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dimanche 18 novembre 2018

(Pr) Julien, la poutze et la tendresse

Narration du 18.11.18  «Compter ses jours»

Lectures:  Psaume 90, 1-6 + 12; Matthieu 5, 3-9; Apocalypse 21, 1-4

 

Elle est assise là, sur le banc public; sur la petite place pour les jeux des enfants, au bord de la grande rue du village. Elle est assise, fatiguée de toutes ces années de peine, de toutes ces journées, trop pleines, où il fallait aller, venir, et encore aller, sans trêve, même pas le temps d’un rêve!

Elle est assise, elle essaie de reprendre son souffle; et surtout de reprendre le cours de ces pensées, qu’elle avait toujours dû renvoyer à des jours... euh, meilleurs? Enfin, à plus tard.

Elle est assise, pour passer le temps de ces matins maintenant trop longs; trop vides; sans présence; sans arrivée et sans partance... Huitante-neuf ans, déjà....

Alors, elle regarde les gens; les passants. Les passants du marché; les marchands du passé... très passé, le bon temps! Très.

Elle regarde les gens, et parfois reconnaît un visage. “Bonjour!” -Oh, déjà parti. Elle regarde les gens, et souvent ne reconnaît rien. Les Jean, les Jules, et les Julien, qui sont les vieux de demain. Ça va? Voui, voui, ça va; ça vient.

Julien... c’est qu’il lui manque; terriblement. Julien... Son homme. Son bonhomme, elle disait.

Julien... Quand elle pense à tout ce qu’elle a rouspété après lui, de son vivant; à tout ce qui l’énervait si fort: les essuie-mains, tout salis à peine elle les avait changés; les cheveux dans le lavabo; les verres et les tasses, rangés n’importe comment; les traces de ses souliers, boueux, sur le plancher, qu’il avait (encore!) oublié d’essuyer (...les souliers, pas le plancher!).
 

Julien... Oh, si j’avais su que la vie était si courte, je t’aurais parlé un peu moins de poutze, et un peu plus de... mais je ne sais même pas comment ça s’appelle; je crois que je n’ai pas appris à “ça” nommer. Et toi, encore moins, je sais bien.

Tu te souviens? À notre mariage, le pasteur avait lu ce verset d’un psaume: “Seigneur, enseigne-nous à bien compter nos jours, afin que notre coeur apprenne la sagesse... Fais-nous comprendre que nos jours sont comptés”. Eh bien, je regrette; j’avais écouté; mais pas compris.

Quarante-sept ans ensemble, pourtant, ça nous a paru long, des fois. Sur le moment. Ces mois de chômage, dont on ne voyait pas le bout. Et puis, ces soirs, quand les gamines ne rentraient pas; je m’inquiétais; la pendule ne voulait pas avancer. Quarante-sept ans, tous ces jours étaient comptés.

Et puis, Julien, tu es tombé malade. Cette grosseur, là... Tout s’est accéléré. Hôpital. Convalescence. Espoir! -Et rechute. Re-hôpital; re-convalescence; re-espoir! -Re-rechute, ma foi. Et... le visage fermé du docteur, quand... il est venu... me dire: “Madame Viret, il faudra être courageuse”.

Quarante-sept ans, comptés et... bien comptés.
 

À l’école, c’était tout simple de compter. J’aimais ça! Des pommes + des poires. Des kilos de farine; + des kilos de plumes, et des kilos de plomb...

Mais compter: des jours; des mois; des années. Fois deux. Divisés par nos énervements, nos impatiences. Et moins, surtout, moins tout ce que j’ai oublié. Parce qu’on était trop pressés.

Pressés de faire... quoi, je vous le demande. Pressés vers quoi? Par qui? ... Parti!

Pressés de vivre; pressés de vieillir; et maintenant, déjà, pressés...  de mourir? Mais, mon Dieu, quelle vie!?
  
Est-ce qu’on ne pourrait pas... ralentir? Aller... autrement? Goûter nos journées... S’arrêter devant une rose... La sentir entrer en nous... Se tourner vers le soleil... S’ouvrir à sa chaleur... comme une fleur? Respirer la vie? Prendre le temps d’apprécier celles et ceux qu’on aime. Faire des provisions de tendresse...

Ces passants, pressés: mais qui va le leur dire?

- Ohé! Arrêtez-vous, les jeunes! Prenez le temps de souffler; d’admirer; de rêver. Prenez le temps d’aimer! Dans vingt ans, vous direz: “Ah, si on avait vingt ans de moins!”. Eh bien, aujourd’hui, vous les avez! Alors, profitez!

Moi? Je ne les ai plus; évidemment. Il faut que je rentre à la maison. Je suis fatiguée, mais un peu soulagée aussi. Ça m’a fait du bien de crier.

Tu sais, Julien, je te sens mieux, maintenant. Je vis un peu plus ta présence, en ce soir de tristesse. La vie n’est pas facile. Mais ça m’aide. Tu m’aides.
  

Elle est assise là, sur le banc d’angle, dans sa petite cuisine, trop grande pour elle seule. Son souper terminé, elle prend sa bible; l’ouvre; et y voit un bout de journal qu’elle avait découpé, il y a quelques années. Un bout de journal où est inscrite une phrase du pasteur Zeissig, qu’elle aimait écouter à la radio. Elle relit cette parole, la repasse dans son coeur et médite. Sur ce bout de papier, il est écrit:  “Dieu t’a donné la vie courte; pour que tu n’aies pas le temps    de la faire petite.”

“Dieu t’a donné la vie courte; pour que tu n’aies pas le temps de la faire petite.”

Elle reste longtemps en silence, puis elle se met à prier: “Seigneur, enseigne-moi à mieux compter mes jours!”

Amen

Jean-Jacques Corbaz 








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