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dimanche 31 décembre 2017

(Pr) La relation entre Dieu et nos années

Prédication du 31 décembre 17, «Le temps de Dieu...»

Lectures: Apocalypse 1, 4-8; Luc 13, 6-9; Genèse 1, 14-19 

Je vais sans doute vous étonner: l’année qui vient, 2018, vous allez voir Dieu! Oui, en 2018, vous allez voir Dieu!

Rassurez-vous, je ne me suis pas converti à l’une de ces sectes braquées sur la fin du monde. Je n’ai pas non plus reçu une révélation prophétique extraordinaire! Vous allez voir Dieu  parce que ça fait partie de sa nature, ça fait partie de sa façon d’être. Je vais m’expliquer.
 

 
Beaucoup de chrétiens pensent que, pour Dieu, le temps n’a aucune importance. N’est-il pas l’Eternel, l’Infini, celui qui traverse les siècles sans jamais vieillir? Pour bien des gens, la vocation humaine serait justement d’essayer d’échapper aux limites d’ici-bas pour rejoindre le monde éternel de l’au-delà. Le but de la religion serait de nous faire accéder au royaume divin, là où tout est lumière et paix, au-dessus de cette terre de souffrances.

Cette perspective, cette idée est très importante dans les religions orientales, surtout pour le bouddhisme: quitter ce temps, cette terre pour s’élever et rejoindre Dieu.

Et aujourd’hui, dans une société où les incertitudes se font durement ressentir, et les bouleversements, et le manque d’espoirs concrets, on comprend que beaucoup de gens sont fascinés par cette recherche d’un monde immuable et sûr, au-delà des pénibles réalités.

Pourtant, la Bible nous dit des choses différentes, et à mon goût plus stimulantes! Pour elle, Dieu est au-dessus du temps, c’est sûr: “devant lui, mille ans sont comme un jour”. Mais il n’est pas un Être Suprême figé dans son éternité et sa divinité: il bouge, il se déplace!

L’Apocalypse insiste beaucoup sur ce mouvement: elle décrit Dieu comme “celui qui est, qui était et qui vient”. Formule géniale! “Celui qui est, qui était et qui vient”, c’est-à-dire celui qui dépasse les catégories du temps, celui qui ne se laisse enfermer dans aucune époque; et celui qui bouge vers nous!

Dieu n’est pas hors du temps, comme dans les religions orientales. Au contraire, le temps, notre temps, n’est pas étranger à Dieu, pas plus que l’espace! Dès la première page de la Bible,  le Créateur s’inscrit dans nos mesures humaines de temps: “Que la lumière soit - et la lumière fut... Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le premier jour”.


Cette évocation des débuts du monde est une manière imagée de proclamer ceci: le temps n’est pas une fatalité mauvaise, dont il faudrait sortir. Mais c’est un cadre dans lequel Dieu inscrit volontairement sa création.

Vous savez peut-être que la Genèse s’inspire beaucoup des récits des origines venus des autres religions du Proche-Orient. Or, aucune de ces autres religions ne décrit les débuts de l’univers dans un tel cadre de journées. C’est bien une originalité de l’Ancien Testament que de valoriser le temps de cette manière!

Pour la Genèse, chaque jour qui passe, aujourd’hui encore, est  un jour où Dieu crée, un jour que Dieu habite, puisque la vie continue de jaillir, autour de nous, et à travers nous. La création n’est pas finie, elle se prolonge dans notre temps, ici-même!

On remarquera encore que la Genèse situe au quatrième “jour” la création des astres: soleil, lune et étoiles. Ils ont deux rôles: celui d’éclairer la terre jour et nuit; mais d’abord celui de servir de “signes pour les fêtes, pour les jours et pour les années” dit la Bible. Alors que les religions voisines, par exemple à Babylone, les adoraient comme des divinités, les astres pour l’Ancien Testament sont les marques du temps, créés par Dieu. Des repères pour nos calendriers.

Le temps est donc un cadeau du Créateur. Mais un cadeau où il s’est emballé lui-même, si j’ose dire! Emballé dans les deux sens du terme! Emballé au sens où il s’y est placé, volontairement; il s’y est inscrit. Et emballé au sens où il le fait avec enthousiasme! Dieu s’emballe pour nous, dans sa passion pour l’humanité,  cette humanité pourtant si mal foutue!
Autrement dit, Dieu s’engage dans notre temps, afin de faire alliance avec nous. Depuis le fameux récit de l’arc-en-ciel, au sortir du Déluge, jusqu’à Jésus-Christ, en passant par Abraham, Moïse, Jérémie et tous les autres, Dieu travaille dans notre temps. Il le fait pour y semer des graines de bonheur et de paix.

L’histoire où nous vivons n’est donc ni vouée à la perdition, ni livrée au hasard. Elle a un but. Dans notre histoire, Dieu intervient régulièrement, il agit lui-même à travers tous les évènements où les auteurs bibliques ont reconnu la main de leur Seigneur.

Et bien sûr, vous l’avez déjà pensé, ces interventions de Dieu culminent dans l’évènement que nous avons célébré il y a une semaine, la venue de Jésus, en qui les apôtres ont discerné la venue de Dieu lui-même! Epiphanie! Révélation!

Depuis Noël -comment pouvons-nous en douter?-, le salut du monde ne se joue pas en-dehors du temps, mais à l’intérieur de notre histoire, à l’intérieur de notre monde: dans le temps. Et l’évangile va insister là-dessus: Jésus est né “alors que Quirinius était gouverneur de Syrie”; puis “il a souffert sous Ponce Pilate”. C’est dans un temps bien précis, concret, que tout a basculé en faveur de notre salut. Comme l’a chanté Jo Akepsimas: “Jésus était bien de son temps, et c’est pour ça qu’il est du nôtre”.

Ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui encore, le Christ nous sert de repère pour compter les années. Quand on dit “2018”, est-ce que nous réalisons que nous prenons comme axe de notre temps le point culminant de l’action de Dieu dans notre histoire? Est-ce que nous réalisons encore qu’ainsi, nous décrivons la succession des années non pas comme un éternel recommencement, à l’image des religions hindoues par exemple, mais comme un mouvement qui part d’un début et qui va vers une fin? “Au commencement, Dieu créa...”. Le temps ne tourne pas en rond, Dieu y travaille! Et il voudrait nous y faire travailler avec lui!
   

Mais attention! N’allez pas en déduire que l’humanité avance sans cesse, en progressant constamment. On est bien revenu de cette théorie moderniste. Il suffit d’ailleurs de regarder comment va notre terre!

Non, l’histoire du monde, selon la Bible, elle est plutôt décrite comme une succession de crises où se manifestent à la fois l’orgueil humain et la ténacité de la fidélité de Dieu! Chaque jour, chaque année sont des invitations à renverser le premier, l’orgueil, pour faire mieux place au second, le projet de Dieu.

Le temps est donc précieux, il nous est donné comme une matière première à transformer, ou un terrain à cultiver. Rien n’est moins biblique que de chercher à “tuer le temps” ou à le fuir. Au contraire, mettez-le à profit, inscrivez votre temps dans celui de Dieu! Le temps du travail; celui des loisirs; celui du repos; celui dédié à la famille ou aux amis: le temps qui nous est donné est une chance: faites-y fleurir l’espérance, la solidarité, la paix qui viennent de Dieu!

Et même si vous n’y parvenez pas, ne craignez rien. Dieu connaît nos limites. Souvenez-vous de la parabole du figuier, lui qui n’avait donné aucun fruit en trois ans. Le vigneron, c’est-à-dire le Christ, insiste pour lui offrir encore une chance. Il sait que nous avons besoin de beaucoup de temps. Et il nous le donne. Il nous le donne.
  

Je disais tout-à-l’heure que vous allez voir Dieu, l’année prochaine. Vous avez peut-être compris en cours de route que Dieu est dans notre temps; et que nous l’y verrons, si nous savons le regarder! Que Dieu travaille dans notre temps, et que nous l’y verrons, si nous retroussons nos manches à ses côtés!   En disant “2018”, déjà nous disons que Dieu y est venu, dans notre histoire, en Jésus. Espérons que le “politiquement correct” n’en arrive pas à bannir cette référence au Christ!
  

À la veille de cette année, j’ai envie de terminer par un voeu. Celui-ci: que notre temps, celui de l’action et celui de la prière, celui de la fête et celui de la souffrance, celui de l’amour... que  les temps et les moments qui se succéderont pour nous cette année deviennent mieux un antidote efficace contre le découragement; contre l’égoïsme et la peur! Un ferment d’espérance! Un champ où puissent éclore les fleurs colorées de l’amour de Dieu. Amen.


Jean-Jacques Corbaz    



mardi 26 décembre 2017

(Co, Pr) Le Noël d’Ahmed

Culte d’Ollon, le 25 décembre 2017

Lectures : Luc 2, 1-20; Esaïe 2, 2-5

C’est l’histoire d’un jeune homme appelé Vincent. Vincent fait partie d’une caravane qui traverse le Sahara, au mois de décembre. Avec ses compagnons, il avance lentement, au pas tranquille des chameaux lourdement chargés, dans le désert rempli de lumière et de soleil.

Jour après jour, il ne se passe presque rien: le matin, le guide réveille la caravane en chantant ses prières... Tous boivent leur café puis se remettent en selle. Et après, le temps passe à regarder l’horizon, le sable et les dunes, le vide et... le silence...

Parfois, un chameau trébuche, ou bien une gourde tinte. Ou encore, le guide se met à chanter d’une voix chaude et sereine, et le désert devient plus lumineux encore.

Le soir, le camp s’organise. L’un fait le pain, un autre le feu. La nuit tombe; et, dans l’obscurité, les caravaniers contemplent les étincelles danser au-dessus des flammes et s’en aller rejoindre les étoiles.
 


Mais un jour, Vincent et ses compagnons reçoivent une visite. Imprévue. C’est un jeune garçon qui porte un long vêtement très ample et un turban enroulé sur le visage; ça lui donne un air de profond mystère. On ne lui voit que les yeux, immenses.

Le jeune garçon tend une théière vide à Vincent, pour demander de l’eau. Puis, satisfait, il s’assied sans un mot.

Le lendemain, quand la caravane repart, il prend la route avec eux. Il marche sur la piste au même rythme lent que les chameaux.   Et cela tous les jours suivants aussi. Au bout d’une semaine, Vincent apprend qu’il s’appelle Ahmed, et peu à peu ils deviennent presque amis.

Ahmed est chamelier. Il va chercher trois dromadaires dans un village, au-delà du désert. Avant de rencontrer la caravane, il se déplaçait seul, avec son bâton, sa gourde et sa théière.

Chaque jour, il apprend quelque chose à Vincent: il lui enseigne à distinguer les dunes, à repérer la piste quand elle se perd dans le sable; il lui montre comment reconnaître de loin les arbustes dont il cueille les branches pour les sucer. Les caravaniers appellent ces plantes les “arbres-brosses-à-dents”.

Ahmed apprend aussi à Vincent à verser le thé le plus haut possible sans en renverser une goutte... A deviner les points d’eau si utiles, puisque le précieux liquide est rare. Et que sans lui, on est perdu.

Ce jeune garçon qui n’a rien, c’est lui qui sait tout. Il apprend à ses nouveaux amis simplement à regarder.
 

 
 

Mais, le soir du 24 décembre, c’est à Vincent d’apprendre quelque chose à Ahmed. Il lui raconte l’histoire de Noël. La naissance de Jésus... La fête à l’église... Les sapins qu’on décore... Les bougies, qui sentent si bon... Les cadeaux dans la cheminée... Le Père Noël... Les surprises...

Ahmed écoute en silence, bouche ouverte. À chaque nouveau détail, ses yeux s’agrandissent encore, on dirait qu’ils vont pousser jusque sur son turban!

Mais ça n’est pas facile d’expliquer Noël au milieu du désert... pas facile d’imaginer un sapin dans ce pays sans arbre... ni surtout une cheminée sur cette terre brûlante!

- Tu vois, fait Vincent, Noël, c’est la fête des enfants. C’est le plus beau jour de l’année!

- Ah, mais non, ça n’est pas possible, réplique Ahmed. Le plus beau jour de l’année, c’est le premier jour de pluie après la sécheresse... quand l’herbe ne poussait plus tellement il faisait sec, que les bêtes avaient soif, si soif... Et puis tout à coup, voilà l’eau qui tombe, et tombe, comme une promesse! Ce jour-là, les femmes se mettent à chanter et danser, c’est la joie! Les chèvres tirent la langue pour attraper les gouttes au passage! Les enfants sautent dans les flaques d’eau! Et j’appelle mes chameaux, et je danse avec eux! Quand il recommence à pleuvoir, toute la vie renaît, c’est vraiment le plus beau jour du monde!

Ahmed s’arrête, essoufflé. Puis il réfléchit un temps; et demande:

- En fait, tu as dit que le Père Noël apporte des cadeaux à tous les enfants de la terre. Alors, pourquoi il n’est jamais venu vers moi?

- Euh, fait Vincent, c’est peut-être parce qu’il n’y a pas de sapin...

- Ou pas de soulier, dit un autre... Tu n’as que des sandales...

- Ou pas de cheminée, dit un troisième...

Ahmed quitte ses compagnons et grimpe sur une petite dune, légèrement à l’écart. Debout, immobile, il reste là longtemps, comme s’il avait un problème difficile à résoudre. Le vent du soir s’est levé, et fait danser la toile de son habit autour de son corps dressé. Seul, ainsi, Ahmed a l’air d’un roi. Debout face au désert. Dans ce pays trop sec, même les larmes ne coulent pas.

   


Quand Ahmed redescend enfin, il fait nuit. Alors, près du feu, il apporte de grosses pierres et... il construit... une cheminée!?

Il plante son bâton dans le sable durci, et, avec quelques petites branches d’“arbre-brosses-à-dents”, il fabrique... quelque chose qui ressemble un peu à... à un sapin?! Il enroule la longue étoffe de son turban autour de son drôle d’arbre, y accroche sa théière en guise de guirlande... Avec quelques cailloux qui brillent au clair de lune, avec les étoiles dans le ciel, on dirait presque une décoration de Noël.

- Vincent, demande Ahmed, peux-tu me prêter une de tes bottes?

Vincent sourit, mais il est en même temps un peu embarrassé. Pas à cause de la botte, bien sûr. Mais parce que la belle légende du Père Noël a fait rêver Ahmed, rêver tellement fort que le réveil, demain, va être pénible.

Tandis que le jeune bédouin chante sa prière tout plein d’espoir avant de dormir, Vincent réfléchit. Soudain, il a une idée! Et tous les Européens de la caravane pensent la même chose.

   

Arrive le matin. Ahmed se réveille en même temps que les autres. Et tout de suite, il court vers sa cheminée improvisée, et la botte qui se dresse fièrement devant.

A l’intérieur de la chaussure, il voit un petit paquet entouré de papier doré, comme un trésor. Le jeune bédouin ouvre, très vite. Il découvre une photo, une photo qui représente une jolie maison européenne avec deux personnes assises devant. Un homme et une femme, aux cheveux gris.

Rien d’autre? Ahmed retourne le cliché. Derrière, une écriture élégante qu’il peine à déchiffrer:

 “Je souhaite un très joyeux Noël à mon ami Ahmed. Je suis tombé en panne avec mon hélicoptère, impossible de lui amener les cadeaux que je lui destine. Je les lui apporterai l’année prochaine, le 25 décembre, dans la maison de la photo. Signé: le Père Noël.”

Les yeux du jeune chamelier paraissent encore plus grands que la veille.

- Eh mais! dit Vincent en feignant l’étonnement, mais c’est ma maison! Ce sont mes parents! Ahmed, l’année prochaine, tu viendras passer Noël chez moi! Tu seras notre invité!

 
 
Et c’est ainsi qu’un petit chamelier a pu voir, réellement, la fête de la naissance de Jésus; et en découvrir de l’intérieur la dimension extraordinaire de la générosité. Celle des êtres humains, qui reflète celle, infinie, de Dieu. Ça s’est passé en Suisse, pas loin d’ici. Une année après l’étonnante histoire que je viens de vous raconter.

Vincent ne l’a jamais oublié.


Nicolas-Jean Bréhon.  Adaptation J-J Corbaz   



 

À méditer aussi ce mot de l’homme politique et chrétien engagé Pierre Aguet:

“Jésus a résumé et précisé les règles de l’humilité et de l’amour du prochain en montrant l’exemple. L’une de ces règles n’est autre que la générosité. J’ose comparer un pommier qui donne beaucoup de fruits à un humain sans cesse au service des autres. Toute vie est faite pour démultiplier la générosité. C’est le sens même de la vie. Ceux qui, bloqués par l’égoïsme, s’écartent de cette règle se privent de ce qui conduit à l’harmonie et au véritable bonheur.” 
 


(Po) Noël, le coeur de Dieu

 Noël, c’est le coeur de Dieu posé sur notre terre,
Offert à nos aveux, fragile, insondable mystère
Et pourtant, sous nos yeux, obstinément lumière;
C’est tout l’amour de Dieu, sa tendresse de père
Vivante à l’infini.
 
Noël, c’est le regard de Dieu posé sur notre monde,
La vie qu’il a bâtie, qu’il espère et qu’il veut,
Qu’il sème et qu’il féconde;
C’est un amour de frère qui veut ouvrir la ronde
D’un univers guéri de ses pires folies.
 
Noël, c’est une mort, offerte un vendredi
Qui s’annonce à l’aurore
Pour nous rendre plus forts.
Noël, c’est notre vie.
 
Jean-Jacques Corbaz

 

mardi 19 décembre 2017

(Ci, Ré) La paix se construit dans le dialogue

Anselm Grün à propos de la paix de Noël


"Souvenons-nous qu’en grec ancien (la langue d’origine des textes du Nouveau Testament qui parlent de paix), le mot "eirene" (paix) vient de la musique, et signifie le fait que plusieurs sons différents jouent ensemble. Le mot latin "pax" (paix) renvoie à la négociation, au fait de tomber d’accord sur quelque chose dont on discute.

Une vraie paix ne naît que si les personnes, avec leurs besoins et leurs opinions propres, sont chacune reconnue pour ce qu’elles sont, et se parlent. Il ne s’agit pas alors d’aboutir à une opinion uniforme, mais plutôt de cheminer dans le dialogue, pour reconnaître les raisons et les fondements propres à l’opinion de chacun.


Le récit de l’Evangile de Luc (Luc 1.78-79, version Parole de Vie) nous rapporte le cantique de Zacharie : « Notre Dieu est plein de tendresse et de bonté. Il a fait briller sur nous une lumière venue d’en haut, comme celle du soleil levant. Elle éclairera ceux qui vivent dans la nuit et dans l’ombre de la mort, elle guidera nos pas sur la route de la paix ». 


La paix est un chemin, une route à parcourir. Elle n’a rien de statique, elle est un parcours à poursuivre ensemble dans l’échange. C’est ainsi qu’elle se fait jour, comme une lumière apaisante, dans les paroles et les regards reçus et donnés."


Anselm Grün

dimanche 17 décembre 2017

(Pr, Co) Le saule le trésor et la lumière du monde

Prédication du 17.12.17

Lectures: 2 Corinthiens 4, 6-9; Matthieu 13, 44


C’est l’histoire de François Mallet, il y a longtemps, pendant la guerre. François a trente ans, et rêve de se marier. Depuis la mort de ses parents, il est seul dans la ferme, trop grande. Il n’a avec lui qu’un vieux domestique de campagne, Armand. Et puis quelques économies: une épaisse liasse de billets, de l’argent qu’il a hérité de ses parents, et qu’il garde précieusement dans un petit coffre, pour rénover sa maison, le jour où il se mariera.

Hélas, François ne pourra pas réaliser ses rêves. Un jour, le facteur lui apporte une grosse lettre: il est mobilisé. Départ dans quelques jours pour l’armée. La guerre.

Armand, le domestique, est trop âgé pour être appelé sous les drapeaux. Alors, François lui confie la ferme et les travaux des champs. “Ne t’en fais pas, dit Armand, tu peux compter sur moi!”

Rassuré, François peut partir délivré de ce souci. Mais lui reste un problème: que faire avec le coffre et l’argent? Les banques risquent de tomber entre les mains des ennemis, c’est trop risqué. La ferme elle-même peut être attaquée. Donc, il faut cacher son petit trésor. Mais où?

Tout-à-coup, il a une idée: les saules! En effet, il y a, à côté de sa grange, une rangée de vieux saules creux où il allait jouer quand il était petit. Depuis longtemps, il n’y a plus d’enfant dans la ferme, et personne n’y va plus. Ce sera une excellente cachette!

François va vers les saules et les examine bien, ils n’ont pas changé. Il voit que le cinquième saule est profond, ça ira extra!   Il monte sur une échelle, et laisse descendre son précieux coffret au bout d’une corde. Personne ne l’a vu, ouf!

Et puis François passe chez son voisin, le père Jules. Il lui explique ce qu’il a fait. “Je sais que je peux te faire confiance, Jules.   Je n’ai pas d’enfant. Si des fois je ne reviens pas de cette guerre, j’aimerais que mon argent soit donné à Armand, il m’a tellement aidé. Si je devais mourir, serais-tu d’accord de simplement lui indiquer la cachette et de lui dire de profiter de cet argent pour ses vieux jours?”

Jules accepte, bien sûr, et promet à François de ne jamais divulguer son secret. “Ne t’en fais pas, tu peux compter sur moi!”

                            



Pendant six mois, François est sous les drapeaux, sans avoir la moindre nouvelle. Et puis, pas de chance, il est fait prisonnier. Il reste quatre ans en Allemagne, dans un camp. Et ce n’est que lorsque la paix est revenue qu’il peut enfin rentrer à la maison.

Et ce qu’il redoutait est arrivé: l’armée ennemie a pris le village; et sa ferme, comme la plupart des autres, est à moitié détruite, portes enfoncées, fenêtres arrachées; à l’abandon. On lui raconte qu’Armand, son domestique, n’a pas réussi à empêcher les soldats de piller la maison. Et qu’il a dû aller travailler dans un village voisin.

Le coeur battant, François se dirige vers les saules. Son argent ne sera pas de trop pour réparer sa ferme et racheter quelques vaches. Ouf, les arbres creux sont toujours là. Un, deux, trois, quatre... François monte dans le cinquième, et cherche son coffret. Hélas, rien! Pas le moindre objet à l’intérieur du vieux saule!

Plein de colère, il court chez le père Jules et lui tombe dessus: “Mon argent! Mon coffret! Qu’en as-tu fait?”

Etonné, Jules jure ses grands dieux qu’il n’a pas touché ni l’arbre ni la cassette. Et qu’il n’a rien dit à personne.

- Menteur! crie François, dans une fureur noire. Tu m’as volé, sale hypocrite! Il traite Jules de tous les noms. Et s’en va, en claquant la porte.


                             



Quelques jours après, il y a un décès au village. C’est la vieille Marguerite, la plus pauvre de la commune. À cette occasion, François revoit son ancien domestique, Armand. Ce dernier lui raconte ses tribulations, et son impuissance à empêcher l’armée ennemie de s’emparer de la ferme.

Puis ils parlent de Marguerite. “Elle n’avait pas tous les jours à manger, se souvient l’ancien domestique, tant la misère l’accablait. Un hiver, la foudre est tombée sur un des saules à côté de la ferme. Alors, j’ai coupé à la hache tous les morceaux de cet arbre cassé, et je les ai donnés à Marguerite, pour qu’elle puisse se chauffer...”

En entendant cela, aussitôt, François se lève. Tout pâle, il prend Armand par les épaules, et sa voix tremble quand il demande:
- “C’était... quel saule?”

- Ben, c’était le premier depuis la grange. Pourquoi?

Aussitôt, François court vers les arbres. Et dans le quatrième saule, il trouve son précieux coffret. Et l’argent qu’il avait caché!


 
C’est Armand qui m’a raconté cette histoire. Il a ajouté que François lui avait donné deux gros billets, pour le remercier. Et qu’ensuite, François avait couru chez le père Jules, pour tout lui expliquer. Et lui demander, tout honteux, de l’excuser. Depuis, les deux paysans se sont réconciliés et ils s’entraident pour leurs travaux.

                            



“Ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile”. Il y a le trésor, et il y a ce qui le contient: un saule creux, un pot de terre... une armoire. Le trésor est important, il a beaucoup de valeur; mais ce qui contient le trésor est tout aussi important, même s’il n’a aucune valeur en lui-même. Tout aussi important justement parce qu’il contient le trésor! Ce n’est plus un vieux saule comme il y en avait des milliers, un vieux saule qui ne valait trois fois rien; il est devenu un arbre d’une immense valeur! Quelle différence de prix entre le quatrième saule et le cinquième, tout à coup! À cause de ce qui est dedans!

“Ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile”. Nous sommes faibles, mal foutus, écrasés par les accidents de la vie. Nous sommes fissurés, fêlés, à deux doigts de la rupture. Pourtant, toujours, nous restons debout dans notre espérance, parce que Dieu a fait de nous les dépositaires de sa lumière fabuleuse. Le trésor de sa passion pour nous, de ses promesses de pardon, il l’a placé dans nos coeurs. Par le Christ, nous devenons non plus de simples saules (encore moins des saules pleureurs!); non plus de simples ensembles de muscles, de peau, de sang: nous devenons enfants de Dieu, adoptés par amour.

Davantage encore, nous devenons ainsi, logiquement, frères et soeurs, appelés à vivre réconciliés, comme François et Jules; à reconstruire un monde où règnent la justice et la paix.
                                   

  
Dans le Nouveau Testament, nous sommes tous des saint(e)s. Savez-vous que les auréoles ont été inventées, au Moyen Âge, pour montrer que les chrétiens (tous les chrétiens!) étaient habités d'une lumière vive, reçue d'En-Haut, et qui rayonnait autour d'eux? Ce disque lumineux autour de la tête voulait dire: "Voilà quelqu'un qui a su laisser vivre en lui la Clarté majuscule de Dieu, quelqu'un qui sait aussi la diffuser autour de lui par ses paroles ou par ses actes".

La lumière de Noël nous est donc donnée pour qu’elle rayonne et pétille autour de nous! Gestes de bonté, de respect pour celles et ceux qui nous entourent; gestes de confiance et d’espérance; gestes de reconnaissance aussi: nous reconnaissons être les dépositaires de ce trésor immense. Qui que nous soyons. Tout ébréchés que nous sommes: n’est-ce pas à travers nos fêlures que la clarté de Dieu peut sortir de nous?

À Noël, le Christ nous dit: “Tu es un vase qui contient le trésor du Père, sa lumière. Tu es mille fois précieuse, mille fois précieux. Puisse la clarté du Ciel illuminer le monde autour de toi! Paix sur la Terre à chacun(e) de vous les bienaimés, les passionnaimés de Dieu”.  Amen


 
Jean-Jacques Corbaz  


Et après l’interlude, cette jolie phrase de Jean-François Ramelet: 
“C’est parce que Jésus Christ ne fait d’ombre à personne qu’il est lumière du monde.”

(Co) Elias, la chaleur donnée

Conte du 17 décembre

Il était une fois un petit garçon qui s’appelait Elias. Elias avait toujours froid. Froid sur sa peau, et froid dans son coeur. Il y avait tellement peu de soleil, dans son pays! Il faisait si souvent nuit! Et puis, les adultes n’avaient jamais le temps de s’occuper des enfants...

Alors, un jour, Elias décide de partir. Il se met à marcher, pour essayer de trouver ce qui pourrait le réchauffer.

Il marche longtemps, longtemps... Et voilà que la nuit s’épaissit encore, et le froid qui le mord...

Au ciel, Elias voit des étoiles. Mais, se dit-il, les étoiles!? Elles ont du feu, c’est ça qui les fait briller, dans le noir. Elles pourraient peut-être m’en donner??

- Ohé, les étoiles, crie Elias. Vous n’auriez pas du feu pour moi? J’ai si froid!

- Bien sûr, répondent les étoiles. Nous avons du feu, mais nous sommes si loin! Tu ne peux pas venir jusqu’à nous.

- Oh, dit Elias. Mais est-ce que vous pourriez m’envoyer un peu de chaleur? S’il vous plaît!

- Hélas, nous sommes trop loin, disent les étoiles. Tu ne recevras pas grand-chose. Mais nous voulons bien essayer. Couche-toi dans un creux de la terre, et nous allons t’envoyer le plus possible de lumière.

Elias se couche dans un creux du sol, et les étoiles tiennent parole. Le ciel se remplit d’une douce lumière, couleur d’espoir. Bien sûr, ça ne donne pas beaucoup de chaleur. Mais au moins, Elias se sent moins seul. Il a un peu moins froid à la peau, et un peu plus chaud au coeur. Il s’endort, apaisé. Comme bercé par une musique douce.

         
                            


Quand il se réveille, les étoiles ont presque disparu. C’est le matin. Elias a toujours froid, mais froid...

Il faudrait faire du feu, se dit-il. Et là, il se souvient, son grand-papa lui a montré un jour comment allumer un feu avec deux pierres. Elias cherche des pierres à feu, comme son grand-papa lui a montré. Il finit par en trouver, et il les frotte l’une contre l’autre, au-dessus d’un petit tas de brindilles qu’il a rassemblées. Il frotte longtemps, il se fait mal aux doigts, ça ne marche pas...

- Pourtant, avec grand-papa, le feu s’allumait!

Il frotte encore, il a envie de pleurer. Et soudain, une étincelle, et une autre! Une petite flamme s’allume, et le petit tas se met à brûler. Vite, Elias ajoute un peu de bois sec, puis encore... Le feu grandit, il réchauffe l’enfant, mmmmhh, c’est bon!

Quand le soir arrive, Elias se couche à côté du foyer. Il s’endort, bercé par les braises, qui chantonnent les vieilles mélodies du début du monde.
 



 
 

Mais c’est la pluie, mêlée de neige, qui le réveille. Elias a froid. Le feu s’est éteint, le bois est tout mouillé. Il a beau recommencer à frotter les cailloux, il n’y a plus d’étincelle.

- Oh, j’ai trop froid, dit l’enfant. Et il recommence à marcher, pour trouver un endroit à l’abri du vent et de la pluie.

C’est ainsi qu’il découvre la caverne. Il entre. Il y fait presque bon. Et il y a là un gros tas de feuilles mortes qui font comme une couverture... Elias se glisse dessous...

Tout à coup, il entend un bruit. Il y a quelqu’un dans la caverne!

- Y... y a quelqu’un? crie le garçon, tout apeuré.

- Oui, y a quelqu’un, fait une grosse voix.

Elias écarquille les yeux. Devant lui, il voit un ours, un ours énorme, qui le regarde, sans méchanceté.

- As-tu du feu? demande l’enfant.

L’ours se gratte la tête, un peu ennuyé.

- Non, je n’ai pas de feu. Mais je veux bien te réchauffer. Viens!

Elias se lève. Il n’est pas très rassuré: l’ours est si gros! Mais un ours qui parle, ça ne peut pas être méchant.

L’ours prend le petit garçon tout contre lui. Il le serre doucement, et le berce, comme une maman.Elias a tout plein de poils de l’ours dans le nez et les oreilles, mais il sent une bonne chaleur qui lui vient. Il découvre qu’il n’a jamais eu aussi chaud, sur la peau et dans son coeur.

- Tu pourras rester quelques jours, dit le gros ours. Mais après,   il faudra que tu partes.

- Mais pourquoi? demande Elias. Je suis si bien, avec toi!

- Ce n’est pas possible, dit le gros poilu. Tu es un enfant d’homme, et moi, je suis un ours. Mais je connais quelqu’un qui pourra te donner du feu, c’est le potier. Je te montrerai le chemin. Maintenant, repose-toi, nous allons te donner le plus possible de chaleur.

Le garçon se laisse faire. À travers la poitrine de l’ours, il entend battre le coeur de son nouvel ami. Ça fait comme un son de contrebasse.
  

 
 
 

Trois jours après, Elias s’en va, triste de quitter la famille des ours: c’est si bon, avec eux! Mais il n’a pas le choix.

Il arrive chez le potier, qui est en train de fabriquer un immense pot, une espèce de cruche.

- Tu viens chercher la cruche à feu? demande l’homme. Regarde: il y a des trous pour que les flammes puissent respirer. Tu ajouteras du bois quand les braises deviendront toutes petites. Ainsi, tu pourras faire du feu partout, et la pluie ne l’éteindra pas.

L’enfant attend, impatiemment, que la cruche soit prête. C’est long! Mais finalement, le potier la lui donne.

- Tu peux la prendre, elle est finie. Je te donne aussi des braises, et du bois. Au revoir, Elias!

                                    

                        

Le garçon s’en va, emportant, délicatement, son précieux trésor. Il est heureux, même s’il sent encore un peu le froid. Surtout que cette nuit-là est encore plus glaciale que les autres. Brrrr!

C’est une toute petite lumière qui le guide vers une maison, ou plutôt vers une sorte d’abri pour les vaches ou les moutons. Il entre. Il lui semble que tous les courants d’air de la terre se sont donné rendez-vous dans cette étable.

Il y a là un homme et une femme, penchés sur un tas de paille. Et, sur la paille, à côté d’un mouton, il y a... un tout petit bébé.

- S’il te plaît, dit l’homme, ferme la porte. Il fait si froid!

- Vous avez froid? demande Elias.

- Oh oui, répond l’homme, terriblement froid. Surtout notre enfant. Nous ne savons plus que faire pour le réchauffer.

Elias est très étonné.

- Mais vous n’êtes pas allés à l’hôtel?

- À l’hôtel? Ils n’ont pas voulu de nous. Et tout est plein.

Le garçon reste longtemps silencieux... Il regarde l’homme, et la femme. Et le bébé.

Puis il se décide.

- Ecoutez... j’ai peut-être une idée. Je vous prête ma cruche à feu. Et puis...

- Et puis? dit la femme.

- Eh bien, je pourrais prendre le petit dans mes bras pour le réchauffer. Comme l’ours m’a montré. Si vous êtes d’accord?

- Oh merci, dit la femme. Tu sauras très bien faire cela, j’en suis sûre.

Elias prend le bébé dans ses bras, doucement, tout contre lui. Il le serre avec précautions. Il le réchauffe. Et tout à coup, mais? Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il sent que son coeur devient chaud, mais chaud... Il y a en lui comme un feu merveilleux, et ça vient de ce petit enfant qu’il tient dans ses bras! Ça vient de la chaleur que lui, Elias, a donnée au bébé!

Il se sent tout heureux, comme il ne l’a jamais été. Il se met à chanter, comme un ange... Et on raconte que, depuis, plus jamais il n’a eu froid, ni sur la peau, ni dans son coeur.



 

Joël Allaz et Jean-Jacques Corbaz 



(Co) Le chant du pipeau


Le chant du pipeau

Dans un pays d’Orient, des roseaux se balancent au bord d’une rivière. Il y en a de très grands, très beaux. Ils dressent fièrement leurs longues tiges. Ils regardent dans l’eau le reflet de leurs feuilles coupantes. Ils admirent la légèreté de leurs fleurs: on dirait des bouquets de plumes blanches.
Il y a aussi des roseaux plus petits. Ceux-là se tiennent tranquilles entre les grands. Pourtant, le vent qui passe fait chanter tous les roseaux.
Tous? Non. Car il y en a un, vraiment très, très petit, pas très joli, qui ne chante pas. Il murmure tristement, pour lui seul:
- Je ne peux pas chanter. Je ne pourrai jamais. Je suis trop petit ! Le vent n’arrive pas jusqu’à moi. Oh, comme j’aimerais chanter moi aussi !
 
Près de la rivière, il y a  des bergers qui gardent leurs moutons. L’air est chaud dans ce pays d’Orient. Aussi, le troupeau et les bergers restent-ils dehors toute la nuit.

Une nuit, il y a étonnamment davantage d’étoiles que d’habitude. Puis une grande lumière  apparaît dans le ciel.
Les bergers ont un peu peur. Ils n’osent pas lever les yeux.
Mais des voix très douces, très belles, se font entendre:
- N’ayez pas peur, bergers !  Nous vous annonçons une grande nouvelle: un Roi est né pour vous sauver, pour vous dire que Dieu va vous pardonner. Allez l’adorer ! Ce n’est qu’un bébé encore. Vous le trouverez couché dans une crèche, dans une pauvre étable. Partez, bergers, et annoncez à tous la bonne nouvelle !
Ce sont les anges qui parlent ainsi. Ils chantent aussi de leurs voix pures. Et leurs chants remplissent le ciel.
 
Les bergers n’ont plus peur. Pourtant, ils se demandent si vraiment ils doivent partir?
- Mais oui, nous devons y aller, puisque les anges l’ont dit !
C’est Raphaël, le plus jeune de tous - encore un très petit garçon - qui a parlé. Lui n’a pas eu peur un seul moment. Il a regardé, émerveillé, les grandes belles étoiles de cette nuit-là. Et quand il a entendu la voix des anges, il n’a pas été étonné du tout.
- Bon, dit le vieux berger-chef, nous partirons donc. Mais puisque cet enfant à la crèche est un Roi, il faut que nous lui apportions des cadeaux.
Et voilà tous les bergers qui cherchent ce qu’ils ont de mieux à offrir. L’un prend un agneau nouveau-né. Un autre prépare des fruits dans une corbeille de jonc. Le troisième lie une grosse gerbe de blé. Un autre encore remplit un pot de miel.
- Et moi, pense Raphaël, qu’est-ce que je vais offrir au petit Roi ? Je n’ai rien, rien du tout qui soit à moi!
Et il se désole en écoutant le vent qui passe dans les roseaux. Alors, une idée lui vient; un grand sourire éclaire son visage :
- Je sais ! Je vais faire un pipeau et je le lui donnerai !
Raphaël descend vers la rivière. Il écarte les hauts roseaux fiers. Ce ne  sont pas ceux-là qu’il veut. Il se baisse. Il cherche. Il ne voit pas très clair malgré toutes les étoiles qui brillent jusque dans l’eau.
- Voilà! J’ai trouvé celui qu’il me faut ! crie enfin Raphaël tout content.
Il coupe délicatement un petit roseau à moitié étouffé parmi les grands. Et c’est - vous l’avez deviné - c’est justement le petit roseau qui aurait tant voulu chanter !
Raphaël sait très bien tailler les pipeaux. Pendant que les bergers se préparent, il a vite fait de fignoler le sien.
- Regardez, vous autres, ce que je vais offrir au petit Roi ! dit Raphaël aux bergers.
- Quoi ? ce bête pipeau ? Tu rêves mon garçon!
- Et d’abord, l’enfant est trop petit pour en jouer !
- Et sûr que sa mère ne voudra pas s’encombrer de cette saleté !
 
- Oh! murmure tristement Raphaël
- Oh! souffle tristement le roseau.
- Tant pis, pense Raphaël, nous irons quand même là-bas, mon pipeau et moi. Nous verrons bien !

Ce qu’ils on vu, d’abord, c’est une très pauvre maison. Mais, au-dessus, brille une grande étoile.

Les bergers entrent. Ils s’agenouillent devant la crèche où repose le petit enfant. Et ils offrent leurs présents :
- Marie, voici du miel pour votre bébé.
- Voici un agneau nouveau-né qui vous donnera sa laine et son lait plus tard.
- Voici du blé pour en faire du pain.
- Voici des fruits pour calmer votre soif.
- Oh, merci, bonnes gens, merci beaucoup! dit Marie.
Alors, tout à coup, on entend un chant très pur, très doux, très beau.
Si beau que chacun se tait.

Ce chant est si doux que Marie sent couler de douces larmes sur ses joues.
Si pur que le petit enfant regarde vers le coin le plus sombre de l’étable.
Et là, se tient Raphaël, jouant de son pipeau. Jouant de tout son cœur, de toute sa joie.
Un petit berger qui n’avait rien à offrir,
Un petit roseau qui pouvait -enfin- chanter.


Anonyme. Adaptation J-J Corbaz


dimanche 12 novembre 2017

(Pr, SB, Vu) "Proche et reproche, belote et rebelote"

12.11.2017 “Amour et reproches: comme toi-même?”

Lectures: Lévitique 19, 17-18; Galates 6, 1-2; Jean 15, 9-13

“Tu aimeras ton prochain comme toi-même”: tarte à la crème du christianisme? Rengaine moralisante? Banalité poussiéreuse? Monsieur le pasteur, changez de disque, SVP!

Et le pasteur dit “non”! Non, ce n’est pas ce que vous croyez, si vous pensez qu’aimer son prochain comme soi-même, c’est être gentil, peut-être? Ou avoir des sentiments d’affection, de tendresse, à l’exemple de Jésus? Pourquoi pas se laisser flageller ou tondre par les autres, sans rien dire, et “tendre l’autre joue”, selon le mot de l’évangile?

Alors asseyez-vous, bouclez votre ceinture et partons ensemble à l’aventure! À la découverte de l’amour du prochain.
 

Première surprise: ce n’est pas Jésus qui a inventé la formule. Ni les 10 commandements de Moïse. La plus ancienne mention, dans la Bible, de “Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, c’est ce passage du livre du Lévitique que nous avons ouvert ce matin. Un texte qui a été rédigé probablement pendant l’Exil à Babylone, dans un temps où les déportés vivaient une situation désespérante. Nous y reviendrons.



Deuxième surprise: la demande “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” ne nous est pas donnée comme une morale. Mais plutôt comme la conséquence d’une bonne gestion des conflits! Je m’explique. Le passage commence par ces affirmations inattendues (traduction la plus fidèle possible): Tu ne laisseras pas de haine dans le secret de ton coeur à l’égard de ton frère, tu n’hésiteras pas à lui faire des reproches afin de ne pas te charger d’un péché envers lui. Tu ne te vengeras pas toi-même et tu ne garderas pas de rancune contre tes compatriotes. C’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur”.

Avant donc de nous parler d’aimer, la Bible nous demande d’exprimer nos reproches, de réprimander! On nous avait pourtant bien appris que ce n’est pas gentil de gronder, de chicaner, de blâmer! Et pourtant, selon ce passage du Lévitique, aimer son prochain, c’est d’abord lui adresser des réprimandes, sans hésiter, si nous en avons sur le coeur!

Faire des reproches à son prochain, c’est encore se rapprocher de lui. Et vous avez bien entendu qu’il y a la même racine dans ces trois mots. Reproches, prochain, se rapprocher: il y a toujours l’adjectif “proche”.
  


Troisième surprise: ce commandement de réprimander son frère (ou sa soeur) n’est pas une bonne action, à bien plaire, un petit “plus” facultatif pour bons élèves, Non, ce commandement nous est donné (je cite le Lévitique) “afin de ne pas te charger d’un péché envers lui”! “Tu n’hésiteras pas à le réprimander afin de ne pas te charger d’un péché envers lui”. Purée! La Bible sort vraiment l’artillerie lourde, sur ce verset! S’abstenir de dire nos reproches, c’est un péché!?

Pour bien comprendre cela, il faut se souvenir que le péché, dans l’Ancien Testament (AT), ce n’est ni une mauvaise action parmi les autres, ni la porte de l’enfer. Dans l’AT, le péché, c’est tout ce qui nous sépare de Dieu. Tout ce qui nous sépare de Dieu et, par conséquent des autres humains. Oui, le péché, c’est une rupture de relation avec Dieu - et avec l’humanité où il nous appelle à vivre en communauté.

Si donc je garde mes reproches par-devers moi, si je laisse mes ressentiments macérer sans les exprimer, je coupe ma relation avec mon prochain, et du même coup (!) avec Dieu. Haïr en secret, c’est refuser de rencontrer l’autre, c’est fuir la relation avec ce frère. Au contraire, dire mes réprimandes, c’est permettre au lien de se reconstituer. Vous voyez que nous sommes très proches de la notion de paix dans l’AT; le shalom, la paix qui n’est pas l’absence de conflit, mais le fait de vivre en relation. La paix, c’est, au milieu des conflits, se tendre la main. Et se dire ce qu’on a sur le coeur.

Et la petite phrase qui conclut ce passage (je cite): “Je suis le Seigneur”, eh bien elle n’est pas là pour faire joli; ni pour donner un air plus pieux à ces exigences. Mais elle souligne que ces commandements viennent de Dieu, et que Dieu s‘engage lui-même dans leur mise en pratique. Les appliquer, c’est vivre notre relation avec Dieu, c’est ne pas pécher, donc ne pas nous couper de lui.

Résumons. Les réprimandes que nous avons sur l’estomac, Dieu nous demande de ne pas les laisser tourner en rancunes ou vengeances sournoises. Au contraire, n’hésitons pas à adresser des reproches à notre prochain, pour nous rapprocher de lui; et du même coup pour nous rapprocher de Dieu. Autrement dit, des réprimandes constructives! Vous imaginez le slogan sur les panneaux d’affichages de la SGA: “Des reproches au prochain, ça rapproche”!

   


Si vous n’êtes pas trop fatigués, j’aimerais ajouter 2 ou 3 choses (rassurez-vous, je n’ai pas de réprimandes à vous exprimer!). J’ai envie de faire encore quatre remarques.

1° Première remarque. J’ai fait une allusion à “tendre l’autre joue”; est-ce que ça ne dit pas exactement le contraire de notre passage? Eh bien non. J’ai beaucoup étudié ce verset, et je suis convaincu, avec de nombreux théologiens aujourd’hui, qu’il ne veut pas dire “se laisser frapper et encore frapper”, mais qu’il signifie “tendre une joue autre, différente, sortir de la relation “frappeur-frappé”; briser le cercle vicieux de la violence (voir prédication sur internet http://textesdejjcorbaz.blogspot.ch/2014/08/pr-sb-vu-lautre-joue-la-violence.html).
 
2° Deuxième remarque: il y a aimer et aimer. Nous entendons fréquemment ce verbe comme l’expression d’un sentiment. Mais un sentiment, ça ne se commande pas! Il est parfaitement inutile d’exiger qu’on aime. L’AT, quand il parle d’aimer, pense à l’autre aspect du mot: se comporter, concrètement, comme des gens qui s’aiment. La Bible ne nous demande jamais des inclinations, des émotions, des élans spontanés vers notre prochain. Elle nous invite à une conduite, à des gestes, des attitudes d’amour - ce qui est tout autre chose!


3° Troisième remarque, le prochain. Vous allez me dire “mais on ne peut pas aimer le monde entier comme cela. On s’y épuiserait!” - Et vous aurez mille fois raison.

Le livre du Lévitique s’adresse aux juifs en Exil, disions-nous. Dans un temps de grand désespoir, il s’agit de resserrer les liens du peuple déporté. On demande d’aimer les frères, les prochains, les compatriotes. L’AT ne demande pas de vivre ces “reproches qui rapprochent” avec tout le monde, mais à l’intérieur seulement d’Israël.

Ouf, pensez-vous! Cependant, n’oublions pas que Jésus, dans l’évangile, a étendu Israël au monde entier. C’est l’Eglise, universelle, qui est le nouveau peuple saint! Donc rien n’est simple, avec Dieu! Heureusement que le Christ, sur la croix, a donné sa vie par amour total pour nous, qui aimons si imparfaitement. Ne l’oublions jamais.


4° Dernière remarque: “comme soi-même”. Savez-vous qu’on trouve l’expression “aimer comme soi-même” dans un édit du roi d’Assyrie (donc un païen!) en 670 avant JC. Soit avant la rédaction du livre du Lévitique! Moralité: si Jésus n’a rien inventé sur ce chapitre, l’AT non plus. Nous avons affaire à une expression courante déjà dans l’antiquité. Et cette expression voulait dire, en général, que les sujets d’un roi, à la guerre, devaient être prêts à donner leur vie pour leur souverain; ils montreraient ainsi qu’ils aiment leur roi comme eux-mêmes.

Dans le Lévitique, comme plus tard dans l’évangile, il ne s’agit pas de se battre, bien sûr. Mais nous recevons aussi une exigence de nous conduire à l’égard des autres sans penser à soi d’abord. Pourtant, il faudrait une seconde prédication pour dire haut et fort aujourd’hui qu’il est parfois plus difficile de s’aimer soi-même que d’aimer autrui... À méditer...
  


 
Conclusion. “Tu ne laisseras pas de haine dans le secret de ton coeur à l’égard de ton frère, tu n’hésiteras pas à le réprimander afin de ne pas te charger d’un péché envers lui. Tu ne te vengeras pas toi-même et tu ne garderas pas de rancune contre tes compatriotes. C’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur”. La possibilité de haïr n’est pas niée. Il est normal d’en vouloir à une autre personne. Mais c’est le silence qui est coupable. C’est le silence qui nous coupe du prochain et de Dieu. Ce qui détruit, ce n’est pas la haine, mais c’est de ne pas l’exprimer; c’est de la laisser croupir, et macérer. Et tourner en rancune, ou vengeance mesquine.

Parler pour renouer le lien. Reprocher pour se rapprocher du prochain. Et de Dieu. Aimer, c’est se battre pour préserver ces relations-là. Amen

Jean-Jacques Corbaz