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dimanche 27 septembre 2020

(Pr, FA, Vu) Le procès de Caïn, celui de Dieu, celui d'Abel? (extraits) - Prédication du 27 septembre 2020

Avec une postface d'Eric-Emmanuel Schmitt

 

Lectures:  Genèse 4, 1-16; Ephésiens 2, 14-17; Luc 15, 1-7
 




J: Caïn; Abel; et Dieu: qui est le gentil? Qui est le méchant?

AC: Monsieur le juge! Je demande la parole. Je suis l’avocat, chargé de la défense de M. Caïn, ici-présent. Je plaide les circonstances atténuantes!

En effet, Monsieur le juge, Messieurs les jurés; pensez que mon client, M. Caïn, a été victime d’une profonde injustice, qui l’a traumatisé. Et, c’est là que j’accuse, M. le juge. J’accuse l’auteur de cette injustice, c’est-à-dire Dieu en personne!

Car mon client lui avait présenté une offrande aussi valable que celle de son frère Abel: les produits de ses cultures (céréales, légumes, fruits...). Or, Dieu n’en a pas voulu! Ça voulait dire que Caïn avait travaillé pour des prunes! J’admire Abel, oui, j’admire Abel d’avoir obtenu la faveur de Dieu, mais mon client la méritait tout autant. C’est Dieu le responsable du meurtre. C’est son caprice, son favoritisme, qui ont causé le crime!

J: La parole est à l’avocat de Dieu.

AD: Monsieur le président! Il est faux de parler de favoritisme à propos de mon client. Dieu aime tous les humains également. Mais voilà: pourquoi M. Caïn n’a-t-il pas été agréé, avec son offrande? Je vais vous le dire: parce qu’il la présentait à contrecoeur, sans enthousiasme. Bien sûr, il a donné ce qu’il fallait. Mais il l’a fait par obligation, par conformisme, et non librement, joyeusement!

Alors, Dieu a voulu, non pas le punir, mais lui fournir l’occasion d’évoluer, de se remettre en question. Et cela sans agresser Caïn, MM. les jurés! Simplement, il n’a pas accueilli avec enthousiasme une offrande qui lui était faite, non plus, sans enthousiasme. Vraiment pas de quoi provoquer un meurtre!

En fait, M. Caïn avait déjà l’esprit obscurci par la jalousie - la jalousie bien connue de l’aîné pour le petit frère. Dieu l’avait averti, notez-le. Il avait dit: “Attention, Caïn, la violence est en toi, comme un loup féroce tapi derrière ta porte. Réagis! Domine le monstre, et chasse-le! Tu en es capable”.





J: L’avocat de Caïn demande la parole.

AC: Monsieur le juge! Ne trouvez-vous pas que Dieu a joué un peu légèrement avec la vie de deux hommes? Et avec les sentiments primitifs qui bouillonnaient en eux? S’il voulait faire passer une épreuve à mon client, Dieu aurait pu stopper son bras au tout dernier moment! Pourquoi l’avoir laissé passer à l’acte? Finalement, il y a deux victimes de cette inconscience de Dieu, ce sont Abel et Caïn.

J: L’avocat de Dieu souhaite répondre.

AD: Monsieur le président! Si le désir de tuer était là, dans le coeur de Caïn, eh bien, il ne servait à rien de le stopper. Il aurait recommencé à la première occasion. Cette violence bouillonnait en lui, comme vient de le dire son défenseur. Il n’y avait donc que deux moyens de l’enlever, cette violence: ou bien d’emblée tuer Caïn, ce qui est inacceptable pour Dieu; ou bien l’appeler à essayer de maîtriser cette pulsion, ce qui présentait les meilleures perspectives d’évolution favorable.

Bien sûr, ça n’a pas marché. Et nous le regrettons. Mais, nous en sommes convaincus, Caïn a grandi, à travers cette épreuve. Il a appris à reconnaître la violence meurtrière qui fait partie de chacun. Il a, aussi, appris la fragilité humaine. Vous en souvenez-vous, MM. les jurés? Après le meurtre, lorsque Dieu lui a présenté les conséquences de son acte, à savoir la fuite loin de ses parents, loin de son pays, la vie errante à l’étranger, parce que la terre de sa naissance lui était devenue hostile, alors, Caïn a eu peur d’être tué, à son tour. Il a dit: “Le premier homme que je rencontrerai va me tuer”. Enfin, Caïn s’était rendu compte de sa fragilité d’homme. Désormais sa vie sera changée: plus intense, plus vive, car il sera conscient de la chance immense d’être vivant!

J: La parole à l’avocat d’Abel.

AA: Oui, si je comprends bien, Messieurs, mon client, Abel, il n’est rien du tout dans cette histoire. On s’en fiche comme de la première chaussette d’un canard! Or, Abel n’a rien à se reprocher. Absolument rien. Il présente ses offrandes avec joie; et... il est tué. Dieu a sacrifié le meilleur des deux frères pour apprendre à l’autre à maîtriser sa colère! Abel au fond n’est qu’un moyen pédagogique, dans cette aventure. Un outil. Nous n’apprécions que moyennement cette attitude de Dieu.

De plus, permettez-moi de relever une autre incohérence: avez-vous remarqué que le meurtre (éventuel) de Caïn serait puni de manière beaucoup plus forte que le meurtre d’Abel? Caïn, pour avoir agressé et supprimé son frère, est simplement “renvoyé à sa fragilité, et à l’errance des hors-la-loi”. Tandis que celui qui tuerait Caïn, lui, serait victime de sept meurtres!? Mais où est la justice, je vous le demande?!?

J: L’avocat de Dieu veut répondre.

AD: Monsieur le président! On ne peut pas comparer des promesses avec la réalité. Caïn a tué; et il a été largement puni, par lui-même et par les autres. Dieu lui a pardonné, est-ce un crime?

Pourtant, le pardon n’efface pas la faute. Caïn a continué d’être un homme en fuite. Les conséquences de son acte ne peuvent pas être supprimées. Alors, Dieu lui a promis de toujours veiller sur lui. Autrement dit, Dieu l’accompagne, même en-dehors du pays de son enfance. Le meurtre n’a pas provoqué de rupture avec le Seigneur, voilà ce qu’il a voulu dire par cette promesse.

Au reste, c’est vrai, mon client le reconnaît: il n’y a pas de justice, dans cette histoire. Dieu n’est pas juste! Il aime trop les humains pour cela.

Est-ce que vous avez remarqué? Vous l’avez accusé, en partie à juste titre, de jouer avec la vie de Caïn et Abel de manière exagérément risquée. Voyez-vous que c’est exactement de la même manière qu’il livrera Jésus, son fils unique, pour délivrer tous les humains de cette violence?




Fin des plaidoiries. Et commentaire du pasteur de Plein Soleil, promu juré de cet étrange procès, bien des siècles plus tard:

Heureusement, il ne nous appartient pas de statuer sur la culpabilité de l’un ou de l’autre des protagonistes de ce récit! Notre passage biblique nous invite avant tout à méditer sur nous-mêmes. Pour moi, cette histoire étonnante nous appelle à comprendre deux choses, à l’image de Caïn:

- d’abord, comprendre que la violence est en nous, en chacun(e), tapie quelque part, derrière une porte. Nous pouvons la maîtriser; à condition de la regarder en face, de la connaître, et de vouloir la dominer. Sinon, c’est elle qui nous vaincra!

C’est souvent un infime détail qui nous fait basculer de la fraternité à l’agression: par exemple le sentiment d’être victime d’une injustice, ou trahi, ou délaissé; de compter pour rien. Si quelqu’un, par hasard, ne me salue pas dans la rue, je peux prendre ça comme une baffe et avoir envie de me venger. L’actualité nous en fournit régulièrement de tragiques exemples.

Alors, Dieu m’invite à considérer mes envies de violence, à les regarder comme si elles étaient un loup qui me guette, quelque chose d’extérieur à moi. Dieu me demande de prendre de la distance d’avec mon agressivité, pour essayer de m’en rendre maître.

- la seconde chose que découvre Caïn, c’est que Dieu est toujours là: il voit, il interroge, il remue la conscience; mais aussi il comprend, il aime toujours, il pardonne. Sa présence aimante nous suit partout: à l’étranger, au tribunal, en prison; dans la mort comme dans la vie; justement pour nous aider à prendre de la distance. Lorsque nous nous sentons lésés, défavorisés, il nous redit toute sa faveur à lui, au prix de ses blessures, à lui, pour nous permettre de regarder notre violence en face, et de la maîtriser. Amen                                          

Jean-Jacques Corbaz



 
J’avais terminé de rédiger cette prédication quand j’ai lu les mots ci-dessous. L’auteur de “La part de l’autre” y réfléchit, à partir de Hitler, sur nous-mêmes et la violence. Etonnamment proche de ma prédic!

LE MONSTRE EN NOUS


L’erreur qu’on commet avec Hitler vient de ce qu’on le prend pour une exception, un monstre hors norme, un barbare sans équivalent. Or, c’est un être banal. Banal comme le mal. Banal comme toi et moi. Ce pourrait être toi, ce pourrait être moi. Qui sait d’ailleurs si, demain, ce ne sera pas toi, ou moi ? Qui peut se croire définitivement à l’abri ? À l’abri d’un raisonnement faux, du simplisme, de l’entêtement ou du mal infligé au nom de ce qu’on croit le bien ?

Aujourd’hui, les hommes caricaturent Hitler pour se disculper eux-mêmes. Plus il est différent, moins il leur ressemble. Tous leurs discours reviennent à crier « ce n’est pas moi, il est fou, il a le génie du mal, il est pervers, bref il n’a aucun rapport avec moi. » Dangereuse naïveté. Angélisme suspect.

Tel est le piège des bonnes intentions. Hitler s’est conduit comme un salaud et a autorisé des millions de gens à se comporter en salauds ; il demeure un criminel impardonnable, je le hais, je le vomis, je l’exècre, mais je ne peux pas l’expulser de l’humanité. Si c’est un homme, c’est mon prochain, pas mon lointain.

Horrible révélation que je me faisais en écrivant La Part de l’autre… Le meilleur moyen de lutter contre la barbarie, c’est de reconnaître le possible barbare en soi. Et de le tenir, muselé, dans une cage !

Eric-Emmanuel Schmitt



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