Dans les Ecritures saintes, on peut lire des versets qui se contredisent entre eux; ainsi que des affirmations qui sont contraires à ce que nous pensons. Par exemple Exode 35, 2 dit que quelqu’un qui travaille le samedi doit être condamné à mort. Ou Lévitique 19,19: «Ne semez pas dans vos champs deux espèces différentes, et ne portez pas des habits tissés de deux sortes de fil». Parole du Seigneur, vraiment?
On me dira que ces prescriptions appartiennent à l’ancienne alliance, qui ne doit être lue qu’en fonction du Nouveau Testament. Mais que faire alors par exemple de versets comme 1 Corinthiens 16, 22: «Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur, qu’il soit maudit»? Parole de Dieu, vraiment?
Comment comprendre ces passages controversés? On jette sa Bible aux orties? Ou on décrète que certains versets de l’Ecriture sont des faux? Ou, comme je l’ai quelquefois lu ou entendu, on se contorsionne pour essayer d’expliquer que non, l’auteur ne voulait pas dire ça?
Dans ces trois cas, on se trompe sur le statut des paroles bibliques, et sur le sens du fameux «Parole du Seigneur».
Je suis convaincu que les textes saints sont inspirés par Dieu. Mais je suis tout aussi fermement persuadé que cette «inspiration» signifie autre chose que ce qu’on croit souvent. Les mots et les phrases de la Bible n’ont pas été dictés par Dieu comme les musulmans le disent à propos du Coran. Les textes saints résultent d’une rencontre, d’une interaction entre d’une part les hommes et les femmes qui ont rédigé les Ecritures et d’autre part Dieu, qui les a suscitées.
L’inspiration de la Bible n’est pas ponctuelle, c’est-à-dire valable pour un seul point donné (un seul mot, une seul phrase, un seul chapitre…) de façon isolable. Elle ne l’est même pas pour un seul auteur pris individuellement et hors de son contexte historico-littéraire. Même pas pour un évangile comme celui de Matthieu par exemple. Tous sont inspirés parce qu’ils appartiennent à un ensemble inspiré, les Ecritures saintes.
Nous avons besoin de plusieurs évangiles pour exprimer - au mieux - l’Evangile de Jésus Christ, cet Evangile qu’il est impossible de fixer dans nos termes humains imparfaits. Nous avons besoin d’une grande variété de textes pour approcher au mieux la Parole de Dieu, elle qui est transcendante et qui nous échappera toujours partiellement.
La Bible telle que nous la lisons aujourd’hui est le fruit de toute une histoire où cette Parole s’est mélangée à nos mots humains, à nos phrases limitées, et même à nos raisonnements terrestres, voire à nos préjugés tout immanents. C’est là le miracle des miracles: Dieu a accepté que son Histoire soit mêlée aux histoires des humains, avec toutes les compromissions que cela suppose, toutes les faiblesses et les mythes que cela peut inévitablement engendrer!
En eux-mêmes donc, le livre de la Genèse, l’épître de Jacques ou l’évangile de Matthieu ne sont Parole divine (LA Parole) qu’en tant qu’ils sont situés dans le cadre de l’histoire du salut, enracinés dans les histoires humaines et dynamisés par les interventions de Dieu dans cette histoire. L’histoire du salut est bien le grand terme, la référence suprême de toute pensée théologique (et je précise que faire de la théologie n’est pas réservé à une élite universitaire; chaque fois que vous dites quelque chose même de tout simple sur Dieu, vous faites de la théologie).
Dans ce sens, ce n’est pas l’Eglise qui est infaillible, ni le Pape, comme le disent souvent les catholiques. Ce n’est pas non plus le texte des Ecritures, comme l’affirment les fondamentalistes. L’Eglise comme la Bible sont le résultat d’une compromission de Dieu avec l’imperfection inéluctable des êtres humains.
Ainsi, toute écriture, qu’il s’agisse de ce texte que vous lisez, qu’il s’agisse du Nouveau ou de l’Ancien Testament ou de vos phrases à vous, n’est inspirée qu’en fonction de son rapport avec l’histoire du salut. Et quand je dis «fonction», cela implique qu’elle ne sera jamais parfaitement inspirée.
Cette histoire du salut commence avec la Création et elle continue aujourd’hui. Mais elle culmine en Jésus, tout spécialement dans sa mort et sa résurrection. Parler de point culminant indique que c’est à ce moment-là que la Révélation est la mieux livrée. Mais il y a eu bien sûr des petits «sommets» à d’autres époques: Abraham, Moïse, les prophètes de diverses périodes; ainsi que les réformateurs (ce qui ne se restreint pas à Luther, Calvin et leurs semblables, car François d’Assise ou Martin Luther King le sont tout autant, et il y en a des centaines!). Mais le sommet des sommets se trouve en Jésus, dans sa croix, même si là également nous avons toujours un certain degré (inévitable, nous l’avons dit) de compromission avec l’humain.
C’est dire que le canon des textes saints (c’est-à-dire le critère de leur fidélité à Dieu) ne sera ni la date de rédaction ni le style, ni même le contenu ou le fait qu’ils entrent ou non dans nos idées, nos schémas. Mais ce sera l’apostolicité de ces écrits, i.e. leur qualité de remonter au mieux à Jésus, et avant tout à Jésus crucifié.
Les premières confessions de foi, d’ailleurs, sont historiques et non spirituelles, autant dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau. La première Eglise confesse Jésus Christ comme homme et non comme Dieu. Ce n’est qu’avec les années, et notamment sous l’influence de la gnose, qu’on donne de plus en plus de place à sa divinité, alors que les premiers croyants s’en tenaient aux interventions de Dieu dans l’histoire.
Cette tendance se manifeste encore aujourd’hui et chez nous. Chaque fois que nous prions un Jésus purement angélique, uniquement esprit, nous l’arrachons à l’histoire dans laquelle il s’est enraciné et en faisons un héros mythique. C’est la dérive des enthousiastes de toutes sortes.
La spécificité du christianisme par rapport aux autres religions est justement le fait que tout passe par l’histoire, que le salut ne s’accomplit pas ailleurs que dans l’histoire.
Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 9 décembre 1974
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