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dimanche 20 avril 2025

(Pr) Résurrection - appendice???

Résurrection - appendice???  (T'as la pêche?) -  19 avril 2025   

Lectures bibliques: Jean 21,
1-14; Colossiens 2, 6-7; Esaïe 52, 7-10  

Un appendice. Pour bien des gens chez nous, la résurrection de Jésus serait un appendice de la foi chrétienne, un aspect secondaire. On croit en Dieu, mais l’évènement de Pâques, c’est si difficile à croire! Dieu, oui, mais la résurrection… euh… c’est seulement pour les très convaincus! Et pour les autres, elle est un peu au libre choix de chacun, peu importe qu’on y adhère ou non.

Chacun sait que l’appendice, on peut l’enlever sans dommage pour l’organisme! Vu ainsi, Pâques ne serait qu’un complément, pas du tout nécessaire, juste pour celles et ceux qui «en veulent» davantage!

Dans cette perspective, on est souvent tenté de dire que ce seraient les disciples qui auraient «fabriqué» de toutes pièces la résurrection de Jésus, pour se consoler (ou pour se «venger») de l’échec de Vendredi saint. Un montage pour ne pas perdre la face, en somme.

Mais non! Au contraire! Ce n’est pas l’Église qui a fait Pâques, pour sauver les apparences. Mais c’est Pâques qui a fait l’Église! C’est Pâques qui est le cœur, l’essentiel de la foi. Sans la résurrection de Jésus, eh bien l’Église, communauté chrétienne, n’existerait pas aujourd’hui.

En effet, voyez ce que font les disciples, après la mort de leur maître, dans ce récit qui est peut-être le plus ancien compte-rendu d’une apparition du Ressuscité: ils traînent dans leurs villages de Galilée, le moral dans les chaussettes (...sauf qu’ils n’ont pas de chaussettes!). Jacques dit: «Qu’est-ce qu’on fait?»... Silence... Simon Pierre hésite: «Bon, ben, si personne n’a une idée, moi je vais pêcher». Et les autres l’accompagnent, bien plus par dés
œu
vrement que par goût du poisson - ou du travail!



 
Avez-vous remarqué? Quand Jésus les avait appelés, au tout début de l’évangile; quand Jésus leur avait dit «suis-moi», ils pêchaient déjà. Et maintenant, après la mort du Maître, ils y sont revenus. «Retour à la case départ», comme dans les jeux de société! Sans toucher de prime!

Ça sent la déroute. Plus que le poisson, ça sent la déroute! Car de toute la nuit, ils n’ont rien pris. Ils ne sont plus que sept, qui cherchent un sens à leur vie en récession. Avec l’impression de vivre un «lendemain d’hier». La belle aventure est finie. Peut-être même songent-ils à fonder une «amicale des anciens compagnons de Jésus»?

Mais voilà, ils devaient l’avoir oublié: le chiffre 7, c’est le symbole de Dieu! Et cette poignée d’hommes découragés, qui revient «mayaule», bredouille de la pêche, elle va devenir la pierre angulaire de l’Église d’hier, d’aujourd’hui et de demain!

Quand le jour se lève, Jésus apparaît! Mais attention: il ne surgit pas, tatsaam, comme un happy-end, entouré de lumières célestes aveuglantes, coups de spots et musique éclatante! Ni trompettes ni violons!

Non, un simple gaillard, au bord du lac. Anonyme, tellement que personne ne le reconnaît. Discret, quotidien. «Vous n’avez rien pris, les amis?» (moi qui vous avais embauchés comme pêcheurs d’hommes, comme apôtres, vous saisissez?)... Et c’est petit à petit, très progressivement, que les yeux des disciples s’ouvrent, que leur cœur se met à vibrer (mais là encore, il vibre de plus de questions que d’alléluias!). L’imprévisible débarque dans leur vie, mais il le fait à pas feutrés, comme pour leur laisser le temps de le digérer.

Digérer est bien le mot, d’ailleurs, puisque c’est en mangeant ensemble que la présence de Jésus va s’affirmer pour eux... 


Les disciples de cette histoire-là ne sautent pas de joie, ne chantent pas, ne courent pas (comme ceux du récit d’Emmaüs)... Ils laissent leur existence grise et vide se remplir doucement de cette présence, comme un feu de braises qui réchauffe lentement... Et cette Pâque-là rejoint peut-être la nôtre!

Car Pâques 2025, c’est pour beaucoup un temps plutôt morose. Le monde qui va si mal. Et nos Églises pas mieux. Quand le seul espoir, c’est de dételer grâce à ces quelques jours de congé, ou cette invitation, qui brise un peu la solitude...

Oui, nos Églises, ces années, nos paroisses ressemblent parfois aux disciples du récit de ce matin: passage à vide; déprime, pas de ressort. On a bossé comme des dingues, et on n’a rien attrapé. Même pas un vice-président pour l’assemblée paroissiale. On est nus; faibles...

Comme le disciple que Jésus aimait, pourrons-nous dans nos morosités reconnaître la présence discrète du Ressuscité? Le laisserons-nous nous inviter à sa table, et nourrir, et remplir le vide d’espérance de nos coeurs?

Quand la dimension divine en nous s’est ratatinée, quand on retombe dans la banalité de ce qu’on a toujours connu, et c’est la pêche infructueuse, les déceptions, les efforts sans résultats: saurons-nous trouver dans la proximité et l’amour du Christ les forces de repartir pour une vie qui soit habitée sans fin par la fête?

Défi immense, lancé à nos Églises où la résurrection est devenue si marginale. Et où, forcément, l’élan, la joie de Dieu se raréfie. Guérirons-nous de notre appendicite?


 

Le chemin que nous trace le récit de cette apparition passe par un renouvellement de notre vocation personnelle. Car tout le passage est truffé d’allusions aux appels des disciples, comme «Je vous ferai pêcheurs d’hommes» et «suis-moi». Et puis le nom de Nathanaël, qui n’apparaît qu’ici et dans la vocation des 12, chez Jean. Sans oublier la mention de Cana, où a eu lieu le tout premier miracle de Jésus, selon le quatrième évangile.

Revenir aux sources. Mais pas comme les sept, par 
désœuvrement; je dirais presque par régression. Non, revenir aux sources pour y puiser de l’enthousiasme des débuts, cet élan, ce bonheur de la jeunesse qui nous fait faire des choses presque insensées! Pour que Christ ressuscite notre vocation, à nous aussi! Qu’il nous donne la «pêche» comme aux premiers temps de notre foi de jeune homme, de jeune fille!

Oui, si Pâques 2025 pouvait nous faire retrouver la passion avec le Christ, qui est vivant aujourd’hui, qui nous accompagne, et que nous pouvons rencontrer, sur les chemins ordinaires de la vie! Si nous pouvions l’entendre, ce printemps, nous dire, comme au temps d’Esaïe: «Ruines de Jérusalem, lancez des cris de joie!»

Comme l’exprime la lettre aux Colossiens: «Poursuivez votre route dans le Christ tel que vous l’avez reçu; soyez enracinés et fondés en lui, affermis ainsi dans la foi qu’on vous l’a enseignée, et débordants de reconnaissance...

Vous avez été ramenés de la mort à la vie avec le Christ. Alors, recherchez les choses qui sont au ciel, là où le Christ siège à la droite de Dieu. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Votre véritable vie, c'est le Christ, et quand il paraîtra, alors vous paraîtrez aussi avec lui en participant à sa gloire.» Amen

Jean-Jacques Corbaz  

 

(Re) Et si la Résurrection...

Et si la Résurrection, c’était surtout un changement de regard sur la mort ? Et donc sur la vie ?

Les disciples de Jésus, il y a 2'000 ans, ont petit à petit discerné que la mort peut être une victoire et non une défaite.

Et nous, aujourd’hui ?

 

J-J Corbaz

 

 

jeudi 17 avril 2025

(Bi) Pâques? C’est mille fois plus

Pâques? C’est mille fois plus que la nature qui revit, les lapins et les œufs. Et les congés…

Pâques, c’est une conviction fragile qui vient, très discrète, petit à petit ébranler le pouvoir de la souffrance, et des tyrans, et de la mort: Jésus, homme de Dieu, vit encore après la tombe, dans l’Esprit de ses disciples. Ses apprentis-apôtres vont manifester, par leur rayonnement et leur liberté intérieure, que ce Dieu faible est plus fort que la Grande Faucheuse, et que tout Pouvoir. La fin tragique de la Croix n’est pas une défaite face aux Romains, c’est la victoire de la non-violence et de l’amour des autres.

Aujourd’hui encore, 2000 ans après, ce qui emprisonne; ce qui détruit; ce qui terrifie; ce qui réduit en esclavage; ce qui ratatine ou résigne; tout cela est contesté, miné de l’intérieur par cette force paisible. Cette immense tendresse qui toujours chante la vie!

Pâques? C’est, chaque année, la fête de cette liberté. La célébration que cette puissance d’espoir est aussi pour nous. Cette conviction fragile peut repeindre nos vies et nos luttes en couleurs de joie. 

On essaie?

Jean-Jacques Corbaz

 

lundi 7 avril 2025

(Li) Accueil ou liturgie de pardon - Envoyé au diable

Bonjour, et merci d’être venus vivre ce culte !

 

C’est l’histoire de Jojo qui pleure devant le maître d’école.

« M’sieu, ya Popaul qui m’a dit ‘Va au Diable’ ! »

« Ah, fait le prof. Et qu’est-ce que tu as fait ? »

« Ben, je suis venu vers vous ! »

 

Chers amis en Christ, sachez-le : Dieu, lui, ne nous envoie jamais au Diable !

Souvenez-vous toujours de ceci : Dieu est amour, et il nous sauve gratuitement, quelle que soit notre conduite.

Bienvenue auprès de lui, donc ! Son souhait, c’est d’être pour nous un maître accueillant et bienfaisant !

 

 

Jean-Jacques Corbaz, janvier 2025        

(Pr, Co) Le sicaire - l'histoire de Judas à contre-courant

 Le texte qui suit va peut-être surprendre, voire choquer. C’est une fiction, mais il se base sur des études exégétiques très sérieuses (dont mon ancien prof de NT Bernard Jay) qui me font penser que ce récit pourrait être porteur d’autant de vérité que les évènements tels que rapportés dans les évangiles. Il rejoint  d’ailleurs par moments l’Évangile de Judas récemment découvert. En tout cas, il nous oblige à sortir de nos représentations traditionnelles et à nous interroger: comment aurions-nous agi nous-mêmes, à la place du héros de cette histoire?

 


 
«Paix sur la Terre aux hommes que Dieu aime». Chaque fois que j’entends ce cantique, les larmes me viennent aux yeux. De chagrin? De joie? D’émotion? Un peu des trois, je crois.

Me reviennent les détails de cette aventure qui nous a, qui m’a fait passer par tous les sentiments, l’espoir, le désespoir, la fierté, la gloire… mais aussi la passion, la certitude d’être sur le vrai chemin de Dieu; et puis l’angoisse, la peur, la peur de la mort. Et finalement de nouveau l’espoir, mais si frêle, si ténu, comme un rêve. Si léger que je ne sais le nommer.

Il y a si longtemps maintenant. J’étais jeune, alors. Avec Simon, nous étions révoltés contre ces Romains qui occupaient notre terre sacrée, et qui la souillaient, et nous souillaient de leur impureté.

Nous avons rejoint le mouvement des sicaires. Ainsi nommés à cause de la petite épée que nous portions à la ceinture, facile à dissimuler et qui permet de redoutables coups fourrés. Nous voulions nettoyer la Palestine de ces occupants qui semaient la terreur pour nous voler nos maigres richesses. Oui, Dieu nous demande de ne pas tuer, mais n’est-ce pas moindre mal de les chasser par les armes, à côté du blasphème que représentent ces Romains qui ne respectent rien?

Nous étions comme une petite armée de libération qui frappait quand on nous attendait le moins et passait ensuite inaperçue. Sauf pour les initiés. «Fiers d’être sicaires» était notre devise. On nous appelait aussi «zélotes», car nous étions dévoués sang et souffle à notre cause. J’en étais l’un des plus bouillants, on me surnommait «Judas le sicaire», ou en araméen «Yehouda Iscarioth».

*    (musique)

 

Un jour, nous avons entendu parler de Jehan. Un pur, lui aussi, qui vivait au désert, et que de nombreux croyants allaient écouter. Il n’avait pas sa langue dans sa poche, celui-là. Galvanisait ses auditeurs en annonçant que Dieu allait intervenir pour établir son royaume en toute vérité, sans souillure et sans oppression.

Nous sommes allés le voir, Simon et moi. Il se tenait au bord du Jourdain et y trempait ceux qui partageaient ses convictions. Un rite de purification qu’il tenait d’une secte de rigoristes retirés aux portes du désert. Je l’ai aussitôt surnommé «Jehan le Trempeur», bien sûr!

C’est là que nous avons fait la connaissance de Jésus. Il sortait du fleuve, dépoussiéré, ruisselant de gouttelettes qui brillaient au soleil.

Je l’ai vu s’ébrouer tel un petit chien, puis venir vers moi comme s’il me connaissait. Étonnant personnage! M’a demandé mon nom, et dans le même souffle a ajouté: «Où est-ce que tu crèches?» avec le petit sourire de celui qui fait une fine plaisanterie. Moi, je n’ai pas compris. J’ai répondu, simplement.

Et il a commencé à parler. De Dieu, de son royaume, de sa force, mais de sa discrétion aussi. Je l’ai écouté, scotché. La même radicalité que Jehan, mais sans aucune agressivité, comme s’il était tombé dans une marmite de bonté quand il était petit.

Moi, le sicaire guérillero, ça me chatouillait bizarre. Je n’étais pas d’accord avec lui, ma vie jusqu’ici n’était pas d’accord avec lui; mais sa vision des choses me semblait fourmiller de promesses. J’osais parfois quelques objections, je récitais mon catéchisme révolutionnaire; et lui, ô surprise, m’écoutait patiemment, me répondait point à point. Je ne me souviens pas de tout, mais une phrase m’est restée que je n’oublierai jamais: «Tu verras, Judas, les Romains, je ne les tuerai pas, mais je serai plus fort. Paix sur la Terre aux hommes que Dieu aime».

Ça, ça m’a sidéré. J’ai voulu le suivre, pour en savoir plus. Et Simon, comme moi.

Peu à peu, un petit groupe s’est formé autour de Jésus. Il y avait André, Jacques, Jean; un autre Simon, ce qui a valu à mon ami d’être surnommé «le zélote»; et un autre Juda, alors on m’a gardé mon étiquette de sicaire, même si la violence me devenait de jour en jour plus étrangère.

Nous avons commencé à voyager à travers la Galilée, de village en village. Jésus étonnait tous ceux qui l’écoutaient parce qu’il vivait authentiquement tout ce qu’il prêchait. Par ses petites histoires aussi; par son calme déroutant; par son humour même, ainsi quand il disait des pharisiens qu’ils filtrent leur eau pour ôter un moucheron, mais qu’ils gobent un chameau! J’en ris encore.

Parfois, on lui amenait des malades; ou des possédés; ou des handicapés. Jésus les regardait avec tant d’amour qu’après, ces malheureux étaient en voie de guérison. Et des légendes naissaient, racontant des miracles fabuleux…

Nous avions quitté nos métiers, persuadés que Dieu allait venir chambouler tout le pays. Nous vivions de ce que les villageois nous donnaient. Pauvres, mais confiants.

Lorsque nous recevions un peu d’argent, Jésus me le confiait. J’étais le seul qui avait appris un peu de comptabilité. D’ailleurs, il me semblait que notre Rabbi, comme les gens disaient, m’appréciait fort. Et c’était réciproque. Une amitié grandissait, vraie et profonde.

D’ailleurs, c’est à moi qu’il a parlé en premier de ses sentiments pour Marie. Pas sa maman, donc! Mais celle qu’il avait rencontrée à Magdala. Au reste, cette relation est rapidement devenue évidente pour tous. Il n’y avait qu’à voir leurs yeux à tous les deux!

C’est ainsi que nous avons vécu trois ans, faits d’itinérances en Galilée ou dans les pays voisins. Plus le temps passait, plus les foules devenaient nombreuses, le bouche-à-oreille faisait enfler renommée, hauts faits, fortes paroles et guérisons, voire miracles comme certains prophètes de la Torah.  Les plus exaltés affirmaient même que Jésus était le Messie, le roi envoyé par Dieu pour occuper le trône de David et restaurer l’indépendance d’Israël. Lui, le non-violent extrême, tu parles! Je sentais un décalage croissant entre ce qu’il disait et les attentes des petites gens.

Jésus avait de plus en plus de peine à trouver des moments où se reposer. Alors parfois il s’absentait mystérieusement, et les gens qui le cherchaient nous suppliaient de dire où il avait disparu. Et nous, qui n’en savions pas plus qu’eux, étions parfois pris à partie un peu rudement. On sentait chez le peuple une colère forte prête à éclater pour peu qu’une étincelle survienne.

*    (musique)



C’est dans un temps ainsi tendu que Jésus nous a surpris. Avec aplomb, comme s’il annonçait un exploit, souriant, il nous a déclaré que nous allions fêter la Pâque à Jérusalem.

Quoi? Mais la ville est une poudrière, en ces jours d’exaltation et de nationalisme exacerbé. Les Romains armés jusqu’aux dernières molaires, les chefs juifs et les pharisiens qui cherchent un moyen de nous éliminer… Folie! On va tous se faire massacrer.

Mais lui répétait, sûr d’une force intérieure qui contrastait avec ses bras si maigres: «Paix! Vous verrez, sans violence, je serai plus fort.».

Nous y sommes allés. Partagés entre pétoche et excitation, comme à la veille d’une attaque dangereuse. Je sentais revenir en moi les frissons du guérillero. Mais là, nous n’avions pas de plan.

Quand nous sommes entrés dans Jérusalem, c’était le délire! Une foule enflammée acclamait Jésus et lui faisait un accueil royal. «Gloire à Dieu, le tout-puissant!» criait-on. «Béni soit le roi, l’envoyé du Très-Haut!». Plusieurs agitaient des branches, et déployaient leurs manteaux sur le chemin où nous marchions, comme un tapis rouge.

Et lui, assis sur un âne, me glissait à l’oreille: «Tu as déjà vu un roi sur un baudet? Ah non! Ânon!» en souriant.


 
Je savais bien que ce n’était pas ça qu’il voulait. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de fantasmer: que se passerait-il si la foule le portait sur le trône? Affrontement avec les légions, trop nombreuses et trop bien armées pour que le combat soit équitable? Intervention de Dieu, qui nous enverrait en renfort une armée d’anges? Ou la fin du monde?

Nous devions fêter la Pâque chez un cousin. Discrètement, pour ne pas provoquer de tumulte. Mais Jésus, la veille des célébrations, nous dit d’un air mystérieux: «Je vais devoir faire une croix sur les festivités de Pâques que nous avions prévues. Nous prendrons le repas rituel ce soir déjà.» Toujours avec son petit sourire entendu. Je dois être le seul à avoir compris, cette fois.

Oui, c’était un secret entre nous deux. Jésus m’avait pris à part, quelques heures auparavant. Et m’avait dit d’une voix un peu faible, et là il avait l’air grave: «Tu es le seul à qui je peux demander ça. Ce sera dur. Très dur. Tu as vu la foule, ils veulent me porter au pouvoir. Les Romains vont intervenir, ce sera un massacre.»

J’étais sous le coup. Bien sûr! Mais comment s’en sortir?

Jésus ajouta: «Le seul moyen de vaincre, c’est d’accepter la mort. Judas, mon ami, tu comprends? Ils faut qu’ils m’arrêtent à l’écart de cette foule, pour éviter la violence. Et c’est là que tu peux m’aider. Toi seul le peux. Tu les mèneras vers moi quand je serai seul, ou presque. Au jardin des oliviers.»

J’avais les larmes aux yeux. «Mais ils vont te crucifier! C’est un supplice horrible! Penses-tu que Dieu te sauvera?»

«Non mon ami, je dois passer par là. C’est la coupe de souffrances dont je vous ai parlé plusieurs fois. C’est le prix à payer pour que le peuple soit sauvé du massacre. Mais tu verras, Judas, les Romains, je ne les tuerai pas, mais je serai plus fort. Paix sur la Terre aux hommes que Dieu aime»

Je restai muet, silencieux, un tsunami secouait mon crâne; et mon 
cœur ; et ma vie. «Acceptes-tu, Judas, mon ami? Sans ton aide, c’est la catastrophe.»

Avec effort, je murmurai «oui» dans ma barbe, et partis en courant. Le ciel était gris à pleurer, le monde entier n’était plus qu’un cimetière.



Le soir, au souper, nous avons célébré la Pâque, mais je n’avais pas le 
cœur à chanter. Après le repas rituel, simplifié au maximum, Jésus me dit doucement: «Ce que je t’ai demandé, fais-le maintenant.» Et je suis sorti, trahissant mon émotion. Espérant contre toute espérance que Dieu fasse quelque chose pour éviter ce projet qui me déchirait l’âme.

Comme un robot, suis allé vers les chefs juifs. Leur ai transmis le message. Les ai guidé jusqu’à Gethsémané. Puis suis parti en traînant ma misère tel le survivant d’un massacre.

Dieu n’est pas intervenu. On m’a raconté que Jésus a été condamné, puis cloué sur une croix. Qu’il a souffert au-delà de ce qui est humainement supportable. Et moi, en entendant ce récit, je souffrais encore autant, j’aurais tant voulu prendre sur moi ses mille douleurs.

J’ai imaginé me suicider. J’en ai parlé autour de moi, mais personne ne me répondait. Et au moment où j’allais passer à l’acte, voilà qu’on me rapporte un fait nouveau, étonnant: la tombe où on avait mis Jésus, eh bien, elle est vide. Des femmes, et des amis, en découvrant que le corps n’était plus là, ont senti une étonnante présence, comme si leur coeur chantait l’incroyable nouvelle: Jésus, même mort, ruisselait de vie.

J’ai repensé alors à sa phrase fétiche: «Paix sur la Terre. Tu verras, les Romains, je ne les tuerai pas, mais je serai plus fort.»

Depuis, des siècles ont passé. Je suis tout décrépit, mais je ne suis pas mort. J’ignore pourquoi, je suis le seul survivant de ces temps étonnants.

Mais entre temps, mes compagnons sont partis sur les routes de l’Empire des Césars. Ils ont parlé de Jésus, et de la manière dont sa vie et sa mort ont transformé leur foi. Et 300 ans après, la majorité des Romains se sont convertis, ils confessent Jésus. Rome est devenue la ville où on compte le plus de disciples de celui qu’ils appellent maintenant le Christ.

Je repense souvent, bien sûr, à la phrase qui m’a décidé à le suivre: «Tu verras, les Romains, je ne les tuerai pas, mais je serai plus fort. Paix sur Terre.».

Oui, c’était vrai.
Amen

(musique)


Jean-Jacques Corbaz, novembre 2024  
 


P.S. Les évangiles disent que Judas a livré Jésus, ils n’emploient pas le verbe trahir.