Or, l'intention de ce livre biblique est tout autre. Son auteur s'inscrit dans la tradition très ancienne des prophètes d'Israël. Le savez-vous? le mot Apocalypse, en grec, veut dire révélation, dévoilement de ce qui était caché.
1. Qu'est-ce qu'un prophète?
Là encore, le langage courant a considérablement déformé le sens biblique du mot. Un prophète, dans l'Ancien Testament (AT), n'est pas d'abord quelqu'un qui prédit l'avenir, mais une personne inspirée qui parle au nom de Dieu, qui donne un message qu'elle considère comme venant d'En Haut. En grec, prophétès = celui ou celle qui parle à la place de quelqu'un.
Un prophète jette un regard critique sur la situation (dans l'AT, c'est souvent la politique des rois qui est dénoncée). Il l'interprète. Puis il indique comment Dieu souhaite voir réagir les humains. Et si le terme de prophétie s'est souvent confondu avec celui de prédiction, c'est que les Esaïe, Jérémie, Amos ou Zacharie ont fréquemment inclu dans leurs interprétations l'annonce d'interventions divines, soit pour punir son peuple (en général via une invasion étrangère), soit pour le sauver.
Au fond, un prophète biblique agit un peu comme un médecin d'aujourd'hui: diagnostic, puis traitement, ce dernier incluant un pronostic pour stimuler le patient! Mais sa science, affirme-t-il, son autorité lui viennent de Dieu seul.
2. Auteur, situation et visée
L'Apocalypse a été rédigée une centaine d'années après la naissance du Christ, sous la plume d'un certain Jean. Il ne s'agit ni du disciple contemporain de Jésus, ni de l'auteur du quatrième évangile (le style est trop différent). Mais il est possible que notre prophète se réclame d'une tradition ou d'un courant de pensée proche d'eux.
Ce qui est sûr, c'est que l'auteur de l'Apocalypse est familier des traditions juives palestiniennes. Il a probablement connu l'exil sur l'île de Patmos (1,9).*
* les chiffres entre parenthèses renvoient aux passages du livre biblique: (1,9) = Apocalypse chapitre 1, verset 9
En ce temps-là, les chrétiens vivent quasi tous dans l'Empire de Rome. Or, l'empereur exige de ses sujets qu'ils l'adorent comme un dieu. Un dieu à côté d'une quantité d'autres: le panthéon romain (Jupiter, Junon, Mercure, Vénus...), mais aussi de nouvelles divinités venues d'Orient ou de provinces conquises.
La religion dans l'Empire a donc un caractère résolument inclusif. À l'opposé de l'exclusivisme des juifs et des chrétiens. Ce syncrétisme est d'ailleurs un des leviers utilisés par le pouvoir en place pour cimenter la fameuse "pax romana", l'entente entre tous les pays réunis sous le joug de l'empereur.
Certains disciples du Christ refusent d'adorer les successeurs de César, et subissent donc des persécutions. Tandis que d'autres (parmi lesquels probablement les Nicolaïtes cités en 2,15, et dont nous savons peu de chose) accceptent les règles fixées par Rome et se soumettent. On retrouve une situation que les Eglises ont vécue plus récemment, sous le nazisme ou le communisme par exemple.
Il va s'agir dès lors de redonner du courage aux premiers, les fidèles, pour éviter qu'ils ne cèdent à la pression du pouvoir. Et aussi d'essayer de ramener à la raison les seconds, les soumis, en leur faisant comprendre qu'ils sont dans l'erreur face à Dieu.
3. Une lettre circulaire à clés
L'Apocalypse tente ainsi de donner la parole à Dieu lui-même, pour qu'il arbitre le conflit entre les deux groupes de croyants.
Cet écrit se présente sous forme de lettre, adressée un peu comme une circulaire à sept Eglises situées dans la province romaine d'Asie, soit aujourd'hui en Turquie occidentale: Ephèse, Smyrne, Pergame, Thyartire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. Une région prospère, qui est dans l'ensemble plutôt favorable à la "paix" de l'Empire, puisqu'elle lui est bénéfique.
Afin de garder en vie chez ses lecteurs une foi courageuse et sans concessions, l'auteur parle aux sentiments, aux tripes, voire à l'inconscient. Il s'exprime par images, symboles, chiffres, couleurs... qui tous ont un sens pour les personnes familières des traditions juives palestiniennes; mais qui resteront obscures pour les agents du pouvoir romain, plus rationnalistes! Le contenu de ce livre du dévoilement, de la révélation, demeure caché pour les non inités.
Et c'est évidemment là notre problème, aujourd'hui! Car tous ces symboles nous sont aussi étrangers qu'aux agents de l'Empire, voire davantage. Nous avons beaucoup de peine à les comprendre.
4. Le sens général
L'apocalypse, à l'époque, est un genre littéraire en vogue. Citons quelques chapitres de la Bible: Esaïe 24-28; Ezékiel 37-39; Joël 3-4; Zacharie 9-14; Daniel 7-12; Matthieu 24; Marc 13; Luc 21... On en trouve également dans un peu toutes les religions, en ce temps-là. Les apocalypses décrivent les justes opprimés et les méchants qui triomphent. Le mal semble prendre le dessus définitivement, le salut paraît impossible. Mais Dieu intervient avec fracas au milieu d'épreuves terribles, et renverse la situation. Après bien des tribulations, les justes sont récompensés d'avoir tenu bon, et les oppresseurs punis. Cela de manière totale et définitive.
Il y aura donc, disent les apocalypses, de très lourdes souffrances pour les fidèles. Mais qu'ils gardent confiance. Sachez-le: le dernier mot de l'histoire n'appartiendra pas aux forces du mal et de l'oppression, mais à Dieu.
5. Les symboles les plus importants
Chez notre prophète chrétien, le dragon représente l'esprit du mal. Les "bêtes" du chapitre 13 désignent les empires qui prennent la place de Dieu. Et la principale bête, la plus terrible, symbolise le despote de Rome. On peut le comprendre grâce à son chiffre, nous dit l'auteur (13,18). Ce nombre de 666 ne renvoie pas à Satan, comme beaucoup le croient. Mais c'est un message codé qui désigne une personne précise.
En effet, en grec (langue dans laquelle l'Apocalypse a été écrite) et en hébreu, il n'existe pas de chiffres distincts des lettres, comme chez nous. Ce sont les Romains qui ont inventé ce système. En grec et en hébreu, ce sont les lettres qui tiennent lieu de chiffres: comme si pour nous A valait 1, B 2, C 3, etc. Or, en additionnant les valeurs chiffrées des lettres de Néron-César, on obtient justement 666.
On comprend bien que personne ne peut ni acheter ni vendre ni rien faire sans la marque de la bête, signe de son autorisation: tous les habitants de l'Empire sont obligés de se servir de la monnaie de la puissance occupante, à l'effigie du tyran de Rome.
Face à lui, l'Agneau, qui intervient dès le chapitre 5, représente évidemment le Christ. Et tout spécialement le Crucifié. Car c'est sur le Calvaire, dans les pires souffrances et la mort qu'il est vainqueur du mal et de la violence. Pour notre Apocalypse, qui est proche de la théologie de l'évangile de Jean, c'est sur la croix et non ailleurs que Jésus est glorifié. Le jour de la Victoire, ce n'est pas Pâques ou l'Ascension, mais Vendredi saint!
Les couleurs sont importantes: le rouge feu symbolise la violence et le caractère meurtrier; l'écarlate et le pourpre le pouvoir hostile à Dieu et aux siens; le blanc désigne la lumière, et tout ce qui appartient au monde céleste; l'or, enfin, la richesse et l'autorité.
La corne et la main sont signes de pouvoir sur les autres. La bouche (ou la gueule) représentent la parole. Et les yeux la connaissance.
Les nombres jouent bien sûr un grand rôle dans ces messages chiffrés: le 4 représente les réalités terrestres (c.f. les 4 points cardinaux), tandis que le 7 symbolise l'ordre cosmique (7 jours de la semaine, 7 planètes connues alors) et la perfection de Dieu. 3 1/2, la moitié de 7, c'est le contraire de parfait, tout comme 6 ("sous-7"!). Le 666 est donc l'imperfection absolue. Et 3 ans et demi (12,14), ou 42 mois (13,5) représentent un temps limité, imparfait, boiteux.
Le 3 au contraire renvoie à Dieu (trois fois saint; plus tard on dira Père, Fils et St-Esprit). Le 10 symbolise la totalité (base du système décimal). Le 1000 et ses multiples un grand nombre (le règne de mille ans est un règne infini).
Parfois, on verra aussi ces chiffres se combiner entre eux. Ainsi, le 12 (3 fois 4) représente l'harmonie cosmique (12 mois de l'année, 12 signes du zodiaque) ou la totalité du peuple de Dieu (12 tribus d'Israël, 12 disciples). Les 144 000 élus (12 x 12 x 1000) symbolisent la totalité la plus totale.
L'alpha et l'oméga sont la première et la dernière lettre de l'alphabet grec; donc: le début et la fin de tout ce qui existe. Le temple et Jérusalem renvoient à la religion et aux croyants, au peuple de Dieu. Il promet de les racheter, de les transformer, d'essuyer toute larme de leurs yeux.
6. Une promesse
L'Apocalypse n'est donc pas une annonce de catastrophe épouvantable, de souffrances ou de fin du monde. Elle est avant tout une promesse. Dieu s'engage envers les croyants, et, plus largement, envers tous les opprimés. Il leur déclare solennellement qu'il ne tolère pas les injustices dont ils sont victimes, et qu'il va guérir la création de tout mal. Un jour nouveau viendra, qui verra les tyrans s'effondrer, et les justes triompher.
Si catastrophe il y a, elle ne vise que les systèmes totalitaires, qui asservissent les autres. L'Apocalypse leur dit: "Tu n'es pas éternel, tu vas t'effriter. Ton bel édifice est déjà condamné."
Mais à ceux qui souffrent sur terre, elle annonce la délivrance. Elle invite, parfois avec tendresse, à garder courage, à rester debout quand tout paraît perdu, à continuer de lutter. Elle appelle à fuir autant le défaitisme que le triomphalisme: rien ne sera facile, les pouvoirs d'ici-bas sont terriblement puissants. Mais ils ne sont pas invincibles.
Sur cette terre, les croyants sont témoins du monde nouveau que Dieu fait naître. Si nous savons en reconnaître les signes, nous devenons des hirondelles qui annoncent le printemps du Christ; qui l'anticipent; qui l'aident à advenir!
Sachez-le: le dernier mot de l'histoire appartiendra à Dieu.
Jean-Jacques Corbaz, novembre 2012
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