De violentes controverses ont opposé les deux clans. On a pu voir ainsi s’écharper haineusement les disciples du Prince de la paix, hélas! L’adoptianisme finira par être condamné par l’Eglise comme contraire à l’orthodoxie. Mais cette doctrine resurgira fréquemment.
Pourquoi? Parce que les évangiles ne sont pas sur ce sujet d’une clarté qui nous permette de trancher définitivement.
Une lecture attentive de la christologie du Nouveau Testament (NT) montre que la messianité de Jésus et son caractère de fils de Dieu remontent toujours plus haut dans le temps au fur et à mesure qu’on s’éloigne de sa vie terrestre.
Pour Paul, cela semble dater de la résurrection: «En tant qu'être humain, il était descendant du roi David; mais selon l'Esprit saint, il a été manifesté Fils de Dieu avec puissance quand il a été ressuscité d'entre les morts» (Romains 1, 3-4).
Pour Marc, un peu plus tard, on distingue un cheminement via les trois phases du schéma d’intronisation égyptien: (1°) révélation à l’intéressé, qui a lieu lors de son baptême: «Tu es mon fils bien-aimé, je mets en toi toute ma joie» (Marc 1, 11); puis (2°) révélation à ses disciples à la transfiguration: «Celui-ci est mon fils bien aimé, écoutez-le!» (Marc 9, 7); et enfin (3°) reconnaissance de sa divinité par le peuple, lorsqu’il meurt sur la croix: «Cet homme était vraiment le fils de Dieu!» (Marc 15, 39). Marc est donc clairement adoptianiste.
Chez Matthieu, Marie est «enceinte par la puissance du Saint-Esprit» (Matth. 1, 18). Mais la qualité de fils de Dieu de Jésus n’est révélée qu’à Joseph (Matth. 1, 20-21)! La messianité de Jésus remonte donc ici à sa naissance, ce que souligne l’adoration par les mages.
Luc, légèrement plus tardif encore, introduit ce qu’on nommera l’annonciation, donc la révélation à Marie qu’elle accouchera d’un enfant «qu’on appellera le fils du Dieu très haut» (Luc 1, 30-35). Il fait donc remonter la messianité de Jésus au minimum à sa naissance, voire peut-être à sa conception.
Enfin, Jean, le dernier à rédiger un évangile du NT, affirme qu’elle date du «commencement» de toutes choses (Jean 1, 1-15). Il développe donc une christologie de la préexistence.
Cela ne veut pas dire bien sûr que ce sont les témoins les plus anciens qui ont raison, si tant est qu’on puisse avoir «raison» plus qu’un autre! Tout au plus on peut voir que nous avons là une divergence des témoignages dont il est important de tenir compte.
Peut-être cela traduit-il en cinq évangiles ce qu’un seul ne pouvait dire (encore que celui de Marc en constitue une bonne tentative!): Jésus est devenu fils de Dieu (rappelons-nous que dans l’Ancien Testament le roi depuis David était appelé fils de Dieu) au long de tout son ministère. Il s’est manifesté comme Oint au fils de ses actes concrets de révélation, qui culminent dans les évènements de Vendredi saint et Pâques.
Autrement dit, il était fils de Dieu potentiellement depuis le début, mais il l’est devenu effectivement à travers tous ses actes.
Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 11 novembre 1974
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire