MERCI à Louis Pernot :
« pour
beaucoup, la théorie de l’incarnation, c’est tout simplement que Jésus
est Dieu, comme si le Dieu transcendant descendait sur Terre sous la
forme de Jésus Christ. Mais depuis les premiers siècles de notre ère, on
a vu que les choses étaient bien plus compliquées.
Dire,
en effet : « Jésus est Dieu » est simple, mais très problématique. Dieu
ne porte pas des sandales, Dieu ne peut pas mourir sur une croix, et
encore moins se dire à lui-même : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu
abandonné ». Il y a dans l’Évangile de nombreux passages montrant que
Dieu et Jésus ne sont pas la même personne : ainsi la prière de Jésus à
Getsémané : « Non pas ma volonté mais la tienne »...
Les
théories plus ou moins subtiles ont alors foisonné pour essayer de dire
de quelle manière Dieu pouvait être présent en Jésus Christ. Certaines
imaginant que Dieu n’a en Jésus qu’une apparence humaine, Jésus n’étant
pas vraiment un homme, d’autres que Jésus est bien un humain, mais que
c’est Dieu qui prend la place de sa pensée et de son âme... Aucune bien
sûr n’est vraiment satisfaisante et chacune mène au même problème qui
est de perdre la pleine humanité du Christ.
Tout
cela vient d’un verset de l’évangile de Jean (cette notion
d’incarnation étant absente des trois premiers évangiles) : « Et la
Parole (de Dieu... qui est Dieu) s’est faite chair. » (Jn 1,13).
Mais
comme on l’a vu depuis le Moyen Âge, ce verset pose problème : Dieu
étant l’absolu, par définition, il ne peut pas « devenir » quoi que ce
soit. Il faut donc comprendre qu’en Jésus, Dieu se rend présent sans
pour autant que l’on puisse identifier l’un à l’autre.
Que
Dieu se rende présent en Jésus-Christ n’est pas problématique : Dieu
est, de toute manière, un peu présent en chacun de nous, en Jésus il
peut l’être plus qu’en quiconque. L’affirmation de la divinité du Christ
peut être de dire simplement qu’en lui, Dieu est pleinement présent.
Là
est l’importance du mot « incarnation ». L’Évangile ne dit pas
brutalement que Jésus est Dieu, mais qu’il est l’incarnation de Dieu, ou
tout au moins de sa Parole, puisque Dieu est sa propre parole
créatrice. Dire que Jésus incarne la Parole de Dieu signifie qu’il n’est
pas en lui-même cette Parole, mais que celle-ci se trouve pleinement
présente en lui. En lui, on peut ainsi entendre et voir cette Parole en
ce que s’il parle, c’est en conformité avec la Parole, et s’il agit, il
agit dans le sens de cette Parole.
D’ailleurs,
couramment nous utilisons le mot d’« incarnation » relativement à une
idée, une idéologie, un discours ; nous pouvons dire, par exemple :
Gandhi est l’incarnation de la non-violence, Hitler a incarné le
Nazisme, ou l’antisémitisme, etc. Et si l’on peut dire de quelqu’un qu’«
il est la bonté même », on peut comprendre que l’on dise, de la même
manière, que « Jésus est Dieu-même ». Il n’y a pas besoin pour ça
d’imaginer que Jésus soit une sorte d’ectoplasme, réincarnation d’une
âme pré-existante qui serait Dieu sans être Dieu.
Cependant,
il est vrai qu’il y a deux manières de concevoir l’incarnation. Jésus
est comme le point de rencontre entre le divin et l’humain. Mais ce
point, on peut le penser à partir du haut, ou à partir du bas. Les
tenants d’une christologie plutôt divine conçoivent l’incarnation comme
un mouvement venant d’en haut : en Christ, c’est Dieu qui descend vers
nous. Les tenants d’une christologie plus humaine voient l’incarnation
dans l’autre sens, comme un mouvement ascendant : Jésus est un homme qui
a su incarner Dieu ou sa Parole. Les uns et les autres forment les deux
camps qui depuis des millénaires s’excluent mutuellement. Mais sans
doute faut-il garder les deux aspects qui ont chacun leur importance. »
L. P. Ev et Lib n° 217 , 2008 .
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