Prédication du 25 septembre 2016 et du 6 juillet 2020
"Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée”
Lectures: Matthieu 10, 32-39; Matthieu 12, 46-50; Jean 14, 26-27
C'est comme une fois, y avait un jeune pasteur, très sûr de lui, qui donnait son premier culte au village. À la sortie, le vieux régent le prend à part: "M. le ministre, dit-il, votre prédication m'a fait penser à l'épée de Charlemagne."
- "L'épée de Charlemagne? pense le jeune pasteur, tout guilleret; elle était incisive, puissante! Etincelante! Victorieuse!!"
- "Non, dit le vieux maître; votre sermon était comme l'épée: long et plat!"
C'est ainsi que les mots ne veulent pas toujours dire la même chose pour chacun(e). Ils font naître parfois des sentiments très différents selon les circonstances... Donc, attention: une épée peut en cacher une autre!
C'est tout spécialement vrai de ce passage mystérieux de l'évangile, une histoire d'épée, justement: "N'allez pas croire que je suis venu apporter la paix sur terre, dit Jésus; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée!"
Ce verset a troublé bien des chrétiens. Est-ce qu'il encouragerait la guerre sainte, comme chez les musulmans intégristes (soit imposer sa religion par la violence)? Est-ce qu'il nous inviterait à rechercher les conflits dans nos familles, avec nos proches? Malheureusement, la traduction en français courant semble aller dans ce sens, puisqu'elle rend "épée" par "combat".
Cette interprétation heurte tout ce qu'on croit savoir de l'évangile. On nous a toujours dit que le Nouveau Testament encourage la paix, la douceur, la concorde; le respect; mais pas l'agression ou le conflit!
Mais. Appeler au combat, est-ce que c'est vraiment ce que ce passage veut nous dire? Est-ce qu'il nous invite réellement à nous opposer à nos parents, à nos enfants, à nos proches? Pour ma part, je crois fermement que non.
Pour bien comprendre ces paroles de l'évangile, il faudrait davantage qu'une prédication de 15 minutes, bien sûr. Pour tâcher d'aller à l'essentiel, je vous propose ces quatre remarques:
(1°) D'abord, le mot grec qu'on traduit par épée, ou glaive. En version originale, c'est "machaira" (μάχαιρα). Et une "machaira", c'est d'abord et surtout un grand couteau; un coutelas. Une "machaira", c'est l'instrument du boucher, celui aussi du chirurgien, et du chef de famille, à table.
Une "machaira", c'est également le couteau utilisé pour les sacrifices, chez les Juifs. On emploie ce mot encore pour la serpe du jardinier, pour l'outil qui sert à élaguer les arbres; et pour le rasoir, le ciseau, le sécateur... Bref, tout ce qui coupe, qui tranche et qui sépare. C'est seulement dans un sens figuré que "machaira" désigne une arme. Mais il ne s'agit jamais alors d'une arme de guerre; uniquement d'un petit sabre que les hommes portaient pour se défendre, en cas d'embuscade. À peu près comme celui-ci:
En résumé, "machaira", ça peut être un couteau, un ciseau, un scalpel; une dague ou un poignard; ça peut être un tranchoir, une lame, un coutelas, un rasoir; un sécateur, une hache, une machette; ça peut être une serpe, une faucille, ou un bistouri... Mais jamais une arme d'attaque, de guerre. Si vous devez traduire "machaira", n'utilisez donc pas un terme militaire. Trouvez plutôt un mot qui évoque le fait de trancher, de séparer. - Et pas celui de tuer!
"Je ne suis pas venu apporter la paix, mais la coupure, mais la rupture" devrait-on traduire. "Oui, je suis venu, poursuit Jésus au verset 35, je suis venu séparer l'homme de son père, la fille de sa mère...". L'enchaînement devient alors plus clair: la venue du Christ au milieu de nous a pour effet de nous séparer en deux camps (c'est le sens du verbe grec: séparer en deux parties). Il y a ceux qui suivent Jésus, et les autres, ceux qui renoncent.
(2°) Seconde remarque. La suite du passage pose aussi problème: "celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi"... Aïe! Faudrait-il aimer son prochain, mais pas ses parents?
Evidemment non. On comprend mieux quand on consulte la note de la TOB: "le mot grec philein (aimer) n'est pas celui qui, dans les évangiles synoptiques, désigne l'amour pour Dieu et le prochain (c'est agapân); philein a ordinairement chez Matthieu un sens péjoratif: s'attacher excessivement".
Il y a donc en grec trois verbes différents pour dire "aimer":
- "erân" pour l'amour du couple, "eros";
- agapân pour l'amour fraternel, l'affection, l'attention, l'amour pour Dieu ou son prochain;
- et philein qui veut dire s'attacher à quelqu'un ou quelque chose, et, dans l'évangile de Matthieu, toujours dans un sens négatif: un attachement nuisible, qui empêche de suivre le Christ.
Vous voyez que la langue grecque a trois mots différents pour dire "aimer"... mais un seul pour désigner une kyrielle d'armes et de couteaux!!
(3°) Troisième remarque: "porter sa croix". Encore une expression qu'on a tellement entendue qu'elle a fini par s'éloigner de ce qu'elle veut dire vraiment dans l'évangile. Il ne s'agit ici absolument pas de supporter des maux ou des difficultés de la vie telles que les maladies, les handicaps, les injustices ou autres. Pas du tout. Dans la bouche de Jésus, "porter sa croix", c'est le suivre sur le chemin du rejet, de l'incompréhension, des moqueries... C'est affronter, comme lui, que les hommes ne croient pas la Vérité qui nous anime. Affronter la solitude, parfois la souffrance, voire la mort par fidélité au Christ.
Ce que l'évangile veut nous dire, par ce verset, ce n'est donc pas de chercher une croix, ou des souffrances, pour mériter notre salut. En aucun cas! Mais il nous dit que la foi, la vraie, peut nous emmener très loin. Très loin dans les oppositions, les persécutions, parfois. Très loin dans les conflits, les ruptures, les séparations aussi. Ce ne sera pas toujours le cas, bien sûr. Mais notre passage nous rappelle ce risque immense de la foi.
Attention: une épée peut en cacher une autre! À l'époque où Matthieu rédige son évangile, les chrétiens sont justement en train de se séparer définitivement de la religion juive. Ils avaient toujours été considérés comme faisant partie des croyants d’Israël. Mais en ce temps-là, la cohabitation est devenue insupportable. Les deux religions se séparent, et ça ne se fait pas sans colère, sans blessures ni conflit.
On comprend que, dans ce contexte de divorce religieux, la communauté matthéenne ait besoin de méditer sur le tranchant de la parole du Christ. Sur le fait que suivre Jésus, c'est risquer de se couper d'autres personnes, parfois de proches, parce qu'ils ont fait un choix différent.
Et aujourd'hui, alors que nous sortons d'une période où la foi chrétienne était presque une évidence? Aujourd'hui, où nous devons réapprendre que suivre le Christ, c'est un choix personnel aussi, et pas d'abord un fait de société; ou un héritage de famille? Aujourd'hui, où notre Eglise nous encourage à manifester plus clairement notre couleur... Aujourd'hui, n'est-il pas nécessaire de reprendre cette réflexion d'il y a bientôt 2000 ans, pour ne pas oublier que suivre Jésus peut être une aventure dangereuse - et qui risque de nous séparer d'autres personnes? Un choix personnel à faire, à refaire sans cesse, pour continuer d'avancer sur les pas de Dieu tracés sur notre terre?
Le risque de la foi. Croire en Christ aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec la tranquille évidence de notre enfance. Ce n'est pas que la Bible ait changé, mais c'est la société. Et le monde! Attention: une épée peut en cacher une autre!
(4°) Dernière remarque: la paix. On l'a souvent dit, il faut le rappeler: il y a deux sortes de paix. Celle, d'abord, de l'apparence, la paix qu'on fiche aux autres. Au niveau mondial, c'est l'équilibre des forces, qui empêche les guerres. Mais qui n'est pas une paix en profondeur. Car les conflits peuvent couver, la violence être en incubation... Et soudain, ça nous saute à la figure, comme on le voit un peu partout sur terre.
Au niveau de la famille ou des relations personnelles, il y en a, aussi, de ces paix de surface, qui ne sont qu'un vernis posé par-dessus un conflit, par-dessus une injustice ou un pouvoir sans respect.
La vraie paix, bien sûr, elle est tout autre: faite non de relations fusionnelles ou immobiles, mais d'espaces de dialogue, d'accueil profond; d'échanges, surtout, où on se dit les désaccords franchement, pour oser les vivre dans la confiance, pour tenter de les analyser - quitte à devoir reconnaître ses propres torts. C'est ça, la paix du Christ, telle qu'il l'a vécue jusqu'à la croix de Golgotha! Non pas cacher les divergences, les désaccords, mais les aborder; lucidement.
Et c'est bien sûr la première paix, celle du vernis, que Jésus vient troubler: "Je ne viens pas apporter cette paix de surface, je vous amène le couteau, le ciseau, ce qui tranche et sépare..." Bien entendu, il ne nous donne pas une épée pour châtier l'infidèle. Mais c’est lui qui se donne, entièrement, sans retenue, et sa présence tranche entre ceux qui le suivent et ceux qui restent là.
Vous vous rappelez? Pour créer, dans la Genèse, Dieu avait séparé: la lumière de l'obscurité; la terre du ciel; les eaux des continents... L'aventure de la foi au Christ serait-elle donc la continuation de l'oeuvre du Créateur?
Je me dis qu'un jour, un vieux régent pourrait bien interpeller nos Eglises officielles, notre christianisme parfois trop immobile... Il nous demandera si notre foi, si notre vie spirituelle, ressemble à l'épée de Charlemagne. Sera-t-elle incisive? Etincelante? Tranchante? Victorieuse?
Ou un discours de surface, long et plat?
Amen
Jean-Jacques Corbaz
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Un vieux régent... ou un converti (parmi d'autres). Après que j'ai rencontré Dieu - c'était il y a 16 ans - : rencontre intérieure, invisible de l'extérieur mais non moins réelle que de rencontrer une personne en chair et en os, bouleversé, je me suis tourné vers l'Eglise catholique. Finalement, au bout de 15 années, force m'a été de constater que si ce Dieu que j'avais rencontré intérieurement et qui, depuis, était devenue l'unique lumière de ma vie (mais quelle lumière ! Elle fait tout nouveau et éclatant), si ce Dieu donc était bien le même que celui que l'Eglise annonce : je ne l'avais pas rencontré extérieurement, dans mes frères chrétiens. Je veux dire qu'à l'inverse de l'Evangile et de la Tradition, avec ses grands témoins tels Angèle de Foligno, Marie de l'Incarnation, Saint Silouane l'Athonite, Thérèse de Lisieux, Alexandre Men qui témoignaient non seulement par leurs paroles mais par leur vie surtout, de Dieu, je n'ai rencontré aucun chrétien Le connaissant au sens vrai du terme : non par les lectures, de manière conceptuelle - un Dieu à l'image de l'homme avec ses limites -, mais partageant l'absolu et l'infini de l'Amour divin. Et ne pouvant plus porter ce poids, j'ai été amené à m'arrêter de participer aux sacrements et à la vie de l'Eglise comme on se trouve en arrêt de travail. Une sorte de burn out finalement. Aujourd'hui, Dieu demeure le centre absolu de ma vie et je continue d'y témoigner constamment de l'Amour-Vérité qu'Il est auprès de tous ceux que je rencontre. Demeure la blessure ouverte par une Eglise qui prêche mais ne fait pas à travers ses membres. L'amour a-t-il une limite ? S'il est de Dieu, non. L'amour est-il soumis à la loi, fut-ce celle des dogmes et des églises ? S'il est de Dieu, non. Je souhaite à tous de connaître un jour cet amour de Celui qui est tellement grand que, finalement, même et surtout ceux qui se réclament de Lui le trahissent.
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