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samedi 31 décembre 2016

(Bi) Bonne année 2017!



Cultiver la tendresse

L’année a pris un coup de vieux et avance, fatiguée, vers sa fin. Elle est devenue plus frileuse, plus sombre; ses yeux souvent humides. Résignation, nostalgie: la Passion, elle ne la vivra plus.

Et c’est dans ce temps morose que l’Évangile rappelle l’étonnante nouvelle: justement là, au plus creux de nos “humâneries”, Dieu est venu. Enfance, lumière, vie; rire, tendresse, espoir: tout cela, Il vient nous l’offrir.

Pas sur un plateau, bien sûr !  Pas les fruits, tout cuits. Mais plutôt les semences, pour que nous puissions mesurer l’importance de ce long accompagnement; maturation, soucis, espérance. On aime et on respecte avant tout ce qu’on a aidé à faire grandir.

Et c’est aussi dans ce temps usé et froid qu’il nous invite à aller les uns vers les autres. À nous offrir, à son image: lumière, sourire, chaleur; humour, tendresse, proximité...

Voilà ce que voudrait être notre foi: un carrefour où nous puissions recevoir ces cadeaux du Christ, toujours en train de naître au milieu de nous; et aussi ces cadeaux les uns des autres. Pour que notre fin d’année prenne un peu plus les couleurs du printemps !

Avec vous, dans la joie de l'année qui vient

Jean-Jacques Corbaz

dimanche 25 décembre 2016

(Hu) Mages etc





On connaît les mages bibliques, qui apportent à Jésus de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
Mais il y en a des quantités d’autres, moins renommés, qui sont apparus discrètement dans les multiples contes de Noël.

Par exemple, il y a:
- celui qui apporte du fer: le fer-mage
- celui qui apporte de l’aluminium: l’alu-mage
- celui qui apporte de l’eau: l’eau-mage (souvent qualifié de respectueux, vu la rareté de l’eau en Israël)
- celui qui apporte un +: le plus-mage
- celui qui apporte un rat: le rat-mage
- celui qui apporte un dos: le dos-mage
- celui qui apporte la piété d’Allemagne: le fromm-mage
- celui qui a les cheveux blancs: le troisier-mage
- celui qui envoie une photo par courrier électronique: l’e-mage
-

- le mage affligé du hoquet: le mage-hic
- celui qui est presque amoureux de sa fille: le mage-estueux !
- celui qui, d’un bond, franchit les océans: le mage-élan.

Quel est le vôtre ?


JJC 

 

samedi 24 décembre 2016

(Im) Joyeux Noël!

Joyeux Noël! Que la fête du Prince de la paix vous donne réellement d'avancer sur des chemins de paix, en vous et autour de vous! Puisse ce Noël stimuler, en chacun(e), la germination d'une vie remplie de trésors relationnels, donc spirituels.

Rosace de la Nativité, cathédrale san Lorenzo, Genova. Photo: JJ Corbaz


dimanche 18 décembre 2016

(Pr) Bethléem! Nom magique!


Cultes du 18 décembre 2016, Blonay et St-Légier




Dans la fameuse pièce de théâtre d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac disait de son célèbre pif: “O nez, qui dans tout lieu d’un quart d’heure me précède”...

Eh bien, je me dis souvent qu’il en est de même pour la paix. Partout où nous allons, elle n’est jamais là... Elle est toujours quelque part devant nous. Inaccessible!

Nous ne le savons que trop: l’histoire humaine fourmille de violences, depuis les temps les plus reculés jusqu’à aujourd’hui. Et, hélas, jusqu’à demain... voire au-delà! Attaquer... Se défendre... Ça n’arrêtera donc jamais? Mais que fait Dieu, nous dit-on?

En ce quatrième dimanche de l’Avent, la Bible nous plonge dans une atmosphère de ce genre. Pas pour nous effrayer! Ni pour nous exciter comme souvent à la TV. Non, la Bible veut esquisser devant nous un chemin différent. Une invitation à sortir des sentiers battus, pour essayer de comprendre Dieu un peu mieux, comment il tente de nous guérir de nos violences.



L’histoire se déroule vers 700 avant J-C. Israël est alors partagé en deux: le royaume du Nord, dont le chef-lieu est Samarie; et celui du Sud, autour de Jérusalem.

Une grande puissance de l’Est essaie d’envahir la région. Il s’agit de l’Assyrie (avec un A; toute confusion avec la Syrie, tristement célèbre depuis quelques années, est à éviter soigneusement!

Les Assyriens n’ont aucune peine à s’emparer du royaume du Nord. En 722, les élites de Samarie sont déportées à Assour, et on fait venir des colons assyriens qui s’approprient les territoires occupés (entre parenthèses, ça ne vous rappelle pas une histoire actuelle?)... ;-)

Depuis cette année-là, 722 avant J-C, la Samarie ne sera plus jamais juive. Ni au retour de Babylone, en 538, ni au temps de Jésus, où Samaritains et Juifs se regardaient en ennemis.

En 701, l’Assyrie continue sa marche et envahit le royaume du Sud, Juda. La résistance n’est pas plus efficace que dans le Nord. Rapidement, Jérusalem est assiégée. Pourtant, la ville sainte va être sauvée par un coup de chance inespéré: une épidémie frappe les troupes assyriennes, une épidémie si forte que le roi Sennachérib doit lever le siège et rentrer dans son pays.

Ouf! se dit-on à Jérusalem. Délivrés! Mais Juda sait maintenant qu’il n’est pas de taille à lutter contre ses grands voisins. À la prochaine occasion, ce sera la défaite. Et, effectivement, en 589, les troupes de Babylone n’auront aucune peine à conquérir le petit royaume.


Le prophète Michée vit donc en un temps où Israël fait une expérience douloureuse, celle de sa fragilité. Juda se sent à ce moment très petit, à la merci des puissants qui l’entourent. Et c’est cela qui va être important, pour comprendre le message de Michée.

Les Juifs racontaient que, pendant des siècles, c’étaient eux qui faisaient trembler la région: depuis les conquêtes de Josué jusqu’à celles de David et Salomon, un territoire important avait été annexé. Mais tout à coup, un pays plus fort apparaît, et Israël doit considérer la situation avec un regard totalement différent. Il s’était cru, pendant près de 500 ans, puissant; presque invincible. Et surtout, il s’était considéré, durant toute cette période, comme le peuple élu, protégé par Dieu. Béni. Et voilà que, vers 700, les Juifs doivent exprimer leur relation avec le Seigneur de manière nouvelle.

La religion n’est pas un acquis immuable. La relation avec Dieu peut évoluer, selon les circonstances. Et c’est, bien sûr, le mérite des prophètes, en tout temps, de discerner ces changements et de les faire comprendre.

Je vous relis quelques lignes de Michée. Dieu dit: “Et toi, Bethléem Ephrata, tu es un petit village de Juda. Pourtant, c’est de toi que sortira celui qui gouvernera Israël. Il viendra d’une très ancienne famille...
Sachez-le: le Seigneur va abandonner son peuple pendant quelque temps. Ensuite, le jour viendra où la jeune femme qui doit accoucher aura un fils. Alors, ceux qui seront encore en vie viendront rejoindre le reste d’Israël.   Et lui, le chef annoncé, il se lèvera et sera leur berger par la puissance du Seigneur. Les gens de son peuple vivront en sécurité, car sa majesté s’étendra jusqu’au bout du monde. C’est lui qui sera la paix!”

Michée, en prophète inspiré, utilise les événements politiques pour parler de Dieu. Pour aider Israël à mieux comprendre quelle relation Dieu veut instaurer avec les siens.

En termes voilés, et de manière poétique, Michée dénonce la faillite de tout le système traditionnel. Il pointe du doigt la fausse assurance de ses contemporains, leurs fausses images à propos de Dieu: non, il n’aide pas son peuple militairement! Non, le roi n’est pas infaillible! Non, la cour ne respecte plus la volonté du Seigneur! Le pouvoir a montré ses limites, Jérusalem est corrompue; on y intrigue, on s’y pousse, mais Dieu n’y est plus respecté.

C’est pourquoi, dit Michée, le salut ne viendra pas de Jérusalem, la grande, la puissante ville où trône la cour. Mais d’une petite bourgade de rien, en pleine campagne: Bethléem...

Bethléem! Un nom magique! Pour les Juifs de ce temps-là, c’était une allusion très claire: c’est le village d’origine du roi David. Comme si, aujourd’hui, je vous disais que le salut de la Suisse ne viendrait pas de Berne et du Palais Fédéral; ni de Zurich et de ses banques; mais qu’il viendrait, le salut, de la bourgade d’Avenches... Avenches, la commune d’origine du général Guisan. Symbole!



Michée prêche donc pour un retour aux sources: à Bethléem. Mais, plus encore, il annonce la venue, pour sauver Israël, non pas d’un roi, mais d’un enfant. Et d’un enfant qui gouvernera, dit Michée, et pas qui règnera. Intentionnellement, le prophète change de verbe pour bien marquer ceci: ce sauveur ne va pas prendre le pouvoir comme un souverain, comme ces rois qui ont fait faillite! Non, il va prendre soin de son peuple, comme un berger. Il va gouverner, comme les paysans d’ici quand ils s’occupent de leur bétail.

L’histoire humaine fourmille de conflits, de guerres et d’intrigues. Mais Dieu, dit Michée, Dieu n’agit pas ainsi. Il vient, dans la peau d’un enfant, amener la paix? Oh non, même pas! Car pour amener la paix, il faudrait l’imposer - et ce n’est pas le style de Dieu! Non, Michée nous dit en hébreu que ce sauveur, il sera la paix (et je regrette, entre parenthèses, que plusieurs traductions françaises confondent les deux verbes et donnent “il amènera la paix”.

Il sera la paix. Cela veut dire, donc, que nous pourrons nous-mêmes vivre en paix, lorsque nous le laisserons nous conduire, nous gouverner, nous faire du bien, comme un berger qui sait où son troupeau sera le mieux. Oui, quand nous le laisserons. Si nous le laissons!



Depuis 2000 ans, les chrétiens reconnaissent que cette prophétie de Michée s’est accomplie dans la venue de Jésus, notre bon berger, notre paix. Et depuis 2000 ans, les chrétiens sont partagés entre deux pulsions contradictoires: d’une part, leurs instincts humains, qui les poussent à se battre, à intriguer ou à conquérir... Et, d’autre part, leur volonté de suivre la voie de ce bébé de Bethléem; ce bébé qui, justement à Jérusalem, a été cloué sur la croix pour prendre sur lui toutes nos violences, nos pulsions meurtrières, nos envies de dominer. Pour les crucifier avec lui et les faire ressusciter, au matin de Pâques, à une vie nouvelle! Différente!

Cette transformation-là, elle ne peut avoir lieu que si nous nous tournons vers le petit village de Bethléem, et non vers la glorieuse cité de Jérusalem. Je veux dire: Dieu ne peut travailler en nous que si nous devenons des petits, des fragiles, des démunis. Que si nous parvenons, comme Michée le voudrait pour Israël, à changer de regard sur nous-mêmes: ne plus nous fier en notre force, ou nos illusions de sécurité; mais nous reconnaître faibles, humbles, blessés.

C’est aux Bethléem, c’est-à-dire aux laissés pour compte des puissants, aux mendiants, que Dieu vient donner la vraie force, la véritable sécurité. Demandez, et vous recevrez. Frappez, et on vous ouvrira!

Celui dont nous célébrons l’Avent (ça veut dire: la venue); celui dont nous attendons l’Avent (ça signifie: le retour!), Jésus ne peut nous faire entrer dans la lumière de Pâques, nous et nos aspirations, que si nous acceptons de devenir les enfants nus de la crèche; et les blessés de la croix. Notre paix intérieure et extérieure est à ce prix !

C’est ce chemin que Noël trace devant nous, pour nous. Saurons-nous le suivre? Amen

Jean-Jacques Corbaz    



vendredi 16 décembre 2016

(Vu) Pourquoi fête-t-on Noël avec des sapins?

Le sapin est relativement récent dans les festivités de Noël. Bien sûr qu'en Israël, il n'y en avait pas.

Il est apparu au Moyen Âge ou à la Renaissance, suivant les endroits, voire plus tard encore dans certains pays. Mais depuis longtemps, il symbolisait la vie qui continue malgré l'hiver, puisqu'il reste vert sous les plus grands froids.

Lorsque la fête de la naissance de Jésus a été fixée au 25 décembre, c'était pour combattre des fêtes païennes: "Sol invictus" des Romains, fêtes païennes du solstice... Ces fêtes étaient si fortement ancrées dans la population que les chrétiens n'ont pas réussi à les éradiquer. Ils les ont donc "christianisées" en y célébrant la naissance de Jésus.
Mais les éléments symboliques forts sont restés: bougies pour exprimer la lumière, sapin pour dire la vie malgré tout, gui, houx... bûche de Noël au Tessin... pommes ou fruits de couleur vive pour décorer les maisons, qu'on a plus tard associés aux branches de sapin, puis à l'arbre entier.

Les missionnaires chrétiens (dès le VIIIè siècle ap. JC) ont également favorisé l'association du sapin à la foi au Christ pour combattre l'adoration du chêne dans les pays du nord; car le chêne était dédié à Odin. Et puis le sapin, élément souple et plus frêle, symbolisait mieux Jésus que la force massive du chêne. Mais là, le sapin n'avait aucun lien avec la naissance de Jésus.

Les premiers sapins de Noël datent de 1510, peut-être un peu avant, dans certaines régions germaniques.
Le premier sapin de Noël en Suisse Romande date de 1831, à Lausanne.
Il y a quantité d'autres symboles, parfois très anciens, qui se recoupent autour du sapin, bien sûr. Rien n'est monolithique!

                                                              JJ Corbaz

Je vous copie-colle ci-dessous un article de Wikipédia:

S'il est clair que la coutume du sapin de Noël moderne remonte à la Renaissance dans les pays germaniques (attestation au XVe siècle dans les cérémonies de fin d'année des guildes germaniques et livoniennes, Riga prétend officiellement qu'a été érigé et décoré le premier arbre de Noël dans sa cité en 15106), il existe un certain nombre de théories qui spéculent quant à son origine plus lointaine7.
L'image de l'arbre comme symbole de renouveau de la vie est un thème traditionnel païen qui se retrouve dans le monde antique et médiéval (voir notamment le culte idolâtrique et les nombreuses mythologies liées à l'Arbre du Monde) avant que ce symbole soit assimilé par le christianisme. Le sapin et l'épicéa, conifères à feuilles persistantes, rappellent depuis longtemps ce symbolisme de la renaissance lors du solstice d'hiver, comme en attestent les gravures rupestres dans les régions scandinaves8.
Selon l'Encyclopædia Britannica, l'utilisation d'arbres à feuilles persistantes, de couronnes et de guirlandes pour symboliser la vie éternelle est une coutume antique chez les Égyptiens, Chinois et Hébreux. Les Romains lors des Saturnales décorent leurs maisons de branches de laurier, de buis ou d'olivier et laissent allumées des lampes pour éloigner les démons9. Le culte des arbres est courant dans l'Europe païenne et survit à sa conversion au christianisme dans les coutumes scandinaves où persiste la tradition lors des fêtes d'hiver de Yule de décorer la maison et la grange avec des conifères auxquels on attache des torches et des rubans de couleur ou de suspendre des branches de sapin dans la maison pour chasser les mauvais esprits10.

Boniface abattant le chêne de Thor.
D'autres théories lui attribuent une origine chrétienne en Gaule. La coutume du sapin décoré remonterait au missionnaire saint Colomban qui fonde en 590 le monastère de Luxeuil au pied des Vosges. Un soir de Noël, il emmène avec lui quelques-uns de ses religieux jusqu’au sommet de la montagne où préside un antique sapin, objet de culte païen. Les moines accrochent à l’arbre leurs lanternes et leurs torches et dessinent une croix lumineuse au sommet. Cet acte syncrétique permet à saint Colomban de raconter les merveilles de la naissance de Jésus aux paysans accourus voir ce spectacle et d'en convertir plusieurs, lançant la coutume d’installer chaque année des sapins illuminés11. Cependant aucune tradition écrite ne relate cette histoire à cette époque où l’arbre symbolique par excellence dans les forêts druidiques est le chêne, l'épicéa étant également chez les Celtes l’arbre de l’enfantement : associé au 24 décembre, il est décoré lors des rites du solstice d'hiver de fruits, de fleurs et de blé12. Une autre légende du VIIIe siècle est l'histoire du chêne de Thor de Boniface de Mayence qui illustre bien la confrontation entre le chêne païen et le sapin chrétien. La forme conique du sapin permet à l'« apôtre de l'Allemagne » d'enseigner la notion de Trinité6 .
Arbre de Noël dans un dispensaire lors de la Guerre franco-allemande de 1870.
Cette influence chrétienne se retrouve au Moyen Âge dans les mystères qui ont notamment pour décor un arbre de Noël (symbolisant l'arbre du paradis qui fait pour les chrétiens référence à la croix du Christ qui, par son incarnation, sauve l'humanité13) garni de pommes rouges (elles représentent le fruit défendu; devant la difficulté à trouver un pommier en hiver on aurait alors opté pour le sapin13). L'arbre pouvait également être garni d'oublies (ils représentent les hosties de l'Eucharistie) et au sommet l'Étoile de Bethléem à partir du XIVe siècle. Dès le XVe siècle, cet arbre du paradis est dressé dans les sièges des corporations et les hôpitaux en Allemagne14 puis est installé dans les foyers des familles bourgeoises protestantes (les familles catholiques se différenciant quant à elles avec leur crèche de Noël), les pommes étant remplacées par des objets ronds comme des boules rouges brillantes15.
Cette tradition protestante scandinave et germanique se répand dans les villes comme dans les campagnes (les bougies en cire décorant alors les sapins étant encore onéreuses), au XVIIe siècle avec le décor des hosties et de la pomme de Noël remplacé par des papillotes en forme de roses et autres fleurs en papier multicolore, mais surtout au XVIIIe siècle avec la multiplication des décorations16. Elle est néanmoins mentionnée pour la première fois sur l'actuel territoire français en Alsace (mais à l'époque partie du saint Empire romain germanique) à Strasbourg en 1492, l’Œuvre Notre-Dame achète neuf sapins pour les neuf paroisses de la ville pour "accueillir la nouvelle année". Le sapin est alors davantage lié au nouvel an qu'à Noël mais les arbres étaient probablement déjà en place dans les églises lors des fêtes de Noël. Ces neuf sapins coûtent à l’œuvre deux Florins17. Une seconde mention à Sélestat, le 21 décembre 1521, dans un livre de compte de la ville18 fait mention d'une rémunération versée aux gardes forestiers pour la surveillance de la coupe des sapins, un édit municipal protégeant la forêt d'un abattage excessif en autorisant uniquement la coupe de petits arbres19 a décoration des maisons se fait alors non pas avec le sapin entier mais avec des branches coupées 3 jours avant Noël11. En France, cette tradition se limite alors dans l'Alsace protestante qui utilise le sapin entier en décor à partir du XVIIe siècle. Les Alsaciens apportent la tradition du sapin de Noël dans l'hexagone en s’expatriant après la guerre de 187020.
L'arbre de Noël devient une tradition profondément enracinée en Allemagne qu'à partir du XIXe siècle (aussi bien dans les familles protestantes que catholiques), des colons allemands l'ayant exporté en Amérique du Nord au début du XVIIe siècle10. Il est à la même période progressivement adopté par la noblesse européenne : la princesse Henriette de Nassau-Weilburg (en) introduit l'arbre de Noël à la Cour de Vienne en 1816, la duchesse d'Orléans, d'origine allemande, à la Cour de France en 183721.

(https://fr.wikipedia.org/wiki/Sapin_de_No%C3%ABl)

samedi 3 décembre 2016

(Ci, Vu, FA) Pour être heureux, il faut avoir souffert


Boris Cyrulnik

par Patrice van Eersel et Marc de Smedt


Photo : ActuaLitté [CC BY-SA 2.0] via Wikimedia Commons

Le bonheur et le malheur ne s'opposent pas, mais se complètent comme le jour et la nuit. L'inverse de leur indissociable couplage est la mort affective, l'indifférence. Attachement et amour ne peuvent se développer que si nous avons connu la souffrance et le retour à la sécurité. La neurologie cognitive n'a qu'une vingtaine d'années, et déjà ses découvertes se comptent par milliers, dont Boris Cyrulnik vulgarise génialement les paradoxes.

Dans la trajectoire de Boris Cyrulnik, il y eut d'abord les livres d'éthologie sur l'affectivité animale. Puis toute la série humaine sur la résilience, qui explique comme un enfant maltraité peut s'en sortir, grâce au regard de l'autre. Paru fin 2006, De chair et d'âme constitue le premier livre d'une nouvelle série sur l'inséparable unité de ce qui constitue l'humain. Ce qui est frappant, c'est la précision ultrafine de ce que l'imagerie médicale est désormais capable de nous apprendre sur ce qui se passe en nous à chaque seconde, quand nous percevons, pensons, croyons, agissons - et comment cela bouleverse notre vision du monde, en décortiquant la genèse neuro-relationnelle de nos organes. Quand un singe regarde un autre singe agir, il met en branle les mêmes processus neuronaux que s'il agissait lui-même. Même processus quand il rêve qu'il se trouve dans telle ou telle situation. Chez l'humain, cette imbrication du réel et de l'imaginaire va au-delà du concevable.

NC : Ce qui frappe dans votre nouveau livre, c'est ce que vous dites sur le malheur.      Il ne s'opposerait pas au bonheur, mais constituerait son indispensable complément. C'est leur tandem qui nous rendrait vivants...

Boris Cyrulnik : Toute vie psychique suppose une dualité bonheur-malheur. Privé de cet antagonisme, vous avez un électroencéphalogramme plat, une absence de vie psychique, autrement dit une mort cérébrale. Le couple bonheur-malheur fonctionne comme la manivelle en croix que vous utilisez pour changer les roues de votre voiture. D'un côté vous tirez vers le haut, de l'autre, vous poussez vers le bas, et un observateur étourdi pourrait s'imaginer que ces deux gestes sont contradictoires alors qu'ils constituent un seul et même mouvement. Il en va de même neurologiquement.

Dans la partie antérieure de l'aire singulaire de chacun de nos hémisphères cérébraux, il existe deux renflements. Si une tumeur, un abcès ou une hémorragie altèrent le premier de ces renflements, ou si vous y introduisez une électrode, vous allez éprouver des sensations de souffrance, physique et mentale très aiguës. Si vous déplacez un tout petit peu l'électrode, pour la planter dans le second renflement, vous allez éprouver une euphorie qui peut aller jusqu'à l'extase. Le réel n'a pourtant pas changé. Vous avez juste déplacé l'électrode de quelques millimètres. Au regard de la neurologie, le bonheur et le malheur ne sont pas extérieurs au sujet. Ils sont dans le sujet.

N. C. : C'est une découverte récente ?

B. C. : En fait, on le sait depuis les expériences de James Olds et Peter Milner, en 1954.   Ces chercheurs avaient placé des électrodes dans le cerveau d'un groupe de rats et montré que la zone de la douleur jouxtait celle de la jouissance. Par ailleurs, ayant équipé les rats de telle sorte qu'ils puissent électriquement auto stimuler ces zones, ils avaient constaté que les animaux n'arrêtaient pas d'appuyer sur le bouton électrifiant la zone du plaisir, sans pouvoir s'arrêter. Au point d'en mourir ! Jouir à mort est un phénomène que l'on trouve aussi dans la nature. S'ils en ont la possibilité, toutes sortes d'animaux poussent leur recherche du bonheur jusqu'à se tuer. Quand les fourmis tombent par exemple sur un certain coléoptère dont la sécrétion lactée les enivre : elles en oublient leurs tâches, vont et viennent en tout sens et la fourmilière finit en un indescriptible chaos. On pourrait citer les pigeons et les corbeaux qui vont se saouler aux vapeurs de sarments, indifférents aux vignes en flammes...

N. C. : Trop de bonheur conduirait à notre perte ?

B. C. : La réalité est paradoxale. Placez des gens dans une situation de bonheur total, où tous leurs vœux sont immédiatement exaucés, où rien ne vient contrarier leurs moindres désirs : ils se retrouvent vite malheureux. À partir d'une certaine dose, tout bonheur devient insoutenable. Par contre, mettez ces mêmes personnes dans un état de malheur, elles vont souffrir, mais aussi lutter : « Je vais me battre contre le malheur et le vaincre.» C'est dans la résistance au malheur que les humains s'associent, se protègent les uns les autres, construisent des abris, découvrent le feu, luttent contre les animaux sauvages... et connaissent finalement le bonheur d'avoir triomphé de leurs peurs.

Malheur et bonheur ne sont pas des frères ennemis. Ils sont unis comme les doigts de la main. On le constate aussi dans le rêve, l'utopie, l'espérance qui sont de grands pourvoyeurs de bonheur. On ne peut espérer que si l'on se trouve dans le mal-être. Le bonheur de vivre vient de ce que l'on a triomphé du malheur de vivre. J'ai faim. Arrive quelqu'un qui me donne son sein - qu'est-ce que je l'aime ! J'ai peur. Voilà quelqu'un qui, par sa force et ses armes, me rassure - qu'est-ce que je l'aime ! Il fait froid. Quelqu'un me réchauffe avec son corps et sa couverture - qu'est-ce que je l'aime ! C'est le paradoxe de la manivelle en croix : d'un malheur peut surgir un bonheur ; sans malheur, ce serait impossible.

N. C. : Il y a là une leçon de philosophie naturelle. Accepter la vie, ce serait accepter aussi le malheur, sans lequel il n'y aurait pas de bonheur. Ne pourrions-nous, de même, pas aimer si nous n'avions pas souffert ?

B. C. : Exactement. Seule la complémentarité entre malheur et bonheur fait que nous pouvons aimer la vie. Des chevaux ailés tirent l'attelage de l'âme dans des directions opposées pour le faire pourtant avancer sur un même chemin, écrivait déjà Platon dans Phèdre.

N. C. : Ce processus se met-il en place dès la naissance ?

B. C. : C'est même de fondement des théories de l'attachement. Après le traumatisme de la naissance, le petit humain découvre le malheur. Il ne connaît rien du monde qui l'entoure. Il a froid. Il a faim.. Il a peur. Il souffre. Il se met à brailler. Et tout d'un coup, hop ! On le prend dans les bras. On lui parle. On le nourrit. On l'essuie. Il a chaud. Il reconnaît l'odeur et les basses fréquences de la voix de sa mère. Il se dit : « Ouf ! ça va, je suis à nouveau tranquille. » Il trouve là un substitut d'utérus, et c'est le premier nœud du lien de l'attachement qui va le rendre heureux. À l'inverse, imaginons un bébé qui ne connaîtrait aucun malheur, dont l'environnement serait impeccablement organisé : température idéale, soif de lait aussitôt soulagée, couches propres dans la seconde, etc. Eh bien, ce bébé n'aurait aucune raison de s'attacher.

N. C. : C'est la vieille histoire du « too much »... L'excès nuit toujours ?

B. C. : Oui. Et il en va de même pour nous. Vous avez soif, vous buvez un verre d'eau. Quel délice ! Mais qu'éprouvez-vous au cinquantième verre d'eau ? Du dégoût. C'est un supplice. De même, si la mère entourait son enfant trop longtemps, si elle ne le laissait pas seul au bout d'un moment, il se retrouverait prisonnier d'un cocon étouffant et en viendrait à éprouver de la douleur. « Si maman ne m'entoure pas, je souffre. Mais si elle m'entoure trop, je souffre aussi. » L'être humain ne peut se construire que dans l'alternance, la respiration bonheur-malheur. Et si cette dernière doit être la plus harmonieuse possible, elle doit également suivre un certain rythme. Car, si le bonheur ne peut durer, le malheur non plus...

Si on laisse pleurer le bébé pendant une heure, ça peut aller ; deux heures, ça devient beaucoup ; au bout de trois heures, ça commence à devenir difficile. Arrive un seuil où tout bascule. Le bébé arrête de pleurer. Il commence à s'éteindre. S'il n'est pas rapidement secouru, son système nerveux va interrompre son développement. J'ai été l'un des premier à décrire les atrophies cérébrales liées à une carence affective. Au début, bon nombre de neurologues ne m'ont pas cru : « Ce n'est pas possible, vous vous trompez. » Aujourd'hui, de nombreux confrères confirment cette observation, notamment aux États-Unis. Tous les pédiatres qui travaillent dans les pays en guerre ou en misère savent que les enfants abandonnés ne pleurent pas. Ils attendent la mort en silence. Ils sont morts psychiquement avant de mourir physiquement. Leurs cellules cérébrales sont les premières à s'étioler puisqu'elles ne sont plus stimulées. Puis la base du cerveau arrête ses sécrétions hormonales. Et tout le corps dépérit. Le contre-exemple existe : mettez un enfant abandonné atteint de nanisme affectif dans une famille d'accueil, son cerveau va peu à peu reprendre son développement, c'est rigoureusement vérifié au scanner.

N. C. : Vous évoquez souvent l'image d'une « enveloppe affective sensorielle, faite à la fois de molécules que de mots », absolument vitale au développement de l'enfant. Comme l'a été l'enveloppe matricielle de sa mère...

B. C. : Absolument. Chez l'enfant, il y a d'abord une longue période d'intelligence sans parole. L'enfant décode le monde non par des mots, mais grâce à des images. Puis vient le stade de la parole maîtrisée, vers trois ans. La parole récitée, elle, c'est-à-dire la capacité à faire un récit de soi-même, n'arrive qu'à sept ans, quand les connexions du lobe préfrontal de l'anticipation se sont connectées au circuit de la mémoire - sans quoi vous ne seriez pas capable de vous faire une représentation du temps. Or, toute cette maturation neurologique et hormonale ne se fait que si vous avez cette enveloppe affective autour de vous. Une enveloppe qui, donc, respire, avec flux et reflux, inspiration et expiration, diastole et systole. La vie fonctionne ainsi : par contraste. Et nos sens aussi : pour que le concept « bleu » me vienne en tête, il faut qu'il y ait autre chose que du bleu dans mon champ de vision ; s'il n'y avait que du bleu, je ne pourrais pas le penser. Pour penser le bonheur, il faut qu'il y ait autre chose que du bonheur : le malheur est parfait pour ça.

N. C. : Autre paradoxe, vous écrivez que la parole a une fonction bien plus affective qu'informative.

B. C. : On se parle pour s'affecter. Par mes mots, je peux modifier votre état physique, vous faire pâlir, rougir, rire, bailler, hurler. Si je fais des phrases, c'est pour vous convaincre, vous amuser, vous irriter, vous insulter, vous calmer... davantage que pour vous informer. Et il est à peu près impossible de parler longtemps à quelqu'un sans affecter ses sentiments.

N. C. : Vous dites: « Quand je suis face à Véronique, j'ai une certaine chimie intérieure. Face à Marion, c'en est une autre.  Je ne suis littéralement pas le même moléculairement. »

B. C. : La présence de Véronique me stimule. Tout ce qu'elle dégage - qu'elle me communique implicitement par ses formes, son odeur, ses vêtements, ses gestes, sa voix, ses mots - touche quelque chose d'inscrit au fond de ma mémoire neuronale, sans doute depuis l'âge fœtal. Tout se passe à son insu et j'en suis également inconscient, mais tout ce qui vient d'elle m'intéresse et m'amuse. Du coup, toutes mes catécholamines sont stimulées, condition biologique favorable à la mémorisation. Alors que Marion me renvoie, sans s'en rendre compte non plus, toutes sortes de messages qui ne me touchent pas et ne constituent donc pas un événement pour moi. Or, nous ne pouvons pas mettre en mémoire un non-événement.

N. C. : N'est-ce pas ce qu'en langage courant on appelle avoir des « atomes crochus » ?

B. C. : Si vous voulez. Avec des dosages et des catalyses étonnants. Les entraîneurs d'équipes sportives le savent bien, qui recrutent certains joueurs plus pour l'ambiance positive qu'ils vont mettre dans l'équipe que pour leurs qualités intrinsèques. À l'inverse, il m'est arrivé de voir une excellente équipe de scientifiques lamentablement sombrer dans le spleen, simplement parce qu'on avait recruté un chercheur qui, par sa seule présence, stérilisait ou inhibait le travail de tous les autres ! On connaît ça en éthologie animale, par exemple chez les chimpanzés, où l'arrivée d'un nouvel individu va faire que tous les autres deviennent maladroits, laissent tomber les objets qu'ils tiennent, ratent les branches qu'ils visent : ils sont crispés, leur chimie intérieure est déséquilibrée.

N. C. : N'est-ce pas aussi au sein de cette enveloppe que naît la compassion, quand un animal souffre de ce qui arrive à un autre ?

B. C. : Je le pense en effet, même si de jeunes confrères normaliens sont en désaccord avec moi. Vous faites allusion aux « neurones miroir ». Un chimpanzé voit un être signifiant (un congénère, par exemple, ou un être humain qu'il connaît) s'apprêter à manger un aliment qu'il aime (mettons une banane). Automatiquement, il allume la partie de son cerveau qui le prépare à faire le même geste, par exemple tendre la main vers la banane. En même temps, il stimule son lobe préfrontal pour bloquer ce geste, qui doit rester imaginaire - ce qui fait que le cerveau du chimpanzé qui observe dépense deux fois plus d'énergie que celui du chimpanzé qui mange réellement !

De façon similaire, que je sois homme ou singe, si un personnage signifiant de mon enveloppe affective, quelqu'un que j'aime bien, souffre, je vais allumer la partie antérieure de mon aire singulaire antérieure, celle qui déclenche des sensations de souffrance. Ce n'est pas moi qui souffre, mon organisme est impeccable, pourtant ma zone de souffrance s'allume et déclenche en moi une sensation de malaise. Alors, que c'est lui qui souffre. Mais je le vois et ça me fait entrer en résonance, parce que c'est un personnage signifiant pour moi. Sa souffrance et la mienne sont de nature différentes. Lui, il est blessé, il saigne. Moi, je souffre de la représentation que je me fais de sa souffrance.

N. C. : Dans son documentaire Shoah, Claude Lanzmann interviewe un paysan polonais qui labourait un champ près d'Auschwitz. « Alors vous labouriez à deux pas des barbelés, lui demande-t-il, ça ne vous faisait pas mal ? » Et l'autre de s'étonner : « Pourquoi auriez-vous voulu que ça me fasse mal à moi ? Si l'on vous coupe vos doigts, les miens vont bien ! »

B. C. : Cet homme est un pervers, pas au sens sexuel, mais par arrêt d'empathie. Les pervers ont, dans le développement de leur personnalité, quelque chose qui s'est déréglé dans l'empathie, soit par excès, soit par défaut. Par défaut, c'est ce que vous racontez : si vous vous coupez le doigt, c'est vous qui avez mal, pas moi - donc, si l'on brûle des milliers de personnes dans des fours, ce sont eux qui brûlent ; moi, je laboure tranquillement mon champ. Les situations de guerre pousse des masses de gens à basculer dans cette pathologie, puisque, si l'on veut gagner la guerre, il faut ignorer l'autre, le chosifier.

À l'inverse, l'excès d'empathie, c'est Leopold von Sacher-Masoch, dont on a fait l'archétype du masochiste : « Moi, je ne compte pas, je ne suis rien, quasiment mort psychiquement, je ne jouis plus. Mais si le fait de me faire souffrir fait plaisir à Wanda, la Vénus au manteau de fourrure, au moins éprouverai-je le plaisir de lui faire plaisir. Elle seule compte. En me maltraitant, en me fouettant, elle me donnera un petit sursaut de vie.  »

N. C. : Et si l'on vit dans une enveloppe sensorielle « positive », peut-on user de son empathie à son propre égard ? Ce serait une façon d'expliquer que l'on puisse volontairement influencer son état physique et « reprogrammer » sa santé...

B. C. : Je ne suis pas spécialiste de la question. Mais il est clair que les êtres humains peuvent intentionnellement se « recircuiter », c'est-à-dire s'entraîner à fonctionner et à « se représenter » autrement. Je pense que la psychothérapie fonctionne de cette façon... quand ça marche ! Cela dit, je n'utiliserais pas le mot « reprogrammer », parce qu'aujourd'hui, nous savons que personne n'est programmé. Même génétiquement. L'idée que nos gènes nous déterminent a fait long feu.

Quelle est la conclusion du fameux « décryptage du génome humain » ? Vous avez entendu ce silence ! (rire) La conclusion, c'est que nous avons à peu près le même génome que les vers de terre (il paraît que les vers de terre sont vexés !) et que nous sommes comme des chimpanzés à plus de 99% ! Il y a donc moins de 1 % de différence entre un chimpanzé et un humain. Mais qui parle de « programme génétique » ? Des journalistes, des psychologues, des psychiatres, jamais des généticiens ! Attention, je ne nie pas l'existence d'un déterminant génétique. Lorsque le spermatozoïde de votre père a pénétré l'ovule de votre mère, ça ne pouvait donner qu'un être humain, pas un chat, ni un vélomoteur. Mais ça n'était en rien prédestiné à devenir vous !

Le déterminant génétique donne un être humain. Mais pour donner telle personne réelle, il faut toute la condition humaine, la mémoire, la culture, l'histoire. La moindre variation de l'environnement modifie l'expression des gènes. Mieux : à l'intérieur d'un même gène, un morceau de gène sert d'environnement à un autre morceau ! Par exemple, vous avez des déterminants génétiques du diabète, mais sans diabète, parce qu'une autre partie du même chromosome du même bonhomme induit la sécrétion d'une insuline empêchant l'expression de la maladie. Autrement dit, l'environnement commence dans le gène lui-même ! Nous sommes pétris par notre milieu autant que par nos gènes. Je crois ainsi que la distinction gène/environnement - c'est-à-dire inné/acquis - est purement idéologique et pas du tout scientifique. Le gène est aussi vital que l'environnement, ils sont inséparables. Nous sommes déterminés à 100 % par nos gènes et à 100% par notre environnement. Scientifiquement, je dois dire que cela redonne du poids à la théorie de Lamarck, jadis pourfendue par Darwin : il n'est pas forcément faux de dire que les girafes naissent avec un long cou parce que leurs ancêtres ont beaucoup tiré dessus pour manger en hauteur - alors que l'auteur de L'évolution des espèces n'y voyait que le fruit d'un hasard écologiquement favorable...

Là où Darwin continue d'avoir brillamment raison, c'est quand il dit que les espèces disparaissent par leur point fort. Les élans du Canada réussissaient à se protéger, grâce à leurs formidables bois, lourds et tranchants, qui éventraient les loups d'un simple geste de la tête. Mais les bois sont devenus de plus en plus lourds, à tel point que les grands mâles ne sont même plus parvenus à se redresser... et les loups en ont profité pour apprendre à les égorger ! Le point fort de l'humanité, par lequel nous sommes clairement menacés de disparaître, c'est notre intelligence technologique, désormais si puissante qu'elle modifie la biosphère...

N. C. : Ce qui, si l'on fait preuve d'empathie, nous plonge dans la déprime. N'est-ce pas pour cela, par sentiment d'impuissance, que tant de gens prennent des antidépresseurs ? À ce propos, pourquoi selon vous les Français en consomment-ils tant ?

B. C. : Actuellement, le plus grand consommateur est l'Iran. Mais il faut se méfier de ces comparaisons, culturellement biaisées, car chaque pays gère la dépression à sa manière. Les gens se suicident, somatisent, consomment de la fausse médecine, passent de faux examens, parce que le problème n'est pas posé. Il est clair que l'on compense par la chimie une défaillance culturelle. On prend des molécules pour se sentir moins mal, alors que normalement, c'est la relation humaine qui devrait jouer ce rôle. Relation familiale, amicale, villageoise, professionnelle, confessionnelle, politique, artistique... peu importe. Si nous vivions comme jadis dans des structures affectives, nous n'aurions que rarement besoin de psychotropes et d'antidépresseurs. Mais notre culture a détruit ça.

Pour bien se porter, il faut participer à la vie sociale. Je suis convaincu que c'est fondamental. Ici, dans le Var, il y a beaucoup de retraités espagnols, ex-réfugiés, républicains comme franquistes. Ils prennent des antidépresseurs, comme tout le monde. Mais dès qu'ils vont voir leurs familles en Espagne, ils arrêtent d'en prendre. Pourquoi ? Parce qu'il y a là-bas une vie sociale beaucoup plus intense que chez nous, avec notamment des fêtes incessantes. Quand vous êtes tout le temps en cuisine, en train de vous maquiller ou de vous entraîner pour le lâcher de taureaux, vous vous couchez à trois heures du matin, et vous n'avez plus besoin de psychotropes. Mais dès qu'ils reviennent ici, hop ! ils reprennent des psychotropes.

N. C. : Pourquoi certains pays, la France en particulier, ont-ils une vitalité locale si molle ?

B. C. : Norman Sartorius, l'un des directeurs de l'OMS avec qui j'ai travaillé, a dirigé un énorme travail sur ce thème dans plusieurs pays. Sa conclusion est tragique : plus la solidarité est administrative (sécurité sociale, RMI, indemnités de chômage, etc), moins elle est affective et moins elle joue son rôle de tranquillisant naturel, qui est la base du sentiment de sécurité. « Je te connais ; quand je suis avec toi, on se raconte des histoires qui nous sécurisent ; tu as de l'expérience, je te fais confiance ; tu auras des solutions, parce que je t'attribue un pouvoir. » C'est incontestable : plus la solidarité est administrative, plus le désert affectif se développe.

Si nous ajoutons à ça le fait que l'amélioration de la technologie s'accompagne partout d'une augmentation de l'isolement, de l'angoisse et des dépressions, nous nous retrouvons avec un joli casse-tête. Parce que, bien sûr, il n'est pas question d'arrêter le progrès technologique, ni celui des systèmes sociaux de solidarité. C'est donc à chacun de savoir augmenter la communication affective dans sa vie - prendre le temps de cuisiner lentement, de recevoir des amis, de rire en faisant les andouilles... Il faut multiplier les rituels de rencontres, les fêtes de quartiers, les retrouvailles de toutes sortes, les chorales, les associations de pétanque, les tables d'hôte... Dès que vous rencontrez des gens et que vous buvez un verre avec eux, vos fantasmes agressifs baissent. Ça ne règle pas tout, mais vous mettez en place un rituel d'interactions affectives qui a un grand effet tranquillisant. C'est juste vital pour l'humanité.

(Tiré du site "Clés", http://www.cles.com/debats-entretiens/article/pour-etre-heureux-il-faut-avoir-souffert)


A lire
- De chair et d'âme, Boris Cyrulnik, éd. Odile Jacob.
- La fabuleuse aventure des hommes et des animaux, Boris Cyrulnik, Karine lou Matigon. éd. Le Chêne.
- Les nourritures affectives, Boris Cyrulnik. éd. Odile Jacob.
- Le murmure des fantômes, Boris Cyrulnik. éd. Odile Jacob.