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vendredi 29 septembre 2023

(Bi, Li) Commencement

Au commencement était la vérité
Et tout baignait dans la vérité,
Et l’esprit de Dieu voguait dans la vérité.
Alors, le Serpent créa le doute et le mensonge
Et il se dit que c’était bon.
Dieu était moyennement content, tu penses.

Au commencement était la paix,
Harmonie, respect.
Alors Caïn créa le meurtre, et la guerre, et le terrorisme
Et il se dit que c’était bon.
Dieu était de plus en plus désolé, tu devines.

Au commencement était l’amour,
Ecoute, chaleur, tact.
Alors la tour de Babel créa la division, l’exclusion, le mépris
Et elle se dit que c’était bon.
Dieu devenait franchement furieux.

À la fin du commencement, ce fut le commencement de la fin.
Dieu errait comme une âme en peine
Et l’enfer se frottait les mains.
L’homme inventa la mort de Dieu
Et il se dit que c’était bon.
Dieu n’était pas mort, mais très triste et fatigué.

Alors Dieu voulut refaire le commencement.
Mais il se dit que c’était trop peu respecter l’homme,
Alors, Dieu inventa l’avenir
Et il nous appela à évoluer.

Maintenant, la parole nous est donnée:





Jean-Jacques Corbaz, septembre 1978  



lundi 25 septembre 2023

(Bi) « Il est méchant » ?

 

Depuis 73 ans que je roule ma bosse dans ce drôle de monde, j’ai souvent eu à réfléchir sur cette affirmation un peu enfantine : « Il est méchant » ; « elle est méchante ». Les adultes cultivés diront plutôt « pervers », mais ça ne change pas grand-chose.

Et plus j’observe mes contemporains, plus je réalise à quel point ce genre de jugement est absurde. Absurde et malfaisant.

Personne n’est méchant. Personne n’est animé par des sentiments négatifs « tout nus ». Non, il n’y a que des hommes, des femmes, des enfants qui réagissent parfois de manière agressive ou disproportionnée, parce qu’ils sont aux prises avec des sentiments de peur, de honte ou de stress ; parce qu’ils sont animés par des préjugés, ou par des traditions, ou par des tabous qu’ils ont reçus de leur éducation (au sens large). Ou encore parce qu’ils sont prisonniers de leurs névroses, ou de leurs psychoses ; ou de leur addiction, ou de leur religion, ou de leur grand amour (tout cela n’est-il pas du reste de même nature, ou presque ?).

Personne n’est méchant. Et si tu sais regarder l’autre de cette manière qui l’innocente, tu ne seras pas ressenti comme méchant toi non plus. Et tu deviendras une présence bienfaisante pour autrui.

Tu deviendras un instrument de Dieu.

 

Jean-Jacques Corbaz


dimanche 24 septembre 2023

(Co, Pr) Elie: La souris, le souffle et le prophète

Narration des 11 et 24 septembre 2023, 1 Rois 19 «La souris, le souffle fragile et le prophète»

Lectures: 1 Corinthiens 1, 22-25; Luc 9, 46-48

 
Couché par terre dans un coin du désert, Elie pleure, inconsolable. Il ne sent plus la faim, il ne sent plus la soif, il ne sent plus le chaud ou le froid. Elie ne sent même plus le goût des larmes qui lui coulent autour de la bouche. Larmes amères, larmes de colère, de peur, d’impuissance. Larmes de déception. De déception triste.

Elie pleure dans sa barbe. Pourtant, on lui avait toujours dit «un homme, ça ne pleure pas». Ben c’est pas vrai. Elie pleure, et ça dure longtemps.

- «Dis, pourquoi t’es tout triste?» fait une petite voix. «Pourquoi tu pleures?»

Elie a envie de garder les yeux fermés, tellement il a plein de nuages noirs dans sa tête. Mais la curiosité est plus forte que son chagrin. Il ouvre un oeil et voit, à côté de lui, par terre, une... oui, une souris. Toute petite!

- «Continue de pleurer, dit la voix aiguë, tu arroses mon petit arbre; il n’a jamais d’eau, dans ce désert.»

Elie a presque envie de sourire. Il soupire.

- «Alors, fait la souris, tu veux me raconter?»


- «OK, dit l’homme. Tu sais, souris, je suis un prophète. Un vrai! Un prophète, c’est quelqu’un que Dieu envoie dire des choses importantes. Mais Dieu, dans mon pays, en Israël, il avait été oublié. Le roi s’était mis à adorer des idoles. Et bien sûr le peuple avait suivi.
«Alors, Dieu m’a envoyé devant Achab, le roi, lui dire qu’il ne tolère plus ces religions païennes, que Dieu est bien plus fort que Ba’al, son idole. Pour le prouver, il allait nous envoyer une sécheresse épouvantable. La famine!
«Et c’est bien ce qui est arrivé. J’attendais que le roi se mette en colère. Ou qu’il négocie. Ou qu’il prie. Mais non. Il n’a rien dit. Rien.
«Et alors, c’est Dieu qui m’a parlé. Il m’a envoyé me cacher, dans un ravin, près d’un ruisseau. Comme si Dieu lui-même était condamné à se cacher! Et chaque jour, souris, écoute bien, c’est incroyable: malgré la sécheresse, oui, chaque jour des corbeaux m’apportaient à manger. Du pain et de la viande. Et j’avais l’eau du ruisseau pour boire et me laver.»

- «Mais alors, fait la souris, pourquoi es-tu parti de ce ravin?»

- «Hélas, reprend Elie, le ruisseau s’est tari. Plus d’eau! J’ai bien dû m’en aller.»

- «Mais, Dieu a continué de s’occuper de toi?»

- «Mmhh, presque, fait Elie. Il m’a envoyé à l’étranger, loin de tout. Et j’étais inquiet, bien sûr. Est-ce que Dieu pourrait me suivre, en-dehors d’Israël? Est-ce que Dieu pourrait me protéger, à l’étranger?»

- «Et alors?» insiste la souris.

- «Alors, j’ai rencontré une femme. Elle n’avait plus qu’une poignée de farine à donner à son fils, pour le nourrir. Ensuite, elle n’aurait plus rien du tout. Elle a fait des galettes. Et sais-tu, c’est incroyable: chaque soir, il ne restait qu’une pincée de farine et quelques gouttes d’huile; et chaque matin, Dieu a redonné farine et huile, jusqu’à ce que la pluie revienne!»

- «Et après, fait la souris, qu’est-il arrivé?»

- «Eh bien, un jour, le garçon est tombé malade. Très malade. Et... et il est mort. Mais je l’aimais, ce garçon, je l’aimais tellement que j’ai crié vers Dieu, j’ai crié ma révolte, et j’ai pris l’enfant dans mes bras... et il était tout froid... et soudain, tout-à-coup, il s’est mis à bouger, il s’est relevé, il était guéri! Tu comprends, souris, Dieu a montré qu’il était un Dieu de vie! Un Dieu qui aime les petits, les faibles, les fragiles.»

- «Oh, dit la souris. Et avec un Dieu comme ça, tu pleures quand même?! Il n’est plus là? ...Tu ne l’as pas quitté, au moins?»

- «Quitté... Pas vraiment... Mais peut-être un peu quand même. Ecoute, souris: Dieu m’a dit alors de repartir, d’aller promettre à Israël la fin de la famine! La pluie! Un message de joie, et d’espoir! Et moi, j’ai obéi. Mais, euh... pas tout à fait. J’ai provoqué les prophètes païens, les prophètes de Ba’al. Leurs dieux n’ont pas réussi à allumer leur sacrifice, mais mon Dieu, lui, il a réussi!! Mon sacrifice s’est allumé par le feu, tombé du ciel, le feu géant! J’ai gagné!

«Alors, tout fier de ma victoire, fou de joie, j’ai tué les 850 prophètes païens. Ils sont tous morts, je les ai égorgés l’un après l’autre, quand la pluie est revenue! Je croyais que mon Dieu était le Dieu de la puissance, le Dieu vengeur qui allait enfin me récompenser de toutes mes peines, et me donner la victoire, la gloire, l’adhésion du peuple et du roi…»

- «Et... ça n’a pas marché», fait la souris.

- «Ben non. À peine rentré à Jérusalem, crac! J’apprends que la reine Jézabel est furax que j’aie massacré ses prophètes. Elle veut me tuer pour se venger, elle était la plus fidèle au culte des Ba’als. Elle a juré ma mort. Et c’est pourquoi je suis reparti, vite, la peur au ventre, sans bagages, sans rien. Je suis arrivé dans ce désert. Et j’en ai marre. Mais marre!»

- «Qu’est-ce que tu vas faire?» demande la souris.

- «Je ne sais pas. Vraiment pas. La vie est moche. Je n’ai plus envie de rien, je n’ai plus envie de vivre.» ...

- «Elie! Tiens! Bois et mange!»

Qui a parlé? Elie se retourne et voit un vieux bédouin, qui lui tend de l’eau et du pain. La souris a disparu. «Tiens! Bois et mange!»

 
Elie obéit, un peu machinalement, et aussi parce que ça lui a fait du bien de raconter ses malheurs. De repenser au Dieu généreux de chez la veuve, au Dieu qui veille sur les petits, au Dieu de vie. Elie mange et boit, sans dire merci, puis se recouche, en ruminant encore quelques nuages noirs. ...

Mais tout en mâchouillant sa tristesse, il sent que quelque chose lui chatouille la moustache.

- «Qu’est-ce que tu vas faire?» redit une petite voix.

La souris était donc toujours là!

- «Eh bien, je ne sais pas... La vie est moche. Je ne sais vraiment pas.»

- «Elie! Tiens! Bois et mange!»

Elie se retourne, et il revoit le vieux bédouin, qui lui tend encore une fois de l’eau et du pain. La souris a disparu. «Tiens! Bois et mange!»

Elie obéit, et il sent le courage lui revenir. «Merci, mon brave!» - Mais le bédouin est de nouveau invisible. Alors Elie se remet debout, il marche, il marche, comme si une force inconnue le dirigeait. Il marche pendant des jours et des jours, jusqu’à ce qu’il arrive au pied d’une énorme montagne: le Sinaï, la montagne de Dieu! L’endroit où, au tout début, le Seigneur avait donné les commandements à Moïse et au peuple d’Israël. Le Sinaï, la montagne des commencements!

Mais Elie est fatigué. Il se couche dans une caverne, comme dans un ventre maternel. Et s’endort.

Et le matin, une voix! Une voix connue, familière; celle qui l’avait envoyé vers le roi, les deux fois; la voix... de Dieu!?

- «Sors de la caverne, Elie. Je vais passer devant toi!»

Elie alors entend un vent violent se lever. Une tempête, qui secoue la montagne, et fait hurler les rochers. Est-ce que c’est Dieu, tu crois? Non, Dieu n’est pas dans le vent, et la tempête déchaînés. ...

Ensuite, Elie sent un puissant tremblement de terre, qui fracasse les rocs et les pierres, qui ébranle l’univers. Est-ce que c’est Dieu, tu crois? Non, Dieu n’est pas dans le tremblement de terre. ...

Et puis, Elie voit un feu, un feu éblouissant qui a l’air de dévorer toute la montagne. Des cailloux sautent comme du pop-corn. Est-ce que c’est Dieu, tu crois? Non, Dieu n’est pas dans le feu. ...


Alors, Elie entend un profond silence. Mais un silence habité, vivant, comme quand on a murmuré «je t’aime». Comme un souffle fragile, infiniment léger. Un frémissement.

Elie alors comprend. Dieu est là. Le prophète se cache le visage avec un voile, et, enfin, sort de la grotte, sort de son cocon. Le Dieu des petits. Oui, le protecteur des fragiles. Il se donne, lui aussi, dans un souffle, sans puissance, sans gloire, sans sécurité. ...

Il faut traverser le désert, et encore le traverser, pour comprendre ce Dieu-là. C’est une longue marche, jusqu’à nous accepter nous-mêmes, comme nous sommes. Il n’est pas un Dieu fort qui viendrait résoudre les problèmes à notre place, encore moins qui punirait les méchants; mais il est un Dieu qui accompagne, dans la faiblesse et les questions, qui accompagne, dans l’espérance! ...


Elie peut alors repartir. Seul; mais il sent très bien qu’il n’est pas seul. Aucun problème n’est résolu, bien sûr! Mais Elie sait qu’un Dieu fantastiquement proche marche avec lui, pour l’aider à rester debout dans les difficultés. Dans la faiblesse, un Dieu de tendresse, infinie. Un Dieu de vie. Amen

 

 Jean-Jacques Corbaz

jeudi 21 septembre 2023

(Po, Li) Objectez! (chanson)

 

Je ne veux plus faire la guerre,
Je ne veux plus faire l’affaire
Des hommes ou des femmes de fer,
Est-ce le Royaume ou l’enfer que le Christ a commencé sur terre?

Je ne veux plus me résigner,
Je ne veux plus rafistoler
Les marginaux. les rejetés,
Opprimés ou désespérés, le Christ est mort pour les délivrer.

Il y a bientôt 2000 ans, près de la Mer de Galilée,
Un petit pêcheur les chantait, ces mots pleins d’espoir et de sang:
Rien ne sera plus comme avant!

Je ne veux plus d’hypocrisie,
Je ne veux plus de jalousie,
Le légalisme tue la vie.
Est-ce à la haine, à la folie que le Ressuscité nous convie?

Je ne veux plus d’hommes affamés
De pain ou de fraternité,
De justice ou de liberté,
Je ne veux plus me résigner, le Christ est mort pour nous libérer.

Il y a bientôt 2000 ans que partout des illuminés
Se mettent debout pour chanter ces mots pleins d’espoir et de sang:
Rien ne sera plus comme avant!
Il y a bientôt 2000 ans, dites-moi ce qui a changé,
Mais avant de vous rendormir, demandez-vous sincèrement
Si ces mots ne sont que du vent.
Si ces mots peuvent nous guérir, si ces mots peuvent transformer
Le monde et son humanité quand chacun les aura chantés
Jusqu’à vivre, jusqu’à mourir.

Je ne veux plus faire la guerre,
Je ne veux plus faire l’affaire
Des hommes ou des femmes de fer,
Est-ce le Royaume ou l’enfer que le Christ a commencé sur terre?

Il y a bientôt 2000 ans, près de la Mer de Galilée,
Un petit pêcheur les chantait, ces mots pleins d’espoir et de sang:
Rien ne sera plus comme avant!


 

Jean-Jacques
Corbaz, novembre 1982  

 

                                          La musique de cette chanson





(Po) Ombres en septembre


 

L’ombre longue du rocher gris, l’ombre longue,
Comme une fatigue d’un soir sans fin, désespéré, découragé,
L’ombre grise du bref rocher, l’ombre triste que rien ne brise,
Ombre d’automne au soleil tard couché,
Comme un enfant voulant étirer sa soirée.
C’est l’heure blanche
Où le village se fait forêt.

Sur un talus,
Une croix frêle étend ses bras trop maigres,
Secs de vouloir rassembler le monde,
Longs, trop longs de ne pouvoir se refermer.

Sur un talus,
L’ombre longue du bref rocher, l’ombre grise
Que trouble à peine un vent découragé.
Il est tard, je le sais.

Ainsi l’ombre du Christ, courant sans trêve,
L’ombre de l’homme mort fils de Dieu
Ainsi l’ombre du Christ va son voyage, son long voyage,
Cherchant toujours ses frères, appelant à l’amour.

Ainsi je pense au Christ quand sans fin meurt le jour…

 


 

Jean-Jacques Corbaz, septembre 1978  



dimanche 17 septembre 2023

(Vu) Le dauphin qui demande du secours

Le célèbre plongeur italien Enzo Maiorca, légende de l’apnée et héros du Grand Bleu, avait jeté l’ancre dans la mer au large de Syracuse en Sicile.

Il était dans l’eau et parlait à sa fille Rossana qui était restée à bord du yacht.
Alors qu'il s'apprête à plonger dans les profondeurs, il sent quelque chose qui le touche légèrement dans le dos. 

Il se retourne et se retrouve nez-à-nez avec un dauphin et se rend alors compte que le dauphin ne veut pas jouer mais veut lui passer un message.🐬🐬🐬

L'animal plonge et Enzo le suit jusqu'à une profondeur d'environ 12 mètres.
Et là, piégé dans un filet abandonné, il découvre un autre dauphin, qui se débat désespérément.

Enzo comprend rapidement et remonte a la surface pour demander à sa fille de lui passer les couteaux de plongée. 

Rapidement, tous deux parviennent à libérer le dauphin, qui, à la fin de son calvaire, émerge de l’eau, en émettant un cri presque humain (dixit Enzo).
(Un dauphin peut rester sous l'eau jusqu'à 10 minutes, puis meurt asphyxié.)

Enzo, sa fille Rosana et le dauphin avaient finalement réussi à libérer l’autre dauphin à remonter à la surface.

Et là, une surprise les attendait: c’était en fait un dauphin femelle et elle était enceinte!

Le dauphin mâle n’arrêtait pas de tourner autour d’Enzo et de sa fille puis s'est arrêté devant Enzo, lui a touché la joue (comme un baiser), en signe de gratitude, avant de s'éloigner avec sa chérie…

Enzo Maiorca a terminé son histoire en disant :
"Tant que l'homme n'aura pas appris à respecter le monde animal et à lui parler, il ne connaîtra jamais son véritable rôle sur Terre».

(auteur anonyme)  





vendredi 15 septembre 2023

(Bi, Re) Prier Dieu, ça sert à quoi?


- Pourquoi priez-vous? M’a-t-on demandé.

- Quand j’étais petit, j’écrivais au Père Noël…

- Ha! Il vous répondait?

- Pas toujours. Assez souvent, pourtant: il me répondait par les cadeaux que me faisaient mes parents. Dieu répond surtout par les réponses des hommes… Mais dites-moi, pourquoi dites-vous «je t’aime» à votre femme? Et si elle était muette, cesseriez-vous de le lui dire?

- Oui mais, oui mais, si Dieu existe, il n’est pas muet! Pourquoi ne répond-il pas?

- Il n’y a jamais eu et il n’y a pas de preuves de l’existence de Dieu. Il répond en utilisant ce qu’il a créé: les êtres vivants, la nature… Libres à nous (oui: libres!) d’y croire une réponse de Dieu ou d’y voir une réalité immanente seulement, une réalité sans rapport avec le monde spirituel. Dieu ne s’impose pas, il appelle. C’est son amour, son respect de notre liberté qui le rendent muet.

- Des hommes ont voulu imposer Dieu.

- Ce n’étaient que des hommes. Je suis absolument sûr que Dieu souffrait alors bien plus qu’en vous entendant professer vos doutes!

Jean-Jacques Corbaz, décembre 1979 


(Po, Co) Les silences du prophète (hommage à K. Gibran)

… Alors Almitra le regarda doucement. Si doucement qu’elle en devint une prière.

D’abord il ne dit rien. Le vent de la mer faisait hésiter les cheveux des femmes, et des vagues confiantes se balançaient avec bruit sur le rivage. Il la regarda, puis ses yeux restèrent fixés au même endroit, rivés sur le vide. 

C’était le moment de partir.

La quête soumise d’Almitra continuait, insistante malgré son humilité. Il regarda l’intérieur de lui-même, et murmura, mais chacun l’entendit:

«Nous avons tous nos blessures. Je ne vous dis pas ‘Heureux qui n’a pas de blessure’ ou ‘Heureux qui peut refermer ses blessures’. Nos marques sortent de nous, et notre corps sait pleurer, même si les pleurs semblent inutiles. Nos cicatrices sortent de nous, et c’est pourquoi elles nous sont chères. 

Nous avons tous nos blessures. Heureux celui que son mal fait grandir. L’amour passe, le désir passe, la confiance reste. Heureux celui dont la confiance n’est pas déplacée. Votre confiance est un rocher sur la plage douce de vos amours. Quand vient la marée, le rocher peut vous sauver la vie.»

Un oiseau passa en criant dans le ciel, se hâtant vers le couchant. Almitra le voyait, et c’était comme une larme à ses paupières. Un prophète est un homme, et pas un dieu.

- Parlez-nous du vide qui est en nous, lorsque notre confiance est déçue.

«Il n’existe pas de vide en nous. Notre vide est toujours plein de reproches. Heureux celui dont les reproches s’adressent à lui-même, et l’aident à continuer. Heureux celui qui ne sait pas comment continuer: il trouvera un des mille chemins dans ce vide qui résonne si fort.

Une parole, dans une crypte déserte, rejaillit de rocher en rocher, de voûte en bloc de pierre, et remplit vos oreilles. Quand la tristesse semble avoir tout sucé de vie en nous, quand le peuple des rêves à demi fous s’est évanoui en poussières, nous pouvons nous rencontrer nous-même. Heureux celui qui dans la tristesse immense découvre les mille sentiers perdus de ses dépassements possibles.

Nous pouvons courir d’impasse en impasse, et toujours nous prolonger. Telle est une blessure aimée. Le génie naîtra de vos blessures. Mais celles-ci vous seront toujours données.»


Jean-Jacques Corbaz, 21 novembre 1978    





(Po) Ce fleuve nommé Broye

 

Ce fleuve nommé Broye
Charrie entre ses bras
Des montagnes de soie
Où l’on est toujours en-deçà.

Et ces quintaux de brume
Ourlent la terre brune
Comme un collier de plumes
Qui voudraient effacer la lune.

D’où viennent ces nuages bas
Que tant de soirs exhument?
On dirait un géant qui fume
Tous nos champs de tabac.

D’où viennent l’angoisse et le froid,
Et ces sombres rancunes
Qui braisent, sournoises, une à une
- Où pourtant vit la foi?

Ne me demandez pas pourquoi
Le prophète se tait, c’est par crainte, je crois,
Qu’on l’attende dans la Broye
Comme le loup au fond des bois.

Car ce fleuve bien nommé broie
Du noir, du blanc, mauve ou grenat,
Mélangés dans son brou de noix,
Et sans faveur aucune,
Dans sa pâleur commune,
La misère du pauvre et celle du roi,
Celle qu’on traîne et celle qu’on parfume,
Celle qu’on cache et celle qu’on assume.

- Et puis, ce fardeau sur les bras,
Comme une croix,
Sans un refus, sans un pourquoi,
En Mer du Nord l’emportera.

Alors, ce fleuve nommé Broye,
Je sais qu’il s’ouvrira
À la fête, à la joie:
Le Christ y est venu, déjà.


Jean-Jacques Corbaz, novembre 1982 



(Po) Tempête dans un verre… dodo!

Le vent dans ses cheveux jouait au vent du large
Et ses cheveux, volant, se croyaient des embruns
Un zeste d’infini, puis un autre, encore un…
Tout ça nous emmenait presque au bord de la marge.

Bien sûr, il était jeune, et sa peau presque blanche
Mais ses yeux vert-de-gris, rivés sur le lointain,
Pensaient pouvoir tenir jusqu’au petit matin
Pour mériter peut-être un galon sur sa manche…

La mer, dans son espoir, se faisait une amie
Et son espoir, volant, apprivoisait la mort
Devenait orphelin, puis, étrange chimie,
Ses muscles trop tendus, sûr d’être le plus fort,

«Bois encore, mon gars!» criait-on dans sa tête
«Tu seras un costaud, un homme, un brave, un vrai!»
Il tombait ivre-mort, bavant comme une bête,
Et dans sa cuite, au fond, le rêve reprenait…

Le vent dans ses cheveux jouait au vent du large
Et ses cheveux, volant, se croyaient des embruns
Un zeste d’infini, puis un autre, encore un…
Tout ça nous emmenait presque au bord de la marge…


Jean-Jacques Corbaz, septembre 1978   



mercredi 13 septembre 2023

(Po, Li) Prière à l'Insaisissable

Dans un monde hostile et sans tendresse,
Où le pouvoir qu’on poursuit nous blesse,
Dans un monde obnubilé par l’argent
Où la foi tourne avec le vent,
Dans ce monde, tu nous attends.

Dans nos jours stressés par la vitesse,
Où le temps gagné se perd sans cesse,
Dans nos jours mécanisés, bien prévus,
L’homme ne sait plus qu’il est nu.
Dans nos jours, tu es venu.

Pas de place pour toi dans notre monde,
Les poètes, les fous, on n’en veut pas.
Continue, Fils de l’Homme, ta course vagabonde,
Un jour, tu reviendras…

Jean-Jacques Corbaz, juillet 1982 



jeudi 7 septembre 2023

(Co) Nicolarde, la légende de l’Arborey

 

L’histoire commence en 1567 dans le village de Palézieux. Une jeune fille, Nicolarde, est servante du pasteur. Oh, sans enthousiasme pour la religion, n’allez pas croire. Mais il faut bien gagner sa très maigre pitance!

Nicolarde n’a qu’un enthousiasme dans sa vie, bien dure au demeurant: la forêt. Elle y vivrait jour et nuit, s’il n’y avait tous ces travaux pénibles sous les ordres d’un vieux pasteur autoritaire et plus exigeant qu’un bataillon de négriers!

Alors, dès qu’elle a quelques instants de libre (c’est le plus souvent le soir tombé), Nicolarde sort du village pour se  réfugier à l’ombre bienfaisante et protectrice de la forêt toute proche de la cure, celle de l’Arborey. Ah, ce qu’elle y est bien, à rêvasser, à farfouiller, à observer…

C’est ainsi qu’un jour de printemps, quand la forêt est plus claire que le reste de l’année, Nicolarde, découvrit le secret du bloc erratique. Enfin, «secret», c’est un bien grand mot. Il était là, d’ailleurs, offert, depuis si longtemps.

Comment Nicolarde découvrit le pouvoir du bloc erratique, personne l’a jamais su. Faut dire qu’elle n’a pas les yeux dans sa poche (sic)! Faut dire qu’elle a toujours eu du nez, qu’elle a toujours été des combines louches, et qu’elle est spécialiste pour tremper son bâton dans l’égout à l’endroit précis où grouillent les rats… Certains la disent sorcière.

Faut dire aussi qu’elle la connaît comme ses hardes, la forêt, et celle de l’Arborey encore plus que les autres. L’Arborey… Du gibier tant qu’il faut, à condition de savoir où le déloger. Des sources pures où se baigner, où s’abreuver. Et surtout, l’épais silence des grands bois, qui nous cachent aux regards trop jugeants des villageois. 


Le bloc erratique. Planté là depuis la nuit des temps, au bord d’un ruisseau, pas loin de la source. Suffisait de fouiner un peu à ras de terre; voir le trou, comme un terrier de lapin; se dire qu’un lapin niche pas dans la pierre; agrandir le trou; ramper; entrer. Et voilà.

Dedans, c’est sombre, mais drôlement bleuté. Curieux. D’habitude, le sombre, ça tire sur le noir, pas sur le bleu. Quand ses yeux sont habitués à la nuit douce, elle voit un espace au milieu, comme une espèce de lit. Un lit en pierre, dans la pierre. Tiens. Tiens? Se couche sur le lit, Nicolarde, s’étend pour se reposer, jouir du calme bienfaisant. Ferme les yeux. Et dort.

Dort? Peut-être pas. Sait pas. Pense: ce serait chouette, vivre à une autre époque; changer de temps. Finis les ennuis, le pasteur qui me fait bosser jour et nuit, les gens qui médisent, qui chuchotent «sorcière», finis. Finis les engrinchants, les chasseurs qui dérangent, les villageois qui cherchent du bois, ou des glands, ou qui défrichent, et que je dois fuir. Finis, on saurait pas où je suis, finis les risques de procès, les regards louches, les enfants qui m’évitent; ou qui rient. J’aimerais tant cajoler un enfant. Là-bas, je serais libre, je serais quelqu’un d’autre, ou bien personne, ou bien oiseau-nuage… Là-bas. Mais… quand?

Rouvre les yeux. Ce n’est plus une nuit bleue, mais un petit jour bleuâtre, dans la pierre. Voit à côté d’elle, sur le drôle de lit, un… lapin.


 Quoi? C’était un terrier quand même? Mais non, pas de lit dans un terrier. Alors, quoi?

- C’est moi. Lapin.

Il parle. Ça n’entre pas par ses oreilles, à Nicolarde. Plutôt par son coeur. Et encore, c’est mal dit.

- Oui, je parle. Si on est sur ce lit, on se comprend de toute façon.

Nicolarde en a vu d’autres. Pas étonnée, pas incrédule. Plutôt surprise. Ou curieuse.

- Tu voudrais voyager dans le temps? dit-pense le lapin muet dans le coeur-souffle de Nicolarde. C’est simple. Justement à quoi sert la table. Moi, je viens du futur, pour toi. Mais pour moi, toi tu viens du passé. On se rencontre. Moi, je vais au temps où les lapins étaient plus nombreux en liberté qu’en clapier. Et toi, où voudrais-tu aller?

- Dans son temps, au lapin, pense-murmure Nicolarde dans le coeur du rongeur. Mais c’est quand?

- Pas besoin de me parler à la troisième personne, bougonne Mister longues-oreilles dans l’estomac de la fille ébahie. Question d’habitude. Je viens de 411 ans, 3 mois, 5 jours et des poussières plus loin que toi.

- Comment sait-il? Il sait tout.

- Facile, c’est écrit sur le lit.

Evident. Les lettres bleu foncé sur le bleu clair. Quand on est les deux sur le lit, je pense.

- Et comment on fait, maintenant?

- Eh bien, tu n’as qu’à sortir. Tu es arrivée. Au revoir!

Hésitante, Nicolarde descend du lit. Mais où est la sortie? Pas d’issue. Je suis dans le futur, il y a plus de terre autour du bloc, j’imagine. Faudra creuser.

Voilà: un trou où c’est brun, et pas bleu. Creuse, Nicolarde. En haut, une lumière aveuglante. Ils ont rapproché le soleil, ou quoi? Ils ont inventé des grosses chandelles, plus fortes que le soleil? Mais non, sûrement mes yeux habitués à l’obscurité. Devront s’accoutumer de nouveau au jour.

Sort lentement du trou, fermant-ouvrant les yeux pour les habituer. Puis pense regarder. Ruisseau: toujours là. Tiens, un peu différent. Moins d’eau. C’est l’été?
Forêt? Plus clairsemée. Moins d’arbres, moins de broussailles, moins de cachettes. Mais on peut mieux se promener.

Regarde le bloc: plus petit; plus enfoncé dans la terre. Bon. Boucher le trou, repérer l’endroit. Contourner le bloc. Oh!!

Oh, un chemin, avec des cailloux, juste à côté du bloc. Un grand chemin, presque une grande route. Et en face, droit là, une cabane en bois. Lui faut du temps pour se réjouir: cabane pas très différente.

Bruit. Bruits. Bruits étranges, tiens? Viennent du ciel, de là-bas, de là-haut?  Faudra voir.

Un bruit plus proche. Cailloux: tac, tac. Un cerf? Non, bruit plus régulier, deux pattes: tac-tac-tac-tac-tac-tac. Se rapproche.

Se cacher derrière bloc. Oui. Tac-tac. C’est un homme, sans doute. Drôles d’habits, qui lui serrent les jambes. Il court? N’ont plus de chevaux pour voyager?
Que dira-t-il si je l’appelle?

Tiens, il a un étrange appareil, sur les oreilles et le nez, devant les yeux. Comment voir, avec ça? Mais il voit, sûr: il court.

Il court régulièrement, et longtemps. Ça monte. Qu’est-ce qu’ils ont amélioré?! Ou: si c’était une machine? Mais non, un homme, à part les habits, et l’appareil sur le nez. Et c’est pas possible, faire une machine comme ça.

  


Nicolarde le voit presque plus. Trop tard pour lui demander. Attendre un autre.
Attendre. De nouveau le calme. Promener, aller voir là-bas… Où? Partout à la fois. Commencer par descendre.

Descend la route, Nicolarde. Tiens? Des gros troncs, coupés net. Avec quoi? Tout est si nouveau…

L’orée de la forêt, là-dessous. La clairière d’autrefois? Non, beaucoup plus de lumière: la clairière, bien plus grande.

Rejoint une plus grande route, à plat. À gauche, reste dans le bois. À droite, la clairière ou… Aller voir? Peur?!

Prend son courage à deux mains, et du même coup la route à droite. 

D’abord, tout semble immense. «Ils» ont ouvert le monde!? On voit loin, très loin, beaucoup moins de forêts. Beaucoup plus de maisons, de bruits… Des grosses maisons grises, plus hautes que les églises. Trois ou quatre étages, peut-être.
Heureusement, le pré est toujours comme avant. Mais il y a un fil qui en fait le tour, porté par des piquets. Derrière: des vaches.

 

Touche le fil. Aïe!! Le fil l’a secouée si fort qu’elle est tombée. Cochonnerie de fil! Un peu comme une ortie, mais beaucoup plus fort. Le fil ne veut pas qu’on le touche. Pour pas que les vaches partent, peut-être?

Et la route! Regarde la route: très plane, gris foncé, pas de cailloux ni de terre. 

Encore une nouveauté!

Pour reprendre ses esprits, rentre dans le bois, Nicolarde. Retrouve la forêt amie, la mousse, le ruisseau. Presque pas changés, à côté du reste.

Slap-slap-slap-slap… Encore un bruit régulier, presque comme l’autre. Même rythme. Le même homme-qui-court? Un autre? Se cacher ou l’aborder? Mais quelle langue lui parler: patois, français, ou le peu d’allemand appris à la cure? Et si ça avait complètement changé?

Immobile, presque paralysée, voit le même que tout-à-l’heure. Même «habit» devant les yeux. Il passe à côté d’elle. Tourne la tête. Dit «bonjour», et continue sa route.

Pense très vite «Bonjour, c’est du français, il doit parler français. Il faut le retenir, il va partir…»

- Monsieur?

- Oui? Il se retourne. Drôle d’accent. S’arrête.

- Monsieur, je veux vous demander quelque chose.

Il revient. L’air surpris. (Il doit me trouver drôlement vêtue).

- Parlez-vous le patois?

- Le patois? Hélas non. Pourquoi?

- Quelle langue parlent donc les gens? Moi, je ne parle bien qu’en patois.

- Vous n’êtes pas d’ici? Les gens parlent le français.

- C’est déjà ça. Je suis d’ici, mais… (Hésite. Lui raconter?) C’est compliqué… (Il va me croire folle) Vous allez me croire folle (Mais peut-être qu’il connaît le secret de la pierre? Que tout le monde le connaît?) Je viens d’un autre temps.

- Hein? Comment est-ce possible?

- Euh… (il ne connaît pas) Dans le bloc erratique, la pierre blanche - enfin elle n’est plus très blanche…Je ne sais pas comment c’est possible, c’est la première fois…

- Mais c’est formidable! Montrez-moi ça!

Explications. Visite du lieu. Commentaires. 

- C’est génial! De quand venez-vous?

- Vous comptez toujours d’après Jésus-Christ?

- Oui, heureusement, ça simplifie.

- C’était l’an 1567, le 15 mai. Et vous (compte péniblement): 1978! Le… 20 août! (ça va l’épater, c’était écrit sur la pierre) C’était écrit sur la pierre.

- Ah bon! Voyons: c’était le début du temps des Bernois.

- Ils sont toujours là?

- Non, non, on les a chassés en 1798.

- Alors, il n’y a plus de pasteurs?

Dans les yeux de l’homme, lueur ahurie, puis incrédule, puis immense sourire.

- Oh, que oui! Vous allez rire, je suis justement pasteur!

- Ah… (mince alors! Mais peut-être que ça a changé? Peut-être différent de Maître Pierre? Il a l’air si jeune) … Je suis… euh… j’étais servante du pasteur de Palézieux.

- C’est rigolo, je suis pasteur à Palézieux aussi. Alors on habite la même maison? Enfin, elle a été complètement refaite.

- M’étonne pas, elle était déjà bien vieille. 

- Vous vous entendiez bien avec le pasteur?

- Euh… (aïe, aïe, aïe!) pas tellement…

- Il était sévère avec vous, je pense?

- Euh… Oui, assez. Vous avez une servante, aussi?

- Non, heureusement!

- Ah? Mais des domestiques, des cochers, des… ?

- Non, non: aujourd’hui, nous avons beaucoup de machines qui simplifient les travaux.

- Et les domestiques alors, qu’est-ce qu’ils font?

- Il n’y en a presque plus. Tout le monde travaille pour soi. Mais à la réflexion, on peut dire que les domestiques aujourd’hui sont les ouvriers qui fabriquent les machines.

- Est-ce que c’est mieux de construire des machines que de travailler pour un maître?

- Sais pas. Peut-être un peu. Ou peut-être pas… Mais dites-moi, comment c’était, de votre temps? Que faisiez-vous?

- Toute la journée, je travaillais pour Maître Pierre, le pasteur. Cuisiner, nettoyer la maison, élever les enfants. Lessives. Réparer les habits. Recevoir les paroissiens. Porter des messages, donner à manger aux pauvres. Parfois nourrir le bétail, les chevaux, les poules, les lapins…

- Et le reste du temps, que faisiez-vous?

- Ça ne vous suffit pas? Je travaillais tout le jour. Parfois même la nuit.

- Je veux dire, euh…vous n’aviez pas de loisirs?

- ? … ?

- Des moments où vous pouviez vous promener, discuter avec vos amis, aller à l’auberge…

- Quand Maître Pierre était de bonne humeur (pas souvent), ou quand il était absent. J’aimais aller rêver dans la forêt. Mais vous, vous en avez beaucoup, de… de…

- Loisirs. Moi, pas tant. Des fois, je peux aller courir, comme maintenant.

- À quoi ça vous sert?

- Ben… à rien! J’aime ça! C’est ma façon de me promener, et même de me reposer.

 


- Et autrement? Vous faites toujours comme Maître Pierre? Je veux dire: aider les pauvres, réprimander ceux qui ne viennent pas au culte, veiller à la discipline, à la morale des paroissiens…

- Oh non, plus tant. D’ailleurs, les gens sont libres de faire ce qu’ils ont envie; ils ne sont plus obligés d’aller au culte, par exemple.

- Hein? C’est formidable!! Enfin… Excusez-moi, j’oubliais…

- Non non, je trouve aussi que c’est formidable. Chacun a le droit de décider.

- Mais… il y en a beaucoup qui viennent encore?

- Ben non, très peu. Mais ils aiment venir, donc ça compense!

- Mais alors, qu’est-ce que vous faites?

- Des tas de choses intéressantes. Par exemple visites aux paroissiens, surtout les plus âgés et les malades, pour les soutenir. Beaucoup de groupes: groupes de jeunes, groupes de catéchisme pour les adolescents ou pour des adultes qui veulent approfondir leurs connaissances; former des paroissiens pour qu’ils enseignent aussi le caté… Le plus agréable, c’est de réfléchir avec les personnes sur ce qui les intéresse.

- Qu’est-ce qui intéresse les gens?

- Certains, c’est le sens de leur vie: pourquoi ils vivent, à quoi sert ce qu’ils font. D’autres, c’est la société: la politique, les guerres, les moyens de préserver la nature… 

- Il y a encore des guerres? Avec tout ce que vous avez inventé, vous n’avez rien trouvé contre?

- Euh…

- Et la nature? Quand on regarde autour de nous, on ne dirait pas que les gens voudraient la préserver.

- On essaie, mais c’est difficile!

- Je ne vois pas en quoi tout ce dont vous parlez est le travail d’un pasteur…

- Rassurez-vous, il y a beaucoup de gens aujourd’hui qui se demandent la même chose!

- Vous ne voulez plus commander aux gens, leur dire ce qu’ils doivent faire?

- Non, et je ne crois pas que ce soit la meilleure méthode. Jésus l’utilise rarement. Il est préférable que chacun décide lui-même ce qu’il doit faire, si possible à la lumière de ce que dit et fait le Christ dans la Bible.

- Je n’y comprends pas grand-chose. Dites, il y a encore des gens qu’on accuse de sorcellerie?

- Non, non… Enfin peut-être parfois, mais on ne les torture plus pour ça. Car il y a des quantités de choses qu’on ne connaît pas encore - par exemple voyager dans le temps. Des fois, on appelle ça sorcellerie…

- Alors, je suis peut-être bel et bien une sorcière?

- De tous les temps, ceux qui sont différents, ceux qui dérangent, on ne les aime pas. Jésus, déjà…

- Tiens, je n’avais jamais vu la chose comme ça. Mais vous êtes aussi un peu sorcier, puisque vous connaissez maintenant le truc de la pierre blanche!


   Bavardent encore longtemps, dans cette chaude matinée d’août. Nicolarde n’ose pas revoir le village. Trop peur? Emotions? De nuit peut-être? De nuit sûrement. 

Attendre encore.

On a tout le temps.


Et puis, vivre. Se mettre à vivre dans ce monde nouveau. Essayer. Toujours au début ce mélange de crainte, d’enthousiasme et d’émotion. L’émotion, ça se durcit, l’enthousiasme, ça se tasse, ça devient réalisme. Reste la crainte.

Crainte déplacée, mais pas changée: situation légale, papiers, domicile, profession, lois et règlements. Les enfants ont toujours peur, les villageois toujours aussi méfiants. Souvent curieux; ou alors indifférents.

- Vous venez d’où? - Que faites-vous? - Pourquoi? - Comment? - Ah? - Oui…
Moments de loisirs, retrouver la forêt. Change peu, la forêt. Amie, fidèle. Disponible, a le temps. Elle comprend, elle. A tant vécu.

Un matin, plus lasse que d’habitude, repartira, Nicolarde. Dans son temps ou dans un autre, repartira. Découvrira encore, toujours, la difficulté de vivre. D’être compris. Aimé.

Seules restent: la nostalgie. Et la forêt.

Et Dieu, peut-être, au milieu d’elle?

 


Jean-Jacques Corbaz, mai 1978  





lundi 4 septembre 2023

(Po, Li) Je regarde le ciel


Je regarde le ciel, où plongent les étoiles,
Et je plonge avec elles, je vole, je me noie,
Cet immense infini m’emporte et m’assouvit
Comme on assouvit sa colère.
Je regarde le ciel, qui me parle de Dieu,
Créateur et Seigneur, puissant, majestueux.

Je regarde le ciel, et j’oubliais la terre,
Et j’oubliais la vie, et ma soif de tendresse,
Main posée sur la mienne, et nos souffles ténus
À la recherche du temps… reçu.
Je regarde le ciel, et j’oubliais la terre,
Où le Dieu tout-puissant est bel et bien venu.

Et puis, fil après fil, lueur après clarté,
L’évangile révèle:
Je regarde le ciel, je regarde la terre,
Et tous les deux m’appellent,
Et je comprends ainsi que Dieu a deux visages!
Et c’est le même chant de liberté
Où le Dieu si humain viendrait ressusciter.

Et ma soif de tendresse rencontre Christ, le frère,
Et ma soif d’infini m’ouvre à son Dieu, son père,
Et tous les deux me renvoient à la terre
Où leur amour a besoin de mes bras
Pour naître, encore une fois.

Je regarde le ciel, je regarde mes bras…
Et je tremble soudain - mais ce n’est pas de froid.


 

                    *            *

C’est là,
Sans un mot,
Que repose ma prière.

C’est là
Que sans ma vie de mots
Je rejoins le Christ en prière.

C’est là,
Présence nue, confiance discrète,
C’est là,
Porte du Ciel, qui m’invite à la fête,
C’est là qu’en reposant mes forces iront plus loin.

C’est là,
Sans un mot,
Que mon amour se régénère.

C’est là
Que sans ses oripeaux
Me rejoint le Christ en prière.

Et c’est là qu’est mon nom, Seigneur,
Au coeur de ton amour qui m’emmène.
Merci, Seigneur!
Amen


Jean-Jacques Corbaz, août 1980