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vendredi 23 février 2024

(Po, Li) Arrondis tes épaules

Arrondis tes épaules,
Regarde, lentement,
Cette brume qui passe
Et qui nous envahit.

Ouvre tes mains plus grandes
Et tourne-les sans bruit:
La beauté nous arrive
Comme un visiteur nu.

Un souffle bercera
Quelques vagues rêveuses,
Viendra grandir nos vies
Et les rendre infinies.

Les épis sous le vent,
Caressant nos silences,
Porteront ton enfance
Et nous diront merci.

Toute une foule en fête,
Sans début et sans fin,
Traversera le temps
Et brisera la mort.

Arrondis tes épaules,
Uu peu de beauté passe.
Et cette foule en fête
Est en toi, sort de toi.

C’est la force d’amour
Que Dieu veut faire naître
Par son Esprit de vie.


Jean-Jacques Corbaz, 25 décembre 1976   


(Bi, Co, Po) Atonie

Tout était fatigué, mort, à en crever. Le soleil avait envie de pleuvoir et le tonnerre de murmurer une chanson d’amour. La neige rêvait du Sahara, eldorado que lui contaient les oiseaux de son enfance. Les nuages s’agenouillaient, comme pour étreindre la terre. Le temps était fatigué de marcher toujours du même pas, il voulait courir, courir et puis s’arrêter. Le sol, las, aspirait à s’incurver dans l’autre sens et à mourir en paix.

Il regardait, pas même étonné. Le ciel rêvait de se faire tout petit pour ne pas déranger. Le nord était déboussolé. Fatigué de tuer, le canon voulait rendre l’âme.

Il regardait, sans parler.

Le rêve aurait tant voulu qu’un ver de terre domine le monde. Le monde s’offrait à qui voudrait le fouler aux pieds. Mais les pieds étaient las de fouler.

Il regardait sans oser s’étonner. Il n’osait plus oser.

L’audace avait envie d’émigrer là où personne ne la connaîtrait. Les cailloux pensait défi, et les hommes pensaient caillou.

Les hiboux, les joujoux et les poux en avaient ras le truc de la grammaire, qui elle-même rêvait d’école buissonnière. Les buissons auraient voulu aller à l’école, mais les colles n’adhéraient plus.

Il regardait, tant qu’il pouvait. Il regardait jusqu’à en être fatigué.

La musique gonflait ses soupirs, et les mollusques traînaient les pieds. Il se demandait si Dieu lui-même était si las.

Le Pape aurait voulu faillir, mais Hans Küng s’y opposait. Les miracles refusaient de faire la cour.

Il ne regardait même plus, mais il entendait l’univers entier soupirer, et murmurer: dormir… dormir…

Et là-haut, tout là-haut, tellement là-haut, presque nulle part, le Grand Rien triomphait: Dieu était mort. Mort! Entendez-vous? Mort! Mais personne ne l’entendait, ni ne le voyait: le monde entier dormait.

Le Grand Rien, soudain, se sentit très fatigué…


Jean-Jacques Corbaz, Ndoungué, 20 avril 1975   


(Po, Hu) C’est rond…


C’est rond de partout, c’est régulier
Et sans la moindre aspérité
C’est sans couleur, ce n’est pas gai
Pas triste non plus, c’est vrai.

C’est neutre de partout, insaisissable
Sans un poil, sans un doigt, sans rien dehors
C’est incroyant, impénétrable
Fermé, renfermé, taciturne. Ça dort.

Sans volonté, sans fantaisie
Sans humour, sans sel, sans vie
Ça ne dit rien et ça dit tout
- Au fond, c’est con de partout,

Un oeuf.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 28 février 1975   


(Po) Chemins

Il y a tant de chemins,
Pistes à demi connues en sous-bois d’octobre,
Traces de chevreuils silencieux dans la neige,
Sentes bruissantes de murmures étouffés,
Ou petites routes sillonnant les collines,

Il y a tant de chemins
Que la nuit efface, que le temps vieillit,
Il y a tant de chemins pour courir après nous-même,

Tant de chemins qui dans le noir ne s’endorment pas.


Il est vrai qu’aux soirs de brume
Mes espoirs ressemblent à mes craintes
Mes amours à mes doutes
Et mes joies à mes pleurs.

Il est vrai que de pas en pas,
De foulée en foulée,
De campagne amie en forêt bien-aimée,

Mon coeur arpente une carte au trésor qui ne me quitte pas.


Il y a tant de chemins qui s’entrecroisent,
Qui tous vont quelque part
Et qui pourtant ne mènent à rien
Sinon à moi-même.


Jean-Jacques Corbaz, janvier 1979

 

(Po, Li) Dieu se laisse (un monde commence)

 

Les héros ne sont pas ceux qui font mal
Les plus grands se mettent à genoux
Dieu se laisse tutoyer

Des hommes s’envolent, tremblants au premier soleil
Des singes armés d’une mitraillette gonflent leur poitrine
La paix se laisse apprivoiser

La mort est au chômage
Le vent soulève tes paupières
L’amour se laisse dévorer

Nous traversons le silence
Les apprentis de Dieu balbutient des mots d’espoir
L’océan intérieur modèle ses errances
L’homme devient parole de Dieu

La peur est à l’embauche
Pourtant, la vie se fraie un chemin furtif
La chasse n’est pas un sport, et les chevreuils n’ont pas de fusil
Quelques plumes dansent
À l’ironie des coqs, ergots dressés
Les dauphins se laissent approcher
La paix qui s’offre

Et toujours Dieu
Dieu se laisse tutoyer

Jean-Jacques Corbaz, juin 1978   

(Li) Chant avant le repas (mélodie de l’Eurovision)

Pour le pain de notre terre,
Et pour qu’il soit partagé pour les affamés,
Nous chantons une prière
D’amour et de fraternité.


Jean-Jacques Corbaz, avril 1982  


(Po, Co) Avent… dredi

«Demain, c’est vendredi». Plate banalité d’un système prévisible, mais qui lui ouvrait soudain une lueur d’horizon. Demain sera un jour. Un jour qui compte, qui a sa place comme les autres. En tout cas.

Demain est déjà un peu caractérisé, demain est déjà un peu là. Et demain sera différent d’aujourd’hui - puisqu’aujourd’hui c’est jeudi.

Sur le bruit de fond sans fantaisie qui récitait son chapelet de litanies sans issue, une voix s’élevait. Pas jusqu’à s’imposer, pas encore, mais on pouvait l’espérer. C’était déjà ça.

Les barrières qu’on avait dressées autour de lui, murs plats de sa chambre larve, prés et forêts à l’humidité inhospitalière, chemins montant et descendant pour le décourager, tout cela pouvait ne pas être vainqueur. D’autres choses dureraient que ces caporaux tristes, d’autres choses porteuses d’un germe de vie.

Demain, un enfant pourra naître. Qui nous sauverait de nos aujourd’hui. Peut-être les inconnus grands rois de leurs mythes étaient-ils déjà en marche pour solenniser l’avènement. Peut-être de banals moutons bêlaient-ils déjà en pressentant le surgissement d’un éclat au milieu de leur nuit. Peut-être une auberge se remplissait-elle quelque part de joyeux festoyeurs pour mieux refuser l’indésirable nouveau-venu.

Demain un homme pourra mourir pour ouvrir à de nouveaux demains. Pour débloquer ce futur qui patine dans la choucroute depuis tant de temps. Pour libérer un espace fou où nous puissions enfin danser, réconciliés. Peut-être un homme gris méditait-il déjà quelque trahison monnayable. Peut-être un tribunal défensif s’endormait-il dispersé, mais prêt à être éveillé de toute urgence pour un agitateur imprévu. Peut-être le charpentier polissait-il déjà ses poutres en forme de croix.

Demain, oui, demain. Mais aujourd’hui déjà, il pouvait rêver. Rêver d’un demain qui lui permettrait d’espérer.

Aujourd’hui, en paix, il s’endormait.


Jean-Jacques Corbaz, Ndoungué, le 22 mai 1975    

 

(Po) Corbeaux

Un vol noir de corbeaux noirs sur la plaine grise
Quémande, longue quête, à manger pour passer l’hiver
Le silence de la brume voudrait les envelopper
Cherchant un creux où reposer.

Et soudain, l’air est rempli de croassements fêlés
En haut, en bas, de tous côtés
Tous en même temps se mettent à chanter
Pour invoquer je ne sais quel été.

Un long vol de corbeaux noirs sur la longue plaine
Tourbillonne sans cesse sa danse macabre
Ils s’en vont - non reviennent
Se poursuivant l’un l’autre
Se criant leur misère
Aiguisant leur colère
Ce moment, cette chasse n’a ni début ni fin.

Cette ronde angoissante, c’est le pas de la vie
Qui s’endort en s’enroulant sur soi-même
Cette danse, immense, c’est l’espoir surhumain
De repartir en laissant ses chagrins.

                            *

Un long vol de longs corbeaux quitte la longue plaine
S’en vont sans fin sur leur chemin.

Un long silence de brume te ramène
Toi finitude qui m’enchaîne au terrain.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 15 février 1975    


(CF, Li) Confession de foi et d’espérance

Il y a ce que je crois et ce que je voudrais croire

Je crois le monde, appel brûlant d’amour
Je crois le Christ, ruisseau qui s’offre à notre soif
Je crois la source du ruisseau
Et la source de la soif,
Celui qui fait toutes choses pour qu’elles vivent d’amour.

Je crois que la soif et l’eau se rencontrent
Hier
Aujourd’hui
Demain,
Ce mystérieux présent, toujours notre contemporain
Et qu’on appelle Esprit.

Il y a ce que je crois et ce que je voudrais croire

Je crois, je voudrais croire que tout cela nous rassemble et nous interpelle
Je crois, je voudrais croire tous égaux et solidaires à cause du Christ, notre frère
Je crois, je voudrais croire la vie du Ressuscité, naissant en nous, toujours nouvelle
Je crois, je voudrais croire un monde uni, réconcilié dans la lumière

Je crois l’amour, incomplet, imparfait, à l’oeuvre sur la terre
Je crois le monde ouvert
je le crois, je le vis, je l’espère

Jean-Jacques Corbaz, juin 1978   

(Po) Crépuscule

Le temps cendré agite ses boucles fanées
L’oiseau en vol suspend son espérance
Le fil sans fin déroule son infini.

Je ne sais plus s’il est tôt ou tard
Que m’importe?
Je ne sais plus marcher sans pleurer
Que t’importe?
Je ne sais plus ce que j’ai su
Mais l’ai-je su?

La houle dentelée porte encore des méduses au rivage
L’oeil rond de la nuit hale encore les marées lentement
Les cailloux se choquent - la terre résonne.

Je ne sais plus s’il est une vie encore
Que m’importe?
Je ne sais plus aimer ce monde sans me retourner
Que t’importe?
Je ne sais plus ce que j’ai su
L’ai-je voulu?

Le temps doré disparaît à l’horizon diaphane
L’espérance en vol quête un monde perdu
La pelote maigrit - y aura-t-il un noeud?

Saurai-je, saurai-je
Combien de temps perdu?

Que seras-tu le soir venu?


Jean-Jacques Corbaz, 30.12.75   

(Po) En chemin


Juste au bord de la nuit
Se trouve mon espérance.
Dans la pénombre, sans bruit,
Se cherchent nos transhumances.

Juste ou faux, au bord du point d’appui,
Un levier d’espérance.
Un bourgeon, une fleur, un fruit,
Pour ouvrir une danse.

Juste là-bas, ou juste ici,
Un port d’attache à mes errances.
Au bord du port, comme indécis,
Je cherche encore.
Merci.

Dans la pénombre, sans bruit,
Se cherche mon espérance.
Juste au bord de la nuit
Se trouvent nos transhumances.

C’est juste.


Jean-Jacques Corbaz, 13 mars 1976  


(Re, Vu) Enfants de Dieu?

Croyez en Dieu, n’y croyez pas, je ne mourrai pas pour ça. À la limite, je dirais que là n’est pas l’important. Car Dieu n’est pas un être, encore moins un objet: c’est un facteur, comme la résurrection. Il ne se prouve pas dans le passé, dans la nature, mais dans le futur, dans le mouvement dynamique qu’il crée et recrée sans cesse, dans les actes de justice et d’amour qu’il suscite en nous.

On peut le reconnaître dans la nature et dans l’histoire, mais ce ne sont que des points figés une fois pour toutes, un peu comme des photographies: ils sont loin de nous montrer toute la profondeur et le dynamisme de Dieu.

Le vrai Dieu, le Dieu vivant, est toujours celui qui vient et celui qui viendra, provocation et surprise, remise en question et attente, révolution et espérance. Ce sont les actes que nous posons, et plus encore ceux que nous poserons (et moins: ceux que nous avons posés) qui vérifient Dieu, qui font qu’il devient réel, qu’il prend forme petit à petit. 

Ainsi, Dieu ne sera «terminé», comme la création, qu’au Royaume de la fin des temps. En d’autres termes, Dieu c’est le Royaume, il est devant nous. Il nous tire en avant, provoque notre propre dynamisme sans cesse en marche. Dieu est l’avenir de l’homme!

C’est en ce sens que les incroyants peuvent être plus «chrétiens» que certains fidèles de nos Eglises, plus près de la vérité concernant Dieu: ceux qui, même sans le savoir (mais souvent en s’en doutant un peu!) suivent le chemin d’amour et de justice que trace l’évangile.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 19 février 1975   

(Po) Dépaysages



Tu sais, au fond, tu sais,
Les nuages de là-bas sont les mêmes que chez nous,
Là-bas où je suis.

Le même ciel bleu pâle et tendre,
Avec les mêmes taches blanches, grises et noires
Qui se recouvrent,
Les mêmes plis de relief étonné,
Les mêmes gouaches cotonneuses et imaginifères.

Noir sur blanc sur bleu, gris marqué de brun
Sur la même prairie,
Là-bas où je suis.

Avec pourtant ces palmiers foncés qui s’enfoncent dans la plaine,
Ces palmiers puissants qui marquent les trous du ciel
Comme une plaie éclatée.

Je cherche les Tours d’Aï derrière ces grands immeubles,
Dans le repli du nuage-ami,
Mais elles n’y sont pas.

Mais le monde s’y trouve, pour que je l’assimile,
Ce monde qui devient mien
Et que je regretterai
Demain.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, 16 mars 1975    


(Re) Inadapté à l’Afrique

Le libéralisme économique est totalement inadapté à l’Afrique (à l’Afrique noire en tout cas). Je vois ici au Cameroun une culture, une conception du mariage et de la famille, de la propriété, une relation au monde et à la nature qui semblent difficilement compatible avec nos valeurs occidentales. Beaucoup d’éléments infléchiraient plutôt les Africains vers une société de type collectiviste.

Les notions, quasi «sacrées» pour nous, d’individualisme, de responsabilité personnelle, de liberté de choix sont absentes des structures traditionnelles noires, ou tout au moins largement subordonnées à l’intérêt du groupe (famille, village, clan, tribu…).


Jean-Jacques Corbaz, Ndoungué, le 16 mai 1975    

(Po) Etat bourreau

J’ai serré la main à des cadavres
J’ai aimé des condamnés à mort, embrassé des crucifiés
Je les ai aimés
C’était notre espoir qu’ils défendaient.

Je les ai vus dresser leur potence
Aiguiser leur guillotine
Nourrir les vers qui les rongeraient
Et ils le savaient.

J’ai vu mon ami libre et fort s’enfoncer dans la nuit
Les larmes aux yeux
La mort dans l’âme
Et dans le corps
Comme un oiseau s’envoler, et je ne peux le suivre
Se perdre dans le ciel
Sans un mot
Mais ton coeur criait!

J’entends encore ta toux rauque, dans la prison là-bas
Ta seule plainte
J’entends encore le bruit des chaînes mouvantes comme la mer
Le cliquetis des seringues
La douleur qui rugit en silence.

À Dieu, sans espoir
Sans autre espoir sinon que ton sang demande justice
Que ton esprit dispersé trouve sa paix dans l’éternel combat.

Que faire, sinon crier
Que crier, sinon faire
Faire la guerre à la haine
Haïr la guerre, mais pas ceux qui la font
Faire la guerre à la guerre
- À la guerre comme à la guerre.

Et derrière toi ils sont des tas
Qui attendent leur tour
Que leur dire, sinon ta foi
Et ton amour.

J’ai serré la main à des cadavres
J’ai aimé des condamnés à mort, embrassé des crucifiés.
Je les ai aimés
C’est pour notre espoir qu’ils sont partis.
Le dégoût de ce temps-là infecte encore ma gorge
Mais ils sont morts pour la justice.

Et je me reprends à espérer.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 7 février 1975    


(Po, Li) Il se bat pour la vie


Un arbre qui s’abat dans la brousse qu’on défriche
Du champ gagné
Un avion militaire qui s’abat dans la jungle qu’on ratisse
Un combat gagné (ou pas!)
Un feu qui brûle les broussailles
Un feu qui brûle le pilote
Des fourmis qui meurent sans un cri
Des rats qui fuient
Des fiancées qui pleurent sans un bruit
Des enfants qui crient

Le combat pour la vie.

                    *

Des bananiers pousseront au lieu de la forêt
Des non-violents pousseront au milieu des armées
Des fruits

Personne n’est abattu en vain


Personne n’est abattu sans souffrances


Qui dira les blessures du bûcheron?

                    *

Un homme abattu par la vie qui veut grandir
Une vie nouvelle peut repartir
Mais le bananier peut ne pas germer

L’homme abattu s’est débattu
Il a battu la mort
La mort à son tour s’est débattue
L’amour à son tort s’est cru battu
Et il était le plus fort.

                    *

Un arbre qui s’abat dans la brousse qu’on défriche
Un avion qui s’abat dans la jungle qu’on ratisse
Un homme qui s’abat dans la vie implacable
Une vie qui se bat, par l’amour

Un arbre, un avion, un homme
Qu’on croit morts
Le feu, le feu, le feu
Qui se sait fort
Et des racines
Et des fruits

Chante, chante la vie
Et l’amour.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 22 février 1975    


(Po, Li) L’ordre social est en danger (chanson)

L’ordre social est en danger,
Jésus est mort, Jésus est né,
Un jour des hommes, un jour de paix,
Au temps de Rome il s’est levé,
A fait chanter la liberté:
L’ordre social est en danger.

L’ordre social en tremble encore,
Jésus est né, Jésus est mort,
Un jour des hommes, à Golgotha,
Au temps de Rome il expira.
La liberté chante moins fort,
L’ordre social en tremble encore.

Jésus est mort pour nous sauver,
Le sort fatal est en danger,
Un rêve fou s’est allumé,
Un homme nouveau s’est levé,
Chante debout sa liberté,
L’ordre social est en danger.

L’ordre social est en danger,
Jésus est mort, Jésus est né,
On dit: Dieu l’a ressuscité,
La mort est la seule à pleurer,
On ne tue pas la liberté,
L’ordre social est en danger.

On ne tue pas la liberté,
On dit: Dieu l’a ressuscité,
Un jour des hommes, un jour de joie,
Dans son royaume, brise ta croix,
Viens vivre libre, viens danser,
L’ordre social est en danger!


Jean-Jacques Corbaz, novembre 1984   


(Li) Prière: plus près de toi

Dieu de vie,

C’est simplement que je me présente devant toi, ce soir. Le plus simplement possible. Comment s’approcher autrement, Dieu ami, toi qui es si simple? Insaisissable, mais si simple. Insaisissable peut-être justement à cause de cette simplicité, si différentes de nos enchevêtrements d’idées, de désirs, d’ambitions, de théories, d’actions et de réactions. Si différente de notre complexité qui nous embrouille, de toutes nos voies qui s’entrecroisent jusqu’à s’annuler les unes les autres.

Et pourtant, Dieu vivant, ce n’est que dans la pluralité que nous pouvons avoir une idée de ta perfection. C’est d’ailleurs pour cela que je suis ici *. Et je te loue, et je m’émerveille, car j’ai l’impression qu’en venant ici sans rien vouloir apporter, uniquement pour apprendre et tenter d’écouter, je donne davantage que jamais je n’aurais pu donner. Quel témoignage nouveau, quelle mission nouvelle, quels services que ceux que je me sens appelé à vivre - pas à donner, mais à vivre.

Je te prie pour nous tous. Pour que, nous donnant mutuellement, nous appuyant les uns sur les autres, nous enrichissant de nos pauvretés réciproques, nous puissions progresser ensemble sur le chemin qu’éclaire devant nous l’étoile de ton règne promis. Pour que nous puissions découvrir les uns grâce aux autres les repères de vérité, d’amour et de justice qui pavent ce chemin où tu nous appelles.

Merci pour nos différences, et pour la complexité passionnante de notre condition humaine. Pauvres d’être multiples, mais si riches de pouvoir partager!

Pour continuer d’avancer dans nos luttes et le brouillard, ou simplement pour ne pas nous perdre ou reculer, renouvelle nos forces, notre clairvoyance, notre courage, notre sincérité. Que ton amour, qui a pris forme concrète dans notre histoire humaine, nous rapproche pour mieux agir selon ta volonté de justice, d’amour et de paix. Que ton Esprit soit celui qui nous anime, que nous sachions nous ouvrir à nos vocations, à la suite de l’exemple parfait de Jésus. Amen


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé (Cameroun), le 21 février 1975    

* J’étais alors étudiant, venu exprès au Cameroun pour apprendre d’autres facettes de la vie, de la foi, de la théologie.

 

(Li, Po) Prière: POUR TA PRÉSENCE

Au coeur de la vie, au coeur de la mort,
Lorsque nous sommes trop faibles - ou trop forts,
Tu es là, présent, pour nous.
Nous te disons merci.

Dans la purée de pois de nos soucis humains,
Lorsque nous envahit la broussaille de nos tâches,
Tu es là, tout simple et disponible pour tous.
Nous te disons merci.

Lorsque pour nous tout n’est plus qu’habitudes,
Que barrières, ornières, ravins sans horizon,
Ta parole, ton amour-passion et ton espérance nous vivifient.
Nous te disons merci.

Au coeur de la vie, au coeur de la mort,
Eclaire-nous, Dieu vrai, par cet amour.
Que malgré nos imperfections terrestres
Nous puissions être, dire et faire ta volonté.

Au coeur de nos vies, au coeur de nos corps,
Allume toujours plus le feu brûlant de ta passion,
Qu’il purifie nos prétentions humaines,
Qu’il ravive notre soif de ta justice et de ta vérité.

Au coeur de notre prière, au coeur de nos coeurs,
Au-delà de notre épaisseur humaine
- Ou justement à cause d’elle,
Mon Dieu, sois au milieu de nous.
Amen


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 18 février 1975    


mercredi 21 février 2024

(Po, Co) Plaisirs d’Afrique


La plage s’étendait au-delà du monde, sous le ciel et sous la lune. La terre et l’eau s’enfonçait dans la nuit, pour nous faire rêver d’infini. Le vent léger nous faisait frissonner au rythme des feuilles du gros palmier. Un air de douceur passait, qui ne devait jamais cesser.

Le monde à l’unisson, et les humains de même. Sourires, mains tendues, respect. Paix. Ce moment n’avait plus de début. N’en avait-il jamais eu?
Le seul ennui, c’est que nous savions que ce récit est au passé.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 26 mars 1975    


(Po) Ombres d’Afrique

Terre d’Afrique
Je sais tes ombres
Ombres rageuses
Mais sans danger
Dans le soir trop vite arrivé
Au ciel de l’éternel juillet.

Ombres insidieuses
- Ainsi Dieu naît
Au crépuscule de notre vie.

Ombres d’abord mystérieuses
Qui nous repoussent et nous attirent
Ombres qu’on craint - et puis qu’on aime
Et qu’on regrettera bientôt.

Tes ombres sombres
Tes ombres d’ambre
Ombres pâlottes
Pour nous surprendre
Ombres où l’on se croit familier
Où l’on renaît
Mais étranger.

Ombres insidieuses
- Ainsi Dieu passe
Au crépuscule de notre vie.

Ombres de l’éternel étrange
Ombres d’un coeur et d’un corps apaisé
Ombres diffuses aux cheveux d’ange
Ombres sans bruit - que j’ai aimées.

Ombres d’Afrique, en éternel juillet.



Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, le 14 mars 1975    


dimanche 11 février 2024

(Po, Co) Sans toi ma vie n'est rien suivi de Il y avait - le coeur des deux côtés

La braise de sa pipe se soulevait sous la chaleur de l’allumette comme la lave au volcan; comme un corps de femme brûlé par la passion, songeait Berthe en le regardant. Mais lui n’avait pas l’air passionné. Si jeune, et pourtant si sec. Un peu gris. La quarantaine. Célibataire. Encore…

Justement.

-Ecoutez, tante Berthe, tante Elise, j’ai des choses importantes à vous dire. Je vais me marier. Je sais, je ne suis plus tout jeune. Mais je suis le seul homme dans cette maison depuis la mort de mon pauvre père. Si on veut qu’il y ait encore des Candaux dans la ferme, c’est le dernier moment pour en fabriquer!

Berthe Candaux soupira. Sa soeur Elise trembla légèrement. Du moins la cadette l’imagina. On ne savait jamais, avec cette vouîpe qui ne savait que se réjouir du malheur des autres, comme si ça pouvait diminuer les siens. 

En un éclair douloureux, tout passa encore une fois, la millionième peut-être, dans le coeur de Berthe. Ce grand amour, quand elle avait 18 ans. Son premier amour. Son dernier amour. Elise, qui avait deux ans de plus qu’elle, était jalouse de ce beau militaire venu de loin qui parlait déjà mariage après quelques semaines. Quand même! Elle avait tout fait pour dresser ses parents et Henri, son frère aîné, contre le jeune intrus. La cadette qui se mariait avant elle, non, exclu!

Elle parvint à son but. Le refus tomba, tranchant et inexorable, sur les deux amoureux qui ne savaient que rêver. Victor - il s’appelait Victor - s’en alla, et Berthe ne put plus le revoir.

Cet amour rongea son coeur comme une tumeur. Son visage se flétrit également, et nul passant ne rêvait plus devant les volets de la ferme Candaux. Car chacun savait combien Elise avait mauvais caractère, et elle non plus ne vit jamais le prince charmant. 

Et la vie à la ferme déroula ses longs jours d’été, de travail incessant; et ses longues veillées d’hiver, de raccommodages et de discussions aigries. Henri s’était marié, ses enfants avaient grandi, et Berthe comme Elise, sans rien dire, cultivaient la rancoeur dans leur solitude. Au milieu de cette joyeuse famille.

C’est peu dire que Berthe et sa soeur trimèrent pour leur frère. Elles furent l’une et l’autre le moteur du domaine et de la maison, tâchant d’oublier les chagrins du passé dans le travail - et quand elles étaient fatiguées tâchant d’oublier leur corps meurtri en se souvenant du passé.

Tant que les parents avaient été là, ils avaient mis tout le baume qu’ils pouvaient sur les meurtrissures qui se rouvraient lors des chocs entre leurs trois rejetons. Mais après ce long hiver où l’un suivit de peu l’autre sous l’épaisse couche de neige, dans cette terre dure sur laquelle ils s’étaient tant courbés, tout se détériora. Face à l’extérieur, certes, ils tentaient encore de faire bonne figure; mais entre eux c’était souvent la guerre froide. Parfois, ils refusaient même de se parler et communiquaient par signes; voire à quelques reprises par écrit.

Cependant, ils ne pouvaient se séparer. Henri avait besoin des bras de ses soeurs, main-d’oeuvre efficace et bon marché; et celles-ci n’auraient pas su où aller sinon, ayant passé toute leur existence dans la petite ferme.

Mais maintenant qu’elles approchaient de la soixantaine, que leurs bras devenaient plus lourds et moins utiles, elles redoutaient ce moment où l’on n’aurait plus besoin d’elles.

                                         

 

Et voici que Jean, le fils d’Henri, voulait se marier. Elles savaient qu’il n’y avait pas de place dans la maison. Elles savaient aussi que Jean n’avait pas d’argent pour l’agrandir. Elles savaient…

Berthe n’eut même pas la satisfaction de se dire qu’une seconde fois sa soeur et elle étaient unies dans la même infortune. Toute cette rancoeur accumulée allait maintenant être libérée par ce détonateur si redouté. Elles partiraient, oui, mais chacune de son côté.

Elise pourtant, plus habile, avait prévu le coup et réservé la parade. Moins résignée, elle avait déjà pris contact avec l’unique maison de retraite de la ville proche, objet rare en ce temps-là. Contre de menus services, elle aurait la pension gratuite et un modeste salaire.

Ce fut sans un mot de remerciement de la part de Jean que Berthe s’en alla, un plat matin d’automne - lorsque tous les fruits eurent été récoltés. Elle avait fini par dénicher une maigre chambre et un petit emploi chez un veuf qui cherchait quelqu’un pour l’aider dans son commerce. 

Cet homme était sympathique et sans histoires. Et voilà que, presque imperceptiblement, le coeur de Berthe s’était remis à battre. Peut-être, peut-être, oui, pourquoi pas? peut-être voudrait-il l’épouser… À eux deux, ils feraient bien repartir la petite affaire, et pourraient se préparer des jours plus tranquilles. Après tout, à 57 ans, elle n’était pas si vieille. 

Pendant trois ans, elle travailla avec toute son énergie. Et c’est vrai, elle était devenue indispensable. Elle était tout aimable avec Frédy, le patron, qui le lui rendait. De mariage il n’était pas encore question. Mais il fallait laisser le temps à la blessure de se cicatriser. Il avait eu une union heureuse, lui.

Le temps fit son office, en effet. Frédy devint peu à peu plus souriant, plus détendu. Il avait parfois l’air presque heureux. En tout cas, consolé.

                                               


La braise de sa pipe, quasi la même que celle de Jean, se soulevait, mais plus grise. Il l’avait convoquée un jour dans son bureau «pour une question importante». Depuis quelques semaines, il parlait de racheter de nouveaux meubles, il évoquait même un possible remariage…

Berthe ne songeait plus à la passion. Tout juste à la sécurité et à une vie heureuse. Simplement heureuse. Le coeur battant, elle était entrée; et maintenant elle attendait. Il avait l’air gêné. Il cherchait ses mots. Serait-il timide, tout-à-coup? C’est drôle, je lui découvre aujourd’hui des traits de caractère.

Elle se mit à le détailler. Ses lèvres, qui frémissaient en préparant sa déclaration; ses rides pâles et parfois légèrement tremblotantes; ses épaules larges, mais un peu affaissées, elle les connaissait, pourtant il lui semblait qu’elle les redécouvrait. N’était-ce pas le front de Victor?

- Ecoutez, Mademoiselle Candaux, je crois vous avoir déjà dit que je souhaite me remarier.

Elle ne savait plus où elle était; elle siégeait soudain sur un trône de velours rouge, et des laquais chamarrés s’empressaient autour d’elle.

Mais il continuait. Elle l’entendait à peine.

- J’ai enfin trouvé la femme qu’il me fallait pour m’aider à tenir la boutique.

Berthe ouvrit la bouche, mais ne put proférer aucun son. Qu’aurait-elle pu dire? Mais il continuait toujours.

- Par conséquent… euh… je suis navré pour vous… euh… mais je… je n’aurai plus besoin de vos services… euh…

Le trône de velours avait soudain pris feu et les laquais ricanaient sournoisement. L’un d’eux, le plus laid, ressemblait justement à Elise. Mais pourquoi?

Elle se leva.

- Restez assise, Mademoiselle. Je vous suis infiniment reconnaissant pour les services que vous m’avez rendus. J’espère que vous comprenez. Sans vous…

Elle ne comprenait plus, elle n’écoutait plus. Vacillante, elle se dirigea vers la porte.

                                           


Ce fut dans la rue qu’on la retrouva, évanouie, comme morte. À l’hôpital, elle ne se souvenait de rien.

Et quand, trois semaines plus tard, l’infirmière toute joyeuse lui annonça fièrement la nouvelle, elle ne répondit rien. Elle pouvait quitter cet hôpital calme et blanc. Elle pouvait. Elle devait.

Où irait-elle? Retourner chez Frédy ou chez Jean était hors de question. Elle n’avait même pas été à l’enterrement de sa belle-soeur.

La maison de retraite? Sa soeur y siégeait et menaçait de faire tous les esclandres du monde si Berthe la rejoignait.

Un peu plus tard, quand l’infirmière retourna vers elle pour organiser sa sortie, un corps blanc et misérable pendait, inerte, attaché par deux lacets à la barre supérieure de la fenêtre.

Mais il y avait comme un petit sourire qui perçait sur ses lèvres. Elle semblait murmurer «Victor».


Jean-Jacques Corbaz, septembre 1975 

   

(Voir aussi le poème ci-dessous «Il y avait - le coeur des deux côtés» écrit par Victor, après son départ pour la Légion africaine. Mais il n’a jamais osé l’envoyer à Berthe).    

 


 

 

Il y avait - le coeur des deux côtés
(poème de Victor, parti à la Légion africaine)

Il y avait
Des mers et des terres à traverser
Il y avait
Tant de silence, tant de craintes
Et pas de rythme pour nous unir.

Il y avait
L’air trop pur
Et moi qui l’était pas assez
Il y avait du vide, trop de vide, tout en était rempli
Il y avait
Toi et moi
Mais il n’y avait pas nous.

Il y avait
Il y avait tant de choses encore, du froid, du froid
Il y avait
De part et d’autre des mains vides
Mains tendues vers ce nous
Qui ne nous venait pas.

Il y avait
Des humains inconscients, vieillissants
Des humains qui ignoraient tes mains
Il y avait ce désert entre nos coeurs
Et ce coeur entre tes mains.

Il y avait le sable sec, la bouche sèche
Un oued sans souffle
Et l’infinité
Il y avait, il y avait trop de passé
Que notre futur en était sans issue
Et sans présent. Surtout sans présent.

Il y avait de l’amour qui saignait
Tant d’espoir enfumé
Il y avait nos deux voix qui s’essoufflaient
Nos deux murs qui nous figeaient
Et le tic-tac du temps qu’humectaient nos silences
Et le tac-tic du temps qui vole, éon perdu.

                                   *
Il y avait toi
Il y avait moi
Il n’y avait pas nous.

Il y avait ton coeur souffrant
Et le mien
Et ce grand rien
Entre les deux.

Il y avait ta vie
Ma vie
Mais que faut-il rester?
On a le coeur des deux côtés.

Il y avait la mort
Qui a la peau dure
Qui dure
Qui
Qui veut rester
Il y avait la mort, il y avait surtout la mort
Qu’on voit toujours ressusciter.

                      *
Il y avait tout ça
Et pas assez de nous là au milieu
Il y avait trop de toi et de moi
Trop de douleurs et trop d’adieux.

Il y avait
Il y avait
Mais, dis-moi
Qu’est-ce qu’il y aura?

Deux coeurs
Lourds
Deux côtés
Sourds
Et un chagrin et une mort et rien qu’un nom
- Amour -
Qui nous réuniront
Un jour.


Jean-Jacques Corbaz, 31 juillet 1975   
 


(Li, Po) J'ai rêvé d'une Eglise

 

J’ai rêvé d’une Eglise sans poussière
Où des femmes et des hommes
Et des enfants
Assis en cercle se regardaient
Et s’écoutaient.

J’ai rêvé d’une Eglise de lumière
Où la joie se lisait sur tous les visages
Où le visage du Christ partout présent faisait tout rayonner.

J’ai rêvé d’une Eglise sans mystère,
Transparence, clin d’oeil, liberté,
Pas de peur, pas d’impuissance,
La Parole vécue unissait les coeurs.

J’ai rêvé d’une Eglise en travers,
prophétique, critique, lucide, exigeante,
Mal vue ou crainte parfois, sans doute,
Mais vraie, fidèle au seul vrai juste.

J’ai rêvé d’une Eglise à l’envers
Où le croyant est prêtre,
Le pasteur serviteur
Et la soeur écoutée.
J’ai rêvé d’une Eglise impossible peut-être
Mais je n’ai jamais pu depuis me réveiller.

… Et vous? Voulez-vous rêver?


Jean-Jacques Corbaz, septembre 1978  


vendredi 9 février 2024

(CF, Li) Confession de foi - les deux roues de la liberté

 

Un après-midi, plein soleil, souffle vent debout,
Ils ont trouvé la liberté
Comme on trouve l’ouverture dans un mur de misère.
Après avoir beaucoup lutté,
Ils ont trouvé la liberté.
Ils l’ont nommée: liberté,
Dieu, notre liberté, Yahweh.

Avec elle, avec lui, ils ont tout réinventé:
Leur passé, longue histoire tâtonnante, mais menée à son but,
Adam, Noé, Abraham, ancêtres-signes, poèmes, reflets de leurs espoirs;
Leur présent, vie d’un peuple, frères, marche, lutte encore, Israël;
Leur avenir, paix rétablissement, plénitude, récompense, shalom!

Ils ont trouvé la liberté,
Avec elle, avec lui, ils ont tout réinventé!

                    *            *

Un après-midi sans soleil, vent couché, muet,
Ils ont trouvé la liberté
Comme on reçoit la paix, après avoir tant cherché, mais sans avoir rien fait.
Sur une croix, bras ouverts, mort pardonnée,
Vie redonnée!
Déposez toute culpabilité.

Avec Christ, ils ont réinventé
Leur passé, et celui de Marie, et Bethléem;
Leur présent, exigences nouvelles, davantage d’amour, soif de justice;
Et leur avenir, soif apaisée, plénitude, retour du Vivant.

Voilà la foi que j’aime, mes découvertes, mes espérances,
Voilà Dieu dans ma vie, dans le monde, dans l’histoire,
Voilà qui me met en marche avec tant d’autres
Et qui me tient debout!


Jean-Jacques Corbaz, août 1980   


(Po, Li) J’ai rassemblé le temps


J’ai rassemblé le temps pour faire un long silence
J’ai ouvert grand mon coeur au souffle de Là-Haut
Apprivoisé mes rêves au soleil, sans un mot
Et visité ma vie dans sa course incertaine

J’ai rassemblé le temps pour mieux reprendre haleine
Episodes épars, comment les relier?
Ces notes de musique, à chanter, à danser?
J’ai tricoté ma vie pour la réinventer

J’ai rassemblé le temps pour faire un long silence
Travaillé mes espoirs, comme on bêche une terre
Durcie, pour l’aérer, pour la fertiliser
Au-dessus de mon âme j’ai mis une lumière

J’ai rassemblé ma vie, à l’endroit, à l’envers
Les heures où j’ai aimé, et celles où j’ai souffert
Mes espoirs et mes rêves, gris et ors mélangés
Mes sommeils, mes réveils, ruminés, rénovés
Tout ça me portera encore quelques années.

                         *        *

J’ai rassemblé le temps pour faire un grand silence…
Et le Christ comme un frère est venu m’y rejoindre
Et le Christ, son espoir, est venu m’éclairer
J’ai rassemblé le temps, en un mot: j’ai prié.


Jean-Jacques Corbaz, mai 1978   

(Po) Home

J’habite: 13, place de la liberté.
Mes racines y sont profondes,
Et tous les grincheux du monde
Ne sauraient m’en déloger.

Bien sûr, c’est dans le quartier nègre, périphérie,
Ceux qui se croient riches ont peur de s’y montrer.
Mais moi, j’y vis la nuit, sans soucis,
Mon seul trésor, c’est l’amitié.

Ton argent, gros Fernand, n’est que cendres et fumée.
Ferme bien ta maison grise,
Tu la possèdes à ta guise
Quand ton poing serre sa clé.

J’habite: 37 rue Jean-Jacques Corbaz.
Mon village, c’est la terre,
Mon église, la misère,
Je me sens partout chez moi.

Jean-Jacques Corbaz, janvier 1987

jeudi 8 février 2024

(Li, Po) L’amour et Dieu

C’était comme un sourire au début d’un voyage
Un mouchoir agité, des yeux clairs qui disaient l’espoir
C’était ce chant fidèle, ami porteur de vie
Qui cessait, reprenait, léger, rythmé comme un refrain
Riche de tous nos jours
Vivant de nos promesses
Futur plus que présent
C’était
L’amour.

C’est toujours.
Sans passé, sans naissance, et pourtant neuf encore
Créé par chaque geste, esprit, masqué pour mieux grandir
Nos pouvoirs inventifs le portent sur nos bras,
Cadeau tremblant de vie du Christ, notre premier amour
Jaillissant de la croix
Et rayonnant de Pâques
Et toujours actuel,
Qui traverse le temps,
Transperce nos ornières
Et réveille nos vies,
C’est toujours.

Ce sera ton sourire, et bien d’autres encore
Et ce sera demain, nouveau, pour prolonger l’amour.
Et puis tant de matins ouvriront nos journées
Pour créer ce poème, ouvert, avec toutes nos vies.
Pauvre de tous nos riens
Mais futur, mais enfant,
Mais qui toujours stimule,
Pauvre d’humanité
Mais visitée de Dieu
Mais libérée en Christ,
Ouverte à une fête,
Invitant à la danse,
Esprit toujours devant.

C’est vrai, tu sais,
Dieu est amour.

                                                                Jean-Jacques Corbaz, 23.6.77   


lundi 5 février 2024

(Pr) Le juge et moi

Prédication du 5 février 2024  

Lectures bibliques: Romains 2, 1-8; Romains 3, 21-24; Matthieu 7, 1-5

 
Une ancienne paroissienne, infirmière scolaire, se fait un jour interpeller par un élève au moment où elle termine sa conversation avec un vieux professeur. L’adolescent lui lance: «Quoi? Madame, vous parlez avec ce c…?!» (vous avez complété le dernier mot vous-même!). Sur quoi mon amie, souriante, lui rétorque: «Mais oui… Je parle bien avec toi!»

Pas besoin d’être au tribunal pour juger! Nous le faisons (nous le faisons tous!) à longueur de journée: untel est un idiot, machin est incapable… Le jugement (humain) est partout, il est inévitable. C’est un réflexe spontané, je dirais même que nous en avons besoin pour vivre.

- Quoi? Besoin pour vivre? Vous y allez un peu fort, M. le pasteur!

Peut-être, mais il est important de le préciser: juger n’est pas que négatif: pour s’engager dans une relation avec quelqu’un; pour faire un achat; pour prendre une décision personnelle, il faut bien juger, c’est-à-dire examiner les faits, peser le pour et le contre, et puis choisir.

Mais, bien sûr, la lettre aux Romains parle d’un autre genre de jugement. Celui plus malsain qui nous amène à proférer des considérations sur les autres sans nuances. Celui qui nous conduit à des condamnations définitives, à l’emporte-pièce: «Machin, il est nul!»; «Elle est méprisante»; voire, dans certains milieux chrétiens: «Celui-là, il ne sera pas sauvé».

Alors, bien sûr, n’allons pas tomber dans le panneau en disant: «Tous ceux qui jugent les autres sont dignes de la colère de Dieu» (hem!). La paille et la poutre, nous connaissons!  😉  😄   

Disons plutôt, avec le Nouveau Testament, que Dieu peut nous aider à faire mieux. Ou à faire moins mal. Dans les deux sens du terme, « faire moins mal»! Dieu peut nous aider à parler de manière plus nuancée, moins définitive. Nous aider à juger en triant mieux nos informations et nos émotions. Savez-vous que «juger», en grec (soit la langue du Nouveau Testament) veut justement dire «trier»?

Dieu veut nous aider aussi à éviter le mécanisme bien connu où l’on pointe du doigt les faiblesses des autres pour éviter de se remettre en question soi-même. Vous connaissez l’histoire de l’employé qui, parce qu’il s’est fait brimer par son chef, houspille sa femme le soir à la maison. Sa femme qui à son tour se met à hurler contre les enfants, lesquels passent leurs nerfs sur le chat, et ainsi de suite… 

Dieu veut nous aider à croire un peu moins que nous serions meilleur qu’autrui; plus juste; plus digne d’être aimé. Ou plutôt croire un peu moins que les autres seraient moins bons que nous; moins justes; moins dignes d’être aimés.

 

Pour bien comprendre notre passage, je vous propose de revenir un peu en arrière. Car le premier chapitre de la lettre aux Romains, juste avant le passage que nous avons lu, se termine par une longue diatribe affirmant que les humains sont coupables devant Dieu: ils manquent de reconnaissance, ils se prennent pour le centre du monde; ils sont idolâtres; ils travestissent la vérité; ils se comportent sans respect pour les autres, donc sans respect non plus pour le Créateur; injustice; mal; méchanceté; jalousie; violence; vantardise; tromperie; désobéissance… la liste n’en finit pas! Tous ces gens sont sans excuse, écrit l’apôtre.

Et puis, ô surprise, le chapitre suivant commence par cet appel que nous avons entendu: «Toi aussi, tu es sans excuse, toi qui juges les autres». 

J’ai l’impression que Paul, en relisant son premier chapitre, imagine ses correspondants qui opinent lourdement pour approuver cette longue série d’actes qui déplaisent à Dieu: «Oh oui, ma bonne dame, c’est affreux, tous ces méchants, ces mauvais… Oui, oui, vous avez mille fois raison: ils n’ont aucune excuse!».

Stop! dit l’apôtre. Si tu réagis ainsi, c’est toi qui te mets en position inexcusable! Face à la justice de Dieu, il n’y a pas de différence entre les uns et les autres. Ou plutôt la seule différence, c’est nous qui la créons, suivant que nous prétendons ou non pouvoir nous placer nous-même du côté des «bons», des «sans péché»; de ceux qui condamnent.

Car tous ont péché, dit la lettre aux Romains. Oui, vous tous, vous êtes du côté des réprouvés, de celles et ceux qui méritent la punition du Ciel.
Mais, si nous n’avons pas d’excuse, pourtant nous avons un sauveur. Si tous ont péché et méritent la condamnation, sachez-le bien, tous sont rendus justes, gratuitement, par Dieu en Jésus Christ. Tous sont pardonnés. Ouf!!

Si nous sommes ainsi sauvés malgré nos nombreux manquements, cela pourrait drôlement nous aider à moins juger les autres, vous ne trouvez pas?! 

Alors, plutôt que de manier l’anathème et l’excommunication (y compris et surtout contre ceux qui pratiquent l’anathème et l’excommunication!!), laissons Dieu être Dieu, transcendant, inaccessible souvent à nos raisons humaines. Et surtout, acceptons sa grâce incompréhensible, pour nous et pour autrui! En sachant que l’objectif du Christ n’est pas de nous punir et de nous envoyer expier nos fautes, mais bien de nous rétablir, de nous sauver, de nous remettre sur pied face au Père! De nous guérir de nos culpabilités  et de nous ressusciter pour la joie éternelle!

Ces considérations voudraient nous aider à décoller notre regard de la vie des autres, quand nous sommes tentés de les juger trop catégoriquement. Décoller notre regard de la vie des autres pour mieux nous préoccuper de rendre notre existence meilleure, face au Créateur et avec son aide.

Elles voudraient aussi, ces réflexions, m’aider à me méfier du jugement d’autrui… et même du mien propre! C’est le roi David qui disait déjà: «Je préfère tomber entre les mains du Dieu vivant qu’entre celles des hommes». Souvenons-nous que même quand le Créateur nous expose au jugement, c’est encore pour la vie!

J’aime dire que l’annonce du jugement de Dieu en Christ est une bonne nouvelle. Oui! Et je précise aujourd’hui que cette bonne nouvelle n’est pas seulement pour moi, mais qu’elle s’adresse à chacun.e! Amen

Jean-Jacques Corbaz


Je vous laisse encore cette petite phrase de Henry Thomas Buckle et attribuée parfois à Socrate: «Les grands esprits discutent des idées. Les esprits moyens discutent des événements. Et les esprits plus petits discutent des gens!» 

Henry Thomas Buckle



vendredi 2 février 2024

(CF, Li, Po) Je crois la vie. Confession de foi

Je crois la vie,
La vie, naissante en nous, aujourd’hui comme au premier jour,
Je crois la vie,
La vie, qui se prolonge, et qui danse en été.

Je crois la vie d’amour,
D’amour donné, rendu, grandi, multiplié,
Je crois l’amour,
Pour transmettre la vie, en automne chargé.

Je crois la vie donnée,
Donnée, abattue, rejetée, mise en croix, mise au tombeau,
Je crois la vie cachée,
In croyable silence qui répare et rachète, en hiver apaisé.

Je crois la vie sans peur,
Victorieuse, ressuscitée, cri de joie, feu brûlant,
Je crois la vie qui brise la mort
Et le visage aimant du Fils de l’Homme, surgi comme au premier printemps.

Je crois que la vie a l’avenir ouvert,
Qu’elle vient, infatigable, illuminer la terre.
Je crois Dieu dans la vie, dans l’amour, dans le temps,
Je crois la vie - et nous: nous sommes vivants!


Jean-Jacques Corbaz, septembre 1978