Lectures bibliques: Jérémie 31, 21-22 + 31-34; Apocalypse 21, 1-4
Jérémie 31, 21-22 (traduction JJC)
21) Le long de ta route, plante des repères,
Dresse des poteaux, des signaux de pierre,
Réfléchis à ton itinéraire,
Trace ton chemin,
Jeune-fille d’Israël, reviens!
Reviens, ce pays t’appartient!
22) Jusqu’à quand vas-tu encore hésiter,
Tarder, tourner en rond, errer,
Jeune indécise sourde à mes serments?
Le Seigneur crée quelque chose de différent,
De tout nouveau, de bon:
C’est la fille qui fait la cour au garçon!
Plante des repères, balise ton chemin! Ces mots, Jérémie les adresse aux exilés de Jérusalem, eux qui sont prisonniers à Babylone et qui attendent désespérément de pouvoir rentrer dans leur patrie. Dieu, dit le prophète, Dieu vous appelle à revenir. Dressez des poteaux pour que personne ne se perde, pour que le peuple tout entier, jusqu’au plus petit, retrouve son pays.Dresse des signaux, jalonne ton chemin! N’hésite plus! C’est Dieu qui intervient pour créer quelque chose de tout nouveau, pour renverser la situation: c’est la fille qui fait la cour au garçon! C’est-à-dire que tout va repartir sur des bases différentes, inversées.
Israël, comparé à une jeune-fille indécise, va recevoir de Dieu le plus beau cadeau qui soit: la force de prendre en main son sort. Ce n’est plus Dieu (soit l’amoureux, dans cette brève parabole) qui va courir après la jeune-fille; non, c’est la femme qui va courtiser l’homme, c’est donc Israël qui va courir après Dieu!
Plante des jalons, balise ton chemin! Les nomades, comme Israël l’a été longtemps, connaissent l’importance de ces signaux de pierre. Ils sont utiles, voire essentiels, non seulement pour retrouver sa route dans le désert, mais aussi pour commémorer un évènement familial ou religieux, par exemple la venue au monde d’un enfant, ou le fait d’avoir échappé à un danger. Pensez à Jacob au gué du Yabboq ou à Bethel.
Ainsi, chaque fois que le cycle nomade refait passer le clan vers de ce repère, la famille repense à ce qu’elle a vécu. Elle revit sa joie, et peut renouveler ses engagements, ses promesses. Et elle reçoit aussi renouvellement des engagements du partenaire, bien sûr, même si ce dernier est invisible à des kilomètres de distance.
Plante des repères, jalonne ton chemin! Dieu crée du neuf, du tout nouveau!
En Jésus, sur la croix, Dieu nous dresse lui aussi un signal de salut, de pardon, d’amour paternel. Sur la croix, Dieu nous dit: je vous aime plus que ma propre vie, soyez certains que je vous fais grâce de tout ce qui pourrait nous séparer. Toutes et tous, vous êtes mes enfants bien-aimés, vous n’avez rien à craindre d’aucun jugement, d’aucune mort! Sur notre route, partout où nous allons, Dieu a déjà planté un signe, le signe parfait de l’amour et du respect, sa croix!
Nous vivons chaque début du printemps le temps du Carême, ou de la Passion. Ainsi, comme les nomades d’Israël, notre chemin nous conduit à repasser chaque année devant ce repère de la croix, rappel du salut en Christ. Nous pouvons y renouveler nos promesses face à Dieu ou ce qu’il a créé. Et, bien sûr, nous y recevons aussi de sa part ses engagements renouvelés, l’assurance de son amour passionné, illimité, pour nous; sans autre limite que celles que nous pouvons y dresser nous-mêmes, par méconnaissance de l’évangile! Pâques nous le redit bien!Ajoutons que ce que je viens de mentionner pour le Carême ou Pâques est également valable et important pour nos existences individuelles ou familiales, évidemment. Nos baptêmes, nos confirmations, nos bénédictions de mariages se veulent tout autant de tels jalons sur notre marche de chrétiens. En les revivant, que ce soit au moment d’un anniversaire ou que ce soit par le biais de photos, de vidéos, ou de cadeaux reçus, nous pouvons aussi renouveler nos engagements et recevoir à nouveau les promesses des autres, et bien sûr celles de Dieu.
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Quelques remarques encore. D’abord pour lever un possible malentendu. Beaucoup de paroles de l’Ancien Testament sont rédigées en «tu», comme si elles s’adressaient à une seule personne. Or c’est bien d’un appel collectif qu’il s’agit. C’est une manière particulière qu’a l’hébreu de s’adresser au peuple entier comme s’il était un seul individu. Pensez par exemple aux dix commandements: «Tu ne tueras pas»!
C’est donc la communauté des croyants autant que toi et moi individuellement qui est appelée à dresser des signaux pour refléter ceux de Dieu, pour inviter nos contemporains à se souvenir des promesses qui nous sauvent. Ce sont nos cultes et nos messes, nos soupes de Carême, les croix que nous portons ou que nous disposons autour de nous, nos calendriers de Carême, et bien sûr les fêtes autour de Pâques. Sans oublier l’exemple que nous donnons! Tout cela contribue à rendre présents et vivants les engagements de notre Père du ciel. Ils aident à avancer parmi les broussailles des soucis de ce monde ou à travers les déserts de nos solitudes.
Pourtant, dans les fourrés comme sur le sable, le chemin s’efface s’il n’est pas parcouru assez souvent. Le sentier a besoin de notre passage tout autant que nous avons besoin de lui! Il est d’ailleurs des pistes qu’on ne voit que si quelqu’un est en train d’y marcher. Qui donc parcourra les chemins de l’espérance, de l’amour et du pardon, pour qu’on voie qu’ils existent?
Autre remarque: les repères dont nous parlons n’ont rien de contraignant ni d’enfermant, il est important de le préciser. Ce sont des marques visibles, pareilles aux balises du Tourisme Pédestre sur des sentiers. Elles indiquent un chemin, et c’est à chacun.e de se diriger en fonction d’elles ou non. Bien sûr.
De plus, souvenons-nous que de tels signaux jalonnent notre parcours au fur et à mesure de notre avance. Il serait vain de rester au départ de la route en attendant de savoir par où passer le lendemain. Car ce n’est qu’en avançant qu’on aperçoit les repères et qu’ils nous aident à nous orienter.De même qu’il serait stupide, à l’inverse, de s’immobiliser au premier écriteau comme si on avait atteint le but. Le signal n’est pas là pour qu’on s’y arrête, il nous envoie plus loin!
Plante des balises au long de la piste! N’hésite pas, engage-toi sur le sentier!
Pas besoin d’ailleurs de matériaux extraordinaires. Il suffit de simples cailloux entassés, d’un bâton dressé, d’une tache de peinture sur un rocher. Pas besoin d’existences extraordinaires, de cérémonies pompeuses dignes de la cour d’Angleterre. La vie la plus humble est un repère, les mots, les gestes les plus terre-à-terre…
Repère. Moi qui affectionne les jeux de mots, je suis sensible à cette bizarrerie du français: re-père. Nos signaux, nos balises nous désignent le ciel, où vit pour nous un autre père! Comme un supplément d’amour et de sécurité. Que ce Carême puisse mieux nous ouvrir les yeux sur ce mystère!
Dressez des poteaux pour que personne ne se perde, pour que le peuple tout entier, jusqu’au plus petit, retrouve son pays. Le pays du Dieu de paix, où nous vivrons libérés.
Amen
Jean-Jacques Corbaz