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lundi 2 décembre 2019

(Co, Pr) Ruth ou comment Dieu tient ses promesses


 Le racheteur  Esaïe 43, 1-4; Jean 6, 30-35; Luc 6, 47-49


C’était au temps où les juges siégeaient aux portes des bourgades, en Israël. C’était il y a longtemps.

Le village, là-haut, semble attendre. Le chemin qui y conduit monte sèchement. Deux femmes, deux silhouettes sombres, marchent dans la poussière. La première avance, droite comme un jeune cyprès, curieuse de tout, observant tout ce qui l’entoure. La seconde a les yeux fixés sur le sol, la tête penchée, trop lourde. Elles s’arrêtent un instant, pour souffler. La plus âgée lève la tête.

Autour d’elles, les oliviers s’étagent en moutonnements couleur vieil argent. Des champs de blé mûrissent au soleil. Et le puits, comme un berger. Le puits... Naomi se souvient. C’est là qu’il lui avait parlé, la première fois. Le dernier champ qui leur reste est juste un peu plus haut, oui, elle le voit d’ici: avoines folles et broussailles... un champ en friche. En friche, comme elle.

Cette année-là, il y a 14 ans, ce champ était sec comme un vieux cuir racorni, et les autres aussi. Des mois sans aucune pluie. Tout avait séché sur pied. Et bientôt, il avait fallu partir, il n’y avait plus de quoi faire du pain.

Partir, quitter la maison, fermer la porte; s’en aller tôt, un peu en cachette; en espérant revenir. Quand même, en descendant le chemin, elle s’est retournée, comme la femme de Lot, elle a regardé (une dernière fois?) le village, son village qui n’a plus de pain pour elle... Bethléem. La maison du pain. Un peu de son coeur a durci, là, en partant.

Plus loin dans la plaine, à une semaine de marche, s’étalait un pays de champs verts et gras. Le pays de Moab, dont le roi est éleveur! On les a bien accueillis, un peu comme des réfugiés. Les deux garçons se sont vite habitués, son mari a trouvé du travail, ils ont pu manger, se rassasier.

Moab, où l’eau ruisselle!

Mais ce n’était pas la maison; pas le même peuple; pas le même Dieu; pas le même lieu.

Surtout quand survient le malheur. Un jour, on a ramené son mari, Elimélek, couché. Il est mort en moins d’une semaine.

 


                                           








*                                           *

Elle est seule maintenant, avec cette blessure ouverte; et plus personne avec qui parler d’avant. Les garçons ont oublié, ils s’intègrent, comme on dit. Ils fréquentent des filles d’ici, des païennes. On arrange les mariages. Elle ne s’oppose pas: elle aimerait tant des petits-enfants! Assurer une descendance à Elimélek, et réveiller, avec un rire de petit, son coeur à elle, son coeur tout racorni...

Mais un jour, on ramène son fils Marhlôn, - mourant...

Puis un autre jour, on ramène son fils Kilyôn, mourant...

Il y a un mot pour dire qu’on n’a plus de parents; il y a un mot pour dire qu’on n’a plus de pays; un mot pour “sans mari” et un pour “sans femme”. Mais il n’y a pas de mot pour les deux fils qu’elle a perdus.


                                                    *                                    *
C’est alors qu’elle apprend que son peuple revit; la pluie est revenue, le blé pousse, et lui donne à nouveau du pain. Naomi décide de retourner chez elle, à Bethléem. Puisqu’elle est privée d’avenir, autant revenir au passé. Et quand ses belles-filles veulent la suivre, elle refuse:

- Rentrez chez vos parents. Retrouvez un autre homme, ayez des enfants. Moi, je n’ai plus de mari, plus de vie à vous offrir! En moi, il n’y a plus que l’amertume et la mort.

La première, Orpa, se met à pleurer. Elle prend congé de sa belle-mère et s’en va, toute triste. Mais Ruth, elle, lève les yeux sur le visage déjà vieux; sur les bras qui ont porté son mari, il y a longtemps - ces bras si frêles, maintenant. Comme de fines baguettes prêtes à casser.

- Non, fait-elle, jamais! Jamais je ne te laisserai seule, Naomi, je t’accompagne, même si tu ne veux pas de moi.

Les deux femmes se mettent donc en route sous le soleil de plomb. Quand elles arrivent, c’est le temps des blés mûrs. Les villageois, méfiants, regardent de loin ces silhouettes inconnues. Des étrangères? Mais soudain quelqu’un crie:

- Naomi? Naomi, c’est toi? Mais ça fait plus de dix ans!

Une petite foule les entoure en pépiant, questionnant. Mais Naomi repousse toutes ces présences joyeuses:

- Je ne suis plus “ma gracieuse” (c’est la signification de Naomi). En moi, tout est sec et amer, comme nos champs quand je vous ai quittées. Appelez-moi Mara, amertume.
   


                                                   *                                    *
Le lendemain, Ruth la Moabite se lève tôt pour aller aux champs, glaner, puisque c’est le temps de la moisson. Et Mara reste seule. Elle retrouve ce qu’elle a laissé il y a 14 ans: la maison... avec en plus 14 ans de poussière et d’abandon. Et ses souvenirs, qui tournent en rond. Comment s’en sortir, seule, sans soutien, sans homme? Il lui reste un champ. Après la récolte, elle le vendra, ça les aidera à tenir quelque peu avant de devoir mendier.

Le soir, elle guette le retour de celle qui est devenue son unique famille. Bientôt, elle l’aperçoit au bout du chemin, ployant sous un sac énorme! Mara se précipite, elle l’aide; le sac est étonnamment lourd, plus de 25 kilos de grains!

Et Ruth raconte: elle a trouvé un champ, les moissonneurs lui ont permis de rester derrière les filles qui ramassent. Vers midi, le maître est arrivé; il l’a fait venir. Elle a eu peur d’être chassée, mais au contraire, il lui a parlé avec bonté. Et lui a permis d’aller avec les ramasseuses. Au moment du repas, il l’a appelée pour qu’elle vienne manger vers eux, à l’ombre... Comme si elle était son employée! Il a même dit aux hommes de ne pas l’importuner. Alors elle a demandé pourquoi il la traitait ainsi, elle, une inconnue. Le maître a répondu qu’on lui avait raconté au village ce qu’elle avait fait pour sa belle-mère.

- Il s’appelle Booz. Il m’a dit que je pourrai retourner sur ses champs tous les jours de moisson!

Pour Mara, c’est un choc. Booz est un cousin de son mari. Un racheteur. Elle explique à Ruth la coutume juive: on ne laisse pas une famille s’éteindre. Si un homme meurt sans héritier, le plus proche parent du défunt épouse sa veuve pour qu’elle porte un enfant. Il assure ainsi une succession au premier mari. C’est un racheteur.

Chaque matin, Ruth retourne aux champs de Booz. Et Mara réfléchit.


                                           *                                    *
À la fin de la moisson, elle dit à Ruth:

- Tu es bonne pour moi. Ecoute ce que tu vas faire, ce sera ta récompense: aujourd’hui, Booz va battre son grain. Ce soir, quand le vent montera de la mer, il vannera avec ses gens. Puis il va manger et boire. Enfin, il se couchera juste à côté du tas de grains - c’est l’habitude, pour décourager les voleurs. Alors, quand il dormira, tu t’approcheras de lui. Lave-toi, parfume ton visage, et reste discrète!

Tout se passe comme elle l’a dit. Sur l’aire de battage, il fait nuit. L’odeur sèche du grain se pose partout, comme un merci. Il n’y a aucun bruit, juste le frôlement d’un petit animal et la respiration régulière du maître, endormi près du tas.

Une ombre alors se détache de l’obscurité, s’approche silencieuse du dormeur, soulève son manteau et se couche à ses pieds. L’homme ne s’est même pas réveillé, et la nuit, un instant dérangée, retrouve sa paix.

Booz rêve. Peut-être voit-il un arbre majestueux s’élever de sa poitrine: un chêne. Une dynastie s’y déploie comme une chaîne. Un roi pareil à une étoile y chante la gloire du Seigneur. Et tout en haut, un Fils meurt sur le bois nu.

Une sensation de froid réveille Booz: ses pieds sont découverts. Mais il sursaute: contre lui, il sent le tiède d’un corps, le parfum d’une femme.

- C’est moi, Ruth. Tu es racheteur. S’il-te-plaît, épouse-moi!

- Ruth? Toi? Bénie sois-tu! Tu es un trésor précieux! ... C’est vrai, je suis racheteur, mais il y en a un autre, plus proche parent, c’est lui qui a la priorité. Ecoute: demain je m’occuperai de tout. S’il veut te racheter, il le fera; sinon, ce sera moi. Recouche-toi, ne t’inquiète pas.

Quand le jour se lève, un petit matin pâle et calme, Booz la réveille. Elle a de la paille dans les cheveux. Il la lui enlève doucement. Puis il dit:

- Ecarte ton manteau.

Il y verse une large mesure de blé, comme une promesse.

- Rentre maintenant, il vaut mieux.

Elle retourne vers sa belle-mère en tenant le grain contre elle. Et ça lui fait le ventre rond.

Et Mara, en entendant tout ça, sent qu’en elle Naomi se réveille.



                                           *                                    *
Le même matin, Booz se rend à la porte du bourg. Il réunit dix juges. Et quand passe le premier racheteur, il l’appelle:

- Ecoute, viens ici! Naomi et Ruth vendent leur champ. Le veux-tu? Tu es le premier racheteur, que choisis-tu?

- Eh bien oui, ça m’intéresse!

- Alors, fait Booz, tu sais que tu dois, selon la coutume, prendre chez toi la veuve du mort, et lui assurer une descendance.

L’homme hésite. Ce qu’il achèterait avec son argent, ce ne serait pas pour ses fils, mais pour ceux de Ruth, la Moabite.

- Alors, je préfère renoncer. Si tu veux, rachète à ma place.

Booz se tourne vers les juges:

- Vous entendez, aujourd’hui je rachète ce qui était au mari et aux fils de Naomi. Je rachète aussi Ruth et je leur donnerai une descendance.

- C’est bien, disent les juges, nous en sommes témoins!

Ainsi, Booz épouse Ruth. Et bientôt, elle attend un enfant.

Le jour de sa naissance, on appelle la nouvelle grand-mère. Les femmes chantent autour d’elle: “Béni soit le Seigneur, Il t’a donné un racheteur qui te nourrit et te protège! Un rédempteur! La vie a repris dans ta lignée!”

Naomi serre l’enfant contre elle. Son coeur se réveille complètement. Oui, béni soit le Seigneur, il est fidèle pour les morts et pour les vivants!

Le bébé reçoit le nom d’Oved, ce qui veut dire “serviteur”.

Oved sera le grand-père d’un roi qui chantera la gloire de Dieu: David. Et David aussi aura de nombreux descendants... comme une chaîne qui mène à cette nuit étonnante où le ciel chantera: à Bethléem, “la maison du pain”, le descendant d’Oved pousse son premier cri. Dieu vient de donner à tous un Racheteur. On l’appelle Emmanuel. Dieu avec nous.

Il est pour nous le pain vivant venu du ciel. Amen


                                                           conte d’Alix Noble, légèrement adapté par Jean-Jacques Corbaz


1 commentaire:

  1. Pour moi, le message pour aujourd'hui réside dans la "renaissance" de Naomi: cette "résurrection ici-bas déjà" est une promesse pour nous aussi. Si nous pouvons, comme Ruth et sa belle-mère, rester proches et solidaires, alors Dieu peut intervenir pour nous ouvrir des futurs possibles, même si tout semble mort en nous.
    Dieu a besoin de nos vies fatiguées et meurtries pour faire éclore son avenir et ses promesses.

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