Nîmes, Tour Magne |
Je lui ai dit, balbutiant ma presqu’espérance:
- Vieil homme, où se trouve la place des fêtes?
Il me répondit, avec son accent inimitable, que je vais essayer d’imiter pour vous tout de même:
- Héh, mom bong, ça fé quaïnze ang queu jeu lacherchossi, moi-mêmeu, véh!
Conciliant, je conciliabulai de concert:
- On pourrait peut-être la chercher ensemble?
La réponse tomba, comme un silence de plomb:
- Ma placeu dé fête, elleu n’é pas la mêmeu queue la tienneu!
Vous avez remarqué avec quelle facilité on se tutoie dans les contes fantastiques - remarque qui me permet de souffler et de reprendre mes esprits.
Autour de moi, la rue était vide. Mon petit homme avait disparu.
Extrapolant sa direction, je courus cahin-caha-Caïn à belle allure - mais pas très longtemps. Au premier virage, je le vis qui dérapait légèrement, droit devant mon oreille gauche. Visiblement, il cherchait. Je l’ai suivi, sans mot dire, longtemps…
Nîmes, les Arènes |
C’est à Nîmes que nous l’avons rencontré. Entre les Arènes et la Tour Magne, c’est-à-dire pas très loin. Presque aussi ahuri que nous - j’avais fini par attraper l’accent.
C’est à Nîmes qu’il m’accosta. Entre la Touraine et les Allemagnes, c’était pas très original. Mais sa question me condamna:
- Vieil homme, où se trouve la place des fêtes?
Malheureux! Lui et moi, malheureux. Moi, vieil homme, l’étant devenu par trente ans de quête, de quête vaine et pourtant progressive, de dérapages et d’yeux trop grands. Trente plus quinze égalent quarante-cinq. Quarante cingle. Lui, jeune homme, trente ans, l’avenir devant lui. Comme moi, alors. L’avenir, à chercher sans désespérer; à désespérer tout de même, mais sans s’arrêter; à s’arrêter quand-même, mais aussi à repartir…
Malheureux…
- Malheureux…
Ma réponse hésitait, comme contrainte à la chute.
- Malheureux…
Et lui, l’innocent:
- Bienheureux, vieil homme, tu la cherches comme les autres. Mille fois tu l’as frôlée, mais toujours de trop loin. Vieil homme, bienheureux, tu n’as pas cherché en vain!
Et moi, amer, sans illusion, je savais que jamais je ne reviendrai:
- Malheureux, mon fils, lourde vie où je me traîne, sans but, et les autres avec moi. Autres devant, autres derrière. Malheureux les autres devant, usés par la poussière. Malheureux les autres derrière, devant eux tant de misère. Et toi, tu es le dernier, longue, longue misère.
Et lui, nuit de plein soleil, et lui, qui ne partirait plus:
- Je suis la place des fêtes, la tienne et celle de tous les autres. Tu as tant cherché sans trouver. Aujourd’hui, je te suis donné.
Emerveillé, je tendis les bras. Mes vieux bras fatigués, lourds de s’être tant arqués vers l’utopie inespérée. Emerveillé, je tendis mes bras muets…
Et soudain, la rue était vide. Le jeune homme avait disparu.
Pour la dernière fois, j’ai pleuré. Un arc-en-ciel irisait mes paupières.
Jean-Jacques Corbaz, août 1980
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