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dimanche 17 août 2014

(Pr, SB, Vu) « L’autre joue - la violence », prédication du 17 août 2014

Lectures: Luc 6 : 27-36, Ps. 3, et II Cor. 12 : 7-10

“Au commencement était... la violence, et rien de ce qui existe n’a été fait sans elle”... - Vous sursautez? À la bonne heure! Car nous n’aimons pas tellement la violence, nous avons plutôt tendance à la cacher, à l’oublier, à vouloir la faire disparaître. On nous a tellement dit que la violence, c’est mauvais.

Pourtant, tout le monde est violent. Pas besoin d’aller au Proche-Orient: chacune de nos journées comprend de la violence, depuis les coups de klaxon agacés au feu vert, jusqu’au moustique écrasé dans la nuit... Faites le compte, dans votre quotidien!


Tout le monde est violent; mais pas parce que nous sommes tous mauvais, ou pécheurs. Tout simplement parce que ça fait partie de la vie. Survivre est une violence. Manger est une violence faite aux espèces animales ou végétales qui nous nourrissent. La lutte pour la survie est une violence. Protéger son existence est un combat (déjà contre les microbes!)... Écoutez: même Dieu est violent! Le psaume 3 n’écrit-il pas: “Tu frappes à la joue mes ennemis, tu casses les dents aux méchants...”

La Bible est pleine de violence. Et même la venue de Jésus provoque elle aussi des cascades d’agressions: depuis le massacre des innocents jusqu’à la mort de Judas, la trahison de Pierre et la lâcheté des autres... Le comble: Jésus lui-même, vous le savez, a fait usage de violence: contre les marchands du temple, et contre les scribes et les pharisiens, injuriés de manière bien peu pacifique! Il comparait sa Parole à une épée bien tranchante, et c’est le même qu’on présente comme un agneau qui se laisse tondre sans ouvrir la bouche.

“Si quelqu’un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l’autre”. Comment comprenez-vous ce verset?

On l’interprète en général comme une invitation à ne pas riposter à la violence; à se laisser faire passivement, sans réagir. Rester stoïque et sans réaction, quand on nous attaque. Céder.

Eh bien, non! En nous demandant de tendre l’autre joue, Jésus ne nous invite pas à nous laisser faire violence, passivement, sans réagir. D’ailleurs, nous l’avons vu, ce n’est pas ainsi qu’il a agi lui-même. Ne pas répondre à la violence par la violence, ça oui, bien sûr! Mais ne pas réagir du tout, rester passifs, céder; alors non, ce n’est pas ce que dit Jésus.

La violence est partout, nous le disions. Et il est important, vital, de ne pas l’amplifier. Sinon c’est la loi de la jungle, la volonté du plus fort qui l’emporte. Il est essentiel de contenir la violence, de la dresser comme une bête féroce qui cherche à vous sauter dessus. Pour sortir du cercle vicieux, il faut être plus fort que les agressions, les brutalités, la haine...

Être plus fort: non pas passifs, mais actifs. Ne pas baisser les bras, mais les utiliser au mieux. Non pas ne rien faire, mais... tendre l’autre joue.


L’autre joue: savez-vous que le Nouveau Testament, écrit en grec, exprime là quelque chose d’intraduisible en français? Pour dire “autre”, il y a en grec deux mots: “allos” et “heteros”. “Heteros” (d’où vient le terme “hétérosexuel”, par exemple), c’est l’autre parmi deux choses, ou deux personnes; quand il n’y a que deux possibilités. “Allos”, c’est l’autre parmi plus de deux objets ou personnes. Ainsi, quand je dis: “Mes parents sont malades: l’un a la grippe, et l’autre une bronchite”, l’autre, c’est “heteros”, car je n’ai que deux parents. Par contre, pour “Un de mes paroissiens est à Lausanne, un autre est resté chez lui”, l’autre, ce sera “allos”, puisqu’ils sont, en tout, plus que deux!

Tout ça pour vous dire que: dans “tendre l’autre joue”, pour “l’autre”, ce n’est pas “heteros” qui est employé par l’évangile (alors qu’on n’a que deux joues, pourtant); ce n’est pas “heteros”, c’est “allos”. Présenter l’autre joue, c’est donc tendre une autre joue, une joue différente. C’est réagir d’une manière nouvelle, qui aide à sortir du cercle vicieux de la violence.

Vous l’avez tous expérimenté: de répondre à l’agressivité par l’agressivité, ça engendre l’escalade de la violence. Mais à l’opposé, un mot, un geste, un acte à contre-courant peut tout changer; désamorcer l’agression, dés-armer la haine.

Ainsi un joueur de football, victime d’un méchant coup tordu de la part d’un adversaire qui voulait lui prendre le ballon, est allé au bord du terrain lui offrir une autre balle, rien que pour lui! Un enseignant, traité de noms d’oiseaux trop vulgaires pour être rapportés ici, a fourni à ses étudiants une liste plus complète d’injures, un peu comme Cyrano dans la tirade des nez... Le judo connaît bien ce principe: pour faire reculer quelqu’un, il vaut mieux faire semblant de le tirer en avant, car l’autre résiste, et il recule spontanément!


Rompre la symétrie. Encore faut-il bien du courage et de l’imagination, de l’esprit et de l’à-propos. Et de la force intérieure, ô combien, pour résister à la tentation de la colère qui monte! C’est en cela, et en cela seulement, que nous osons nous demander les uns aux autres, selon les termes de l’évangile, d’être parfaits (chez Matthieu) ou pleins de bonté (chez Luc) comme l’est notre Père céleste. C’est-à-dire non pas de nous abstenir de toute faute -c’est impossible, évidemment- mais, avec Dieu, tout imaginer, tout mettre en oeuvre pour désamorcer la violence, la sortir des mécanismes qui la font se reproduire et se multiplier à l’infini...

Et cela, vous l’imaginez bien, c’est exactement le contraire de la passivité! C’est mettre en action un amour, un respect, une espérance dont nous ne sommes capables que parce que Dieu nous les donne, d’abord, en Jésus-Christ.

Ainsi, l’attitude chrétienne, dans un conflit, ce n’est pas plus céder que répondre avec les mêmes armes. L’attitude chrétienne, c’est rompre la symétrie, en puisant nos forces dans celles de Dieu. Car, vous vous en rendez bien compte, si Dieu ne nous avait pas “tendu une autre joue”, en Christ, face à nos péchés, si Dieu nous avait donné la réciproque, eh bien, nous serions morts!

Voilà le chemin nouveau que Jésus nous appelle à parcourir, derrière lui. Savoir que la violence existe, en moi, en nous; l’utiliser quand on ne peut pas faire autrement, mais en la maîtrisant, en cherchant à la dominer nous-mêmes plutôt que d’être dominés par elle. Éduquer des enfants, par exemple, est impossible sans un minimum de violence: quand mes enfants, tout bébés, avaient 39°5 de fièvre, il fallait bien les forcer à accepter un suppositoire, malgré leurs refus et leurs pleurs...

Savoir donc qu’on n’échappe pas à la violence, mais en même temps chercher à la désamorcer partout où c’est possible; sortir du cercle vicieux par une “autre joue”, une autre réponse. -Ce qui est exactement le sens du mot “non-violence”, mais ce terme a été si souvent employé de manière fausse que je n’aime plus guère l’utiliser.- Chercher à dominer l’agressivité. Or, je ne peux pas maîtriser quelque chose que je ne vois pas, que je ne veux pas regarder. Ainsi, je ne pourrai pas être non-violent tant que je ne reconnaîtrai pas la part de violence qu’il y a en moi. Je ne pourrai pas “feinter” l’agressivité, je serai incapable de me jouer d’elle en lui tendant une autre face, si je fais semblant qu’elle n’existe pas.


“Au commencement était la violence...” Oui. Et le chrétien, à cause de son Seigneur, n’est ni masochiste ni lâche. Il ne se laisse pas marcher sur les pieds. Mais il sait qu’en Christ il a reçu assez de force et d’esprit pour essayer de vaincre cette violence avec d’autres armes.

Cette apparente faiblesse, c’est la vraie force. Amen.

 Jean-Jacques Corbaz




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