ciel. Et pas sur la terre.

Et là, au Ciel, c’est une vision de paix totale, de bonheur, de douceur. Toute interrogation trouve une réponse parfaite. Il y a des coupes de parfum, des chants; la réconciliation.

Alors ce qui est ouvert, ce qui est révélé, oui, ce qui est annoncé, c’est que la douceur et la sérénité sont au Ciel, d’accord; mais qu’elles ne sont pas complètement séparées de nous pourtant. Car le point fondamental, il est ici: on nous dit que les prières des croyant.e.s sont ces parfums qui nous relient au monde parfait de Dieu.

Donc, dans la prière, dans l’espérance, les chrétiens contemplent déjà ce bonheur à venir. Ils peuvent commencer déjà à le vivre ici-bas. De même que, quand je reçois une invitation pour une fête, je commence à en vivre la joie;  ça me donne du plaisir, déjà!


Au fond, ce que nous dit l’Apocalypse de Jean, c’est que Dieu ne règne pas sur ceux qui terrorisent, sur ceux qui égorgent les autres. Dieu règne sur celles et ceux qui prient, qui espèrent; sur celles et ceux qui contemplent déjà la paix du Ciel, la douceur qu’il nous prépare pour la vie éternelle.

Dans notre vie spirituelle, ouvrons donc nos yeux sur ces réalités, cachées mais que la foi nous permet d’entrouvrir! Quand nous sommes proches de l’Agneau qui nous sauve, nous pouvons discerner le vrai bonheur, déjà. Et en témoigner, en rayonner autour de nous. Si nous savons en reconnaître les signes, nous devenons des hirondelles qui annoncent le printemps du Christ; qui l'anticipent; qui l'aident à advenir!

Sachez-le, nous dit l’Apocalypse d’un bout à l’autre: le dernier mot de l'histoire appartiendra à Dieu. Amen


Jean-Jacques Corbaz


Après l’interlude:

Apocalypse. Si souvent synonyme de catastrophe, de déchaînements violents, d’anéantissement final.

S’il y a catastrophe, dans la Bible, quand elle parle d’apocalypse, cette catastrophe ne vise que les systèmes totalitaires qui prétendent asservir l’homme. À Antiochus, à Néron, comme plus tard à Hitler ou Staline, elle redit sans cesse : «Tu n’es pas éternel. Tu vas t’effriter, regarde ton bel édifice comme déjà il se lézarde.»

Mais aux croyants, et plus largement à toute personne, surtout aux victimes et aux persécutés, elle tient un tout autre langage. L’Apocalypse leur demande, parfois avec tendresse, de tenir debout; de garder courage et sérénité; de veiller. Elle leur dit que Dieu a mis toute son espérance en eux; et que dans le monde ils sont témoins des signes du renouveau, des signes du monde neuf que Dieu fait naître au milieu de nous.

Si nous savons les recon-naître (et vous savez que naître ne se fait jamais sans douleur!), si nous savons les reconnaître, nous pouvons devenir nous aussi les hirondelles qui bien sûr ne font pas le printemps de Dieu, mais qui l’annoncent, qui l’anticipent, qui l’aident à naître.

Apocalypse: révélation. Révélation de toute l’affection que Dieu a pour nous, au milieu de nos détresses : «Ne crains pas, dit Dieu. N'aie pas peur, car je suis avec toi» (Esaïe 43). 


Jean-Jacques Corbaz


P.S. Voir le document plus général sur l'Apocalypse, qui donne quelques indications sur les codes, les chiffres ou les nombres, les couleurs et autres difficultés de ce livre biblique pas comme les autres:  
http://textesdejjcorbaz.blogspot.ch/2012/11/lapocalypse-revelation-que-le-dernier.html



Envoi: le mystère de Dieu

Ce que nous comprenons des paroles de Dieu, c'est beaucoup moins que ce qui nous échappe. Ses paroles sont comme une source où chacun peut se désaltérer, mais que personne ne peut épuiser.

Réjouis-toi donc d'avoir pu apaiser ta soif, mais ne te désole pas que la richesse de la source te dépasse. Ne t'attriste surtout pas d'être incapable d'épuiser cette richesse: mieux vaut que la source étanche ta soif plutôt que ce soit ta soif qui épuise la source.

Si elle n'est pas tarie, tu pourras y boire encore, chaque fois que tu auras soif. Mais si, en te rassasiant, tu épuisais la source, ta victoire deviendrait ton malheur!

Remercie pour ce que tu as reçu, et ne t'en fais pas pour ce qui n'est pas utilisé. Dieu a truffé sa parole de richesses multiples, pour que chacun puisse y contempler un trésor, selon ce qu'il aime…  (d‘après Saint Ephrem de Nisibe)



samedi 26 octobre 2024

(Po, Co) Marche lente automne terrien


Le passé sur ses épaules alourdissait ses omoplates. Un peu plus épais peut-être que la moyenne, un peu plus grand. Mais n’était-ce pas qu’une impression?


Ces heures intimes du milieu de la nuit étaient son domaine. Dans les rues du village, où les siècles collaient aux façades; à travers les champs, où le passé couvait, silencieux mais présent. Peu d’années. Peu d’années encore, mais grosses de temps mort, mais lourdes de tant porter. Peu d’années vécues, combien à déployer?


Un bruit d’automobile, au loin. Promeneur hâtif vers son port, rejoindre le feu, chaleur de vie. Les autres. Le lit. Les murs. Sécurité.


Le passé dans son dos le courbait contre terre. Terre grasse et indolente de ses ancêtres paysans. Terre vieille et sûre qu’il rejoindrait - un jour.


Sa pensée cheminait à grands pas bottés, semelles épaissies par la boue glaise. Je viens, tu sais, je viens. Mais j’arrive avec tout ça dans ma hotte: mon pays, mes collines, ces pommiers, ces maisons. J’arrive avec ces hommes gestes lents, bouche lente, pensées lentes; mais si pleins, si pleines. J’arrive avec mon cœur, mes pipes, mes souvenirs tièdes ou glacés. Mes espoirs demi-ton. Mes compromissions. J’arrive avec le temps passé sur mes épaules.


Je viens. Mais pourquoi je vois si mal? Le brouillard est-il partout autour de moi? Non, il y en a aussi sur mes lunettes; poussières, saletés. Et puis non, il y en a encore dans ma tête, mes brumes d’avoir tant existé.


Le passé sur ses épaules alourdissait sa marche. C’est ainsi qu’il allait, au rythme de sa terre. La récolte est maigre, cette année. Les pommes-de-terre trop grosses ont un vide au milieu. Les épis trop petits. La vigne mal mûre.


Le pays l’empêchait de courir. Même de vouloir courir. La mort immobile, même pas menaçante, et pourtant inexorable. La mort enracinée dans le terroir, avec les vieux, avec les autres, dans les virgules et les soupirs.


Le passé annonçant la mort pesait sur ses épaules. C’est ainsi qu’il traînait sa lente presqu’espérance. Ne le jugez pas, coursiers de l’avenir galopant à son approche, ne le jugez pas. Je crois que c’est comme cela qu’il vivait, et qu’il vivait heureux.



Jean-Jacques Corbaz,14.10.77  



(Po, Co) Dans le brouillard forclain

La forêt d’en-haut a mis sa houppelande pâle. Un étang, promeneur mollusque, traîne au ras des collines, bras baladeurs. Les chalets se blottissent les uns contre les autres.
C’est l’heure grise où l’on repense aux vieux, que l’on croyait perdus.


Il descend sur nous. Enlace mollement nos maisons engourdies. Estompe nos contours dans un rêve embrumé, insaisissable.
C’est l’heure triste où tombent nos bras fatigués.


Mon  cœur
est un îlot où s’arc-boute la vie. Mais dehors, tout sourire lui paraît étranger. Un point, le début d’un rayon, pour un départ. Nommé espoir.


C’est l’heure blanche, petit matin, où l’on sait bien que tout repartira.

Dans le brouillard, l’espérance est vive. Elle me sauvera.


JJ Corbaz, le 5.7.77

 

 

(Po) Rendez-nous notre été


Rendez-nous notre été,
L’été qu’on nous a volé,
Le soleil de juillet,
Les chaudes soirées étoilées,
Mon cœur en paix.

Rendez-nous notre été,
Celui qui a filé
Droit sous mon nez,
Parti, sans se retourner…

Rendez-nous notre peur,
Trafiquants de la méfiance,
Laissez-nous ce chemin de partance,
D’adolescence (pas fuite, mais distance!),
N’y posez pas vos gros souliers.

Le saurez-vous?
C’est notre bonheur,
C’est notre liberté gagnée
Que de pouvoir, peu à peu, l’apprivoiser.

Rendez-nous notre paix.
Et vous… rendez-vous en été!


Jean-Jacques Corbaz, 24.7.1977  


jeudi 24 octobre 2024

(Po) Minuit

Regarde les choses:
Le monde qui tourne son surplace,
Ma maison, bateau qui flotte au milieu de la nuit,
L’oeil rond de l’église qui fixe l’éternité.

Regarde le vent,
Le vent qui tombe, et ça fait un grand creux,
Le vent qui troue le temps quand il s’en va,
Un calme immense où tout se fond.

Regarde les hommes,
Paisibles angelots déchus détendus pour la trêve,
Polissons endormis méconnaissables
Mais rêvant leurs peurs et leurs désirs.

Regarde leurs rêves,
Le général qui joue à saute-mouton tout seul,
Le copain qui grandit jusqu’à crever la terre
Et le petit berger qui devient loup-garou.

Regarde minuit:
Le jour change alors que tout est immobile,
Le jour marmonne, liturgie incompréhensible,
Et le veilleur fait signe de dormir.

Regarde la nuit:
Les prophètes reprennent leur souffle,
Le futur s’en vient, lentement,
Le chemin ne sera jamais plus comme avant.

Regarde,
Paupières closes,
Tu ne peux pas dormir?
Dans l’heure chose
S’ouvre ton avenir.

Veux-tu être émerveilleur?


Jean-Jacques Corbaz, 9.12.1976   



dimanche 22 septembre 2024

(Pr) Prédication du 22 septembre 2024 Le Kadénec, ou Dieu nous cherche

Lectures bibliques: Esaïe 65, 1-2; Matthieu 13, 44-46  

Il était une fois, en Bretagne, près de la mer, un petit garçon nommé Gaël. Son père était pêcheur, comme presque tout le monde là-bas à cette époque. Gaël rêvait, lui aussi, de s’embarquer tous les matins, très tôt, quand le jour n’est pas encore levé, pour aller pratiquer le métier de ses ancêtres. Mais un incident allait orienter sa vie tout différemment.

À l’âge de dix ans, Gaël est considéré comme un grand. Dès ce moment, il peut accompagner son père sur le bateau. Tout fier, tout excité, il embarque, et il est très heureux d’aider à la  manœuvre
et à préparer les filets.

Ce premier jour de sa nouvelle vie, quand la nuit se dissipe, est un instant magique. Gaël ne se lasse pas de contempler la mer, les poissons, les oiseaux, tout cet univers fascinant qui désormais est le sien, aussi.

Mais soudain, il appelle: «Papa, qu’est-ce que c’est, cette grosse bête qui a l’air de venir vers nous?»

Son père regarde dans la direction que lui indique Gaël, mais il ne voit rien. «Mon fils, tu as rêvé. C’était peut-être l’ombre d’un nuage sur les vagues.» Mais le garçon insiste: «Mais non, je le vois bien, il est à une centaine de mètres, et il s’approche.»

Le père alors comprend: «Malheur, mon enfant, c’est un Kadénec. C’est un monstre dont parlent nos vieilles légendes. On dit qu’il choisit sa proie, un jeune pêcheur, et ne la lâche plus. Seule sa victime peut le voir, il reste invisible pour tous les autres. Il poursuit celui qu’il a choisi jusqu’à ce qu’il l’attrape, et l’entraîne avec lui au fond de la mer, où il le noie.»

Tout effrayé, Gaël, supplie: «Mais qu’est-ce que je peux faire pour lui échapper?» «Eh bien, dit le père, il n’y a qu’une seule solution: rester sur la terre ferme. Là, il ne pourra jamais t’atteindre.»

Gaël se met à pleurer. Il se réjouissait tant de pouvoir aller pêcher, lui aussi! Il va devoir apprendre un autre métier, faire sa vie de manière toute différente.

Les années passent. Gaël est devenu marchand. Il achète les poissons aux pêcheurs et les revend dans sa boutique ou au marché. Mais toujours il a la nostalgie de la mer, son existence lui paraît bien fade, de ne vivre sa passion qu’au travers des récits de ses fournisseurs et de ses proches. Dès qu’il le peut, il va sur le rivage contempler les vagues, puissantes, écouter les oiseaux qui crient, sentir le parfum merveilleux de l’eau, des algues, des poissons… Et toujours, quand il regarde vers le large, il voit le Kadénec qui va et vient à quelques centaines de mètres de lui, et qui a l’air de l’attendre.

Devenu vieux, Gaël est de plus en plus intrigué par ce monstre, incroyable d’obstination, qui ne semble s’intéresser qu’à lui seul. Il est à la retraite maintenant, un de ses fils a repris son commerce, et les autres sont devenus pêcheurs, bien sûr, sur les traces de leurs ancêtres.

Lorsqu’il sent que les années se sont accumulées sur ses épaules et que sa vie touche à sa fin, Gaël prend sa décision: il ira sur la mer, y finir ses jours. Il affrontera le Kadénec, il essaiera de le tuer pour qu’il ne poursuive pas d’autres jeunes marins.

Alors il achète un bateau muni d’un gros harpon, celui qu’on utilise pour la chasse à la baleine. Il dit adieu aux siens, et s’embarque.

Au large, il voit le Kadénec qui fonce vers lui. Gaël l’attend, et quand le monstre est assez proche, il lui tire dessus.

Touché à mort, l’animal mobilise ses dernières forces pour venir à quelques mètres de l’homme. Et dans son dernier souffle, il lui murmure: «Malheureux! Tu m’as tué. J’ai cherché à te rejoindre toute ta vie pour t’apporter un trésor. Je voulais te rendre riche et heureux. Mais maintenant, c’est trop tard. Nous allons mourir tous les deux, et ce trésor restera inutile. Adieu, Gaël.» Et le Kadénec disparaît. À tout jamais.

 
Dino Buzzati dans les années 1950

Ce conte est une adaptation libre d’une nouvelle du romancier italien Dino Buzzati, un texte qui m’accompagne depuis quelque 50 ans.

À sa lecture, je me suis dit que, pour beaucoup de nos contemporains, Dieu est un peu comme le monstre de notre histoire. Il voudrait à tout prix nous rejoindre, il est là, près de nous, il nous attend, inlassable. Mais nous le fuyons parce que nous en avons peur. On nous a raconté tant d’histoires terribles à son sujet!

Pourtant, en réalité, Dieu ne veut que notre bonheur. Il ne souhaite que nous offrir le trésor d’une vie riche et heureuse. Mais ça nous effraie trop.

Savez-vous: même ce qu’il nous demande, comme de partager avec les autres ou de pardonner à qui nous fait du tort, même cela, si nous le mettons en pratique, même cela nous offrira une vie plus heureuse, plus légère, libérée des ornières où nous sommes trop souvent enfoncés par notre égoïsme, ou par notre colère, ou par nos rancunes. Fréquemment, ça nous fait peur de nous engager sur ce chemin-là; où ça nous paraît impossible; ou trop pénible.

Alors, nous nous éloignons. Et lui, sans nous forcer, sans nous contraindre, lui il ne peut que nous attendre. Patiemment, il reste là, disponible, en espérant tellement que nous nous approchions! «J’ai constamment tendu les mains à des gens qui n’en voulaient rien», affirme-t-il dans le livre d’Esaïe.

«J’ai dit: ‘Je suis là, j’arrive’», note-t-il encore. Et l’expression que l’hébreu utilise ici («hinnéni») est celle qu’un soldat crie quand il est appelé: il répond «Présent!»

Imaginez une recrue dans la cour de la caserne. Au moment de l’appel, personne n’a mentionné son nom. Les autres sont déjà partis à leurs tâches, mais notre soldat est toujours là, au garde-à-vous, et il crie «Présent!», «Présent!» au milieu de l’indifférence générale. Il serait ridicule, vous pensez bien!

Voilà comment Dieu se comporte: il est ridicule de nous répondre «Présent!», «Je suis là», quand nous ne l’avons pas appelé. Mais il affronte ce ridicule, tant il a envie de nous rejoindre.

Malheureusement, comme le héros de la nouvelle, trop souvent, ce n’est qu’à l’heure de notre mort que nous osons aller vraiment au-devant de lui. Mais il est bien tard!

Pourtant, contrairement à Gaël, il n’est jamais complètement trop tard, j’en suis convaincu. Même si nous sommes sur notre lit de mort, Dieu peut toujours nous donner des richesses qui nous permettront de nous sentir plus heureux et libres.

Mais ça, vous le savez! Je sais en effet que je prêche à des convaincus!


 

Pour conclure en souriant, je vous propose un excellent sketch de Raymond Devos: «L’homme existe». Comme un écho à mes réflexions et à celles de Dino Buzzati.

Passant devant une libraire, j’ai lu dans la vitrine ce titre : «Dieu existe, je l'ai rencontré !»


Ça alors ! Ça m'a stupéfait !


Pas que Dieu existe, la question ne se pose pas !


Mais que quelqu'un l'ait rencontré avant moi, voilà qui me surprend ! 

Parce que, savez-vous, j'ai eu le privilège de rencontrer Dieu, juste à un moment où je doutais de lui !
C’était dans un petit village de Lozère abandonné des hommes,
il n'y avait plus personne.


En passant devant la vieille église, poussé par je ne sais quel instinct, je suis entré... 

Et, là, j'ai été ébloui... par une lumière intense... insoutenable !


C'était Dieu... Dieu en personne… Dieu qui priait !


Je me suis dit : «Mais qui prie-t-il ? Il ne se prie pas lui-même ? Pas lui ? Pas Dieu !»


Mais non ! Il priait l'homme ! Il me priait, moi !


Il doutait de moi comme j'avais douté de lui !
Il disait : - Ô homme ! si tu existes, donne-moi un signe de toi !


Alors j'ai dit : - Mon Dieu, je suis là !


«Oh!» Il a dit : «Miracle ! Une humaine apparition !»


Je lui ai dit : «Mais mon Dieu... comment peux-tu douter de l'existence de l'homme, puisque c'est toi qui l'as créé ?»

Il m'a dit : «Oui... mais il y a si longtemps que je n'en ai pas vu un ici, dans mon église… que je me demandais si ce n'était pas une vue de l'esprit !»

Je lui ai dit : «Te voilà rassuré, mon Dieu !»


Il m'a dit : «Oui ! Je vais pouvoir leur dire à tous, là-haut : ‘L'homme existe, je l'ai rencontré !’»

Raymond Devos en 1980

  

Amen
 

Jean-Jacques Corbaz (d’après une nouvelle de Dino Buzzati, «Le K»)

  

dimanche 15 septembre 2024

(Pr, Ré, Hu) À l'heure de Dieu: Jeûne de faire?

Prédication du Jeûne Fédéral, 9 et 15 septembre ‘24: "Vivre amicalement avec qui?"

 

Introduction aux lectures:

Le Jeûne Fédéral est une fête qui nous invite le plus souvent à deux sortes de choses: d’une part la reconnaissance envers Dieu pour ce qu’il nous donne; et d’autre part la solidarité avec les autres, qui en est la conséquence. Aujourd’hui, je vous propose (mais vous n’avez pas trop le choix!), je vous propose d’explorer une troisième dimension: l’invitation à prendre soin d’une créature que parfois nous avons tendance à négliger. Je veux parler de nous- même!


Lectures: Matthieu 6, 5-6, 24-27; Matthieu 18, 12-14; Luc 12, 32-34


L’autre jour, je rencontre un ami dont le patron soigne une tumeur cancéreuse plutôt inquiétante. “Comment il va?” je demande.

“Eh bien, nettement mieux, répond mon ami. Le traitement est efficace, ça lui fait du bien. Il a retrouvé ses forces, quel plaisir! On peut presque dire qu’il est redevenu comme avant.”

Et puis mon ami se reprend et ajoute: “En fait non, il n’est plus comme avant. Maintenant, il prend le temps de vivre. Il joue avec ses petits-enfants, il leur fait découvrir les beautés de la nature. Il pense moins au travail, on dirait que sa maladie lui a fait retrouver un nouveau goût de vivre, et des autres valeurs. Il passe plus de te
mps avec c
elles et ceux qu’il aime, et moins dans son entreprise.”
 


Ces mots m’ont fait réfléchir. Comme pour ce patron avant son cancer, souvent notre société, notre style de vie nous poussent à travailler, à produire, à faire plutôt qu’à être. À avoir plutôt qu’à aimer. Et il est bien dommage que ce soient souvent des maladies ou des accidents qui nous fassent revoir nos priorités.

Sur une montre qu’on m’a offerte il y a quelques années est gravé ce texte: «Prends le temps de vivre amicalement avec toi-même». Il s’agit du début de la règle de la communauté protestante de Reuilly, en France. Et c’est surtout une belle injonction pour nous, gens stressés du 21è siècle, à l’occasion de ce Jeûne Fédéral.

«Prends le temps de vivre amicalement avec toi-même». C’est également une conséquence logique des promesses de l’évangile, en particulier telles que les ont développées et mises en valeur les Réformateurs comme Luther et Calvin: Dieu nous aime gratuitement, comme nous sommes, sans nous demander de faire ceci ou cela pour mériter sa tendresse. Il nous sauve par grâce, par libre choix. Ce ne sont pas nos actes, nos oeuvres, qui nous permettent d’entrer au Paradis, non: c’est le pardon divin, attesté sur la croix. Depuis que Jésus est mort pour nous, notre Jugement Dernier a déjà eu lieu. Nous sommes sauvés depuis 2000 ans!
  

Vous voyez sans doute la logique: si Christ nous accorde le Bon Dieu sans condition (je veux dire: le Paradis gratis pro Deo!), alors nos vies peuvent être mieux libérées du souci de faire, de produire; de rentabiliser et d’amasser.

Elles peuvent, mais ce n’est pas automatique, hélas! Et nous le savons bien:  ce n’est surtout pas facile du tout. Parce que ce siècle, qui s’est tant éloigné des valeurs chrétiennes, nous contamine dangereusement. Matérialisme; rendement; paraître; avoir... Dominer les autres… Qu’est-ce qu’il est difficile de résister à ces virus qui se propagent partout, insidieusement! Et pour cela, aucun masque n’a la moindre efficacité!

Il faut énormément de caractère, de volonté, pour ne pas nous laisser entraîner à courir avec la foule derrière le «faire»- (le «faire» qui repasse sans cesse! - veuillez m’excuser, je n’ai pas pu résister à ce jeu de mot)!

Pour garder nos priorités, pour mieux tenir bon, il est utile de relire souvent l’Évangile. De s’arrêter. De respirer. De prier! De jeûner aussi, mais pas forcément au sens de se priver de nourriture, plutôt de faire une pause dans notre manière de vivre... et dans notre manière de courir! Important aussi de méditer souvent le verset «Ne vous inquiétez pas du lendemain».

Quand Jésus dit «Pour prier, ferme ta porte», je le comprends ainsi comme un appel à s’éloigner du monde, de ses pressions et de ses fausses priorités. Quand tu veux te rapprocher de Dieu, écarte-toi du tumulte, des désirs d’avoir, et rends-toi disponible à Celui qui n’est que gratuité, douceur et paix.


C’est ainsi que ce Jeûne Fédéral nous invite à cultiver assidûment notre relation avec l’Évangile. L’Évangile qui est une force de résistance à cette mode insidieuse qui voudrait nous faire croire que le bonheur s’achète; que plus on possède et plus on est épanoui; et que plus on fait, et meilleur on est.

Compétition sociale... Repli sur une identité, par peur des autres... Violence... Fuite… Crainte d’échouer… Angoisse en pensant à l’avenir… Tous ces maux de notre époque, si nous voulons les éviter, nécessitent un antidote fait de relation sereine avec le Ciel; de contemplation; de prise de distance d’avec ce qui nous agresse. Puissions-nous y travailler en nous-même. Du coup notre Terre deviendra plus vivable!

Puissions-nous aussi créer ou favoriser davantage de lieux et d’occasions où nos contemporains puissent vivre ce travail intérieur de rapprochement avec le Christ, notre Prince de la Paix. Et vous savez que «prince» veut dire d’abord «premier». Celui qui précède les autres! Jésus est donc au premier rang des personnes à avoir trouvé la paix en elles-mêmes, et il veut nous entraîner sur ce chemin.

 


Et si nous n’avons pas le temps d’ouvrir notre Bible ou de nous joindre à un groupe de méditation ou de prière, si nous sommes trop pressés, je nous encourage à au moins graver quelque part bien en vue (sur notre montre, sur notre agenda, nos calendriers... sur notre coeur) je nous encourage à graver en lettres d’or ces mots tout simples:
“Prends le temps de vivre amicalement avec toi-même”.
Amen                                          

Jean-Jacques Corbaz 

 

(Pendant l'interlude, on se passe la montre:)

 

 

 
(après l’interlude, ce texte que j’aime, et qui aborde notre thème sous un angle à peine différent:)


Un plombier britannique compte traverser l'Atlantique à la rame...


La nouvelle a pu vous échapper, cachée qu'elle était dans un cahier secondaire du journal. C'est pourtant une nouvelle importante. Une nouvelle qui nous dit que l'homme s'ennuie. Rien de moins.

Le dimanche matin, il boit son café et lave sa voiture, mais que voulez-vous qu'il fasse d'autre le dimanche après-midi sinon traverser l'Atlantique à la rame ?

Dieu a créé l'homme pour le défi, pour le record, pour le parcours du combattant, pour le dépassement. Disons-le, Dieu a créé l'homme pour l'impossible.

Or, qu'est-il arrivé ? On l'a vu, l'homme, après avoir bien répondu à la volonté de Dieu au tout début, après s'être épuisé à frotter des pierres pour faire du feu, après avoir mené vaillamment quelques guerres de cent ans et gagné quelques trophées dans la boue, l'homme a inventé la serviette de plage, la crème à bronzer... et il a inventé aussi les athlètes professionnels pour gagner des trophées dans la boue à sa place.

Mais, le voilà maintenant qui s'ennuie, parce que ce n'est pas pour ça que Dieu l'a créé. Je vous l'ai dit, nous sommes faits pour le défi.

Attendez-vous donc à rencontrer de plus en plus de plombiers sur l'Atlantique... Et si par malchance vos lavabos sont bouchés, patience : sachez qu'un plombier moyennement en forme met environ quatre mois pour traverser l'Atlantique à la rame.

Pierre Foglia, La Presse (Montréal), 2.7.1988  


 



vendredi 23 août 2024

(Hu, Co) Anecdotes vécues par JJC pasteur

J’ai plaisir à vous conter de brèves anecdotes vécues, qui m’ont fait sourire… ou sursauter! J’ai modifié quelques noms par souci de discrétion.



Le pasteur de Palézieux
Chaque mois, nous pratiquions un «échange de chaire» avec la paroisse voisine, ce qui nous permettait de ne pas avoir à préparer une prédication cette semaine-là. C’est ainsi que, de «Palouze», j’étais devenu un familier des voisins d’Oron-Châtillens, tout proches, en particulier des organistes, concierges d’église et lecteur-trices.

Or il arriva qu’un certain dimanche, mon collègue Jean de Benoit étant indisponible, un remplaçant fut mandaté par l’Eglise cantonale, un pasteur retraité. Arrivé à la sacristie de Châtillens, il y est reçu par la toute brave concierge, Simone. Et il se présente: «Bonjour, je suis le pasteur de Palézieux!»
Stupeur de l’accueillante, qui réplique: «Mais non, je le connais bien, le pasteur de Palézieux, il est nettement plus jeune que vous…»
Le remplaçant s’appelait Etienne de Palézieux!

Raciste, moi?
La scène se déroule pile au même endroit: la sacristie de Châtillens. Cette fois, c’est moi qui viens célébrer le culte. M’accueillent Simone, donc, ainsi que le lecteur, Jeannot, un jeune paysan des Tavernes à peine plus âgé que moi.
Le tutoiement était encore rare en ce temps-là. Je serre donc la main de Jeannot: «Bonjour Monsieur!». Et lui de répliquer: «Vous êtes raciste?»
J’en ravale ma chique, moi qui commence à être bien connu pour des positions plutôt progressistes et qui ai vécu une année au Cameroun pour mes études. Vraiment inattendu.
Je balbutie: «Mais pourquoi dites-vous ça?». Et lui de sourire: «Parce que vous tutoyez les jeunes de Palézieux, et pas ceux des Tavernes!»
«OK, alors volontiers! Salut Jeannot!»

Le «do»
Cette chorale répétait un morceau difficile. Les messieurs en particulier avaient de la peine à respecter le bon tempo.
Finalement, le directeur trouve la parade: «J’invite les soprani à rester plus longtemps sur le ‘do’, pour que les ténors puissent entrer plus facilement»!

Le candidat
J’avais sollicité un ami afin d’étoffer la liste de candidats pour l’élection au Grand Conseil. Je savais qu’il était connu et apprécié dans tout le district, et que c’était donc une bonne pioche pour le parti. Chance, il accepte. Merci, Max!
Peu après, je le rencontre et lui demande comment ça va. «Ben, il y en a beaucoup qui ont peur de ne pas être élu. Moi, j’ai plutôt peur d’être élu!»
Élu, il le sera, effectivement. Et brillamment.

Berthe et le thé de St-Gall
Cette paroissienne âgée était très attachante. Veuve depuis longtemps, elle se débrouillait plutôt bien dans son intérieur.
À chacune de mes visites, elle me servait du thé. Et toujours le même commentaire: «Vous verrez, il est bon! Il vient de St-Gall, je le commande par la poste!»
Sauf qu’avec les années, les gestes préparatoires devenaient… disons aléatoires! Elle mettait chauffer l’eau avec un plongeur, et il me semblait qu’à chacune de mes venues, elle retirait l’objet de plus en plus tôt. De bouillante, l’eau est devenue peu à peu simplement chaude, puis tiède… Et le thé de plus en plus fade, bien entendu. Je dégustais le breuvage en souriant intérieurement.
Lors de ma dernière venue, dix jours avant sa mort, l’eau était carrément froide. Elle avait oublié de brancher le plongeur. Comme pour anticiper une fin de vie devenue inéluctable.
Adieu, Berthe! Que l’eau de là-haut vous soit pleine de bon thé!

Repose en paix

Un entretien pour préparer un service funèbre. La défunte m’est inconnue, habitant une autre paroisse pour laquelle je suis de permanence pendant les vacances de mes collègues.
J’accueille les trois fils, que je ne connais pas davantage. Afin de les mettre à l’aise, je dis avec empathie: «J’imagine que vous êtes très tristes».
«Ah non, font-ils. C’était une charogne de bête!» Et de m’expliquer à quel point elle leur avait pourri la vie, du début à la fin… Aïe! Donc pas d’éloge funèbre, Monsieur le pasteur!
Pour une fois, ces fils ont fait mentir la chanson de Brassens: «Les morts sont tous des braves types»!

Mariage mixte
C’est l’histoire d’Evelyne et Raymond, elle catholique (d’une famille très engagée et conservatrice) et lui protestant. Et lui paysan. Il me téléphone un soir pour m’annoncer leur mariage, et nous prenons rendez-vous pour préparer la fête.
Le jour dit, je les attends à la cure. Mais au lieu de ma porte, c’est mon téléphone qui sonne.
Au bout du fil, le père de Raymond, notable du village. «Mon fils ne viendra pas, ce mariage n’aura pas lieu».
Aïe! Bien sûr, il se révèle que les dissensions confessionnelles sont à la base de ce refus. Je repense à l’histoire de Claire et de Louis, dans le même cas (Claire et Louis qui s’aiment, mais qui ont dû vieillir loin l’un de l’autre à cause de l’interdiction parentale. Avec l’âge, Claire est devenue sourde, et presque en même temps, Louis a perdu la vue. Logique: Louis ne pouvait plus voir clair, et Claire avait perdu l’ouïe!).
Mais Evelyne et Raymond, eux, trouvent rapidement une solution! Ils se débrouillent pour que l’amoureuse tombe enceinte. Dès lors, les parents n’osent plus s’opposer à «régulariser la situation», comme on dit en ce temps-là.
Le jour de la cérémonie religieuse, le père de Raymond reste un peu bloqué, ou peut-être intimidé, devant la chapelle catholique où nous allons bénir le couple. C’est l’heure de commencer, et il ne se décide pas à entrer. Je le prends alors par le bras et lui dis gentiment: «Venez, Monsieur Rochat, vos enfants vous attendent.»
Le mariage est béni par le prêtre et le pasteur, comme c’est souvent le cas alors. Et si la cérémonie a lieu dans une chapelle catholique, les enfants seront baptisés protestants. Jolie manière d’éviter qu’il y ait des perdants!
La morale de l’histoire, c’est que l’oubli d’une pilule peut faire avancer l’œcuménisme bien davantage que certains colloques spécialisés!

«Je me donne à toi»
Amour-sourire par contre, que de la bonne humeur, pour bénir l’union de Paulette et Jean-Luc. Elle aussi enceinte, et ça commence à se voir et se savoir. Une telle situation est fréquente autour de 1980, mais il y a toujours une petite gêne «morale» quand même, dans ce village paysan et plutôt conservateur.
Les mariés avaient choisi une formule en usage dans l’Église catholique, échanger les promesses sous forme de dialogue. Entre autres, chacun dit à l’autre «Je te reçois comme époux/se et je me donne à toi».
Au moment où Paulette, d’une voix émue, mais ferme, arrive au «je me donne à toi», son père, pince-sans-rire, ajoute mezzo voce, mais on l’entend dans toute l’église: «C’est déjà fait!»

Aloïs
Je me souviendrai toujours d’Aloïs, paysan qui avait perdu et sa femme et ses enfants, et qui s’accrochait à sa ferme comme un naufragé à sa planche. Malgré tous ses deuils, c’était un homme debout. Ses sourcils broussailleux faisaient front dans les orages, tel un chêne erratique au milieu des roseaux.
Lorsque, à passé 90 ans, il a dû être hospitalisé, il n’a tenu bon que pour retrouver son domaine. Mais voilà, les médecins avaient décidé que sa santé ne lui permettait plus de vivre seul. Placement à l’EMS du village voisin, pas le choix.
C’était en janvier. Il avait neigé, une belle couche de près de 50 cm recouvrait tout. À peine entré à la «Maison de repos», il demande à retourner chez lui, juste pour prendre quelques affaires personnelles. On lui accorde un taxi. Mais arrivé devant sa ferme, Aloïs paie et renvoie le chauffeur. Puis il empoigne une pelle et commence à dégager la place devant son habitation! Cinquante centimètres, donc.
On l’a retrouvé le lendemain, tout froid. Il avait voulu mourir chez lui. Exactement trente-trois-mille jours après y être né.
Aloïs: respect!

Les concierges

«Nous avons été concierges de l’église pendant 50 ans!» disait fièrement tante Clara. Un tel attachement s’explique-t-il par la hotte de bois qu’Ernest, le frère-chef, venait chercher dans le bûcher paroissial pour son propre fourneau? On m’a dit que c’était le seul travail qu’on l’ait vu faire. Les autres, il les commandait à ses frères et soeur, surtout Albert, le doux, qui obéissait si bien.
Cet attachement s’explique-t-il par la prise électrique à laquelle Roger, le troisième frère, venait brancher son rasoir le dimanche matin à l’heure des cloches, pour économiser son courant?
S’explique-t-il par l’amour du nettoyage? Pas sûr. En 20 ans d’usage, leur frigo n’avait jamais été tiré pour «poutzer» derrière, si bien que les souris avaient construit leur nid là, dans la tiédeur du moteur. On y trouva même les restes d’un billet de 50 francs disparu il y a belle lurette, à moitié grignoté.
Au divorce d’Albert, Clara, veuve, revint tenir le ménage de ses trois frères, Ernest et Roger étant vieux garçons. Elle remplaça la femme ou la mère jusqu’à la mort d’Ernest. Et là, pour l’amour d’Albert, elle quitta la fonction de domestique pour endosser l’habit de chef de famille! Elle couva son petit frère, plutôt maman que soeur, voire parfois épouse, si bien qu’il ne savait plus rien faire sans elle.
Tante Clara, si franche, si attachante! Quand elle eut une tumeur au sein, à 80 ans passés, le jeune médecin, emprunté, s’emberlificota dans une longue explication pour conclure qu’il valait mieux, si elle permettait, euh… enlever l’organe atteint. Clara ne perdit pas le nord et répliqua: «Pour l’usage que j’en fais maintenant, vous pouvez même m’ôter les deux!»

Le mort vivant
À mon retour de vacances, cette année-là, je rencontre un des organistes de la paroisse, qui sans prévenir m’accueille par ces mots: «Tu as su que j’étais mort?»
Me passent alors dans la tête des images de mon enfance, quand mon père coupait la tête des poules et qu’il les relâchait. Les «dzenoilles» sans tête pouvaient courir encore plusieurs centaines de mètres. Une fois, l’une d’elles était allée jusqu’à la vigne, où nous avons dû la chercher un bon moment! On m’a même raconté qu’un soldat décapité avait lui aussi continué de se battre pendant quelques minutes… Ciel! En serait-il de même pour mon ami?
Tandis que je me remets de ma surprise, l’organiste m’explique. Un avis mortuaire avait paru dans le journal, un parfait homonyme, même nom, même prénom. Aucune mention d’âge ni de domicile, ni de famille.
Plusieurs de ses amis se sont inquiétés. Ils ont essayé de lui téléphoner, plusieurs fois, mais ça ne répondait jamais. Normal: il était au volant sur les routes de France et avait éteint son natel. Et ce n’est qu’à son retour de vacances qu’il a pu dissiper le malentendu.
Le dimanche suivant, il a joué «allegro vivace»!

«Quand je serai morte»
Il me faut dire encore Anne-Claude, qui avec son humour naïf me fait quasi une déclaration d’amour le soir où nous préparons… son mariage! Et d’en rajouter à l’adresse de son fiancé: «Si tu es en retard, je me marie avec Jean-Jacques»!
Anne-Claude que je retrouverai pour baptiser leurs enfants. Puis bien plus tard auprès de ses parents âgés (je les accompagnerai dans leur départ avec EXIT, sous le signe du Cancer). Puis enfin que je reverrai sur ce lit d’hôpital, où le Crabe l’emportait elle aussi. À 62 ans. Me demande de présider le culte de son service funèbre. Me raconte à quel point elle en a bavé ces dernières années de maladie. Mais garde le sourire pour me dire: «Je te téléphonerai quand je serai morte!»

Le vieux régent

Alors qu’il avait 105 ans, Jules, le régent sévère d’Echallens, reçut une convocation pour… entrer à l’école enfantine! Explication: l’ordinateur ne tenait compte pour établir ses listes que des deux derniers chiffres de l’année de naissance. Jules, en bon citoyen conscient de l’importance de l’école, se présenta le jour dit au milieu des bambins ayant 100 ans de moins que lui!
Quelques mois plus tard quand, après une mauvaise chute, il appela le médecin, celui-ci diagnostiqua une fracture compliquée. Hospitalisation indispensable. Jules, aussi dur avec lui-même qu’il l’avait été avec ses élèves, refusa net. Le toubib insista, mais aucun argument ne put infléchir la tête de mule. Alors, à bout de patience, le disciple d’Hippocrate finit par lancer: «Dans ce cas, je ne peux rien pour vous. Au revoir Monsieur!». Ce fut Jules alors qui réclama son admission à Saint Loup, dans un grognement mémorable!

La centenaire

Léa, paysanne, avait «pécloté» toute sa vie. Ce qui ne la pas empêchée d’arriver jusqu’à 105 ans elle aussi! Pensionnaire à la maison de repos, elle avait gardé toute sa tête et se déplaçait encore facilement. Elle participait activement aux études bibliques interactives que j’animais au «Château» de Goumoens, lesquelles remplaçaient avantageusement certains cultes, car les résidents s’y endormaient beaucoup moins!
Un jour que je proposais un passage sur une guérison de lépreux, je la vois soudain ouvrir le journal et s’y plonger. Bah, me dis-je, elle a peut-être oublié que nous vivons une étude biblique; à son âge, c’est bien compréhensible. Mais non! Elle cherchait un article qu’elle avait lu le matin et qui parlait justement de la chapelle de la Maladière, longtemps dévolue aux lépreux. Article qu’elle a fini par trouver pour nous le montrer.
Sa surdité, par contre, était devenue légendaire. Quand j’animais le loto des Aînés de la paroisse, dont elle faisait partie, je commençais toujours par dire, pour vérifier si je parlais assez fort: «Madame Bezençon, vous m’entendez?» Elle répondait «oui, oui» de sa petite voix aigüe. Je savais alors que tout le monde pourrait m’ouïr. Ça ne l’empêchait pas toutefois, quasi après chaque nombre crié, de me faire répéter. «Le 37!» disais-je. «Combien?» faisait la voix aigüe. «Le 37, Madame Bezençon!». «Ah, merci!». «Maintenant, le 71!». «Combien?». «Le 71, Madame Bezençon!», «Ah, merci!». J’en ris encore.

Le poème d’amour
Un amour enthousiaste, pur et naïf a toujours porté Camille, une amie de la famille. Un jour, elle me montre, toute fière, un poème de son amoureux pour elle. Je m’en souviens encore par coeur, le voici (vous excuserez le niveau!!):

Fontaine de mon coeur,
Ruisseau de mon bonheur,
Amour toute ma vie
Naissant en une amie,
Car malgré moi je t’aime,
Oui, je t’adore même!
Inondé de malheur
Si tu es loin de moi!
Et je redis «je t’aime».

Elle n’avait pas remarqué que c’était un acrostiche, alors que les initiales de chaque vers étaient pourtant surlignées en rouge! J’ai doublement souri en me souvenant que l’ex de son amoureux était une certaine Françoise… Vous avez dit: recyclage? Là aussi, j’en rigole encore!


Jean-Jacques Corbaz, août 2024  
 


lundi 19 août 2024

(Pr, Li) « Lorsque j’étais œuvre d’art » - Prédication du 19 août et bénédiction

 

Lectures:  Proverbes 30, 7-9; Jacques 2, 1-7; Matthieu 7, 13-18


J’ai choisi de vous parler ce matin d’un roman qui m’a ému et fait réfléchir; il s’appelle «Lorsque j’étais
une œuvre d’art», écrit par Eric-Emmanuel Schmitt.


C’est l’histoire d’un homme, jeune, qui décide d’en finir avec la vie. Il se sent mal aimé, et surtout complètement nul: rien ne lui réussit. Il a l’impression de n’avoir aucune valeur. Le comble, c’est que même dans ses tentatives de suicide, il échoue. Plusieurs fois!

Ses deux frères aînés sont très beaux, et ils accomplissent une carrière facile comme mannequins. Ils deviennent riches sans peine, tandis que notre héros s’enfonce toujours plus. Il souffre de se sentir si quelconque, à côté d’eux.

Lors d’un énième tentamen, il fait la connaissance d’un artiste excentrique et célèbre qui s’appelle Zeus (comme le dieu grec). Zeus est un de ces créateurs experts dans l’art de faire parler de lui, et à qui tout réussit. Peintre et sculpteur, il a de lui-même une opinion tellement élevée qu’il juge avec mépris même les oeuvres de la nature: à côté des siennes, c’est zéro, pense-t-il. Plus mégalo, tu meurs!

Bien sûr, tout le monde s’aplatit devant Zeus, d’autant qu’il est doté d’un pouvoir de persuasion redoutable.

Or donc, Zeus propose à notre héros un singulier marché: plutôt que de s’ôter la vie, eh bien, qu’il la lui donne! Ou plus exactement, qu’il lui donne son corps, d
ans le but que l’artiste le transforme, et en fasse un chef-d’œuvre nouveau, une sculpture vivante! Zeus pourrait ainsi inaugurer une ère révolutionnaire de l’histoire de l’art: modeler un corps humain, avec son génie.

Notre héros finit par accepter. Il signe le contrat, sans se douter de l’évolution intérieure que cette transformation va entraîner.

Dans un premier temps, tout se déroule comme prévu: la sculpture humaine est une réussite, et devant elle tout le monde s’extasie et crie au génie. Expositions, exhibitions... Notre héros est heureux, il est enfin admiré, sur toute la planète.

Pourtant, peu à peu, il se rend compte qu’il n’est traité que comme un objet: son sculpteur lui interdit de parler (!), il est trimballé sans pouvoir donner son avis... En fait, ce n’est pas lui que les gens admirent, c’est la sculpture de Zeus. Ce dernier finit même par le vendre; après d’ailleurs un vol, enfin un prétendu vol organisé par Zeus lui-même, dans le but de faire monter la valeur marchande de son
œuvre!! Toute ressemblance avec certaines pratiques d’aujourd’hui n’est absolument pas fortuite!

Un jour, par hasard, notre héros fait la connaissance d’Hannibal, un autre peintre qui est l’opposé de Zeus: Hannibal est modeste, amoureux de la nature... Il crée des œuvres magnifiques qui reflètent la beauté du monde, sans tapage médiatique ni provocation. Il est étonnamment doué, mais peu connu, et donc pauvre. Et puis, détail surprenant, il est aveugle - tout en continuant de peindre!

Hannibal se lie d’amitié avec notre héros, sans se douter d’ailleurs qu’il a affaire à la sculpture vivante de Zeus dont tout le monde parle (évidemment, à cause de sa cécité). Cet artiste si authentique lui explique ce qu’il ressent en créant, il le fait si bien que notre héros découvre la beauté, et la passion pour la vie. Il se met à comprendre l’art du vieux peintre, et à l’aimer. Il se passionne pour les émerveillements que reflètent les 
œuvres d’Hannibal; il découvre auprès de lui, et auprès de sa fille, dont il tombe amoureux, un désir de vivre, et de donner... Il n’a plus du tout envie de se supprimer.

Malheureusement, il ne s’appartient plus. Il s’est livré à Zeus dans cet étrange marché; à Zeus et puis à ceux qui l’ont ensuite acheté. Il va même être mis aux enchères publiques, et... acquis par l’État... Et donc entreposé dans un musée!

Notre héros essaie alors d’obtenir un statut de fonctionnaire, mais le musée s’y oppose: car pour eux il est un objet, qu’ils ont payé, et c’est tout! On finit par organiser un immense procès dans le but de déterminer son statut: humain ou marchandise? Et, à cause du contrat qu’il a signé en faveur de son créateur, ce sont les arguments du musée qui l’emportent. Il n’est qu’un objet, rien de plus.

La solution viendra finalement de Zeus, grâce à la fille du vieux peintre. Celle-ci découvre que l’artiste mégalomane a commis autrefois un meurtre, bien caché. Sous la pression de la fille d’Hannibal, Zeus déclare que notre héros n’est pas son
œuvre; que c’est une imitation, un faux!

Du coup, le jeune homme est jeté au rebut, avec les ordures du musée. Mais donc il recouvre la liberté, puisqu’il n’appartient plus à personne! Il peut enfin se marier avec la fille du vieux peintre, et se consacrer à faire connaître l’
œuvre de l’aveugle, qui lui a ouvert les yeux.

Hannibal atteindra finalement la célébrité, mais seulement après sa mort. Il sera reconnu comme le plus grand créateur de sa génération, tandis que Zeus va peu à peu tomber dans l’oubli.
 


J’ai été touché par ce roman, qui pour moi pose des questions essentielles. Par exemple:
- qu’est-ce qui fait ma vraie valeur?
- quelle importance a pour moi le regard des autres?
- l’être et le paraître (comme nous y invite aussi la lettre de Jacques)...
- quelles sont pour moi les vraies richesses?
- réussir sa vie, c’est quoi? ...

Cela fait beaucoup d’interrogations, que je vais laisser à votre méditation, pendant le silence, puis le jeu d’orgue qui vont suivre. Beaucoup d’interrogations, auxquelles je joins encore des questions sur l’appartenance: à qui es-tu? (comme on disait quand nous étions petits)... Qui a des droits sur toi?

Ceux qui sont entre les mains de managers, de pygmalions de toutes sortes: les sportifs (avec le problème du dopage); les artistes; les vedettes en herbe; acteurs, chanteurs... pour tous ces gens: où s’arrête le pouvoir des autres sur eux? qu’est-ce qui fait leur véritable richesse? (donc celle qui ne se monnaie pas de façon sonnante et trébuchante).
 



Pour conclure, j’ai envie de vous partager quelques lignes de ce roman, dans les dernières pages:
 

«Le vieux peintre, Hannibal, nous a quittés dans son sommeil, avec autant de discrétion qu’il en avait mis à vivre. Depuis, sa cote s’est envolée, les amateurs l’ont découvert, les critiques le reconnaissent. (... ) Il s’est éteint presque pauvre, riche de l’estime de quelques-uns, entouré par notre amour et notre confiance. Suis-je pour quelque chose dans sa découverte? Il est présomptueux de le penser. Toujours est-il que j’ai passé des années à écrire des articles sur lui, expliquer les émotions que me donnaient ses toiles, raconter comment il a changé ma vie. (...) Avec lui, avec ma femme, mes enfants, j’ai l’impression d’avoir mon rôle. Des êtres ont besoin de moi, des vivants comme des morts. Qu’ai-je d’irremplaçable? Ça. Mes pensées. Mes soucis. Mes attachements. Mes amours. ...
 

«J’ai découvert que l’univers est beau, plein, riche, si j’accepte, moi, d’être médiocre, vide, pauvre. Hannibal fut mon père, pas seulement mon beau-père, car il sut, en un instant, me charger du désir de vivre en me donnant le sens de l’émerveillement. ...
 

«Jeune, j’ai voulu que la beauté soit en moi, j’ai été malheureux. Maintenant, je sais qu’elle est partout autour de moi, je l’accepte. Et je dis merci.»

Amen                                         


Jean-Jacques Corbaz



Bénédiction finale: 

Aux yeux de Dieu, chacun(e), nous sommes une œuvre d’art! Ce qu’il a de plus précieux! Du petit enfant, devant qui tous s’extasient, jusqu’à la personne très âgée qui se sent une charge pour les autres; toutes et tous, nous sommes le Trésor du Père, sa beauté majuscule. Allons dans la paix, Dieu nous bénit, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Amen

 

Jean-Jacques Corbaz