Par Didier Dana, Daniel Marguerat
DANIEL
MARGUERAT
Age: 71 ans
Titre: Professeur honoraire à l’Université de Lausanne
Livres: Ses recherches sur Jésus et sur les origines du christianisme lui valent une réputation internationale.
Dernier livre: «Résurrection, une histoire de vie» (Ed. Cabédita, 2015).
En projet: «Vie et destin de Jésus de Nazareth», à paraître en 2018.
Age: 71 ans
Titre: Professeur honoraire à l’Université de Lausanne
Livres: Ses recherches sur Jésus et sur les origines du christianisme lui valent une réputation internationale.
Dernier livre: «Résurrection, une histoire de vie» (Ed. Cabédita, 2015).
En projet: «Vie et destin de Jésus de Nazareth», à paraître en 2018.
De son temps, il était célèbre. Durant les
quelques années où il a prêché la Parole de Dieu, sa présence attirait les
foules. On venait de loin voir et écouter ce Jésus, chantre d’un monde
meilleur. Et, même si apparemment c’était prévu, c’est notamment cette
célébrité qui lui a coûté la vie, les autorités religieuses de Jérusalem voyant
d’un mauvais œil l’émergence de ce nouveau prophète aux idées subversives, en
tout cas à leurs yeux.
Ce succès d’un charpentier de Nazareth fascine, alors que les prédicateurs en tout genre ne manquaient pas à l’époque. Pourquoi avec lui cela a-t-il marché, ouvrant le livre de la chrétienté? La question a occupé beaucoup de monde depuis 2000 ans. Retenons simplement que, pour sa part, Jésus y est arrivé sans plan de communication ni attaché de presse, mais par la seule force de sa conviction puis de son sacrifice.
Alors bien sûr les anges de la télé-réalité font pâle figure dans la rubrique People à côté de ce parcours brillant et humble. Trop souvent, les stars de Hollywood ou les footballeurs millionnaires évoquent davantage la vanité que le talent. Et pourtant, on en parle.
«Le Matin» est le journal des gens, connus ou pas. Il raconte leurs histoires, grandes ou petites. Il cherche à mieux les connaître. En cette période pascale, nous avons voulu évoquer plutôt Jésus que le Christ, rencontrer l’homme plutôt que le fils de Dieu. Et nous n’avons pas dû faire de demande pour notre Interview indiscrète: il était présent, disponible. Joyeuses Pâques!
Grégoire Nappey, Rédacteur en chef
Ce succès d’un charpentier de Nazareth fascine, alors que les prédicateurs en tout genre ne manquaient pas à l’époque. Pourquoi avec lui cela a-t-il marché, ouvrant le livre de la chrétienté? La question a occupé beaucoup de monde depuis 2000 ans. Retenons simplement que, pour sa part, Jésus y est arrivé sans plan de communication ni attaché de presse, mais par la seule force de sa conviction puis de son sacrifice.
Alors bien sûr les anges de la télé-réalité font pâle figure dans la rubrique People à côté de ce parcours brillant et humble. Trop souvent, les stars de Hollywood ou les footballeurs millionnaires évoquent davantage la vanité que le talent. Et pourtant, on en parle.
«Le Matin» est le journal des gens, connus ou pas. Il raconte leurs histoires, grandes ou petites. Il cherche à mieux les connaître. En cette période pascale, nous avons voulu évoquer plutôt Jésus que le Christ, rencontrer l’homme plutôt que le fils de Dieu. Et nous n’avons pas dû faire de demande pour notre Interview indiscrète: il était présent, disponible. Joyeuses Pâques!
Grégoire Nappey, Rédacteur en chef
Cette semaine, nous avons
demandé à Daniel Marguerat, pasteur et professeur honoraire à l’Université de
Lausanne, de répondre, au nom de Jésus, à notre Interview indiscrète à laquelle
se soumettent tant de personnalités. Nous avions deux impératifs: la vérité
historique et ne pas heurter la sensibilité des croyants. L’auteur a relevé le
défi et rendu un texte vivant remarquable. «J’ai d’abord hésité, précise-t-il.
Comment prendre la voix de Jésus? Comment oser? Et puis, en y réfléchissant, je
me suis dit que c’était possible. Je mène des recherches sur Jésus de Nazareth
depuis 25 ans (ndlr: son premier livre sur lui date de 1990).
Alors, à force de reconstituer sa vie, ses apprentissages, son environnement,
son réseau de relations, je me suis fait une image assez précise de ce qu’il a
pu dire, faire et espérer. Et je me suis risqué.» Quelle part de Daniel
Marguerat y a-t-il dans ces réponses? «Bien sûr, ma reconstruction des propos
de Jésus est subjective. Mais je peux garantir qu’elle se nourrit d’une longue
recherche historique en dialogue avec des spécialistes du monde entier. J’ai
rédigé ces propos avec plaisir et tremblement.»
Jésus, qui êtes-vous?
Vous voulez ma carte
d’identité? Je suis Yeshouah, on me surnomme «le Nazaréen». Mon père est Yosef,
charpentier à Nazareth; ma mère est Maryam. Nous sommes nombreux en famille;
mes frères et sœurs s’appellent Jacques, Josès, Jude, Simon… Mais peut-être
n’est-ce pas cela que vous voulez savoir. D’où je viens? J’ai toujours eu le
sentiment, depuis petit déjà, d’être différent de mes frères et sœurs… Comment
vous dire? C’est le sentiment d’être promis à un «ailleurs», d’aller vers un
destin qui m’entraînerait loin. Un appel que je n’ai compris que petit à petit,
en grandissant.
Étiez-vous un enfant sage?
J’ai aimé suivre l’éducation
que me donnaient mes parents et apprendre le métier de charpentier que
m’enseignait mon père. J’avais soif d’apprendre et de découvrir la vie, si
c’est ce que vous appelez la sagesse.
A l’enfance, quel fut votre plus grand choc?
C’est plutôt à l’adolescence.
J’avais 12 ans et nous sommes montés à Jérusalem pour la Pâque,
mes parents et moi. A un moment donné, au Temple, je me suis glissé dans le
groupe qui suivait le débat des rabbis. Et je me suis lancé dans la discussion,
comme ça, sans réfléchir. Mes réponses ont plu aux rabbis. Là-dessus, j’ai
entendu les cris de ma mère, folle d’angoisse, qui me cherchait partout. J’ai
tenté de lui expliquer que je n’étais pas perdu, au contraire, que j’avais
plutôt trouvé une source. Elle n’a rien voulu entendre, et de retour à la
maison, j’ai été puni.
Votre mère vous disait-elle «je t’aime»?
Comme toutes les mamans du
monde, oui. Mais elle me disait plus. Que j’étais appelé à une vie qui
m’entraînerait très loin. J’ai cru qu’elle m’annonçait que je quitterais le pays,
et je l’assurais que je ne l’abandonnerais pas. J’ai compris bien plus tard que
le «très loin» n’était pas géographique.
Vos parents avaient-ils de l’ambition pour vous?
Certainement, malgré leur
origine modeste. Ils m’ont envoyé auprès des scribes pour étudier les
Ecritures. Très peu d’enfants de mon âge le faisaient. Ils m’ont même fait
apprendre la langue des Ecritures, l’hébreu, qui est une langue vraiment
difficile. Je me suis accroché, j’ai réussi, non sans mal. Je leur en suis très
reconnaissant, savez-vous?
Un tournant dans votre vie?
Un gros tournant, oui, quand
j’ai entendu prêcher Jean le Baptiste et que je me suis présenté à son baptême
dans le Jourdain. Après avoir été plongé dans l’eau, j’ai eu une vision dont je
n’ai parlé qu’à mes disciples plus tard. J’avais si peur qu’on se moque de moi.
Le ciel se déchirait et une voix me disait: «Tu es mon fils bien-aimé, je t’ai
choisi.» J’ai alors compris quel était cet «ailleurs» auquel j’étais promis, et
j’en suis ressorti les jambes tremblantes.
Pour vous, c’est quoi le bonheur?
Mon message est une fenêtre
ouverte sur le bonheur. Mais pas la vision égoïste que bien des gens ont du
bonheur: une vie aisée et facile avec des biens en abondance. Pour moi, le
bonheur est un accord intérieur avec la source de la vie, qui est Dieu. Une
paix avec soi-même. Est heureux celui qui participe à la construction d’un
monde pacifique et généreux. Tenez, on peut même être pauvre ou en larmes et
goûter la saveur de ce bonheur.
Quel est votre plus gros défaut?
L’impatience. Je voudrais
que les gens quittent leurs résignations, leur fatalisme, leurs lâchetés, leurs
«on a toujours fait comme ça». Dieu est si simple, si proche de nous, si
évident… pourquoi ne le comprennent-ils pas?
Votre plus grande qualité?
L’impatience, aussi. Je
crois que les rêveurs et les enthousiastes sont plus près de l’avenir de Dieu
que les théologiens assis sur leur savoir et leurs certitudes. J’aime ceux qui,
par choix ou par nécessité, acceptent le risque de ne plus tout savoir et avancent
dans une quête spirituelle.
Avez-vous déjà volé?
Pour quoi faire? Pour
accumuler des biens périssables? Ma vie trouve ailleurs sa source.
Si vous aviez le permis de tuer quelqu’un, qui serait-ce?
J’ai choqué un jour mes
disciples en leur disant que la loi du talion «œil pour œil, dent pour dent» ne
faisait qu’entretenir la violence. Ils m’ont rétorqué: que faire si on nous
gifle? J’ai répondu: tendez l’autre joue! Ne vous posez pas en victimes, soyez
plus forts, résistez au besoin de vous venger. Le véritable héros est celui par
qui la violence ne passera pas.
Avez-vous déjà menti à vos amis?
Je me suis plutôt attiré des
ennuis en confiant à mes disciples ce que j’aurais pu leur cacher: que notre
aventure finirait mal, que les autorités religieuses de Jérusalem me
dénonceraient et qu’ils m’abandonneraient tous. Yehuda (ndlr: Judas) n’a rien
dit et Siméon-Pierre a fait le fanfaron. Il fallait surtout que je leur fasse
comprendre que ma mort ne serait pas le dernier mot de notre aventure.
Avec qui aimeriez-vous passer une agréable soirée?
Mais j’ai passé
d’inoubliables repas et de superbes soirées avec tant d’hommes et de femmes qui
sont devenus mes amis! J’avoue qu’à côté de mes disciples il y avait beaucoup
de personnes que les pieux regardent avec mépris: des femmes aux mœurs légères,
des collaborateurs romains, des malades, des pauvres. Pour moi, Dieu n’a pas de
préjugés: il regarde au cœur.
Quel est votre rapport aux femmes?
Encore un point qui fâche!
Mais au nom de quoi refuserait-on aux femmes le droit d’apprendre la Torah et
de l’enseigner? J’ai accepté des femmes dans mon cercle de disciples, et ce ne
furent pas les moins douées, croyez-moi. Cela m’a valu une hostilité tenace des
autres rabbis… et de bien des maris.
De quoi souffrez-vous?
Du sentiment d’être
incompris. De mon incapacité à convaincre que je ne suis pas un farfelu. C’est
de Dieu qu’il s’agit et non de moi, quand je me bats pour réintégrer dans la
communauté tous ceux qu’on a exclus: les malades, les pauvres et les marginaux.
Je milite pour un Dieu qui réconcilie et ne discrimine pas… et on me traite
d’imposteur! Je me console en me disant que bien des prophètes avant moi ont
connu le même sort.
.
.
Craignez-vous la mort?
Le jour venu, oui, j’aurai
peur. J’aurai peur que Dieu m’abandonne à la souffrance. J’aurai peur de mourir
seul et renié par tous mes amis. Mon agonie sera pénible, surtout si l’on me
livre au supplice. Mais ce que je crois fermement, c’est qu’à ma fidélité Dieu
répondra. Comment? Je ne sais encore.
Croyez-vous donc en Dieu?
Savez-vous ce que veut dire
le verbe «croire»? Il ne s’agit pas d’avoir une opinion sur Dieu, mais de lui
faire confiance. C’est cela, croire: se fier à Lui et au chemin qu’il nous
trace dans sa Torah. Je me fie à Lui, même lorsqu’il se tait.
Trois objets à emmener sur une île déserte?
La Parole de vie, dans les
trois parties de l’Ecriture sainte: la Torah, les livres des prophètes, les
écrits.
Pour qui était votre dernier baiser?
Mon dernier baiser fut celui
de la trahison: Yehuda, au jardin de Gethsémané, m’a embrassé pour me désigner
à ceux qui venaient m’arrêter. Je l’ai tellement déçu, Yehuda… Il voulait que
je sois le Messie tout-puissant, qui viendrait écraser les impies et rétablir
la grandeur d’Israël. J’ai tenté, en vain, de lui faire découvrir que la force
de Dieu n’écrasait rien ni personne, et que nul ne peut invoquer Dieu pour
justifier sa violence. Dieu se découvre dans la fragilité et la tendresse.
Pourquoi avez-vous pleuré la dernière fois?
J’ai pleuré sur Jérusalem,
la Ville sainte. Car je savais que là s’achèverait mon parcours. Les foules de
Jérusalem, manipulées et désinformées, allaient réclamer ma tête. Quel malheur
pour Dieu.
Qui sont vos vrais amis?
Mes amis? Ce sont ceux qui
écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent. Peu importe leur origine ou leur
histoire, leur richesse ou leur pauvreté, leur statut social ou leur sexe:
quiconque reconnaît dans cette Parole une vérité bonne à vivre est mon ami.
Croyez-vous en une vie après la mort?
Je suis convaincu que Dieu,
qui est à l’origine de notre vie, nous accueillera à notre dernier souffle. Le
dernier mot sur notre vie et sur le monde lui appartient, et c’est pourquoi je
lui fais confiance. Le monde n’est pas abandonné au mal et à la cruauté des
hommes. Sans cet espoir, comment vivre debout?
(Le Matin)
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