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jeudi 30 mai 2019

(Bi, Li, Hu) Le mendiant "mendié"!


« Prière » après l’offrande


J’étais allé, mendiant de porte en porte, lorsque ton chariot d’or apparut au loin, pareil à un rêve splendide.

Mes espoirs s’exaltèrent et je pensai : c’en est fini des mauvais jours ! Déjà, je me tenais prêt, dans l’attente d’une riche aumône.

Le chariot s’arrêta là où je me tenais. Ton regard tomba sur moi et tu descendis avec un sourire. Je sentis que la chance de ma vie était enfin venue.

Soudain, tu tendis ta main droite et tu me demandas : « Qu’as-tu à me donner ? »

Ah, quel jeu étrange était-ce là, qu’un roi tende la main au mendiant et lui mendie quelque chose !? J’étais perplexe et confus.

Enfin, je tirai lentement de ma besace un tout petit grain de riz et te le donnai.


Mais quelle fut ma surprise lorsque, à la fin du jour, vidant mon sac à terre, je trouvai un tout petit grain d’or parmi le tas de riz.

Je pleurai amèrement en me disant : »Que n’ai-je pas eu le cœur de te donner tout ! »

   Rabindranath Tagore



(Pr) Un chemin pour le deuil. De Pâques à l'Ascension

Prédication de l’Ascension, 30 mai 2019

Une autre présence. Quand l'Ascension explique la résurrection

Lectures: Luc 24, 33-43; Luc 24, 45-53

L’Ascension, c’est d’abord l’histoire d’une absence. L’histoire d’un deuil, même. Voilà des disciples, des amis, que la mort de Jésus laisse comme orphelins; des croyants qu’il avait mis en route vers la pleine présence de Dieu, et qui soudain se sentent très seuls.

Et c’est pourquoi, pour bien comprendre l’Ascension, il nous faut parler en tout premier du deuil.
  


On le sait bien: le deuil est un long chemin. Quand on a perdu quelqu’un de proche, quelqu’un de cher, la blessure met beaucoup de temps à se refermer. Je ne dis pas “à guérir”, car souvent on ne guérit jamais. Je dis à se refermer, parce qu’on se blinde un peu. On se protège.

Mais il y faut du temps. Hélas, aujourd’hui notre manière de vivre à toute vitesse nous complique la tâche. Juste quelques heures pour pleurer; juste quelques jours pour les formalités administratives et des obsèques chronométrées... et puis, nous devons recommencer la course. La vie quotidienne reprend le dessus, avec son cortège de soucis et d’apparences à préserver. Alors, on enfouit notre deuil dans une boîte dont on referme solidement le couvercle, pour qu’il ne nous importune pas. On n’ose plus tellement parler de l’absent. On mène des conversations antalgiques ou des activités-pansement. Et on se retrouve seul(e), avec son chat ou avec une pile de dossiers...

Ainsi va la vie face à la mort... jusqu’au jour où ça craque, jusqu’au jour où nous devons réaliser, dans la crise, que le deuil à crédit, il se paie, tôt ou tard.

On ne joue pas impunément avec les rythmes profonds de notre humanité. Il faut neuf mois pour tisser un bébé, et il faut des années pour que grandisse l’enfant. On ne prend pas acte d’une séparation en 24 heures. Le chemin du deuil, tout comme celui de l’agonie, est un chemin de croix. Avec ses stations; ses stagnations aussi; et ses élans de pleurs, et ses révoltes, et ses colères, et ses temps de résignation. Envie de solitude... puis besoin d’être entouré et serré dans des bras amis. Sentiment d’abandon, puis de retrouvailles, toujours à reconquérir...
  


Le deuil est un chemin de quarantaine. Vous savez, ce nombre 40 a une signification symbolique très ancienne: on pense aux 40 ans d’Israël dans le désert, temps d’épreuve pour apprivoiser la liberté. On pense aussi aux 40 jours du déluge, ou à ceux de la tentation de Jésus. On se souvient encore du Carême, 40 jours avant Pâques. Eh bien, les disciples pour avancer dans leur deuil ont eu besoin de la même durée juste après, entre la Résurrection et l’Ascension.

La fête que nous célébrons aujourd’hui est donc une étape symbolique. Elle vient clore le temps des apparitions du Ressuscité. Elle ouvre l’étape suivante, celle d’une présence autre, non matérielle, et pourtant réelle.

Sachez-le, ces 40 jours où le Christ est apparu à ceux qui l’aiment n’ont pas été aussi simples et limpides qu’on le croit aujourd’hui. Ce temps a été étrangement partagé entre la joie - et la peur; entre le doute - et la certitude qui fraie sa route, la certitude qui dit: et si tout n’était pas fini?

Vous savez, ce n’est qu’après coup, ce n’est qu’avec le recul qui embellit le souvenir qu’on a représenté ce temps comme uniquement joyeux. Mais les apparitions du Christ ressuscité ont commencé par provoquer surtout des questions, et du désarroi. Les plus anciens textes bibliques en témoignent: il n’a pas été facile du tout pour les croyants de se familiariser avec cette nouvelle forme de présence.
 


Alors, dans ce processus, l’Ascension illustre deux choses: d’une part, elle est le moment inéluctable où il faut se séparer du corps de celui qu’on a aimé. Mais, d’autre part, l’Ascension est le signe d’une promesse, qui rend la vie possible, malgré la mort. Au coeur des endeuillés, cette certitude est murmurée, qui vient nous rassurer: “Je m’en vais, et pourtant je ne vous laisse pas seuls!” La présence du disparu n’est pas tarie, mais désormais, elle transparaît autrement, de manière nouvelle.

Vous savez, ceux qui nous ont quittés ne sont pas “arrachés à notre affection”, comme on le dit parfois. Au contraire, ils continuent de peupler nos jours et nos nuits, ils continuent d’habiter nos émotions et nos rêves, même si c’est bien sûr d’une manière différente. Ils sont souvent autant présents qu’avant, si ce n’est davantage, de par leur statut nouveau.

Comme le disait Jésus, “Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde”. Cette parole fondamentale n’aura jamais fini de s’insinuer dans les tâtonnements de nos deuils.

L’Ascension est ainsi la célébration d’un énorme mystère, j’ai presque envie de dire: du Mystère majuscule, essentiel, de la foi chrétienne. Celui d’une présence qui ne ressemble à aucune autre. Nos défunts, comme Jésus, sont là, tout proches. Jésus, comme nos défunts, continue de vivre et d’agir à travers nos sentiments pour lui. Selon l’expression géniale de St-Exupéry, “on ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible pour les yeux”.
  

L’Ascension, c’est d’abord l’histoire d’une absence; mais l’Ascension, c’est ensuite et surtout l’histoire d’une autre présence. Elle ne signifie pas séparation, mais mystérieuse communion. Elle marque la relation nouvelle qui s’instaure, désormais, entre le Christ et ses disciples.

Victorieux, vivant, le Ressuscité est pourtant invisible et discret; si discret que souvent, on a l’impression qu’il est absent, ou qu’il se désintéresse de nous. Puissant, glorieux, il est pourtant toujours en butte à l’opposition du monde; à l’égoïsme et au mépris. Agissant, semeur de joie, il a pourtant sans cesse besoin de nous pour que se concrétise sa bonté; comme un compositeur a besoin d’interprètes pour que sa musique devienne vivante!

Le Christ sort de scène, a-t-on dit; mais il continue d’influer sur le monde, à travers nous! Il nous passe le témoin: “À vous de jouer, maintenant! Ce n’est pas moi, nous dit-il, ce n’est pas moi la star de l’histoire. Moi, je vous ai montré que l’amour est plus fort que tout. Que les relations sont plus fortes que la mort physique. Dès aujourd’hui, c’est à vous d’occuper le devant de la scène, c’est à vous de vivre cet amour qui peut vaincre la mort”.
   


Au coeur de l’Ascension, comme au coeur de toute foi chrétienne, il y a donc cette interrogation et ce mystère, qui sont aussi un appel: comment puis-je, comment pouvons-nous rendre présent le Ressuscité dans notre monde? Quels signes puis-je, quels signes pouvons-nous donner de son intérêt passionné pour chacun(e)?

Sachons-le: sans nous, le Christ est impuissant pour réchauffer les coeurs et pour illuminer la terre. Il a besoin de nous pour que chantent son espoir, son respect de chacun(e), et sa vie malgré la mort. C’est ce que dira Pentecôte, juste après l’Ascension; suite logique de l’Ascension: Christ est en nous, il vit en nous, pour nous rendre mieux vivants!

 

Comme l’exprime aussi ce beau texte poétique de Jo Akepsimas, qui sera notre conclusion:

Il restera de toi ce que tu as donné.
Au lieu de le garder dans des coffres rouillés.

Il restera de toi, de ton jardin secret,
Une fleur oubliée qui ne s'est pas fanée.
Ce que tu as donné en d'autres fleurira.
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera.

Il restera de toi ce que tu as offert
Entre les bras ouverts, un matin au soleil.
Il restera de toi ce que tu as perdu
Que tu as attendu, plus loin que les réveils,
Ce que tu as souffert en d'autres revivra.
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera.

Il restera de toi une larme, tombée,
Un sourire, germé sur les yeux de ton coeur.
Il restera de toi ce que tu as semé
Que tu as partagé aux mendiants du bonheur.
Ce que tu as semé en d'autres germera.
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera.

Jo Akepsimas  
                     
                                                                    Jean-Jacques Corbaz   




dimanche 26 mai 2019

(Bi, Hu) Chez le coiffeur

 Si Dieu existait

Un de mes collègues, chez le coiffeur.

«Vous êtes pasteur? fait le figaro. Mais Dieu n’existe pas! Voyez tout ce qui cloche dans le monde: maladies, enfants morts de faim, guerres, injustices…»

Le ministre ne répond rien. Mais, par la fenêtre, il voit dans la rue un homme mal rasé, cheveux longs et sales… Il s’écrie alors: «Vous savez, les coiffeurs n’existent pas!»

Le figaro s’étonne: «Comment pouvez-vous dire ça? J’existe, vous le savez bien!»

«Pourtant, reprend le pasteur, regardez ce passant. Si les coiffeurs existaient, il n’y aurait pas d’homme aussi mal soigné.»

«Hé, réplique le figaro, c’est parce qu’il n’est pas venu chez moi ou chez un de mes collègues!»

«Exact, fait le ministre. C’est la même chose pour Dieu: il existe, mais, si tant de choses clochent sur terre, c’est que beaucoup de gens ne vont pas vers lui et ne veulent rien apprendre de lui.»

À méditer, n’est-ce pas?


Jean-Jacques Corbaz



dimanche 19 mai 2019

(Pr) Ces petits riens si précieux

Prédication du 19 mai 2019 - “Je t’ai racheté”

(pour le baptême de Clara et Lohan)

Lectures bibliques: Esaïe 43, 1-5; Matthieu 23, 1-12
 

- Sais-tu, demande le rouge-gorge, sais-tu combien pèse un flocon de neige?

- Oh, répond la colombe, rien du tout! C’est insignifiant! Négligeable!

- Ecoute, reprend le rouge-gorge, j’étais dans la forêt, et j’admirais l’hiver. J’ai compté les flocons qui tombaient. Sur une branche, qui était fragile, sont tombés 4’277 flocons. Mais quand s’est posé le 4’278ème (qui pèse trois fois rien, comme tu disais, négligeable...), eh bien, la branche a cassé... Parfois, il suffit de peu pour tout changer.

- C’est peut-être vrai, se dit la colombe (une autorité en matière de paix). Peut-être ne manque-t-il qu’un geste, dérisoire, insignifiant, pour que tout bascule... pour que la paix soit possible... ou qu’on soit heureux...

  

Cette jolie histoire illustre une vérité toute simple, mais importante: ce sont des tout petits riens qui peuvent faire tourner la roue, soit du côté du bonheur, soit du côté négatif. Des milliers de petits riens additionnés, minuscules. Si infimes qu’on ne leur accorde souvent aucune importance.

Et ce phénomène est tout spécialement vrai en ce qui concerne l’éducation de nos enfants; les valeurs que nous leur transmettons - souvent à notre insu.

Ecoutez cette anecdote.

Une jeune maman avait l’habitude de donner à son fils, quand elle l’amenait au jardin d’enfants, un bon goûter. À chaque fois, elle y mettait un petit chocolat que son enfant appréciait tout particulièrement. Le garçon aurait bien voulu savoir où maman rangeait ces chocolats, à la maison. Quand il posait la question, ses parents lui répondaient que ces friandises apparaissaient par magie, grâce à un tour de passe-passe qu’ils étaient seuls à connaître.

Un soir, l’enfant est rentré avec un joli crayon qui n’était pas à lui. Le lendemain, il y avait une gomme en forme de ballon de foot. Puis une cuillère dorée, et une image... Tout cela ne lui appartenait pas. Quand sa maman lui a posé la question, le gamin a répondu, simplement: “Ben, je les ai eus en faisant  le même tour de magie que toi pour le chocolat.”

Ayayaïe! Vous devinez que ses parents ont immédiatement cessé de pratiquer de tels tours de passe-passe!!
  


Les enfants observent les adultes avec beaucoup d’attention. Surtout leurs parents, évidemment!
Ils sont un peu comme des ordinateurs, ils enregistrent chaque mot, chaque image... chaque geste; chaque émotion, surtout. Puis il ne se passe rien pendant longtemps. Mais un jour, quand on s’y attend le moins, voilà que la phrase, ou l’attitude, ressort, comme une leçon bien apprise.

Oui, les enfants imitent énormément leurs parents. Des fois, ça nous fait plaisir... et parfois beaucoup moins! Raison de plus pour bien veiller à ce que nous disons et faisons. Surtout à ce que nous faisons!!
  


Ce que je viens de dire peut paraître accablant: quelle lourde responsabilité! Certain(e)s pourront même l’entendre de manière culpabilisante: oh, mais quel mauvais père je suis (ou mère, ou grand-mère, ou parrain, biffez toutes les mentions inutiles et rajoutez-en à la pelle...); quel mauvais schtroumpf je fais, je ne suis pas un bon éducateur pour mes enfants...

À celles et ceux qui réagissent ainsi, je dis avec force: pensez à votre baptême! Car l’eau versée, nous l’avons dit, elle est preuve de pardon de la part de Dieu, et de renouveau de vie. L’eau que nous avons reçue en signe d’Alliance, elle chante à qui veut l’entendre: “Clara est le trésor de Dieu, sa passion, son désir le plus fou! Il ferait tout pour qu’elle soit heureuse et libre!” “Lohan est le trésor de Dieu, sa passion, son désir le plus fou! Il ferait tout pour qu’il soit heureux et libre!”

Et vous pouvez mettre votre prénom à la place de celui des baptisés: “Patrick est le trésor de Dieu, sa passion, son désir le plus fou! Il ferait tout pour qu’il soit heureux et libre!” - “Céline est le trésor de Dieu, sa passion, son désir le plus fou! Il ferait tout pour qu’elle soit heureuse et libre!” - Et Kenzo - et Evelyne - et Marianne - et Aurélien - et chacun(e) de nous...

Ainsi, pensez donc: si Dieu, qui seul est parfait, ne nous condamne pas; mieux: si, pour lui, nous sommes ses enfants adorés, ceux pour qui il donne sa vie; voyez-vous la valeur que cela nous confère?

Valeur aux yeux de Dieu; mais aussi aux yeux des autres. Et encore, et c’est sans doute le plus difficile à réaliser: valeur à nos propres yeux, à nous!

Savez-vous que les auréoles ont été inventées, au Moyen Âge, pour montrer que les chrétiens (oui, tous les chrétiens!) étaient habités d'une lumière vive, reçue d'En-Haut, et qui rayonnait autour d'eux? Ce disque lumineux autour de la tête voulait dire: "Voilà quelqu'un qui a su laisser vivre en lui (en elle) la Clarté majuscule de Dieu, et qui sait aussi la diffuser autour de lui (autour d'elle) par ses paroles ou par ses actes".

Elle est là, la fabuleuse nouvelle de Pâques! La lumière du Ressuscité vient nous habiter, et nous transformer. Grâce à elle, nous devenons, avec tous nos défauts (que nous connaissons bien), nous devenons des pensionnaires du coeur de Dieu; infiniment dignes d’être aimés au Ciel et sur la terre!

Infiniment dignes d’être aimés! Foncièrement aimables, donc! Et pour que cet amour se réalise, concrètement, vous pensez avec quelle ferveur Christ nous appelle à dire “Que ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel”!

  

Oui, éduquer des enfants est difficile, Dieu lui-même en sait quelque chose! Alors, mettons-nous à l’oeuvre avec application, avec sérieux... Mais en nous souvenant toujours que, grâce à Pâques, Dieu nous aide à transformer nos gestes maladroits en présences bienfaisantes.

Nous sommes invités à nous engager, à nous mettre au boulot derrière le Christ, mais nous sommes aussi aimés, pardonnés d’avance. Nous risquons de nous tromper, parfois; souvent; très souvent. Mais nous avons reçu aussi la promesse ferme que ces erreurs ne nous enlèveront rien de la tendresse du Père, ni de son salut. “Même si les montagnes venaient à s’en aller; même si les collines venaient à s’effondrer, dit Dieu, mon amour pour toi restera tout proche; mes promesses de paix jamais ne seront ébranlées” (1). C’est exactement ce que nous disons de sa part à chaque baptême!

J’aime le dicton portugais qui dit: “Deus escreve direito por linhas tortas” (Dieu écrit droit avec des lignes courbes, tordues - je veux dire: avec nous!!). Amen
 

Jean-Jacques Corbaz

(1) Esaïe 54, 10    



lundi 13 mai 2019

(Ci, Hu) Un peu de logique!


"Tout le monde veut sauver la terre et pourtant personne ne veut aider sa mère à finir la vaisselle."


P.J. O’Rourke
Ecrivain et journaliste américain
né en 1947

dimanche 12 mai 2019

(Pr, SB) J'avais la violence en spirale

Prédication du 12 mai 2019, « Oeil pour oeil... La vengeance »

Lectures:  Matthieu 5, 38-45 + 43-45; Lévitique 24, 17-20


 


Il y a quelques années, un attentat à la bombe a été commis en Iran. Bilan de cette terrible tragédie: 13 morts et une centaine de blessés. Les auteurs ont été retrouvés peu après. Et condamnés, selon la loi coranique, à la peine de mort.

Précisions étonnantes pour nous Européens: la sentence a été exécutée en public, sur les lieux même de l’attentat. De plus, avant l’exécution capitale, ceux qui avaient été blessés par la bombe ont eu le droit de se venger personnellement de leurs souffrances. Ils ont pu frapper les terroristes, à une condition: ils ne devaient pas leur infliger de blessure plus grave que celle qu’ils avaient eux-mêmes subie. Le droit de crever un oeil pour celui qui avait perdu un oeil. Le droit de casser une dent pour une dent fracturée. Le droit de couper un bras pour qui avait dû être amputé de son bras...

C’est la loi du “donnant-donnant”, qu’on appelle, d’un mot savant, la loi du talion (du mot “tel”): même blessure pour même blessure, oeil pour oeil, et dent pour dent.
  

Ce système nous paraît cruel, il est pourtant en vigueur dans l’Ancien Testament (AT). Nous l’avons entendu, le livre du Lévitique le prône, de même que d’autres passages de l’Exode ou du Deutéronome. Et c’est Jésus qui va s’en distancer, dans le Sermon sur la montagne, et qui va demander de renoncer à la vengeance.

Avant de nous révolter contre la barbarie de certains textes de l’AT ou du Coran, je vous invite à réfléchir quelques minutes. Vous savez sans doute que les sociétés primitives, dites “tribales”, fonctionnaient selon un autre principe, celui de la “vendetta”: la vengeance qui se répercute à l’infini d’un clan à l’autre, à chaud le plus souvent. La gravité des actes augmentait au fur et à mesure des répliques. C’était la fameuse spirale de la violence. On en arrivait, pour un coup sur le nez, à casser un bras, puis à commettre un meurtre (c’est un peu la “morale” de certaines bandes de jeunes aujourd’hui encore...).


Dans un tel contexte, vous voyez que la loi du talion est un progrès. La peine infligée au coupable ne doit pas être plus grave que le mal qu’il a fait: pas plus d’une dent pour une dent, et ainsi de suite. On le comprend, ce système a pour but de limiter la vengeance, et non de l’encourager. 
                    
Mais aujourd’hui, dans nos sociétés dotées de police et de tribunaux relativement efficaces, qui rendent la justice à partir d’un code pénal précis et détaillé, la situation est bien différente. Nos lois prévoient des peines, non d’abord pour venger les victimes, mais surtout pour corriger les délinquants et favoriser leur réhabilitation dans la société; pour prévenir la violence et limiter au maximum les risques de récidive.

Il est intéressant de voir que nos lois modernes s’inspirent de l’enseignement de Jésus dans le Sermon sur la montagne! Lui qui remplace le “oeil pour oeil” par cette demande étrange d’aimer ses ennemis; de ne pas se venger; de prier pour ceux qui nous font du mal...

Pas faciles du tout à mettre en pratique, ces principes du Christ! À l’image du Sermon sur la montagne entier, nous avons là une éthique exigeante, énorme, presque utopique!

Car évidemment, notre passage ne concerne pas que la violence physique et les agressions. Vous qui m’écoutez ou me lisez en ce dimanche, je ne vous imagine pas trop dégainer la mitraillette ou faire le coup de poing pour riposter à une attaque qui vous aurait blessé. Mais nous sommes toutes et tous tentés, parfois, de répondre à une injure par une autre injure; de prolonger une mesquinerie subie par une autre; un coup tordu, une rancune... Dur dur de résister à ce genre de tentation!
 


Trois précisions à ce sujet. D’abord, remarquons que cet enseignement s’adresse aux disciples de Jésus; ce ne sont pas des principes pour Monsieur et Madame Tout-le-monde. Jésus invite les croyants de son temps à marquer une rupture nécessaire, totale, par rapport à la société de leur époque: “Ne vous comportez pas de manière “terrestre”,
primitive, comme vos contemporains; au contraire, manifestez par votre conduite que vous êtes des enfants de lumière!” Exigences de rupture totale. Aujourd’hui, dans un monde marqué par une culture chrétienne, la donne n’est plus la même!

Deuxième remarque: cette éthique n’est pas une loi; ni une morale! N’en faisons pas une règle qui nous ferait sanctionner par Dieu en cas de contravention. Le Nouveau Testament (NT) a rejeté le principe de la punition divine. Nous vivons sous le régime de la grâce. Jésus nous invite à changer de comportement non par obligation, mais par amour. “Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement!”

Et c’est d’ailleurs justement cette dimension du pardon qui motive le Sermon sur la montagne. Car “oeil pour oeil”, c’est un principe qui bloque le coupable dans sa faute. Quand la main du voleur a été coupée, comment voulez-vous que le pardon agisse et libère?

Le Dieu de l’évangile, au contraire de celui du Coran ou de certains passages de l’AT, ne veut pas la mort du pécheur; mais qu’il se transforme, et qu’il vive! J’aime cette boutade de Martin Luther King: “Oeil pour oeil... et le monde finira aveugle!”
  

Troisième précision, “tendre l’autre joue”. On croit souvent que ce passage demande aux chrétiens de se laisser frapper, et frapper encore, passivement. Rien n’est plus faux! Ce verset nous dit tout autre chose, son message est étonnamment percutant et moderne! En effet, le NT, écrit en grec, exprime ici quelque chose d’intraduisible en français. Car pour dire “autre”, il y a en grec deux mots: “allos” et “heteros”.

“Heteros”, c’est l’autre parmi deux choses, ou deux personnes; quand il n’y a que deux possibilités. “Allos”, c’est l’autre parmi plus de deux objets ou personnes.

Ainsi, quand je dis: “Mes parents sont à la maison: l’un dort, et l’autre fait des mots croisés”, l’autre, c’est “heteros”, car je n’ai que deux parents. Par contre, pour “Un de mes paroissiens est resté chez lui, un autre est venu au culte”, l’autre, ce sera “allos”, puisqu’ils sont en tout plus que deux!

Or, dans “tendre l’autre joue”, pour “l’autre”, ce n’est pas “heteros” qui est employé par l’évangile (alors qu’on n’a que deux joues, pourtant); ce n’est pas “heteros”, c’est “allos”. Présenter l’autre joue, c’est donc tendre une autre joue, une joue différente. C’est réagir d’une manière nouvelle, qui aide à sortir du cercle vicieux de la violence.

Nous l’avons tous vécu: répondre à l’agressivité par l’agressivité, ça engendre l’escalade de la violence. Mais à l’opposé, un mot, un geste, un acte à contre-courant peut tout changer; désamorcer l’agression, dés’armer la haine.

Par exemple, j’ai vu un jour un footballeur victime d’un méchant coup par-derrière de la part d’un adversaire qui voulait lui prendre le ballon. Malgré la douleur, le gars s’est relevé. Il a pris le ballon dans ses mains et l’a offert gentiment à son opposant. Désarmant, n’est-ce pas?


Rompre la symétrie. Pour cela, bien sûr, il faut beaucoup de courage et d’à-propos. Et de force intérieure aussi, pour résister à la tentation de la colère qui monte! C’est en cela, et en cela seulement, que nous osons nous demander les uns aux autres, selon les termes de l’évangile, d’être parfaits comme l’est notre Père céleste. C’est-à-dire non pas de nous abstenir de toute faute -c’est impossible, évidemment- mais, avec Dieu, de tout imaginer, de tout mettre en oeuvre pour désamorcer la violence, l’empêcher de se reproduire et se multiplier à l’infini...

Et ça, vous l’imaginez bien, c’est exactement le contraire de la passivité! Il ne s’agit pas de se laisser frapper sans répondre; mais de mettre en action un amour, un respect, une espérance dont nous ne sommes capables que parce que Dieu nous les donne, d’abord, en Jésus-Christ.

Ainsi, l’attitude chrétienne dans un conflit, ce n’est ni céder ni riposter avec les mêmes armes. L’attitude chrétienne, c’est rompre la symétrie, en puisant nos forces dans celles de Dieu. En effet, vous vous en rendez compte, si Dieu ne nous avait pas “tendu une autre joue”, en Christ, face à nos péchés, si Dieu nous avait donné la réciproque, eh bien, nous serions morts!

Voilà le chemin nouveau que Jésus nous appelle à parcourir, derrière lui. Savoir que la violence existe, en moi, en nous; et tout faire pour la maîtriser, pour la sortir de ses mécanismes vicieux, en cherchant sans cesse à regarder l’autre avec une passion qui s’inspire de celle de Dieu pour lui. Et pour moi. Vouloir son bien, et non me venger.

  


Pour conclure, écoutez ce beau passage de Charles Baudoin, cité dans une brochure des Editions Ouvertures (“Tu es venu de loin...” p. 31). Il est tout aussi utopique que le Sermon sur la montagne! J’aime comme il renverse la notion de vengeance.

Oeil pour oeil, dent pour dent. Pour chaque enfant qu’ils assassinent en riant, je chercherai un enfant pauvre, un enfant malade, et je l’aimerai, et je lui rendrai la joie de vivre.

Oeil pour oeil, dent pour dent. Pour tous les yeux qu’ils crèvent, j’essuierai des larmes. Aux morsures de leur rage, là-bas, je répondrai ici par des baisers, et ce sera mon arme.

Oeil pour oeil, dent pour dent. À tous les gestes de mort dont je suis entouré, je répondrai par autant de paroles de vie, et je les sèmerai dans les âmes que la douleur a labourées.

Oeil pour oeil, dent pour dent, et l’amour pour la haine, ce sera là mon talion. Ce sera ma vengeance et ma volupté, ce sera ma joie de protestation, d’entêtement et de rébellion.

Obstinez-vous, et je m’obstinerai. Répondez, et je riposterai. Acharnez-vous, j’aurai le dernier mot pourtant.

Oeil pour oeil, dent pour dent!”


Charles Baudoin


 


Amen

Jean-Jacques Corbaz