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lundi 7 avril 2025

(Li) Accueil ou liturgie de pardon - Envoyé au diable

Bonjour, et merci d’être venus vivre ce culte !

 

C’est l’histoire de Jojo qui pleure devant le maître d’école.

« M’sieu, ya Popaul qui m’a dit ‘Va au Diable’ ! »

« Ah, fait le prof. Et qu’est-ce que tu as fait ? »

« Ben, je suis venu vers vous ! »

 

Chers amis en Christ, sachez-le : Dieu, lui, ne nous envoie jamais au Diable !

Souvenez-vous toujours de ceci : Dieu est amour, et il nous sauve gratuitement, quelle que soit notre conduite.

Bienvenue auprès de lui, donc ! Son souhait, c’est d’être pour nous un maître accueillant et bienfaisant !

 

 

Jean-Jacques Corbaz, janvier 2025        

(Pr, Co) Le sicaire - l'histoire de Judas à contre-courant

 Le texte qui suit va peut-être surprendre, voire choquer. C’est une fiction, mais il se base sur des études exégétiques très sérieuses (dont mon ancien prof de NT Bernard Jay) qui me font penser que ce récit pourrait être porteur d’autant de vérité que les évènements tels que rapportés dans les évangiles. Il rejoint  d’ailleurs par moments l’Évangile de Judas récemment découvert. En tout cas, il nous oblige à sortir de nos représentations traditionnelles et à nous interroger: comment aurions-nous agi nous-mêmes, à la place du héros de cette histoire?

 


 
«Paix sur la Terre aux hommes que Dieu aime». Chaque fois que j’entends ce cantique, les larmes me viennent aux yeux. De chagrin? De joie? D’émotion? Un peu des trois, je crois.

Me reviennent les détails de cette aventure qui nous a, qui m’a fait passer par tous les sentiments, l’espoir, le désespoir, la fierté, la gloire… mais aussi la passion, la certitude d’être sur le vrai chemin de Dieu; et puis l’angoisse, la peur, la peur de la mort. Et finalement de nouveau l’espoir, mais si frêle, si ténu, comme un rêve. Si léger que je ne sais le nommer.

Il y a si longtemps maintenant. J’étais jeune, alors. Avec Simon, nous étions révoltés contre ces Romains qui occupaient notre terre sacrée, et qui la souillaient, et nous souillaient de leur impureté.

Nous avons rejoint le mouvement des sicaires. Ainsi nommés à cause de la petite épée que nous portions à la ceinture, facile à dissimuler et qui permet de redoutables coups fourrés. Nous voulions nettoyer la Palestine de ces occupants qui semaient la terreur pour nous voler nos maigres richesses. Oui, Dieu nous demande de ne pas tuer, mais n’est-ce pas moindre mal de les chasser par les armes, à côté du blasphème que représentent ces Romains qui ne respectent rien?

Nous étions comme une petite armée de libération qui frappait quand on nous attendait le moins et passait ensuite inaperçue. Sauf pour les initiés. «Fiers d’être sicaires» était notre devise. On nous appelait aussi «zélotes», car nous étions dévoués sang et souffle à notre cause. J’en étais l’un des plus bouillants, on me surnommait «Judas le sicaire», ou en araméen «Yehouda Iscarioth».

*    (musique)

 

Un jour, nous avons entendu parler de Jehan. Un pur, lui aussi, qui vivait au désert, et que de nombreux croyants allaient écouter. Il n’avait pas sa langue dans sa poche, celui-là. Galvanisait ses auditeurs en annonçant que Dieu allait intervenir pour établir son royaume en toute vérité, sans souillure et sans oppression.

Nous sommes allés le voir, Simon et moi. Il se tenait au bord du Jourdain et y trempait ceux qui partageaient ses convictions. Un rite de purification qu’il tenait d’une secte de rigoristes retirés aux portes du désert. Je l’ai aussitôt surnommé «Jehan le Trempeur», bien sûr!

C’est là que nous avons fait la connaissance de Jésus. Il sortait du fleuve, dépoussiéré, ruisselant de gouttelettes qui brillaient au soleil.

Je l’ai vu s’ébrouer tel un petit chien, puis venir vers moi comme s’il me connaissait. Étonnant personnage! M’a demandé mon nom, et dans le même souffle a ajouté: «Où est-ce que tu crèches?» avec le petit sourire de celui qui fait une fine plaisanterie. Moi, je n’ai pas compris. J’ai répondu, simplement.

Et il a commencé à parler. De Dieu, de son royaume, de sa force, mais de sa discrétion aussi. Je l’ai écouté, scotché. La même radicalité que Jehan, mais sans aucune agressivité, comme s’il était tombé dans une marmite de bonté quand il était petit.

Moi, le sicaire guérillero, ça me chatouillait bizarre. Je n’étais pas d’accord avec lui, ma vie jusqu’ici n’était pas d’accord avec lui; mais sa vision des choses me semblait fourmiller de promesses. J’osais parfois quelques objections, je récitais mon catéchisme révolutionnaire; et lui, ô surprise, m’écoutait patiemment, me répondait point à point. Je ne me souviens pas de tout, mais une phrase m’est restée que je n’oublierai jamais: «Tu verras, Judas, les Romains, je ne les tuerai pas, mais je serai plus fort. Paix sur la Terre aux hommes que Dieu aime».

Ça, ça m’a sidéré. J’ai voulu le suivre, pour en savoir plus. Et Simon, comme moi.

Peu à peu, un petit groupe s’est formé autour de Jésus. Il y avait André, Jacques, Jean; un autre Simon, ce qui a valu à mon ami d’être surnommé «le zélote»; et un autre Juda, alors on m’a gardé mon étiquette de sicaire, même si la violence me devenait de jour en jour plus étrangère.

Nous avons commencé à voyager à travers la Galilée, de village en village. Jésus étonnait tous ceux qui l’écoutaient parce qu’il vivait authentiquement tout ce qu’il prêchait. Par ses petites histoires aussi; par son calme déroutant; par son humour même, ainsi quand il disait des pharisiens qu’ils filtrent leur eau pour ôter un moucheron, mais qu’ils gobent un chameau! J’en ris encore.

Parfois, on lui amenait des malades; ou des possédés; ou des handicapés. Jésus les regardait avec tant d’amour qu’après, ces malheureux étaient en voie de guérison. Et des légendes naissaient, racontant des miracles fabuleux…

Nous avions quitté nos métiers, persuadés que Dieu allait venir chambouler tout le pays. Nous vivions de ce que les villageois nous donnaient. Pauvres, mais confiants.

Lorsque nous recevions un peu d’argent, Jésus me le confiait. J’étais le seul qui avait appris un peu de comptabilité. D’ailleurs, il me semblait que notre Rabbi, comme les gens disaient, m’appréciait fort. Et c’était réciproque. Une amitié grandissait, vraie et profonde.

D’ailleurs, c’est à moi qu’il a parlé en premier de ses sentiments pour Marie. Pas sa maman, donc! Mais celle qu’il avait rencontrée à Magdala. Au reste, cette relation est rapidement devenue évidente pour tous. Il n’y avait qu’à voir leurs yeux à tous les deux!

C’est ainsi que nous avons vécu trois ans, faits d’itinérances en Galilée ou dans les pays voisins. Plus le temps passait, plus les foules devenaient nombreuses, le bouche-à-oreille faisait enfler renommée, hauts faits, fortes paroles et guérisons, voire miracles comme certains prophètes de la Torah.  Les plus exaltés affirmaient même que Jésus était le Messie, le roi envoyé par Dieu pour occuper le trône de David et restaurer l’indépendance d’Israël. Lui, le non-violent extrême, tu parles! Je sentais un décalage croissant entre ce qu’il disait et les attentes des petites gens.

Jésus avait de plus en plus de peine à trouver des moments où se reposer. Alors parfois il s’absentait mystérieusement, et les gens qui le cherchaient nous suppliaient de dire où il avait disparu. Et nous, qui n’en savions pas plus qu’eux, étions parfois pris à partie un peu rudement. On sentait chez le peuple une colère forte prête à éclater pour peu qu’une étincelle survienne.

*    (musique)



C’est dans un temps ainsi tendu que Jésus nous a surpris. Avec aplomb, comme s’il annonçait un exploit, souriant, il nous a déclaré que nous allions fêter la Pâque à Jérusalem.

Quoi? Mais la ville est une poudrière, en ces jours d’exaltation et de nationalisme exacerbé. Les Romains armés jusqu’aux dernières molaires, les chefs juifs et les pharisiens qui cherchent un moyen de nous éliminer… Folie! On va tous se faire massacrer.

Mais lui répétait, sûr d’une force intérieure qui contrastait avec ses bras si maigres: «Paix! Vous verrez, sans violence, je serai plus fort.».

Nous y sommes allés. Partagés entre pétoche et excitation, comme à la veille d’une attaque dangereuse. Je sentais revenir en moi les frissons du guérillero. Mais là, nous n’avions pas de plan.

Quand nous sommes entrés dans Jérusalem, c’était le délire! Une foule enflammée acclamait Jésus et lui faisait un accueil royal. «Gloire à Dieu, le tout-puissant!» criait-on. «Béni soit le roi, l’envoyé du Très-Haut!». Plusieurs agitaient des branches, et déployaient leurs manteaux sur le chemin où nous marchions, comme un tapis rouge.

Et lui, assis sur un âne, me glissait à l’oreille: «Tu as déjà vu un roi sur un baudet? Ah non! Ânon!» en souriant.


 
Je savais bien que ce n’était pas ça qu’il voulait. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de fantasmer: que se passerait-il si la foule le portait sur le trône? Affrontement avec les légions, trop nombreuses et trop bien armées pour que le combat soit équitable? Intervention de Dieu, qui nous enverrait en renfort une armée d’anges? Ou la fin du monde?

Nous devions fêter la Pâque chez un cousin. Discrètement, pour ne pas provoquer de tumulte. Mais Jésus, la veille des célébrations, nous dit d’un air mystérieux: «Je vais devoir faire une croix sur les festivités de Pâques que nous avions prévues. Nous prendrons le repas rituel ce soir déjà.» Toujours avec son petit sourire entendu. Je dois être le seul à avoir compris, cette fois.

Oui, c’était un secret entre nous deux. Jésus m’avait pris à part, quelques heures auparavant. Et m’avait dit d’une voix un peu faible, et là il avait l’air grave: «Tu es le seul à qui je peux demander ça. Ce sera dur. Très dur. Tu as vu la foule, ils veulent me porter au pouvoir. Les Romains vont intervenir, ce sera un massacre.»

J’étais sous le coup. Bien sûr! Mais comment s’en sortir?

Jésus ajouta: «Le seul moyen de vaincre, c’est d’accepter la mort. Judas, mon ami, tu comprends? Ils faut qu’ils m’arrêtent à l’écart de cette foule, pour éviter la violence. Et c’est là que tu peux m’aider. Toi seul le peux. Tu les mèneras vers moi quand je serai seul, ou presque. Au jardin des oliviers.»

J’avais les larmes aux yeux. «Mais ils vont te crucifier! C’est un supplice horrible! Penses-tu que Dieu te sauvera?»

«Non mon ami, je dois passer par là. C’est la coupe de souffrances dont je vous ai parlé plusieurs fois. C’est le prix à payer pour que le peuple soit sauvé du massacre. Mais tu verras, Judas, les Romains, je ne les tuerai pas, mais je serai plus fort. Paix sur la Terre aux hommes que Dieu aime»

Je restai muet, silencieux, un tsunami secouait mon crâne; et mon 
cœur ; et ma vie. «Acceptes-tu, Judas, mon ami? Sans ton aide, c’est la catastrophe.»

Avec effort, je murmurai «oui» dans ma barbe, et partis en courant. Le ciel était gris à pleurer, le monde entier n’était plus qu’un cimetière.



Le soir, au souper, nous avons célébré la Pâque, mais je n’avais pas le 
cœur à chanter. Après le repas rituel, simplifié au maximum, Jésus me dit doucement: «Ce que je t’ai demandé, fais-le maintenant.» Et je suis sorti, trahissant mon émotion. Espérant contre toute espérance que Dieu fasse quelque chose pour éviter ce projet qui me déchirait l’âme.

Comme un robot, suis allé vers les chefs juifs. Leur ai transmis le message. Les ai guidé jusqu’à Gethsémané. Puis suis parti en traînant ma misère tel le survivant d’un massacre.

Dieu n’est pas intervenu. On m’a raconté que Jésus a été condamné, puis cloué sur une croix. Qu’il a souffert au-delà de ce qui est humainement supportable. Et moi, en entendant ce récit, je souffrais encore autant, j’aurais tant voulu prendre sur moi ses mille douleurs.

J’ai imaginé me suicider. J’en ai parlé autour de moi, mais personne ne me répondait. Et au moment où j’allais passer à l’acte, voilà qu’on me rapporte un fait nouveau, étonnant: la tombe où on avait mis Jésus, eh bien, elle est vide. Des femmes, et des amis, en découvrant que le corps n’était plus là, ont senti une étonnante présence, comme si leur coeur chantait l’incroyable nouvelle: Jésus, même mort, ruisselait de vie.

J’ai repensé alors à sa phrase fétiche: «Paix sur la Terre. Tu verras, les Romains, je ne les tuerai pas, mais je serai plus fort.»

Depuis, des siècles ont passé. Je suis tout décrépit, mais je ne suis pas mort. J’ignore pourquoi, je suis le seul survivant de ces temps étonnants.

Mais entre temps, mes compagnons sont partis sur les routes de l’Empire des Césars. Ils ont parlé de Jésus, et de la manière dont sa vie et sa mort ont transformé leur foi. Et 300 ans après, la majorité des Romains se sont convertis, ils confessent Jésus. Rome est devenue la ville où on compte le plus de disciples de celui qu’ils appellent maintenant le Christ.

Je repense souvent, bien sûr, à la phrase qui m’a décidé à le suivre: «Tu verras, les Romains, je ne les tuerai pas, mais je serai plus fort. Paix sur Terre.».

Oui, c’était vrai.
Amen

(musique)


Jean-Jacques Corbaz, novembre 2024  
 


P.S. Les évangiles disent que Judas a livré Jésus, ils n’emploient pas le verbe trahir. 

 


  

 

vendredi 21 mars 2025

(Bi) Les malades nous apprennent à vivre

Mars. Temps de la Passion (c’est l’autre nom du Carême). Temps du Christ souffrant qui nous invente un regard neuf sur la vie. Passion signifie souffrance.

 

Mars, temps de l’espoir, en somme. Temps du cri des femmes et des hommes, lui qui atteste la douleur, mais aussi la vie qui veut tenir. À l’extrême, temps de la révolte que sous-tend l’espérance.

Les malades nous apprennent à vivre. «L’autre jour, dans le lit, à l’hôpital, c’était moi». Leur fragilité, Sa fragilité, fenêtre ouverte sur mon humanité. Où placer ma réussite? Dans  une santé acquise, mais qui s’enfuit au premier courant d’air? Ou dans cette descente au coeur de l’humain, dans le partage incessant et l’espoir?


Les malades nous apprennent à vivre. Nos peurs de la mort. Nos angoisses d’échouer. Les malades nous réconcilient avec notre fragilité. Le Christ souffrant et abaissé nous apprend à aimer.


Jean-Jacques Corbaz

 

lundi 3 mars 2025

(Pr, Co) Prédication narrative: Martin et Mario au paradis - 3 mars 2025

Lectures bibliques: Un passage plutôt difficile: 2 Pierre 1, 3-10; Jean 15, 8-12


Aujourd’hui, je vous propose de méditer notre passage de la deuxième lettre de Pierre à partir d’une narration, qui se passe au paradis. En effet, Pierre, c’est justement celui qui nous reçoit à l’entrée du «ciel», selon la légende.

Ce jour-là donc, il accueille en même temps deux personnes: Martin et Mario. Martin et Mario se connaissent très bien, car ils faisaient partie de la même paroisse. Mais ils s’apprécient moyennement… vous allez voir pourquoi!

Devant Pierre, évidemment, ils se tiennent sagement, un petit peu intimidés. Ils écoutent l’apôtre leur expliquer: «Vous avez été tous les deux de bons croyants, engagés et rayonnants de l’amour du Christ. Je vais vous donner des clés, vous serez dans la même chambre.»

Pierre a un petit sourire malicieux. Quant à Martin et Mario, ils sont plutôt étonnés. En fait, ils ne sont pas trop contents d’être ensemble. Pendant 10 ans, ils avaient travaillé côte à côte au Conseil de paroisse de leur village, et… disons que leur relation était un peu tendue. Ils n’avaient pas du tout les mêmes idées sur la foi.

Pour Mario, être chrétien c’était d’abord se convertir, et croire au Christ. Savoir que Jésus est mort sur la croix pour nous sauver. Être chrétien, c’était être transformé par cette certitude qui fait louer Dieu, entrer dans un immense mouvement de joie et de reconnaissance.

Au contraire, pour Martin, être chrétien c’était surtout agir pour les autres, pratiquer l’amour du prochain, s’engager concrètement contre la misère. Alors le côté un peu mystico-contemplatif-enthousiaste de Mario lui sortait parfois par les oreilles. Pour Martin, Mario était un doux rêveur qui perdait son temps à prier longuement alors qu’il y avait tant de choses à faire. Enfin, perdre son temps, pas tout à fait, bien sûr, mais à un moment donné, il faut quand même retrousser ses manches et se mettre au boulot!

Pour Mario, lui, Martin était un activiste, peut-être efficace; mais il se demandait franchement s’il avait la foi!

Au moment où ils partent vers leur chambre, Pierre leur tend une Bible en disant: «Je vous recommande la lecture de la deuxième lettre de Pierre, chapitre 1, les versets 3 à 10». Soit justement le passage que nous venons d’entendre. Puis il les laisse s’en aller.


Tout en s’installant dans leur coin, les deux hommes commencent à se parler. «C’est quand même étonnant, dit Martin, de se trouver ensemble. Je pensais plutôt qu’on me mettrait avec mes amis de la commission sociale ou du groupe Terre Nouvelle.» «C’est vrai, répond Mario, moi aussi j’imaginais retrouver les membres de ma cellule de prière ou ceux du partage biblique.» «À propos de Bible, lisons voir le passage dont parlait saint Pierre!»

L’un après l’autre, ils étudient le texte en silence. Puis Martin s’écrie: «Tu vois, Mario, ce n’est plus le moment de chipoter, d’accord, mais quand même, écoute ça: ‘faites tous vos efforts pour enrichir votre foi d'une excellente conduite et pour enrichir votre conduite de la connaissance de Dieu; à votre connaissance de Dieu ajoutez la maîtrise de soi, à votre maîtrise de soi la persévérance, et à votre persévérance ajoutez l'attachement à Dieu; enfin, à votre attachement à Dieu ajoutez l'affection fraternelle, et à votre affection fraternelle, l'amour. En effet, si vous avez ces qualités et si vous les développez, elles vous pousseront à agir.’»

«Tu vois, être chrétien, ça engage! Aujourd’hui, on ne le dirait plus comme ça, mais derrière les mots ‘efforts, excellente conduite, affection fraternelle, amour’, et puis ‘échapper à ce qui détruit le monde’, ça signifie bel et bien lutter contre le mal et la souffrance, l’injustice… Au Conseil de paroisse, quand je parlais de chômage ou de Tiers Monde, tu avais toujours l’air de dire que je m’excitais pour les pruneaux! Tu m’as même plusieurs fois coupé la parole en prétendant que je ne comprenais rien à la grâce et à l’amour de Dieu. Relis le verset 8: ‘ces qualités vous pousseront à agir’!»

Mario s’énerve peu à peu et réplique: «Tu n’as pas changé! Tu prends les versets qui t’arrangent et tu oublies le reste! Écoute le verset 3: ‘Par sa puissance divine, le Seigneur nous a fait don de tout ce qui permet de vivre dans l'attachement à Dieu; il nous a fait connaître celui qui nous a appelés par sa propre gloire et sa propre grandeur.’ L’essentiel, c’est de connaître ce merveilleux don du Christ, et son pardon; savoir que je suis son enfant, et que je peux le louer. Il n’y a rien de plus important. L’attachement à Dieu, ce n’est quand même pas préparer la choucroute paroissiale ou des collectes pour le Centre Social Protestant! Et puis, les qualités dont tu parles, Pierre demande de les ajouter à la foi. C’est donc bien croire qui est primordial!»

Martin et Mario continuent ainsi leur dispute, chacun répliquant à l’autre à coups de versets bibliques. Les deux hommes s’échauffent tellement qu’ils sont incapables de s’écouter. Tant et si bien que st Pierre doit intervenir: «Qu’est-ce qu’il se passe?»

 
La venue de l’apôtre les calme un peu. «Taisez-vous un moment et écoutez-moi, dit Pierre. Si je vous ai donné ce texte à lire, c’est parce que vous n’avez jamais réussi à vous écouter en vous laissant remettre en question. C’est la même chose aujourd’hui, vous n’avez lu chacun dans la Bible que ce qui vous convenait, ce que vous aviez déjà compris. Or, dans le passage que je vous ai recommandé, justement vos deux manières de voir sont réconciliées. Suivez le mouvement avec moi:

«Tout commence par la révélation de Dieu en Jésus et la foi. Tu reconnaîtras, Martin, que c’est Dieu qui a pris l’initiative de nous sauver. Il y a donc un moment, nécessaire, pour recevoir ce salut, et remercier le Seigneur, se ressourcer et prier.

«Mais c’est vrai qu’il y a ensuite un moment pour agir, Mario, pour manifester l’amour qui vient de Dieu, pour redonner aux autres ce qu’on a reçu. Tu as raison, Martin, cela passe par un engagement et des gestes concrets; en particulier pour ceux qui en ont le plus besoin.

«Seulement, écoutez bien tous les deux encore une fois le verset 8: ‘Si vous avez ces qualités en abondance et si vous les développez, elles vous pousseront à agir, et à progresser dans la connaissance de Jésus Christ.’

«Il n’y a pas de contradiction entre vos deux positions: il s’agit de laisser l’amour du Christ nous remplir, tellement qu’on ne peut plus faire autrement qu’aimer les autres en actes concrets. Et, du même coup, le fait de s’engager pratiquement nous aidera à mieux comprendre, à mieux bénir, à mieux vivre l’amour de Dieu pour nous.

«C’est un peu comme un va-et-vient entre deux pôles, un va-et-vient où chaque pôle renforce l’autre: de fortifier ma foi augmente mes actes, et mes actes enrichissent ma foi, et ainsi de suite, à l’infini!

«Je crois, conclut st Pierre, je crois que vous deviez faire équipe, Martin et Mario. Vous aurez alors une foi tellement vivante et vraie! En fait, votre débat rejoint celui qu’avaient déjà Marthe et Marie!»


Voilà, nous arrivons au terme de cette histoire. Il est bien possible qu’en chacun de nous sommeille un Martin ou un Mario, une Marthe  ou une Marie - ou: parfois l’un et parfois l’autre!

Et si ces deux pôles pouvaient vraiment s’enrichir mutuellement? Et s’ils parvenaient, en nous, dans nos paroisses, dans nos Églises, s’ils parvenaient à faire équipe?

Ce serait l’amorce d’une foi tellement vivante! et vraie!
Amen


Jean-Jacques Corbaz, d’après un texte anonyme


(Li, Hu) Accueil - L'injustice à l'école


 Bonjour, et merci d’être venus vivre ce culte !

 

À l’école, Toto est interrogé par sa maîtresse.

- Donne-moi un exemple d’injustice.

- Ben… Quand j’ai des problèmes de maths à faire à la maison, et que mon père fait mes devoirs… et que c’est moi qui suis puni parce que c’est faux !

 

Eh bien, chers paroissien.ne.s, chers ami.e.s, vous le savez : Dieu ne va pas nous punir à cause de nos fautes… même s’il doit avoir terriblement envie de faire nos devoirs à notre place, tellement nous les bâclons au lieu de nous appliquer !

Bienvenue auprès de lui, quoi qu’il en soit !

 

 

Jean-Jacques Corbaz, juin 2024        

 

lundi 10 février 2025

(Li, Hu) Accueil - Laquelle tu préfères ?

Bonjour, et merci d’être venus vivre ce culte !

 

C’est une jeune femme plutôt coquette qui demande à son amoureux :

- Chéri, entre une femme belle et une femme intelligente, laquelle tu préfères ?

- Oh, répond l’homme sans lever le nez de son téléphone, aucune des deux. Tu sais bien que c’est toi que j’aime !

 

Chers paroissien.ne.s, chers ami.e.s, au-delà de la plaisanterie, ne serait-ce pas ce que Dieu nous dit, lui aussi ? Pas besoin d’être le plus beau, ni la plus intelligente, c’est toi que j’aime comme tu es !

Bienvenue donc auprès de lui, à chacun.e !



Jean-Jacques Corbaz, juillet 2024        

 

(Pr) Les ordures de l'apôtre


 À la poubelle! -  10 février 2025


Lectures: Philippiens 3, 2-9, puis 12-14; Jean 3, 16-18


Lors d’une réunion d’évangélisation, un homme témoigne: «Jusqu’à ma conversion, j’étais un mécréant. Je me droguais, je battais ma femme, je me moquais des chrétiens… Mais un jour, j’ai rencontré Jésus Christ, et depuis ma vie a changé: j’ai renié mon passé, je suis devenu un enfant de Dieu…»

Vous connaissez ce genre de témoignage. Dans la lettre de Paul aux Philippiens, nous venons de lire un passage qui lui ressemble: «Mais tout cela, je le considère maintenant comme une perte en comparaison de ce bien suprême: connaître Jésus Christ, pour qui je me suis privé de tout avantage personnel; je considère tout cela comme des ordures…»

L’apôtre Paul fait le même discours que notre ancien drogué. Mais il y a une différence, une différence de taille: le passé de l’apôtre n’est pas dépravé ou immoral; au contraire, c’est l’un des plus prestigieux qui soit quant à la religion. Juif de naissance, Hébreu de pure race, circoncis le jour qu’il fallait; puis plus tard les meilleures écoles rabbiniques, jusqu’au bout de la filière où il devient un prédicateur renommé et super-zélé pour la foi, excellent connaisseur de la loi d’Israël…

Le passé de Paul n’a donc rien de honteux ni de médiocre. D’ailleurs, il y a encore une autre différence avec notre témoin ancien mécréant: c’est que l’apôtre ne renie pas son passé jusqu’à sa conversion seulement, mais aussi plus tard, en-deçà de sa spectaculaire volte-face!

Ce qu’il veut repousser, ce sont tous les avantages «humains», ou «matériels», même ceux du moment présent: «je considère même toute chose comme une perte en comparaison de ce bien suprême: connaître Jésus Christ mon Seigneur, pour qui je me suis privé de tout avantage personnel». Le passé de sa vie chrétienne et même son présent sont englobés dans ces «ordures» qu’il rejette.

En aucun cas Paul ne veut marquer une limite entre deux périodes de son passé, comme le font les convertis d’aujourd’hui. Ce qu’il voudrait nous faire comprendre, c’est qu’il y a une valeur nouvelle qui est entrée dans sa vie avec le Ressuscité: un éclairage différent sur son passé, sur son présent et sur son avenir. Pâques ne lui fait pas renier sa vie jusqu’ici, mais Pâques lui fait la relire, avec d’autres lunettes. Une autre échelle de valeurs.

Mais qu’est-ce qu’il veut dire, quand il compare ses avantages personnels à des ordures?

Le mot utilisé en grec désigne des déchets, ce qu’on jette parce que ça ne sert plus à rien - sinon à nourrir les chiens errants. Dans un milieu juif, ce mot peut aller encore plus loin: il désigne des excréments, quelque chose de sale, qui est impur, qui souille et engendre la pourriture. Paul y va un peu fort, traiter sa vie de fond de poubelle puant!

Normalement, je devrais ici tirer un parallèle entre l’apôtre et nous aujourd’hui. Mais vous me voyez traiter nos vies, ou plutôt les maltraiter, de détritus pourrissant et malodorant?

Parce que notre passé à nous, il n’est probablement pas très différent de celui de Paul: nous avons été baptisés, nous avons suivi l’école du dimanche et le catéchisme, nous avons confirmé solennellement. Et depuis, nous essayons de mener une existence honnête, en fréquentant le culte ou la messe, et surtout en cultivant notre relation à Dieu notre ami. Si je traite tout ça de résidu de vieille poubelle, je vais me faire appeler Arthur!

Et pourtant, c’est bien dans cette direction peu engageante que l’apôtre voudrait nous entraîner. Il essaie de nous faire comprendre les vraies valeurs pour un chrétien. Elles ne sont pas dans notre parcours religieux, même le meilleur, même pas dans notre conversion!. Elles ne sont pas dans ce que nous avons fait, elles sont dans ce que Dieu a fait pour nous!

Les vraies valeurs, depuis le matin de Pâques, elles ne viennent que de Dieu. De son amour absolu, inconditionnel. De sa passion pour chacun.e, qui nous sauve. «Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils pour que nous ayons la vie éternelle».

Alors, me direz-vous, est-ce que Paul veut nous suggérer que parfois notre religion pourrait nous séparer de Dieu au lieu de nous relier à lui?

Il y a de cela, sans doute. Ce n’est pas, bien sûr, d’être baptisé ou confirmé qui nous éloigne du Ressuscité; mais ce qui peut faire écran, peut-être, ce serait parfois le sentiment de bonne conscience que nous donnerait le fait d’être baptisé ou confirmé. Penser que Dieu nous aime à cause de notre parcours religieux et non à cause de son amour à lui, qui est immense et gratuit.

L’orgueil, ce n’est pas seulement de se sentir meilleur que les autres. L’orgueil, ce peut être aussi croire que c’est notre humilité qui nous sauve!!

Paul ne se glorifie pas de sa conversion ou de sa foi. Sa seule gloire, c’est en Dieu qu’il l’a placée. Dans la force de Dieu, qui transcende nos pires faiblesses.

Il ne s’agit donc pas, en lisant notre passage, de nous humilier ou de nous mettre à vivre en fuyant le plaisir. L’apôtre ne dénonce pas la joie. Au contraire, il plaide souvent pour que nous utilisions notre corps pour la gloire de Dieu. Le plaisir est bon et utile. Mais «Tout ce que je désire, c'est de connaître le Christ et la puissance de sa résurrection, d'avoir part à ses souffrances et d'être rendu semblable à lui dans sa mort. Et j'ai l'espoir que je parviendrai moi aussi à la résurrection d'entre les morts. Je ne prétends pas avoir déjà atteint le but ou avoir déjà été conduit à la perfection. Mais je poursuis ma course pour m'efforcer de le saisir, car j'ai moi-même été saisi par Jésus Christ.»

 

Ne pas s’arrêter sur le chemin. Ne pas se reposer sur son «titre» de chrétien. Ou de juif, ou de n’importe quelle autre communauté de foi. Ne pas s’asseoir, alors que Dieu est, lui, toujours en marche. Et puis surtout, surtout, se rappeler qu’on avance seulement parce que Jésus nous a déjà saisi. Un jour de l’Ascension, il s’est élevé au-dessus de nous, il nous a échappé physiquement. Mais en même temps, il nous a donné son Esprit saint, c’était Pentecôte, et c’est cet Esprit qui nous met en route, et qui nous garde en mouvement.

La seule valeur à viser, au fond, nous dit Paul, c’est d’être aimé. Par Dieu et par les autres qui prolongent sa tendresse; être aimé et aimer à son tour.

«Jusqu’à ma conversion, j’étais un mécréant… Mais un jour, j’ai rencontré Jésus Christ, et depuis j’ai renié mon ancienne vie.»

Si ce témoignage ne vise qu’à dire: «maintenant, je suis du bon côté, je suis installé dans une autre vie où ce passé-là n’a plus cours», si ce témoignage ne vise qu’à cela, alors, il n’est au yeux de Paul qu’un déchet, une ordure de plus sur le grand tas d’immondices que les humains ont accumulé devant Dieu depuis la nuit des temps.

Il ne sera positif aux yeux de Dieu, ce témoignage, que si nous ne nous satisfaisons pas du chemin parcouru; et qu’au contraire, nous l’utilisons pour aller plus loin. Comme un tremplin.

Ne pas s’arrêter sur la route. Avec l’apôtre, viser à sans cesse quitter son passé et son présent pour découvrir le futur du Christ à nouveau, chaque jour. Qu’aujourd’hui devienne la charnière dynamique entre hier et demain.

Nous n’aurons fini de nous convertir que lorsque nous parviendrons auprès de Dieu, dans son règne parfait, là où notre épaisseur humaine ne nous empêchera plus d’être en parfaite communion avec le Ressuscité. Non pas donc dans l’éternel repos, comme on le dit souvent. Mais plutôt dans le mouvement dynamique et sans cesse créateur de la Vie en Christ.
Amen

Jean-Jacques Corbaz

 


 

 


lundi 20 janvier 2025

(Li) Accueil - Finis tes devoirs

Bonjour, et merci d’être venus ce matin !

 

C’est l’histoire de Toto, dix ans, qui appelle : « Maman, je peux aller jouer dehors ? »

Celle-ci répond : « Pas avant d’avoir fini tes devoirs, mon chéri ! »

Toto, alors, s’adresse à son père : « Papa, dépêche-toi de finir mes devoirs, j’aimerais aller jouer dehors ! »

 

Vous l’imaginez bien, chers ami.e.s en Christ, notre Père du Ciel agit différemment : il ne va pas faire nos devoirs à notre place ! Au contraire, il nous appelle à prendre notre vie en main, sans magie et sans nous reposer sur autrui, pour la rendre plus belle, meilleure !

 

Bienvenue donc à cette école de Dieu ! Que ce culte nous aide à vivre de manière responsable, envers nous et envers le monde !

 

Jean-Jacques Corbaz, septembre 2016      

 

(Pr) L’unité des chrétiens, à construire de nos mains

 

Lectures: Sophonie 3, 14-20; Marc 9, 38-41

«Non, non, mon enfant, Jésus ne nous a pas donné des paroles mortes, que nous ayons à renfermer dans des petites boîtes (ou dans des grandes). Et que nous ayons à conserver dans (de) l'huile rance comme les momies d'Egypte. Jésus-Christ, mon enfant, ne nous a pas donné des conserves de paroles à garder. Mais il nous a donné des paroles vivantes. À nourrir. Les paroles vivantes ne peuvent se conserver que vivantes, nourries vivantes. Nourries, portées, chauffées, chaudes dans un cœur vivant.»

Ces lignes de Charles Péguy mettent le doigt sur une bizarrerie de l’humanité croyante: car la parole vivante du Christ, cette force étonnante de l’amour de Dieu qui sauve, nous avons sans cesse tendance à l’enfermer dans des habitudes, dans des règlements, dans des rituels qui la figent. Pire encore, ces rigidités nous poussent à nous retrancher, et à mépriser celles et ceux qui vivent leur foi dans des formes différentes des nôtres. Voire à les combattre.

Mais pourquoi donc?

La réponse à cette question pourrait nous mobiliser de nombreuses heures. Ce matin, je me bornerai à examiner quatre pistes de réflexion.

1. Premier élément: Ouin-Ouin se dispute avec sa femme. Le ton monte, la colère bouillonne. Chacun campe sur ses positions, de plus en plus durement. La situation devient difficilement tenable. Comment s’en sortir? Finalement, c’est Ouin-Ouin qui fait la concession: «Écoute, d’accord. Je me suis trompé. Tu avais raison, je me rallie à ton avis.»
«Trop tard, coupe Mme Ouin-Ouin, moi aussi, j’ai changé d’avis, maintenant!»

Parfois nous aimons le conflit. Ou tout au moins, ça nous arrange bien. Il est plus facile, en fait, de se retrancher dans une opposition catégorique plutôt que d’entrer en dialogue vrai, qui demanderait d’écouter l’autre, avec ses nuances et ses particularités. Qui nécessiterait de mettre la recherche de la vérité avant toute caricature partisane.

2. Deuxième élément. La vérité n’est jamais simple. Elle est multiple, changeante, mobile. Elle varie selon l’époque, selon le lieu. Et nous, nous sommes trop limités pour en percevoir toutes les facettes. Il en va de la vérité comme d’un grand miroir brisé en mille morceaux: chaque fois que quelqu’un en découvre un petit fragment, il proclame avec fierté: «J’ai trouvé la vérité»!

3. Troisième élément. Cette vérité qui nous dépasse s’est approchée de nous en Jésus Christ. Il veut nous attirer à lui, tous, ce qui ne pourra que nous rapprocher les uns des autres.

Si nous acceptons la réconciliation fondamentale que le Crucifié nous offre, cela nous conduira à nous réconcilier les uns avec les autres. En nous libérant de nos peurs, de nos blessures, de nos aveuglements, il nous ouvre la porte d’une existence allégée, donc plus accessible aux autres.

Prier pour l’unité des chrétiens, c’est d’abord se laisser attirer par le Christ, en Dieu qui veut «enlever les condamnations qui nous pèsent», comme l’écrit Sophonie. «Son amour te donne une vie nouvelle».

4. Dernier élément: le dialogue. Pour progresser dans la proximité de Dieu, nous gagnerons à aborder les croyants d’autres confessions ou traditions sans préjugés; à les interroger sur leurs valeurs et leurs priorités; à chercher ensemble à découvrir de nouvelles richesses chez eux…

Se regarder comme partenaires dans une recherche spirituelle, et non adversaires. Partenaires différents, avec chacun nos éclats de génie et nos rigidités; avec chacun nos prudences bénéfiques ou excessives; avec chacun nos raccourcis prophétiques ou simplistes (ou les deux!); avec nos espoirs et nos peurs…

Dites, et si nous osions jeter le masque, dévoiler les craintes qui nous donnent trop souvent l’air intolérant, avouer nos points faibles, que nous camouflons parfois sous des durcissements bien peu évangéliques?

Un dicton allemand affirme: «Wer keine Argumente hat, brüllt» (qui n’a pas d’arguments hurle)!

Les parents d’adolescents s’en aperçoivent fréquemment: cacher ses faiblesses sous la colère ou la rigidité des principes ne peut qu’éloigner son interlocuteur, surtout s’il s’agit d’un enfant qui devient adulte, et qui se pose des questions, et qui sent bien nos refus inavoués, nos failles.

Croyez-vous que les Églises puissent se regarder les unes les autres comme adultes? Et entrer en dialogue vrai?

Le véritable scandale, aujourd’hui, ce n’est pas la division des chrétiens, mais bien l’intolérance, le fanatisme; la culture des préjugés; le rejet de dialogue. Le malheur ne tient pas au fait que nous ne parvenons pas à penser et croire les mêmes choses, mais que, différents de foi et de pensée, nous ne soyons pas capables de vivre fraternellement.

On ne pourra pas dire, devant Dieu: «On ne s’aimait pas, Seigneur, pour des motifs religieux». Il vaudrait mieux pouvoir affirmer: «On ne pensait pas la même chose, Seigneur, mais, à cause de toi, on s’aimait.»
Amen

Jean-Jacques Corbaz


(Bi, Re) L’unité des chrétiens - Pluralité bonne ou mauvaise?

Chaque année, du 18 au 25 janvier, c’est la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Nous qui nous réclamons de Jésus, nous sommes si différents dans notre façon de vivre ce lien!

Une seule religion, mais plusieurs confessions. Un seul Dieu, mais différentes manières de vivre sa foi en lui, divers cultes, traditions, expressions, regards. Catholiques, Réformés, Évangéliques et autres, Dieu nous crée à son image: multiples, foisonnants, complémentaires.

Quand nous constatons cette diversité, nous pouvons avoir deux attitudes extrêmes, qui sont aussi peu évangéliques l’une que l’autre: soit chercher à abolir cette pluralité, soit s’y complaire.

Celles et ceux qui rêvent d’une Église unanime méconnaissent autant Dieu que l’humanité. Une communauté de foi où tous penseraient, croiraient et vivraient les mêmes choses ne peut exister que par la contrainte ou la mascarade, coupée de Celui qui nous rassemble. Qui lui-même est trois personnes, révélé par quatre évangiles multicolores! Nous avons besoin de notes différentes pour créer une symphonie. Une unité lisse et inodore ne peut être que morte, à l’opposé du Dieu vivant.

À l’autre extrême, mais de manière presque semblable, se tiennent celles et ceux qui se résignent à cette pluralité sans chercher ni dialogue ni passerelles. Fatalistes, passifs. Comme si le Christ se satisfaisait de voir son corps partagé. Là encore, une diversité sans élan les uns vers les autres ne peut être que morte. Dieu est le Dieu des vivants, nom de Lui!

Il nous appelle à un pluralisme en marche, en prière d’unité, en recherche d’harmonie. Nous rapprocher sans cesse de la Vérité, qui nous échappe toujours, mais que nous pouvons continuellement apprivoiser. Nous regarder de plus près les uns les autres, comme personnes passionnaimées de Dieu. Chercher à nous connaître, voire à nous comprendre, à nous respecter plutôt qu’à nous conquérir. Un pluralisme symphonique, en somme, où l’amour les uns des autres soit en visée prioritaire.

… Et tout ce que je viens de dire des chrétiens, vous pouvez encore le transposer à la diversité des religions, voire des spiritualités sur l’ensemble de la terre. Mazette, il y a du boulot!

Avec vous, sur ce chemin,


Jean-Jacques Corbaz, pasteur      


mercredi 1 janvier 2025

(Co) Noëlle, l’aimante religieuse


 
Chapitre 1


Elle s’appelait Noëlle, mais n’avait guère eu de père. Davantage grand gosse que Bon Enfant, l’auteur de ses jours prolongeait son adolescence sur les chemins et dans les cafés au moment où Noëlle commençait la sienne.


- Pap’…


Ça faisait bien rigoler les copines: si souvent elle se trompait. Le prof interpellé en rajoutait parfois: «Noëlle, voyons, tu te crois à la maison?». Hélas non, M’sieur, chez nous, il n’y est jamais, le Pap’. Plutôt au bistro. Ou au foot. Ou…


Alors elle rougissait encore plus fort en maudissant celle qui prenait toute la place dans la petite villa, reine-mère écrasant le prince qu’on sort, à qui ne restait d’autre choix que de sortir encore.


Treize ans déjà que ça durait. À cause d’elle, d’ailleurs, lui avait-on dit, puisque Mam’ avait dû rester couchée toute la grossesse, et que son humeur s’était altérée en même temps que son tour de taille, et qu’hélas ni l’une ni l’autre n’avait subi de réelle amélioration depuis.


- Oui, euh, M’sieur! C’est l’heure du caté. Je peux y aller? Ce s’rait sympath’!


Et Noëlle allait. Vite. Car l’instruction religieuse était le meilleur moment de sa semaine. Tous ces récits légendaires ou imagés faisaient chanter son imagination rêveuse; ces événements surnaturels ouvraient la fenêtre à de prometteuses collisions entre fantasmes et réalité.


Et surtout, surtout, l’essentiel: un Père toujours là, disponible. Il suffit d’une prière; même pas, d’une pensée, et il écoute. Romantisme d’adolescente et confiance enfantine s’unissaient pour faire de Noëlle une catéchumène modèle.

                                                   *


Cette année-là, en septembre, le  pasteur aux tempes grises prit sa retraite. Noëlle le regretta, mais pas longtemps. Car lui succéda un jeune aux cheveux blonds, plein d’idées nouvelles, enthousiaste et chaleureux. Que Mam’ n’aimait pas trop, bousculée qu’elle se sentait dans ses habitudes. «Cheveux blonds, idées courtes» disait-elle, en citant (mal) son chanteur préféré.


Ces critiques maternelles ne firent que stimuler l’intérêt naissant de Noëlle, renforcé par un adolescent esprit de contradiction. À la sortie du caté, elle restait de longues minutes à parler avec Antoine, c’était le nom du jeune ministre. Échanger à propos de la Bible, mais aussi du quotidien. De ce père absent. Et de ses rêves, à peine ébauchés, de partir très loin faire le bien. En Afrique peut-être. À Lambaréné, pourquoi pas, comme infirmière, avec le Dr Schweitzer?


Le coeur de Noëlle battait un peu plus fort qu’il n’est décent. Antoine, d’ailleurs, n’avait pas l’air indifférent. Il semblait apprécier ces échanges, allant même parfois jusqu’à évoquer, mais très discrètement, un ancien chagrin d’amour. Quand elle était seule, la jeune fille passait de longs moments à rêvasser, à dessiner, à soupirer. Voire parfois à écrire de petits poèmes secrets exaltant son «Prince Bleu», comme elle le nommait. Sans bien savoir s’il s’agissait d’Antoine ou d’un inconnu à venir.


Les choses se gâtèrent lorsque Mam’ découvrit ses petits trésors, pourtant cachés avec soin. Elle lui fit une scène incroyable, comme si elle avait tout deviné. Tout? Mais il ne s’était rien passé. Il ne s’était encore rien passé.


Il faut dire que la reine-mère avait le don de percer les secrets les mieux dissimulés. Si par malheur sa fille avait fait une tache sur un rideau du salon, dans un coin sombre pourtant, Mam’, en rentrant, sans même enlever son manteau, allait directement à l’objet du délit avec un flair de limier et commençait son enquête. Et une fois, une unique fois où Noëlle avait cédé à l’envie de s’acheter en cachette un minuscule bracelet orné de coeurs, qu’elle avait soigneusement recouvert de mille vieilleries qui ne servaient jamais, mieux dissimulé, impossible… Pourtant, le soir même Mam’ brandissait le petit bijou au nez de sa fille avec des questions en rafale…


Bref, poèmes et dessins passèrent à la poubelle, rejoignant le bracelet et d’autres trésors éphémères que la police du logis avait bannis. Ils s’en allèrent nourrir une verte rancune de la fille à l’égard de sa mère et rendre encore plus froide l’atmosphère de la maison, que Pap’ d’ailleurs avait fini par déserter définitivement.


Ainsi, Noëlle n’était heureuse que dans la paroisse. De préférence dans l’entourage d’Antoine. Après sa confirmation, demandée et reçue avec bonheur, elle s’engagea comme aide pour le caté. Ainsi que dans le groupe de jeunes, qui animait des cultes et des rencontres pour adolescents comme pour tous âges. Lambaréné, elle n’y pensait même plus.


Son entrain, son dévouement passionné, sa disponibilité la firent rapidement apprécier de tous. Et en premier lieu d’Antoine, qui se plaisait à le relever en souriant: «Noëlle, c’est un cadeau! Mais c’est elle qui m’emballe!». À ces mots, l’intéressée se sentait soulevée de bonheur, sans se demander d’ailleurs s’il lançait cela pour le jeu de mots ou si réellement il le pensait.

                                                    *


Sa formation d’infirmière achevée, Noëlle accepta un poste à l’hôpital proche de leur village. Ce qui lui permit de poursuivre assidûment ses engagements paroissiaux, voire d’en ajouter.


En fait, elle était devenue indispensable à cette petite communauté rurale, portée par un pasteur toujours aussi dynamique. Antoine et Noëlle se complétaient dans une belle harmonie. Elle disait en souriant: «Il est le berger, et moi le chien qui rameute le troupeau!». Même s’il ne s’était pas déclaré, pas encore, il lui était devenu si proche, si doux, si prévenant aussi, qu’elle sentait bien qu’un jour, oh un jour bientôt peut-être, oui, un jour bientôt sans doute… Soupirs…


Hélas. Les rêves sont traîtres, et l’imagination nous mène souvent par le bout du nez. La chute est dure, quand la réalité nous frappe en pleine face.


Un jour d’avril, donc, Noëlle vit arriver Antoine… accompagné. Une jeune femme un peu timide qui le couvait d’un œil amoureux. Les joues un peu roses, le pasteur venait présenter sa fiancée à la paroisse. Ils allaient se marier en juin.


Un merle sifflait dans le noyer voisin. Il semblait à Noëlle qu’il susurrait, d’un air flûté: «pffuii, pffouii», un peu comme la jeune suisse-allemande qui travaillait chez les Besson. «Pffuiii, je te l’avais dit…». Un merle. Un oiseau noir à l’image de la mort, au bec jaune comme un amour trahi. Jaune comme les fleurs qu’elle avait cueillies pour décorer l’église ce dimanche-là. Jaune aussi comme son rire, qui aurait voulu saluer sa rivale, mais qui en était incapable.


Comment Noëlle réussit à ne pas pleurer devant tout le monde, elle ne saura jamais le dire. Ce n’est que dans sa chambre, à l’écart de Mam’ qui ne bougeait plus ses 120 kilos de son fauteuil, ce n’est qu’une fois sûre d’être vraiment seule qu’elle put enfin laisser, goutte à goutte, s’écouler sa tristesse immense et son désespoir. Pas de torrents, non, pas de cris non plus. Juste une longue peine, indicible, impossible à tarir.


Cette nuit-là, réfugiée dans la vieille grange à foin de ses ancêtres devenue inutile depuis le triste décès de l’oncle Jules, Noëlle se sentit elle aussi inutile et vide. Poussiéreuse. Elle regarda les poutres, juste là où le dernier paysan de la famille avait été trouvé au bout d’une corde, le jour où il avait cru être atteint du cancer. Alors qu’il ne l’était pas, sombre histoire. Cherchant des yeux de quoi, elle aussi… Mais en vain. Tant de toiles d’araignées masquaient sa vue, embuée d’ailleurs.


Araignées. Elle se surprit à regarder plus attentivement le dessin des fils harmonieusement tissés. Se souvenant du même coup d’une prédication d’Antoine à propos de la Création. Laquelle, disait-il, reflète la beauté même de Dieu! Voyez les fleurs du printemps, ajoutait-il, si bien colorées de jaune, de bleu, comme pour chasser la morosité de l’hiver, et chanter Pâques, nouvelle création! Pensez au chant des oiseaux, qui sont beaucoup plus fréquents, variés et mélodieux qu’ils ne devraient l’être selon les théories des biologistes. Contemplez les toiles d’araignées, oeuvres d’art méconnues, et même arrêtez-vous sur celles qui les ouvragent, elles aussi beautés ignorées!


Noëlle, qui avait toujours détesté ces bestioles à huit pattes et leurs fils gluants, s’était mise depuis ce culte à les regarder d’un oeil neuf, voire à les aimer. Étonnamment, même Mam’, qui lui faisait parfois penser à une grosse épeire trônant au milieu de sa toile, oui même Mam’, à y bien penser, était une oeuvre du Créateur, dont la beauté et l’utilité, quoique cachées, ne devaient pas moins être réelles.


Retrouvant un peu la sereine confiance qui rayonnait des prédications d’Antoine, Noëlle, sans s’en rendre compte, prit une légère distance d’avec son désespoir. Repensant à cette proximité qui lui faisait tant de bien, elle se surprit à se réjouir de le revoir, d’entendre encore ses mots passionnés et passionnants, ses discours imagés si clairs et doux, ses contes lumineux. Non, elle n’allait pas renoncer à tout cela à cause d’une autre femme. Elle puiserait dans son amour et dans sa foi la force de supporter même l’insupportable. Elle continuerait à s’engager auprès du pasteur et dans la paroisse, autant voire plus qu’avant.

 



Chapitre 2


Les années ont passé. D’abord lentement, puis de plus en plus vite. Antoine et sa douce épouse un jour de printemps sont partis pour un autre poste, où les talents du conteur étaient vivement souhaités.


Lui ont succédé d’autres ministres, de toutes sortes. Des jeunes, des bedonnants; des curieux, des éloquents. Elle, Noëlle, est restée, reportant sur les nouveaux habitants de la cure tout son amour et son dévouement. Voisine de la demeure aux volets verts et blancs, elle en est devenue la gardienne attitrée, s’occupant du courrier, des plantes en pot et du jardin en l’absence du pasteur et des siens. Détenant la clé, en cas de besoin. Veillant sur tout, l’oeil attentif. Aidant autant qu’elle peut.


Elle se sent membre de leur famille. D’ailleurs, plusieurs l’ont relevé avec chaleur et reconnaissance. Le successeur d’Antoine lui a même glissé, dans un clin d’oeil, une petite carte, certain soir où ils n’étaient plus que les deux pour ranger la salle après la kermesse paroissiale. Il y avait écrit: « Merci, Noëlle, tu m’es précieuse! Que serais-je sans toit, comme chantait Jean Ferrat un jour de déluge!»


Quant à ses engagements paroissiaux, elle ne les a pas abandonnés. À plus de huitante ans, elle est encore monitrice du Culte de l’enfance, lectrice au culte, responsable de fleurir l’église. Elle conduit encore, malgré ses yeux de plus en plus souvent embués de gris. Mais disons que sa manière très… personnelle d’interpréter les règles de priorité cause de multiples frayeurs aux parents de ses jeunes passagers, quand elle les transporte d’une église à l’autre!


Mam’ est décédée, un soir où ses artères ont lâché. Noëlle ne s’est jamais mariée. Ou plutôt: elle s’était unie à sa paroisse, à ses pasteurs successifs, à leur famille, pour la vie. Sublimant à leur profit son amour pour Antoine.


Les vacances du ministre et des siens sont pour elle un temps étrange et ambigu: à la fois elle se sent heureuse et utile, car elle règne sur la cure en maîtresse des lieux; mais d’un autre côté elle souffre de l’absence de son demi-dieu, et des enfants, peut-être surtout des enfants, qu’elle aime tant voir de sa fenêtre gambader dans le jardin.


Alors, imaginez son émotion quand elle apprend, un soir de printemps (mais pourquoi est-ce toujours au printemps?) que le pasteur va quitter la paroisse. Qu’il déménage à fin juin. Et qu’il y aura un jeune successeur, oui, mais pas avant l’année prochaine, pas avant Pâques au moins. Entretemps, oui, un remplaçant, mais qui habite ailleurs.


Dix mois! Dix mois où la cure sera inhabitée. Vide et inutile. Et le jardin désert. Noëlle sent soudain se rouvrir une blessure vieille de cinquante-sept ans. Vide et inutile, elle aussi. Puisqu’Antoine ne sera plus là… mais non, il s’appelle André. Même plus de grange où aller pleurer, elle a été démolie pour y construire des appartements. Même plus d’araignées…


«Il reviendra z’à Pâques, ou à la Trinité», chantonne-t-elle dans sa tête meurtrie. Mais comment vivre jusque-là? Ou plutôt, comment ne pas mourir? Soupirs.


Elle se rassérène un peu quand elle apprend que le futur ministre et sa femme sont fraîchement mariés, donc qu’il y aura, peut-être, des bébés à venir. Et puis, ils feront déjà quelques passages avant l’hiver pour s’occuper un peu du jardin, en vue de leur installation en avril. Et tiens, Madame est infirmière, elle aussi…


En désherbant les alentours de la cure afin que tout soit beau pour leur venue, Noëlle aperçoit un jour une minuscule repousse de cerisier sortie du sol. Un petit germe tout neuf, à l’abri de la vieille demeure. Comme un signe. Oui, Dieu crée toujours. Mais combien d’années faudra-t-il pour que cette petite tige devienne un arbre, et qu’il donne des fruits? Je ne serai plus là, se surprend-elle à penser.


Et tout en continuant son ouvrage au mépris de ses articulations qui grincent, elle médite sur la fragilité de la vie. Et sur le cimetière, où repose Mam’ depuis vingt ans. Là où elle la rejoindra un jour. Sans doute.


Ses pensées lui remettent en mémoire l’une des affirmations acides que sa mère répétait fièrement chaque fois qu’elles allaient fleurir la tombe de l’oncle Jules. Un aphorisme grinçant que Noëlle redoutait d’avance: «L’être humain est si bête, affirmait Mam’: cela fait des siècles et des millénaires qu’il met ses morts en terre en espérant qu’une vie y germe de nouveau. Mais non, rien ne sort. Malgré tout, il continue de planter ses défunts, attendant je ne sais quel prodige.»


Noëlle se demandait toujours ce qu’Antoine aurait répondu. Mais elle n’avait jamais osé lui poser la question. D’ailleurs qu’importe, à présent.

                                                     *


Avril arrive enfin, au bout d’un hiver interminable, mais il arrive. Amenant dans son panier le nouveau couple pastoral. Jonquilles et forsythias rivalisent avec les pissenlits et renoncules pour célébrer l’espoir.


Pourtant Noëlle a de la peine à se mettre au diapason. Elle se sent fatiguée, parfois, sans entrain. Ses jambes sont lourdes. Les matins difficiles. Elle qui s’est toujours levée avec les poules pour ne laisser perdre aucune minute de la journée offerte, comme un trésor qu’il s’agit de ne pas galvauder, elle si active, tellement généreuse de son temps et de ses forces… Elle ne se reconnaît plus.


Et puis, il y a ses pensées, ou plutôt ses ruminations, qui la ramènent si souvent vers le passé. Ou vers le futur proche, le cimetière. Lorsqu’elle s’y rend, quand le vent souffle, elle est parfois surprise de voir les fleurs s’agiter, comme prises de sanglots.


Bien sûr, le nouveau pasteur est là. Il redonne souffle à la paroisse. Plein d’idées nouvelles, avec enthousiasme et chaleur; il affectionne les images, les contes. Mais ce n’est pas vraiment comme avant, comme Antoine; ni comme les autres. Bousculée dans ses habitudes, peut-être.


Noëlle se surprend fréquemment à observer le ventre de la jeune épouse. Une vie y prendrait-elle racine? Mais elle a beau guetter, la rondeur tant souhaitée ne se manifeste en rien. Pas davantage que d’éventuelles nausées.


Aider, bien sûr, aider. Mais cette fatigue. Ces articulations qui protestent. Et aussi, tiens, cette douleur furtive parfois, là dans le ventre. Pas forte, non, mais un peu sourde. Et qui revient, tenace, au même «là». Serais-je comme l’oncle Jules?


Son médecin, qui la suit régulièrement maintenant, veut la rassurer à chaque fois. Mais non, ce n’est rien, à votre âge, c’est normal, la fatigue, les petites douleurs… Vous nous enterrerez tous…


Un jour qu’elle arrive à la cure pour boire le café, elle entend par la fenêtre ouverte le couple qui discute: «Tu te rends compte, hier Noëlle est venue six fois sonner à la porte. Six fois! J’ai noté». Le coeur battant fort, elle rentre chez elle. Oui, c’est vrai. Les pasteurs précédents, je les ai aidés. Mais maintenant, c’est moi qui ai besoin d’aide. Je ne suis plus un cadeau.

                                                   *


L’été passe, puis l’hiver, puis un nouvel été. Et c’est en  avril, encore une fois, que la nouvelle arrive enfin, qui la surprend même, tellement elle n’y croyait plus. Après presque deux ans, une petite vie bourgeonne dans le ventre de la jeune infirmière.

 
N’ayant plus d’activité professionnelle par choix, Madame Pasteur entoure Noëlle de plus en plus, ce qui les rapproche beaucoup. Et sa formation médicale lui permet d’être un secours  efficace pour sa santé.


L’octogénaire en effet souffre, souvent et plus que souvent, de son pénible passé qui lui crée des lancées dans l’abdomen. Le médecin tient la jeune infirmière au courant de tout, puisqu’à présent la cure est la seule famille de Noëlle. Le mal est grave.


Féru de théories récentes, le toubib explique que de telles tumeurs apparaissent fréquemment deux ans après un gros choc, ou un profond chagrin. «Deux ans? Mais c’est quand la cure est restée inoccupée durant dix mois» pense le pasteur. «Nous ne la connaissions pas assez alors pour mesurer l’ampleur du choc qu’elle a subi».

                                                     *


L’été est suffocant, cette année-là. L’infirmière enceinte souffre, mais ce n’est rien à côté de ce qu’endure Noëlle. Car elle additionne ses maux, de plus en plus violents, à sa compassion pour la future mère: elle a toujours porté la famille pastorale dans son coeur et sur son sein, ce n’est pas maintenant que ça va changer.


Septembre vient fredonner doucement un refrain plus doux. Les canicules sont passées, mais pas l’immense fatigue de Noëlle. Courageuse, elle refuse de se laisser abattre. Pourtant l’effleure aux soirs de larmes l’envie de partir. Partir… Son médecin assure à ceux de la cure qu’elle n’en a plus pour longtemps.


«Je ne comprends pas ce qui la garde encore en vie, elle a des tumeurs partout» murmure un soir Madame Pasteur à son époux, après une énième visite à Noëlle. «Je crois savoir ce qui la tient, répond l’homme: elle attend que tu aies accouché».


Bébé est attendu pour octobre. Les semaines s’allongent et n’en finissent pas. L’herbe sèche, la fleur se fane. La vie se retire peu à peu. Comme le chante si bien Jacques Brel, Noëlle ne voyage plus que «du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil, et puis du lit… au lit».

                                                      *


Avec un peu d’avance, bébé tant attendu se montre enfin! À la maternité, infiniment heureux et reconnaissant, le couple se promet que sa première visite, dès que maman et nouveau-né seront à la maison, sera pour Noëlle. Si elle est toujours là.


Trois jours plus tard, ils sonnent à la porte en tremblant un peu. La froide pluie d’automne, qui s’en est donné à coeur joie, vient de s’interrompre doucement, comme par respect pour l’instant, pour ne pas déranger. 


Dans son lit, Noëlle se dresse. Elle aperçoit le trio, et le bébé, et surtout le bébé. Elle s’illumine de l’intérieur, et malgré les gros nuages noirs dehors, on peut voir dans la petite chambre comme s’il faisait grand soleil. «Il y aura de nouveau des petits rires à la cure!» sourit-elle, oubliant ses souffrances pour quelques brèves secondes.


Le lendemain, Noëlle soupire pour la dernière fois. Sous son oreiller, on découvre une vieille photo fripée et un peu jaunie. Au verso, rien qu’un prénom: Antoine.


Elle s’appelait Noëlle.


Jean-Jacques Corbaz, terminé en automne 2024      



N.B. Cette histoire est une fiction. N’y voyez pas d’exactes correspondances avec des personnes ayant existé, même si elle s’en inspire largement, le second chapitre surtout. On pourrait ainsi reconnaître dans le bébé et les circonstances de sa naissance celles d’un… pasteur prénommé Sylvain. La réalité a parfois autant d’imagination que les romanciers!
JJC