Prédication du 30.6.19
Lectures bibliques: 1 Jean 3, 1-3; Matthieu 12, 46-50
Il y a bien des années, un missionnaire arrivait chez les Inuit, dans le grand Nord. Ce pasteur leur parla de Dieu et de Jésus. C’était la première fois que l’évangile était annoncé dans ces banquises.
Les Inuit furent émerveillés par cette religion, savez-vous pourquoi? Parce que les chrétiens appelaient Dieu “leur Père”.
Cette surprise étonna beaucoup le missionnaire; il était tellement habitué à prier le “Notre Père” qu’il ne réalisait plus vraiment à quel point c’était révolutionnaire!
“Oui, dirent les Inuit, on nous a toujours parlé d’un dieu qui fait peur, qui gronde et qui punit. Mais un dieu qui est notre père, dont nous sommes les enfants, alors ça, c’est merveilleux, c’est extraordinaire!”
J’aime cette histoire, à cause de la surprise des Inuit. Et à cause de celle du missionnaire! Est-ce que nous ne sommes pas souvent comme lui, habitués à appeler Dieu notre Père, trop habitués pour en sentir toute la force? Serions-nous “vaccinés” contre les mots qui disent l’amour paternel de Dieu, au point de ne plus réaliser ce que ça implique comme tendresse; comme désir; comme responsabilité; comme envie de faire grandir?
Oui, tout l’évangile, toute la vie et l’oeuvre de Jésus veulent dire au monde la passion du Créateur pour chacun(e); sa volonté de paix, de "res-paix" même, pour tou(te)s; et ses promesses. Alors que la terre entière avait une «sainte frousse» de ses divinités, Dieu, lui, souhaite bannir en nous toute peur d'une punition, avant ou après la mort; il rêve de vivre avec nous des relations tissées de confiance (confiance, c'est ce que veut dire le mot «foi»), tissées de liberté.
Nous avons, durant des siècles, entendu des sermons qui nous exhortaient à la responsabilité; à l’amour du prochain; à croire en Dieu... Et c’était juste, c’est sûr! Aussi juste que de dire qu’une bonne voiture doit avoir des roues!
Mais aujourd’hui, dans ce temps de Pentecôte, la Bible nous dit que d’abord, Dieu nous aime; que d’abord, Dieu est responsable de nous; qu’il éprouve pour nous: tendresse, émotion, désir; envie de faire grandir; confiance; donc foi! Et tout cela, dans notre image de la voiture, tout ça c’est le moteur, qui fait tourner les roues!
Un chrétien sans amour, sans responsabilité, sans justice, c’est comme une auto sans roues, bien sûr! Mais un chrétien qui n’est pas, avant tout, enraciné dans l’amour de Dieu, dans son affection paternelle, dans son pardon, c’est comme une voiture sans moteur!
Bon, une voiture sans moteur, ça peut rouler: à la descente! (comme le char noir d’Abram du Champ-des-Pierres). Mais à la première montée, à la première difficulté, ça pose problème!
Nous, chrétiens, nous aimons parce que Dieu nous a aimés le premier, en Jésus Christ. Parce que le Saint-Esprit a fait de nous des enfants de Dieu. D’abord, avant de nous demander quoi que ce soit, le Créateur nous adopte. Comme le font les parents: bien avant de rien demander à leur enfant, ils lui en donnent, des choses, en nourriture; en confort; en affection; en sécurité...
Dieu fait de nous ce qu’aucune autre religion n’a jamais fait, auparavant: il se lie avec nous d’un amour infini. Et il fait de nous ses héritiers; ses fils et ses filles.
Car, nous l’avons entendu: nous sommes maintenant déjà des enfants de Dieu, effectivement, puisque nous croyons en lui. Nous n’avons rien à faire pour mériter ce titre; il n’y a pas de condition; pas de petites lettres dans le contrat; pas de prières à réciter, ni de bonnes oeuvres à accomplir; aucune démarche à mener, comme chez les témoins de Génova de François Silvant. C’est gratuit!
Nous sommes aujourd’hui enfants de Dieu, et nous deviendrons encore bien plus, quand le Christ reviendra faire toutes choses nouvelles: nous le verrons tel qu’il est, face à face. Plus rien ne nous séparera de sa clarté, de son bonheur et de sa paix. Nous vivrons avec lui dans une proximité parfaite.
Et c’est cette espérance, dit la première lettre de Jean, c’est cette espérance qui nous rend purs. C’est-à-dire: c’est cette espérance de vivre avec lui dans une proximité parfaite qui nous aide à être meilleurs, dans notre vie de tous les jours. Puisque nous sommes non seulement enfants de Dieu, mais ses héritiers, ceux qui deviendront presque lui-même, alors nous pouvons vivre déjà avec assurance, ici-bas. Avec confiance. Dieu s’est lié avec nous pour la Vie; je veux dire: pour la vie éternelle!
C’est ce moteur-là qui fait tourner nos roues. Et c’est pourquoi le passage de la première lettre de Jean que nous avons entendu continue par un immense développement sur le péché et sur l’amour pour nos frères et soeurs.
J’ai hésité, et j’ai finalement renoncé à demander à Yves Bornick de vous lire la suite de nos versets. Car cette insistance sur la morale et le péché passe très mal aujourd’hui. Il y a quelques années, j’avais proposé ce passage à un groupe de collègues pour leur prédication. Mais ils ont tous hurlé “Non, ça va culpabiliser les gens, toutes ces mentions du péché!”.
Avec vous, pour vous, je relève le défi! Je pense que ces “tartines au péché” sont indigestes, évidemment, à condition qu’on ait oublié le moteur, avant de penser au travail des roues; si on demande d’aimer, d’aider, de devenir solidaire, sans d’abord mettre en évidence la paternité de Dieu, son pardon, son amour; alors, c’est insupportable!
Mais si le moteur du Père céleste tourne rond pour nous, alors la culpabilité nous est enlevée! La passion de Dieu pour nous est si forte qu’elle efface tous nos manquements. C’est la grâce.
Ecoutez la superbe manière avec laquelle en parle cette prière de Jacques Leclerq:
“Un jour, je viendrai devant toi, Seigneur, et tu liras sur mon visage toute la détresse, tous les combats, tous les échecs des chemins de liberté. Et tu verras tout mon péché.
Mais je sais, mon Dieu, que ce n’est pas grave, le péché, quand on est devant toi. Car c’est devant les hommes qu’on est humilié. Mais devant toi, c’est merveilleux d’être si pauvre, puisqu’on est tant aimé. Puisqu’on est pardonné, gratuitement!
Un jour, je viendrai vers toi. Et dans la formidable explosion de ma résurrection, je saurai enfin que la tendresse, c’est toi. Que ma liberté, c’est encore toi.
Je viendrai vers toi, mon Dieu, et tu me donneras ton visage.
Père, j’ai tenté d’être un homme. Et je suis ton enfant!”
Jacques Leclerq
L’évangile ne nous invite donc pas à croire en un Dieu magicien, qui voudrait éluder les lois physiques universelles qui régissent nos vies. Mais en un Père qui travaille dans nos coeurs par amour passionné. Et vous voyez qu'on répond déjà, ici, à une de ces objections qu'on entend tout le temps: pourquoi Dieu n'intervient-il pas contre les drames de la terre?
La réponse, étonnante, est donc là: parce qu'il est solidaire! Parce qu'il refuse d'être plus fort que nous. Parce qu'il ne veut pas de lois physiques à géométrie variable, pas de chouchou, pas de passe-droit ni de privilège. Juste de l’amour.
Il préfère souffrir avec nous. Il préfère même mourir avec nous. Elle est là, sa passion!
En ce jour de fête, vos Eglises n'ont aucunement le désir de vous faire la morale. Bien au contraire! Elles souhaitent surtout vous dire la stupéfiante relation que Dieu rêve de vivre avec nous, pour nous: un amour fou, qui se donne jusqu'à la mort tant il nous respecte. Un élan du coeur qui bouleverse tout sur son passage.
Un dernier mot. Si vous osez, lisez quand même chez vous la fameuse “tartine au péché”; dans 1 Jean 3 jusqu’à la fin du chapitre. Elle insiste sur l’amour pour les frères et soeurs. Eh oui, quoi de plus normal, si nous sommes enfants de Dieu, que de nous aimer fraternellement?
Mais attention: aimer son frère, ce n’est pas la même chose que d’aimer son prochain. Le frère, dans notre épître, représente le membre de la même communauté chrétienne. Locale. Le paroissien de la même paroisse.
Vous n’avez pas attendu cette prédication pour savoir que Dieu nous demande d’aimer les humains, surtout les plus fragiles. Mais notre passage, aujourd’hui, nous invite à faire un gros plan sur nos relations les uns avec les autres, dans cette paroisse. Comment les vivons-nous, ici, à Vuarrens; à Bercher; à Pailly; bref, dans nos villages du Sauteruz - ou bien là où vous habitez, vous qui me lisez?
Vous le saviez, mais c’est sans doute bon de le rappeler parfois: aimer son frère, ce n’est pas seulement envoyer un paquet pour l’Afrique ou verser 100.- pour les victimes de la guerre en Syrie. C’est aussi, par exemple, ne pas dire du mal de son voisin!
Savez-vous qu’un de mes collègues, un jour, a été suffisamment “gonflé” pour proposer une action très concrète, dans son journal paroissial. Il a demandé à chacun(e) de s’abstenir, pendant toute la semaine, de dire du mal d’un autre membre de la paroisse...
Il paraît que la vie de la communauté en a été transformée.
Euh... pendant... en tout cas une semaine!
Amen
Jean-Jacques Corbaz
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