- Je n’y crois pas, moi. C’est impossible, cette histoire! Il faudrait des preuves.
- Ça semble incroyable, en effet. Mais qui sait? D’ailleurs, des preuves, il y en a: allez voir dans la crique, au pied du grand rocher, les traces de leurs petits bateaux!
- Allons, allons, ça ne tient pas debout. Ces traces ont été faites par un peuple voisin. Ou bien quelqu’un les a creusées exprès, pour nous faire croire…
- Mais non, je vous assure! Ce sont des traces comme on n’en a encore jamais vu!
Ainsi discutait-on vivement, en ce jour de saison sèche, dans la troisième année du règne de Balumba II, dans le petit village noir au bord de la grande forêt africaine.
- Ecoutez, je vais vous donner mon avis sur cette histoire: c’est une invention de la tribu Balaga pour semer le trouble chez nous. Ils veulent saper l’autorité de Balumba, notre Chef!
- Pas du tout! Les gens qui répandent ces bruits ont été ensorcelés par un mauvais esprit!
- Dites plutôt que ces jeunes écervelés ont imaginé ces extravagances pour se rendre intéressants, et qu’ils ont fini par y croire eux-mêmes, renchérit le vieux Nyotto, qui était écouté de chacun.
D’ordinaire, une telle sentence était définitive. La discussion était close. Pourtant le jeune Boni, qui avait suscité la controverse en rapportant le récit de son compagnon Bali, refusa de s’en tenir là.
- Vous ne voulez jamais croire en rien d’autre que ce que vous connaissez, ce que les anciens vous ont rapporté. Et pourtant ce n’est pas la première fois qu’on voit des signes inexplicables, ni qu’on nous raconte avoir vu des hommes d’un autre monde!
- Tout ça c’est des fadaises, fiston, reprit un autre notable. Si le Chef a dit que ça n’existe pas, ça n’existe pas!
- Mais écoutez! On les a vus! J’ai même entendu dire que le vaillant Ndongyo, du village-sous-la-montagne, a essayé de les approcher. Au lieu de fuir, il s’est dirigé vers eux. Ils ne sont pas méchants, ils ont essayé de lui parler, mais il n’a rien compris de ce qu’ils disaient.
- Et comment étaient-ils, ces gens d’un autre monde? reprit un sceptique.
- Presque comme nous, je vous assure. Mais leur peau est très pâle. Ils sont couverts de vêtements blancs, et portent des quantités d’objets sur eux.
- Mais comment peuvent-ils venir d’un autre monde? demanda encore Nyotto.
- Leurs bateaux sont très grands, beaucoup plus grands que les nôtres. Et ils ont des pouvoirs extraordinaires. Ils peuvent faire sortir la lumière et le feu d’une petite boîte…
- Allons, tu vois bien que c’est impossible! Personne n’a jamais pu faire entrer la lumière et le feu dans une petite boîte!
- Et pourtant! Bali les a vus le faire. Il les a vus aussi tuer une antilope à distance, sans lance et sans flèche, simplement en tenant un bâton qui fait beaucoup de bruit et de fumée…
La plupart des sujets de Balumba II n’en continua pas moins à rire franchement des sottises de ces jeunes guerriers. On en parle encore aujourd’hui! Sans beaucoup plus de sérieux, semble-t-il. Mais des histoires étranges circulent tout de même:
* On aurait relevé des empreintes de pied étranges, sans orteil devant, mais avec un gros orteil à l’arrière!
* On aurait retrouvé un singe mort avec une blessure singulière: un petit trou dans la tête d’où son sang coulait.
* Il paraît même, aux dernières nouvelles, que toute une troupe de guerriers de la tribu Bassa aurait disparu sans laisser de traces. Certains prétendent que ce sont les mystérieux «envahisseurs» qui les auraient enlevés.
Le vieux Nyotto est mort dans la paix du Grand Esprit. Et Boni, devenu un homme mûr et écouté, doute des histoires de son ancien ami Bali…
Moralité du conte:
- Les extraterrestres peuvent être une reprise d’apparitions «extraordinaires» datant de plusieurs siècles.
- Les extraterrestres sont pour nous aussi improbables que les Blancs pour les sujets de Balumba II.
- Il faudra faire attention, «si» des extraterrestres nous «visitent», de ne pas se faire réduire en esclavage, ni coloniser!
Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 2 novembre 1974
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