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dimanche 31 mars 2024

(Po, Re) Métaphysique

Où commence et où finit Dieu?
Il ne commence et il ne finit pas.
Où commençons-nous et où finissons-nous?
On ne le sait pas,
Mais nous commençons et nous finissons - bien bas.

Mais alors, Dieu
Mais alors, Dieu est en nous?
Il y est, et il n’y est pas,
Car notre raison commence et finit - bien bas.

Tu sais, on ne le sais pas.


Jean-Jacques Corbaz, 28 mars 1974  


(Po) Tout est buée

Ce que nous construisons, jour après jour, heure après heure,
Goutte de sueur après goutte de sueur,
Goutte de sang après goutte de sang,
Ce que nous façonnons au fil du temps,
Tout peut disparaître à l’instant.

Ceux que nous éclairons, jour après jour, lueur après lueur,
À coup de rires, à coup de pleurs,
À coups de pied, à coups de dents,
Ceux que nous portons dans nos coeurs au fil des ans,
Tout d’un coup vont se perdre dans le néant.

La traînée que nous tissons, fils d’or et fils d’argent,
Fils de fer, cheveux d’ange, fils de joie,
La traînée que nous halons, un message, une voix,
Quand l’araignée sera morte se brisera.

J’ai traîné mes godasses, socques ou sabots d’argent
Et mes sentiers s’effacent, agonise le temps.
Reste-t-il un palace, un bel arc triomphant?
Ou ce bloc de molasse érodé sous le vent?
Je vous laisse mes traces, elles partent en avant
Si ténues mais tenaces, et je vais, frissonnant,
Je sais: tout être passe, et je vais, confiant.


Jean-Jacques Corbaz, 1er mars 1974   


samedi 30 mars 2024

(Pr) Pâques: Dieu n’a pas effacé

Prédication du 30 mars 2024 

 Lectures bibliques: Marc 15, 42 - 16, 8; 2 Corinthiens 4, 14-15

L’histoire se passe au temps des galères. On y envoyait ramer les grands repris de justice et les criminels irrécupérables. Un jour, le roi de Naples Louis VI décide d’aller les visiter. Et on annonce qu’il va rendre la liberté à l’un des forçats. Un seul!

Quand le roi arrive, il se met à parler avec les galériens. Bien entendu, chacun d’eux  cherche à être l’heureux élu qui sera libéré. Chacun se prétend innocent, et dit qu’il a été condamné par erreur.

Pourtant, Louis VI finit par tomber sur un forçat qui tient un autre discours. «Effectivement,  dit-il, j’ai volé et tué, j’ai été condamné, je le mérite». «Misérable, répond le roi, toi qui as volé et tué, mais que fais-tu ici au milieu de tous ces innocents? Tu vas les contaminer! Dépêche-toi de sortir!» Et c’est cet homme qui a été libéré.  

                         

J’aime beaucoup cette petite histoire. En particulier parce que, si on remplace le roi Louis VI par Dieu, nous ne sommes pas loin de ce dit l’évangile à propos du pardon donné en Christ et de la fête de Pâques. Nous n’avons pas à faire semblant d’être innocents. Dieu nous sauve malgré nos fautes. Ou plutôt à cause d’elles!

Et puis notre anecdote nous aide à comprendre aussi que la résurrection de Jésus n’est pas un grand coup de gomme donné sur ses souffrances et sur sa mort sur la croix. Elle ne signifie pas que Dieu a effacé Vendredi saint.

Car oui, Jésus a été condamné injustement. Oui, il été torturé, il a souffert, il a été exécuté d’une manière épouvantable. Oui, il est mort. Tout cela a eu lieu et ne doit pas être oublié.

La résurrection n’est pas une façon de faire comme si rien de tout ça ne s’était passé. La résurrection, c’est bien plutôt l’approbation de Dieu. Il approuve la cohérence de Jésus. Il reconnaît son fils dans cet homme abaissé, torturé sur la croix. Il reconnaît un être divin dans cet homme resté non violent et aimant tout au long de son supplice. Resté pardonnant.

Pâques ne signifie donc pas «Tout cela n’était qu’un mauvais rêve, le rejet qu’a subi Jésus, sa mort, la croix, ce n’était pas si grave que ça». Non! Jésus est totalement mort de notre mort humaine. La résurrection n’abolit pas ce qui s’est passé. 

Au contraire, la résurrection c’est l’approbation de tout cela. Au matin de Pâques, Dieu dit ainsi: «Oui, la croix, c’est un échec apparent. Mais ce n’est pas un échec véritable.» Ou plutôt: «C’est un échec, mais qui pourtant peut conduire à l’authentique réussite!». La croix, c’est bien le chemin, la manière voulue par Dieu de vivre son pouvoir.

Ce Jésus qui a été crucifié, Dieu l’a ramené à la vie. Le ressuscité n’est donc pas un être céleste, c’est un homme qui a vécu concrètement, y compris la mort et la torture. Et il ne s’est pas relevé de la tombe tout seul, non, c’est le Créateur qui lui a donné cette vie nouvelle. Signe qu’il nous la donnera à nous aussi, le jour venu.  

 

On me demande parfois comment cette résurrection a été possible. Ou qu’est-ce qui s’est passé, concrètement.

Les évangiles ne disent rien à ce sujet. Quand les femmes arrivent au tombeau, il est déjà vide. Jésus n’est plus là. Il nous échappe! Ce que mettra encore en évidence le récit de l’Ascension, 40 jours plus tard.

Disons-le: les récits des évangiles à propos de Pâques ne se veulent pas historiques ou journalistiques. D’ailleurs, à l’époque de leur rédaction, on n’avait pas la même conception de la vérité historique que nous aujourd’hui. Les récits des évangiles à propos de Pâques sont bien plutôt une proclamation, une confession de foi et d’espérance.

L’important n’est pas de savoir ce qui s’est passé concrètement. Mais plutôt ce que cela éveille en nous. Comment cela nous ressuscite, nous aussi, derrière le Christ! L’important, c’est la confiance dans la puissance de Dieu que nous pouvons recevoir à travers l’évènement de Pâques, la puissance de Dieu qui est infiniment plus fort que tout ce que nous pouvons imaginer ou comprendre. 

Dieu est tellement créateur de vie que même la mort de Jésus devient en lui source de vie! Dieu est tellement créateur de vie que même l’échec peut ouvrir sur la victoire! Dieu est tellement créateur de vie que même la fin de tout (ce qu’on croyait être la fin de tout) peut ouvrir sur l’impossible!

Cet homme, Jésus de Nazareth, qui a été crucifié, Dieu l’a approuvé en lui donnant la vie éternelle. Et grâce à lui, à nous aussi! À nous aussi.
Amen

Jean-Jacques Corbaz



lundi 25 mars 2024

(Po) Es-tu fleur?

Es-tu fleur, es-tu fruit
Es-tu braise, es-tu flamme
Es-tu courant d’eau vive ou goutte à goutte
Es-tu matin, es-tu soleil
Es-tu source, es-tu soif
Es-tu ciel ou jardin ou reine ou continent
Es-tu image
Es-tu poète
Serais-tu tout cela ou bien d’autres à la fois
Es-tu vie, es-tu foi
Es-tu plus que toi-même
Toi que j’encontrerai

Je voudrais tant t’écrire
Ou te décrire
Mais
Je n’écrirai jamais tout toi
Tout toi pour moi
Je n’écrirai jamais que moi
Que moi par toi
Et mes questions d’un grand bonheur en marche

Tu es un peu de toi et moi
C’est beaucoup
C’est tout.


Jean-Jacques Corbaz, 14 mai 1976   


(Hu, Po) J’ai beaucoup à faire

J’ai beaucoup à faire,
J’ai du viel à retordre
Disait la couturière, étrangère,
Viel, ach, Tochter,
Filait au fond de sa tanière.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, 28 novembre 1974  


vendredi 22 mars 2024

(SB, Vu, FA) Fils de Dieu, depuis quand?

Jésus était-il fils de Dieu de toute éternité, ou l’est-il devenu? Les chrétiens du 2è et du 3è siècle, puis même ceux de la fin du 8è siècle, ont abondamment discuté de cette question, qui leur semblait essentielle (c’est le cas de le dire!). Certains pensaient que Dieu avait adopté l’homme Jésus; on les appelait adoptianistes. D’autres affirmaient que le fils de Marie était Dieu dès sa naissance, voire avant; c’étaient les docètes.

De violentes controverses ont opposé les deux clans. On a pu voir ainsi s’écharper haineusement les disciples du Prince de la paix, hélas! L’adoptianisme finira par être condamné par l’Eglise comme contraire à l’orthodoxie. Mais cette doctrine resurgira fréquemment.

Pourquoi? Parce que les évangiles ne sont pas sur ce sujet d’une clarté qui nous permette de trancher définitivement.

Une lecture attentive de la christologie du Nouveau Testament (NT) montre que la messianité de Jésus et son caractère de fils de Dieu remontent toujours plus haut dans le temps au fur et à mesure qu’on s’éloigne de sa vie terrestre.

Pour Paul, cela semble dater de la résurrection: «En tant qu'être humain, il était descendant du roi David; mais selon l'Esprit saint, il a été manifesté Fils de Dieu avec puissance quand il a été ressuscité d'entre les morts» (Romains 1, 3-4).

Pour Marc, un peu plus tard, on distingue un cheminement via les trois phases du schéma d’intronisation égyptien: (1°) révélation à l’intéressé, qui a lieu lors de son baptême: «Tu es mon fils bien-aimé, je mets en toi toute ma joie» (Marc 1, 11); puis (2°) révélation à ses disciples à la transfiguration: «Celui-ci est mon fils bien aimé, écoutez-le!» (Marc 9, 7); et enfin (3°) reconnaissance de sa divinité par le peuple, lorsqu’il meurt sur la croix: «Cet homme était vraiment le fils de Dieu!» (Marc 15, 39). Marc est donc clairement adoptianiste.

Chez Matthieu, Marie est «enceinte par la puissance du Saint-Esprit» (Matth. 1, 18). Mais la qualité de fils de Dieu de Jésus n’est révélée qu’à Joseph (Matth. 1, 20-21)! La messianité de Jésus remonte donc ici à sa naissance, ce que souligne l’adoration par les mages. 

Luc, légèrement plus tardif encore, introduit ce qu’on nommera l’annonciation, donc la révélation à Marie qu’elle accouchera d’un enfant «qu’on appellera le fils du Dieu très haut» (Luc 1, 30-35). Il fait donc remonter la messianité de Jésus au minimum à sa naissance, voire peut-être à sa conception.

Enfin, Jean, le dernier à rédiger un évangile du NT, affirme qu’elle date du «commencement» de toutes choses (Jean 1, 1-15). Il développe donc une christologie de la préexistence.

Cela ne veut pas dire bien sûr que ce sont les témoins les plus anciens qui ont raison, si tant est qu’on puisse avoir «raison» plus qu’un autre! Tout au plus on peut voir que nous avons là une divergence des témoignages dont il est important de tenir compte.

Peut-être cela traduit-il en cinq évangiles ce qu’un seul ne pouvait dire (encore que celui de Marc en constitue une bonne tentative!): Jésus est devenu fils de Dieu (rappelons-nous que dans l’Ancien Testament le roi depuis David était appelé fils de Dieu) au long de tout son ministère. Il s’est manifesté comme Oint au fils de ses actes concrets de révélation, qui culminent dans les évènements de  Vendredi saint et Pâques.

Autrement dit, il était fils de Dieu potentiellement depuis le début, mais il l’est devenu effectivement à travers tous ses actes.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 11 novembre 1974       


(SB, Vu, FA) Remettre Paul en question


Remettre l’apôtre Paul en question, c’est bien joli, mais c’est risqué! Se tromper avec Paul, on est encore excusé (sinon aux yeux de Dieu, du moins devant les hommes!), parce qu’on est en bonne compagnie. Mais se tromper contre Paul, alors là, on a mauvaise mine!

Une parole biblique cependant veut nous donner courage: l’image de la sentinelle d’Ezechiel, responsable du sort de tout le peuple parce qu’elle voit, car elle veille, tandis que les autres dorment (Ez. 33). 

Toutes ces questions de doctrine sont terriblement difficiles et confuses, à moins de se cantonner dans un littéralisme qui nous simplifie - ô combien! - la tâche. Une consolation là encore: dans ce brouillard où nous peinons à voir où mettre les pieds, Jésus est venu lui-même. Il a eu des difficultés, mais il a frayé un chemin, il nous montre la voie à suivre. À nous de tenter de distinguer encore son geste à travers 2000 ans d’histoire et de brume!


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 11 novembre 1974 

     

(Po) Quelques mètres d’eau trouble (affluent d’Amazone)

Quelques mètres d’eau trouble
Au-dessous de moi,
Aqueuse épaisse, lourde,
Qui collerait à ma peau trop tendre
Et que seuls savent fendre les caïmans.

Quelques mètres d’eau trouble
Et la forêt trop sombre me cache déjà la suite,
Eau gueuse opaque, sournoise,
Qui cogne aux rochers d’un bruit mat
Et que seul l’océan saura digérer.

Quelques mètres d’eau me troublent
Quels guerriers se cachent-ils derrière ses berges?
Je frissonne dans cette chaleur humide,
Craignant la danse de la mort.

Quelques mètres d’eau trouble
Qui semble appesantie par le soleil de plomb
Et moi, et moi…
À peine plus léger.


Jean-Jacques Corbaz, 12 août 1975   


(Po) Le flambeau

Un rocher visqueux, à fleur d’eau
Attendait.

Une fleur d’eau rieuse, sans projet
Souriait.

Il y eut un printemps, il y eut un hiver
Rocher: présent.
Il y eut un hiver, il y eut un printemps
Trois fleurs émergèrent.

Que j’aime le temps.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 20 janvier 1975   


(Po) Nocturne

L’horloge a sonné minuit
Les génies de l’ombre reprennent leur royaume
La flûte de pan de Zamfir s’est tue
Le silence s’installe, sans vouloir déranger.

Royaume des papillons happés par la lumière
Mais mis en fuite par la fumée de ma pipe
Royaume des petites mouches importunes
Mais qui meurent sous mes doigts sans un cri.

Royaume surtout des grandes puissances qui m’entourent
Maison forte et fidèle, rassurante, immobile
Lac tranquille qui murmure son bercement
Ville qui veille, servile et vieille, juste à côté
Et cet air rempli d’ombres qui me tient chaud - et froid!

Un moucheron s’est posé sur mon cahier
Sortant du bois, un renard appelle je ne sais quel petit prince à l’apprivoiser
Le temps se dandine au goulot de la fontaine
Mais au fond de moi, il s’est arrêté.

Viens, c’est le moment, viens me visiter.


Jean-Jacques Corbaz, 26 juin 1974   


(Po, Co) Soir de mars


Le soleil couchant caresse de ses rayons doux la cime des montagnes encore légèrement enneigées. Le printemps vient, à pas de fée. 

Le lac ballotte ses tons pastel, essayant de refléter le blanc teinté d’orange pâle et le bleu qui vire au gris. Le temps attend, comme suspendu à cette promesse: avril est proche.

Le vert feutré des premières feuilles et le jaune timide des primevères se confondent parfois, bourgeonnant la fin de l’hiver. 

Le monde espère vie et lumière. Et moi, sans bruit, je dis «merci».


Jean-Jacques Corbaz, le 18 mars 2024     


mercredi 20 mars 2024

(Bi, Re, FA) Tout autre et tout l'autre

On dit volontiers que Dieu est le Tout-Autre. Et c’est vrai, et c’est bien dit.

Mais il est en même temps le «Tout-l’autre». C’est-à-dire tout ce qui nous entoure, la globalité de l’univers. Autrui au sens très large, l’humanité, la création, le vide et le plein. Autrement dit, tout ce qui n’est pas moi.

Ainsi, notre relation avec Dieu, et notre justice devant Dieu, c’est notre relation et notre justice face à la globalité de l’univers.


Jean-Jacques Corbaz, le 6 septembre 1974       


(Po) Souvenir du Cameroun

La rue aux chansons
Volait dans ma mémoire,
Je me souviens,
Les gens semblaient si heureux,
Quelque part au loin
Tournait la danse noire,
Et nous pensions
Ne jamais fuir ce lieu.

À Yaoundé,
À Rio, à Douala,
Ce rythme envoûtant
Fait battre notre coeur,
Un léger vent
Aspire un calme plat,
Et un humide été
Vaporise nos pleurs.

Et nous dansions,
Cet hiver-là,
Et nos passions
Comme passe un chat,
Se sont ri de nous
Sans merci,
Nous ont rendu fous
De la vie.

- Et je me suis réveillé,
Tout seul,
De l’eau sur mon oreiller.

Ta gueule!


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 11 décembre 1974    


vendredi 15 mars 2024

(Po) Orage au Léman

Au bord du port,
Les lames grises écumaient d’une rage sans énergie
Sinon leur mal de vivre.
Au port d’à-bord,
Le vent du nord tournait au gris
Comme un fêtard distrait.

Un phare orange se mit à clignoter
Juste trop calmement peut-être,
Un écran gris couvrit nos yeux
Et soudain nous cessions d’espérer.

Au port si fort,
Les voiliers délavés tendrement se hâtaient
Cherchant le vent qui s’envolait.
Au bord du bord,
Tu te penchais, frissonnante, rêveuse,
Humant l’embrun qui te flirtait.

Un fard d’orage se mit à ton visage,
Emplissant le léger crépuscule,
Un éclat gris transcendait ton regard
Et soudain tu cessais d’exister.

La ville tranquille,
Ses ruelles étroites et sombres, ses bâtisses endormies,
Ses lits d’amour, sa vie trop pleine,
Ses mille presqu’îles,
Son pied dans le passé, son oeil sur le futur,
Tout cela s’effaçait, et toi tu t’envolais.

Un pharmacien se mit à sa fenêtre
Pour me dire que d’autres aussi pouvaient rêver,
Et le vieux docteur, tout seul dans sa baraque,
Avait, je le savais, les larmes aux yeux.

Tes cils mobiles,
Ton souffle accéléré, avide de ne rien perdre,
Tes pieds gelés qui ne protestaient plus,
Dociles, sans bile,
T’emmenaient à l’au-delà des poètes perdus
Où je ne savais te suivre.

Blafard, le ciel se mit à crachoter,
Mais tu ne le savais pas, tu n’étais plus là
Sans peur, sans haine, pleine de l’orage qui montait,
Inconsciente, tu cessais d’être à moi.

Et moi, debout là, veuf et sans raison,
Et moi, sans voix, ne comprenant pas,
Je t’arrachais à cet amant diffus,
Le Léman velu, mon ennemi.

                       *

Quelques années après, repassant au bord du lac frémissant,
Je comprends que c’est là que je t’ai perdue.

Et je reste muet, sans peur sans haine,
Pleurant, tendant les bras au Léman agité,
Plein d’un amour naïf pour l’orage qui vient.

Je resterais là des heures, sous la pluie tiède,
Vibrant d’une émotion inconnue.
Je suis bien.
Je pleure, bien sûr, mais c’est de joie.


Jean-Jacques Corbaz, 9 août 1975    


(FA, Vu, Hi) Quand le judaïsme chancelait

Au deuxième siècle avant la naissance de Jésus déjà, on voit que la religion juive est dépassée: la diaspora hellénistique se développe, tandis que la Judée traditionaliste piétine. Le judaïsme devient une force réactionnaire, qui tient à l’écart les juifs des activités hellénistiques en vogue en ce temps-là: arts, politique, rhétorique, science, sport, commerce…

Il faut donc dépasser cette vieille religion pour en enfanter une nouvelle, qui appartienne à son époque. 

Le temps du christianisme était arrivé.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, 20 novembre 1974   


(FA, SB, Vu) Parole de Dieu, vraiment? L’inspiration de la Bible

On dit souvent que la Bible est «parole de Dieu». Cette affirmation ponctue la lecture des textes bibliques dans bien des Eglises, notamment chez les catholiques. Mais qu’est-ce que ça veut dire, concrètement? 

Dans les Ecritures saintes, on peut lire des versets qui se contredisent entre eux; ainsi que des affirmations qui sont contraires à ce que nous pensons. Par exemple Exode 35, 2 dit que quelqu’un qui travaille le samedi doit être condamné à mort. Ou Lévitique 19,19: «Ne semez pas dans vos champs deux espèces différentes, et ne portez pas des habits tissés de deux sortes de fil». Parole du Seigneur, vraiment?

On me dira que ces prescriptions appartiennent à l’ancienne alliance, qui ne doit être lue qu’en fonction du Nouveau Testament. Mais que faire alors par exemple de versets comme 1 Corinthiens 16, 22: «Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur, qu’il soit maudit»? Parole de Dieu, vraiment?

Comment comprendre ces passages controversés? On jette sa Bible aux orties? Ou on décrète que certains versets de l’Ecriture sont des faux? Ou, comme je l’ai quelquefois lu ou entendu, on se contorsionne pour essayer d’expliquer que non, l’auteur ne voulait pas dire ça?

Dans ces trois cas, on se trompe sur le statut des paroles bibliques, et sur le sens du fameux «Parole du Seigneur». 

Je suis convaincu que les textes saints sont inspirés par Dieu. Mais je suis tout aussi fermement persuadé que cette «inspiration» signifie autre chose que ce qu’on croit souvent. Les mots et les phrases de la Bible n’ont pas été dictés par Dieu comme les musulmans le disent à propos du Coran. Les textes saints résultent d’une rencontre, d’une interaction entre d’une part les hommes et les femmes qui ont rédigé les Ecritures et d’autre part Dieu, qui les a suscitées.

L’inspiration de la Bible n’est pas ponctuelle, c’est-à-dire valable pour un seul point donné (un seul mot, une seul phrase, un seul chapitre…) de façon isolable. Elle ne l’est même pas pour un seul auteur pris individuellement et hors de son contexte historico-littéraire. Même pas pour un évangile comme celui de Matthieu par exemple. Tous sont inspirés parce qu’ils appartiennent à un ensemble inspiré, les Ecritures saintes.

Nous avons besoin de plusieurs évangiles pour exprimer - au mieux - l’Evangile de Jésus Christ, cet Evangile qu’il est impossible de fixer dans nos termes humains imparfaits. Nous avons besoin d’une grande variété de textes pour approcher au mieux la Parole de Dieu, elle qui est transcendante et qui nous échappera toujours partiellement. 

La Bible telle que nous la lisons aujourd’hui est le fruit de toute une histoire où cette Parole s’est mélangée à nos mots humains, à nos phrases limitées, et même à nos raisonnements terrestres, voire à nos préjugés tout immanents. C’est là le miracle des miracles: Dieu a accepté que son Histoire soit mêlée aux histoires des humains, avec toutes les compromissions que cela suppose, toutes les faiblesses et les mythes que cela peut inévitablement engendrer!

En eux-mêmes donc, le livre de la Genèse, l’épître de Jacques ou l’évangile de Matthieu ne sont Parole divine (LA Parole) qu’en tant qu’ils sont situés dans le cadre de l’histoire du salut, enracinés dans les histoires humaines et dynamisés par les interventions de Dieu dans cette histoire. L’histoire du salut est bien le grand terme, la référence suprême de toute pensée théologique (et je précise que faire de la théologie n’est pas réservé à une élite universitaire; chaque fois que vous dites quelque chose même de tout simple sur Dieu, vous faites de la théologie).

Dans ce sens, ce n’est pas l’Eglise qui est infaillible, ni le Pape, comme le disent souvent les catholiques. Ce n’est pas non plus le texte des Ecritures, comme l’affirment les fondamentalistes. L’Eglise comme la Bible sont le résultat d’une compromission de Dieu avec l’imperfection inéluctable des êtres humains.

Ainsi, toute écriture, qu’il s’agisse de ce texte que vous lisez, qu’il s’agisse du Nouveau ou de l’Ancien Testament ou de vos phrases à vous, n’est inspirée qu’en fonction de son rapport avec l’histoire du salut. Et quand je dis «fonction», cela implique qu’elle ne sera jamais parfaitement inspirée. 

Cette histoire du salut commence avec la Création et elle continue aujourd’hui. Mais elle culmine en Jésus, tout spécialement dans sa mort et sa résurrection. Parler de point culminant indique que c’est à ce moment-là que la Révélation est la mieux livrée. Mais il y a eu bien sûr des petits «sommets» à d’autres époques: Abraham, Moïse, les prophètes de diverses périodes; ainsi que les réformateurs (ce qui ne se restreint pas à Luther, Calvin et leurs semblables, car François d’Assise ou Martin Luther King le sont tout autant, et il y en a des centaines!). Mais le sommet des sommets se trouve en Jésus, dans sa croix, même si là également nous avons toujours un certain degré (inévitable, nous l’avons dit) de compromission avec l’humain. 

C’est dire que le canon des textes saints (c’est-à-dire le critère de leur fidélité à Dieu) ne sera ni la date de rédaction ni le style, ni même le contenu ou le fait qu’ils entrent ou non dans nos idées, nos schémas. Mais ce sera l’apostolicité de ces écrits, i.e. leur qualité de remonter au mieux à Jésus, et avant tout à Jésus crucifié.

Les premières confessions de foi, d’ailleurs, sont historiques et non spirituelles, autant dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau. La première Eglise confesse Jésus Christ comme homme et non comme Dieu. Ce n’est qu’avec les années, et notamment sous l’influence de la gnose, qu’on donne de plus en plus de place à sa divinité, alors que les premiers croyants s’en tenaient aux interventions de Dieu dans l’histoire.

Cette tendance se manifeste encore aujourd’hui et chez nous. Chaque fois que nous prions un Jésus purement angélique, uniquement esprit, nous l’arrachons à l’histoire dans laquelle il s’est enraciné et en faisons un héros mythique. C’est la dérive des enthousiastes de toutes sortes.

La spécificité du christianisme par rapport aux autres religions est justement le fait que tout passe par l’histoire, que le salut ne s’accomplit pas ailleurs que dans l’histoire.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 9 décembre 1974       


(Li, Po) Il est toujours vivant

Sur terre, quelquefois, nous éprouvons comme une nostalgie de Dieu.
C’est qu’il n’est pas facile à accueillir vraiment.

Dieu, c’est comme l’amour
Comme le vent du nord
Je le cherche toujours
C’est lui qui vient encore.
J’aimerais tant l’aimer
Ce n’est jamais parfait
Il n’est jamais donné
Mais chaque jour il naît.

Jamais définitif, toujours prenant nouveau visage,
Il vient changer ma vie au vol de chaque instant.
Insaisissable souffle, élan créateur et sans âge,
Regard et chant d’amour, il est toujours devant
Il est toujours vivant.


Jean-Jacques Corbaz, 21 décembre 1976  


(Po) Délyrisme

Le chemin ressemblait au chemin de l’histoire.
Grise ou noire
La maison vide n’attendait que des légendes et des souvenirs
Pour la remplir
Ramuz avait posé son décor.

Les arbres sombres s’élançaient à la recherche d’amours perdus
Les branches basses s’allongeaient en quête de noirs pendus
La grande peur se cherchait un corps.

Un vieux lac oublié traînait dans la montagne
Des rochers sans pitié affûtaient leurs marteaux
La folie guettait, chat sournois.

Les premières amours s’étaient éteintes, mortes d’avoir trop brûlé
Les espoirs s’enfuyaient, au rythme des jours sans pitié
Le soleil pâlissait jusqu’à devenir cradasse.

- Et quand le livre se refermait, la vie recommençait à sourire!


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 6 janvier 1975    

 

(Po) Âge adulte

Quelques années encore
S’envole notre enfance
Souvenir bleu qui danse
Exorcisant la mort.

Les rythmes d’innocence
Connaissent des temps forts
Et parfois des temps morts
De nouvelles cadences.

Invisible présence
Âge qui nous rend fort
Vers quel fabuleux port
Pointes-tu tes silences?

Dérivant sur tribord
Nos rêves qui balancent
Au gré d’un faible accord
Cheminent nos souffrances.

Quelques années alors
Pour humer la démence
Exhumer l’insouciance
- Et vienne enfin l’aurore!

Mystérieuse puissance
Horizon frangé d’or
Déroule ton avance
Aspire nos remords.

Que l’étoile espérance
Fontaine de jouvence
Nous ramène l’enfance:
Nous grandirons plus forts.


Jean-Jacques Corbaz, Ndoungué, 2 mai 1975    

 

lundi 11 mars 2024

(Po) Monsieur Arthur


Monsieur Arthur clame qu’il est malade
Qu’il est tout faible
Il le clame si fort qu’il me casse les oreilles
Monsieur Arthur.
Monsieur Arthur clame qu’il est malade
Proclame qu’il souffre en silence
Plus qu’on ne pense
Monsieur Arthur s’apitoie sur lui-même
Voudrait qu’on l’aime.

Monsieur Arthur clame qu’il n’aime pas dire qu’il est malade
Il voudrait le cacher
Monsieur Arthur crie de plus en plus fort
Monsieur Arthur a peur
Peur de la mort.

Monsieur Arthur ne veut pas cesser de travailler
Pas se reposer
- C’est un brave, Monsieur Arthur, c’est un dur!
Et pourtant n’est-il pas ridicule de s’user
Inutilement
Quand on est souffrant?

Monsieur Arthur crie qu’il est fort
Crie trop fort
Et les enfants, sortant de l’église, se demandent:
N’est-ce pas insulter Dieu que mépriser son corps souffrant?
Arthur le dur est plus petit que les enfants.

Que vienne, Arthur, une geisha
Qui te prenne enfin dans ses bras.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, 28 novembre 1974   


(Po) Polissage (écho)

Quelques vagues naissantes,
Nées sans travail,
Vaille que vaille
M’emporteront, puissantes,
Puis sans trouvaille
S’entr’ouvriront.

Les îles Sous-le-Vent,
Soulevant mes silences,
S’y lanceront patience,
Avec obstination, sans hâte, doucement,
À tes amours ce mendiant
À mourir d’espoir, en pleurant.

Trois roses sous-marines
Marient naïvement leur beauté
Parlent de liberté câline
À l’inusable joie.

Un jour, à force de caresser les mots,
L’émotion à fleur d’eau,
J’éroderai ma page
À pas géants, sans cage et sans saccage,
Je me retirerai, la vague à l’âme au fond de mon écho.


Jean-Jacques Corbaz, 13.5.77   


dimanche 10 mars 2024

(Po) Ma fée

Ma fée
Ma fille
Mon amour
Constante de mes soupirs
Occident toujours couchant sur mon désir
Ma fée
Ma fille
Mon amour
Je t’aime depuis le premier jour.

Tu es le corps de mon coeur
L’enveloppe de mon espoir
Ma fée
Ma fille
Mon amour
Tu es le creux cuivré où je me réfugie
À l’abri des vents de folie
Mon amour
Ma fée
Ma fille.

Qu’on ne me dise pas que tu n’existes pas
Je crois en toi
Je sais que tu seras
Ma fée
Mon amour
Ma fille
La chrysalide est là
L’insecte d’or y reviendra
Pour toujours
Ma fille
Ma fée
Mon amour.

Tu reviendras un matin d’été
Ma fille
Mon amour
Ma fée
Tu m’aimeras comme je t’ai aimée
Tu revivras en nouveauté
Redeviendras cygne ailé  (laide, ah non!)
- Après la nuit revient le jour
Tu seras plus belle
Plus réelle
Tu retrouveras la vie qui t’a quittée
Pour toujours
Ma fée
Ma fille
Mon amour.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 10 février 1975    


(Li, Po) N’est-il pas?

N’est-il pas dans ta vie un peu d’une humble flamme?
N’est-il pas dans ton corps un peu d’un humble Dieu?
Et n’est-il pas alors un être plus heureux?

Il est
N’est-il pas?

Ne fut-il pas en toi un peu d’un serviteur?
Ne fut-il pas chez vous un amour trop entier?
Et n’est-il pas alors un peuple libéré?

Il est
N’est-il pas?

N’est-il pas dans ton coeur un espoir de folie?
N’est-il pas dans tes mains un pouvoir infini?
Et ne sera-t-il pas alors un monde transformé?

Il sera, n’est-il pas?
Cela dépend de toi.


Jean-Jacques Corbaz, 14 mai 1976  


vendredi 8 mars 2024

(Po) Nature chante (La chute d’eau)

La chute d’eau tarie
Une drôle de musique
Son lit vide
Même pas de soleil pour l’excuser.

La chute d’eau qui fait la grève
Et les cascadeurs sont bien embêtés.

Avec mes forces, je recréerai la chute
Son bruit, son brouillard,
De mes mains nues je creuserai la source
Et la tombe aux moqueurs.

La chute d’eau fredonne
Et m’éclabousse les yeux
Les cailloux disent merci.

Son travail de chute
Leur art de cailloux
Ma responsabilité d’homme
C’est la nature qui chante.

La chute d’eau s’éclate,
Fracasse la pente empierrée
Un coup de vent brun m’emporte
Ou est-ce moi qui m’emporte?

Nature, apprends-moi à chanter.


Jean-Jacques Corbaz, 13.5.77   

 

(Li, Po) Ne faut-il pas (mort et ressuscité)


Christ Seigneur, tu es aussi Jésus mort sur la croix.
Ne faut-il pas que le raisin soit broyé, pressé, pour devenir vin
Ne faut-il pas que le blé soit moulu, pétri, pour devenir pain
Ne faut-il pas que la laine soit tordue, étirée, pour devenir habit
Ne faut-il pas que le métal soit frappé, martelé, pour devenir outil
Ne faut-il pas que nous-mêmes …
nos amours…
nos succès…
nos espoirs…
Ne faut-il pas que la Passion nous traverse pour devenir bienfait pour les autres?


Jean-Jacques Corbaz, 5.12.1977  


(Po, Li) Pas grand-chose

Il ne me faut pas grand-chose
Un stylo et du papier
Que la vie soit noire ou rose
Un monde peut se créer.

Il ne me faut pas grand-chose
Un îlot de calme, une goutte de paix
Et le rêve s’interpose
Un enfant naît.

Mon enfant, calme, repose
Et l’espoir peut m’éclairer
Il faudra pas grand-chose
Pour changer l’humanité.

Il faudra pas grand-chose
Une vie, et c’est assez
Pour que nous mettions sur «pause»
Nos cruautés.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, 12 novembre 1974   


(Po) Racines

Tu as pour moi un lac, si profond,
Tu es pour moi un lac, si bleu,
Si petit,
Mon pays.

Tu as pour moi les gouffres, et le noir
Et le froid
Le regard qui se heurte à plus haut que lui
Qui ne se perd pas dans l’infini.
Tu es pour moi un toit
Un toi,
Mon pays.

Un pâturage vert, un ruisseau caillouteux,
Une grosse ferme assise dans les vagues de sa colline
Un sapin, des sapins,
La forêt,
Le pays.

Un homme, ridé mais vert encore,
Cep accroché au coteau,
Cueillant le soleil à pleins fruits,
Un homme enraciné, chez lui,
Dans mon pays.

                    *
Tout cela me revient comme voix d’outre-tombe,
Comme vie antérieure,
Tel un rêve,
Chimère qui s’estompe,
Un écho du bonheur.

C’est ainsi que naissent les mythes,
Désirs confus de revenir… au-delà,
C’est ainsi que pleurent les exilés,
Les soirs d’éternel été.

Vivre sans eux? C’est très possible,
Vivre sans eux, mais à regret, mais étranger.

                    *
Tu es pour moi un lac, si bleu
Y revenir pour m’y noyer.
Tu es pour moi le froid, le feu,
M’y plonger sans pitié.

O mes racines, si belles quand vous êtes éloignées,
Restez hors d’atteinte,
Restez un souvenir vieux, mais splendide,
Ne revenez jamais.

                    *

Un matin, la tête lourde d’avoir trop tourné,
Le coeur émerveillé,
Un matin, trop lointain pour être limpide,
C’est moi qui reviendrai.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, 12 novembre 1974   


lundi 4 mars 2024

(Pr) Prédication du 4 mars 2024 - «Pose des jalons!»


 
Lectures bibliques: Jérémie 31, 21-22 + 31-34; Apocalypse 21, 1-4


Jérémie 31, 21-22   (traduction JJC)

21) Le long de ta route, plante des repères,
Dresse des poteaux, des signaux de pierre,
Réfléchis à ton itinéraire,
Trace ton chemin,
Jeune-fille d’Israël, reviens!
Reviens, ce pays t’appartient!

22) Jusqu’à quand vas-tu encore hésiter,
Tarder, tourner en rond, errer,
Jeune indécise sourde à mes serments?
Le Seigneur crée quelque chose de différent,
De tout nouveau, de bon:
C’est la fille qui fait la cour au garçon!

 

Plante des repères, balise ton chemin! Ces mots, Jérémie les adresse aux exilés de Jérusalem, eux qui sont prisonniers à Babylone et qui attendent désespérément de pouvoir rentrer dans leur patrie. Dieu, dit le prophète, Dieu vous appelle à revenir. Dressez des poteaux pour que personne ne se perde, pour que le peuple tout entier, jusqu’au plus petit, retrouve son pays.

Dresse des signaux, jalonne ton chemin! N’hésite plus! C’est Dieu qui intervient pour créer quelque chose de tout nouveau, pour renverser la situation: c’est la fille qui fait la cour au garçon! C’est-à-dire que tout va repartir sur des bases différentes, inversées. 

Israël, comparé à une jeune-fille indécise, va recevoir de Dieu le plus beau cadeau qui soit: la force de prendre en main son sort. Ce n’est plus Dieu (soit l’amoureux, dans cette brève parabole) qui va courir après la jeune-fille; non, c’est la femme qui va courtiser l’homme, c’est donc Israël qui va courir après Dieu!

Plante des jalons, balise ton chemin! Les nomades, comme Israël l’a été longtemps, connaissent l’importance de ces signaux de pierre. Ils sont utiles, voire essentiels, non seulement pour retrouver sa route dans le désert, mais aussi pour commémorer un évènement familial ou religieux, par exemple la venue au monde d’un enfant, ou le fait d’avoir échappé à un danger. Pensez à Jacob au gué du Yabboq ou à Bethel.

Ainsi, chaque fois que le cycle nomade refait passer le clan vers de ce repère, la famille repense à ce qu’elle a vécu. Elle revit sa joie, et peut renouveler ses engagements, ses promesses. Et elle reçoit aussi renouvellement des engagements du partenaire, bien sûr, même si ce dernier est invisible à des kilomètres de distance.

Plante des repères, jalonne ton chemin! Dieu crée du neuf, du tout nouveau! 

En Jésus, sur la croix, Dieu nous dresse lui aussi un signal de salut, de pardon, d’amour paternel. Sur la croix, Dieu nous dit: je vous aime plus que ma propre vie, soyez certains que je vous fais grâce de tout ce qui pourrait nous séparer. Toutes et tous, vous êtes mes enfants bien-aimés, vous n’avez rien à craindre d’aucun jugement, d’aucune mort! Sur notre route, partout où nous allons, Dieu a déjà planté un signe, le signe parfait de l’amour et du respect, sa croix! 

Nous vivons chaque début du printemps le temps du Carême, ou de la Passion. Ainsi, comme les nomades d’Israël, notre chemin nous conduit à repasser chaque année devant ce repère de la croix, rappel du salut en Christ. Nous pouvons y renouveler nos promesses face à Dieu ou ce qu’il a créé. Et, bien sûr, nous y recevons aussi de sa part ses engagements renouvelés, l’assurance de son amour passionné, illimité, pour nous; sans autre limite que celles que nous pouvons y dresser nous-mêmes, par méconnaissance de l’évangile! Pâques nous le redit bien!

Ajoutons que ce que je viens de mentionner pour le Carême ou Pâques est également valable et important pour nos existences individuelles ou familiales, évidemment. Nos baptêmes, nos confirmations, nos bénédictions de mariages se veulent tout autant de tels jalons sur notre marche de chrétiens. En les revivant, que ce soit au moment d’un anniversaire ou que ce soit par le biais de photos, de vidéos, ou de cadeaux reçus, nous pouvons aussi renouveler nos engagements et recevoir à nouveau les promesses des autres, et bien sûr celles de Dieu.

                                                 *

Quelques remarques encore. D’abord pour lever un possible malentendu. Beaucoup de paroles de l’Ancien Testament sont rédigées en «tu», comme si elles s’adressaient à une seule personne. Or c’est bien d’un appel collectif qu’il s’agit. C’est une manière particulière qu’a l’hébreu de s’adresser au peuple entier comme s’il était un seul individu. Pensez par exemple aux dix commandements: «Tu ne tueras pas»!

C’est donc la communauté des croyants autant que toi et moi individuellement qui est appelée à dresser des signaux pour refléter ceux de Dieu, pour inviter nos contemporains à se souvenir des promesses qui nous sauvent. Ce sont nos cultes et nos messes, nos soupes de Carême, les croix que nous portons ou que nous disposons autour de nous, nos calendriers de Carême, et bien sûr les fêtes autour de Pâques. Sans oublier l’exemple que nous donnons! Tout cela contribue à rendre présents et vivants les engagements de notre Père du ciel. Ils aident à avancer parmi les broussailles des soucis de ce monde ou à travers les déserts de nos solitudes.

Pourtant, dans les fourrés comme sur le sable, le chemin s’efface s’il n’est pas parcouru assez souvent. Le sentier a besoin de notre passage tout autant que nous avons besoin de lui! Il est d’ailleurs des pistes qu’on ne voit que si quelqu’un est en train d’y marcher. Qui donc parcourra les chemins de l’espérance, de l’amour et du pardon, pour qu’on voie qu’ils existent?

Autre remarque: les repères dont nous parlons n’ont rien de contraignant ni d’enfermant, il est important de le préciser. Ce sont des marques visibles, pareilles aux balises du Tourisme Pédestre sur des sentiers. Elles indiquent un chemin, et c’est à chacun.e de se diriger en fonction d’elles ou non. Bien sûr.


De plus, souvenons-nous que de tels signaux jalonnent notre parcours au fur et à mesure de notre avance. Il serait vain de rester au départ de la route en attendant de savoir par où passer le lendemain. Car ce n’est qu’en avançant qu’on aperçoit les repères et qu’ils nous aident à nous orienter.

De même qu’il serait stupide, à l’inverse, de s’immobiliser au premier écriteau comme si on avait atteint le but. Le signal n’est pas là pour qu’on s’y arrête, il nous envoie plus loin!

Plante des balises au long de la piste! N’hésite pas, engage-toi sur le sentier! 

Pas besoin d’ailleurs de matériaux extraordinaires. Il suffit de simples cailloux entassés, d’un bâton dressé, d’une tache de peinture sur un rocher. Pas besoin d’existences extraordinaires, de cérémonies pompeuses dignes de la cour d’Angleterre. La vie la plus humble est un repère, les mots, les gestes les plus terre-à-terre…

Repère. Moi qui affectionne les jeux de mots, je suis sensible à cette bizarrerie du français: re-père. Nos signaux, nos balises nous désignent le ciel, où vit pour nous un autre père! Comme un supplément d’amour et de sécurité. Que ce Carême puisse mieux nous ouvrir les yeux sur ce mystère!

Dressez des poteaux pour que personne ne se perde, pour que le peuple tout entier, jusqu’au plus petit, retrouve son pays. Le pays du Dieu de paix, où nous vivrons libérés.
Amen 


Jean-Jacques Corbaz 


dimanche 3 mars 2024

(Ci) Fin de la civilisation?

En 1975, René-Pierre Bille disait : 

« En l'an 2000, nous serons huit milliards sur Terre. C'est pourquoi je pense que de grandes catastrophes interviendront avant. Sous quelle forme? Microbienne? Guerre? Manque de nourriture? Je n'en sais rien. La civilisation finira par se détruire elle-même. Je trouve cela tragique pour la jeune génération ».  

(Journal de Genève, 4.12.1975)


René-Pierre Bille est le frère de l'écrivaine Corinna Bille et le fils du peintre Edmond Bille


(Li, Po) Viens, Seigneur du bal (pour Pâques)

Dans le feu de l’amour fou et doux,
Compagnon solitaire de mes rendez-vous,
J’aspire ta présence
Qui entraîne ma danse.

Viens, toi ma vie, mon traceur d’errances,
Viens, tu seras mon but aux chemins en partance,
Tu seras mon soleil.

Viens, tu seras ma vie, mon rythme, ma cadence,
Viens, tu seras mon cri, je serai ton silence,
Tu seras mon réveil.

Et je serai vivant!


Jean-Jacques Corbaz, 22 décembre 1976   


vendredi 1 mars 2024

(Po, Li) Rayon de soleil


 
Il suffit d’un rayon de soleil
Et de nouveau on aime vivre
Il suffit de quelques pommiers en fleurs
Pour croire au printemps

J’aimerais être ce soleil et ces pommiers
J’aimerais être la fleur d’espérance
L’hirondelle revenue
Et son gazouillement

J’aimerais annoncer le printemps par ma seule présence
Simple lumière annonçant plus grand qu’elle
J’aimerais donner envie de regarder en avant.

Mais
Pour cela, j’ai besoin d’hirondelles
D’un rayon de soleil qui me refasse aimer vivre
De quelques pommiers en fleurs murmurant le printemps
Malgré ce que je vois
Malgré ce que je suis
Pour être et voir de manière nouvelle

J’ai beau vouloir être rayon, je ne serai rien encore
Si le printemps ne m’est pas donné
Devant moi
Et en moi

Jean-Jacques Corbaz, mai 1978   

(Po) Vivre sans fin

Le temps passe et je me lasse
Le temps lasse et moi je passe
Je passerai toujours
Tous les jours
Je passerai partout
Par un trou.

Mais je t’enlace quand tu passes
Le temps brasse sa mélasse
T’encrasse la carcasse
T’embrase les joues
Et joue
Tendresse de fou.

Le temps lasse et je t’enlace
Toujours
Je tends l’as et t’étends, lasse
- Qu’on est bien chez nous.

Vivre sans fin, sans faim
Ivresse enfin
Prends mon amour
C’est bien mon tour.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 20 janvier 1975    


(Po) Vol-au-vent


Les nuages migrateurs passent lentement sur nos têtes
Vers quel été plus chaud les conduira leur quête?
Leur marche majestueuse fait scintiller un tapis d’étoiles
Aux reflets verts et rouges, tel une voie royale

Un long vol bien ordré de cette ouate grise
Dessinant au gré du vent des fantaisies bien apprises
Voguant brise arrière sans hâte son pèlerinage
Toujours partant, jamais fini, faisant le tour du monde

La brume vagabonde ainsi s’en va sans trêve
Cherchant un pays chaud où reposer sa quête
Et ne le trouvant pas

Pas un cri, pas un faux-pas, harmonie
D’un seul coup d’ailes sans effort tu chemines

Et mon esprit rêveur s’envole au vent avec toi

Et mon corps trop lourd soudain sent le froid

Rentrons


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 15 mars 1975    


(Po) Naître

Naître, naître sans fin, naître,
Renaître encore, n’être qu’un enfant
Que nous reste-t-il à faire, sinon naître?
Naître, n’être qu’un coeur toujours devant
Tel un rayon à la fenêtre.

Naître, mais naître sans maître,
Sans autre espoir qu’un amour bleu,
Naître, mais être sans vouloir paraître
Pour fuir l’absurde d’être vieux.

Naître, renaître, hêtre centenaire,
Naître ancêtre et s’en remettre
Naître ange et puis s’y soumettre
S’éveiller au jour qui vient.

Naître, pour n’être jamais serf
Naître encore, pour être enfin.


Jean-Jacques Corbaz, Ndoungué, 9 avril 1975   


(Po) Voyage d’études


 
Entre le ciel et l’eau
Sur la terre d’Afrique où la vie apparaît
Sous des palmiers follaches
Nés d’un sol survital
J’avais voulu voir du pays
Mais me suis découvert
Etranger
Déraciné.

Entre l’ombre et le jour
Entre mes certitudes où le doute apparaît
Je reviens étonné
Yeux plus grands, coeur plus vaste
Espoir moins court, moins vide, et vue plus longue
Mais moi bien plus petit
Mon amour-propre
Et mon pays.

Entre folie et foi
Devant la croix plantée au milieu des vivants
Entre des murs de verre
D’invisibles barrières
J’ai su bien mieux la valeur de l’humilité
J’ai appris à me taire
À respecter

Et… je me tais!


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 4 février 1975    


(Po) Femme… forte et vulnérable (chanson, à Michèle Bernard)

Femme…
Petit bout de femme
Qui joue du piano,
Pleure sur le monde,
Les hommes et leurs âmes,
Les noirs et les rondes
T’écorchent la peau.

Femme…
Quand grandit la flamme
Sur l’accordéon,
Quand tes larmes blanches
Composent une trame
Où mes peurs s’embranchent,
Je vibre, c’est beau.

Femme…
Qui gueules, qui brames,
Immense océan,
Ton écume chaude,
Puissant vague-à-l’âme,
Où mes démons rôdent
Près d’un trou béant…

Femme…
Petit bout de femme
Qui joues de mes nuits,
Lorsqu’en moi résonnent
Le long de la gamme
Mes émotions d’homme,
Que tu les traduis…

Femme…
Petit bout de femme,
Si grande parfois,
Ton coeur sur la table,
Fragile, mais calme,
Forte et vulnérable,
Tu chantes pour moi.


Jean-Jacques Corbaz, octobre 1983