(un peu daté, mais se lit encore)
Allô? Vocation?
(Un bureau rétro couvert de papiers et de stylos, de livres ouverts et fermés, de rayons menaçant de s’écrouler sous le poids de la science. Un téléphone. Un pasteur assis au bureau et préparant sa prédication)
Le pasteur (déclamant):
«Chers paroissiens… La vocation est une grande chose…» Non! «La vocation est un grand mystère, qu’on ne peut approcher qu’à petits pas. Il me souvient de ma jeunesse…»
Le téléphone:
Drrring! … Drrrrring!!
Le pasteur (décroche):
Allô, pasteur Larage! (…) Oh! Seigneur! Comment allez-vous? (…) Ah, pardon, j’oubliais… Il y avait bien longtemps! (…) Comment? L’Île de Pâques? À vos ordres, Seigneur. Mais quand? (…) Dans six mois? Bon, ça va. (…) Pas de quoi! Merci, mon Dieu!
(reboucle)
Pfff… L’Île de Pâques… Ce ne sera pas facile… Ils parlent quelle langue, là-bas? Oh, non de D… - oh, pardon, nom d’une pipe, je n’ai pas pensé lui demander combien je serai payé.
(semble écouter une voix au plafond)
La valeur profonde du bénévolat? Bon, d’accord, Seigneur. Comme vous voulez. (…) Copier cent fois «je ne prendrai pas le nom de Dieu en vain»?! À vos ordres, Seigneur!
Enfin, l’avantage, c’est que j’en aurai fini avec ces zouaves de catéchumènes de ma paroisse qui me font chevrer!
Le téléphone:
Tu crois que ceux de l’Île de Pâques seront plus calmes, peut-être?
Le pasteur:
Toi, on t’a pas sonné!!
Le téléphone:
Bon, bon, je ne dirai plus rien.
Le Moraliste:
Et c’est pour cela que, depuis, les téléphones ne parlent pas sans qu’on les sonne…
La porte:
Toc, toc!!
Le pasteur:
Entrez, ma maison est ouverte à chacun!
(Voix du facteur):
Il s’agit bien de ça! Votre porte est fermée à clé!
Le pasteur:
Oh, c’est le facteur Dorg!
Excusez-moi, il doit encore s’agir d’une farce de mes catéchumènes. Je leur répète toujours de bien fermer la porte en partant.
(Voix du facteur):
C’est une lettre et le journal. Je peux vous glisser l’enveloppe sous la porte, mais la Feuille d’Avis est trop épaisse.
Le pasteur:
Je vous ouvre la fenêtre. Mais comment vais-je sortir de chez moi?
(Voix du facteur):
Peut-être que la clé est dans l’enveloppe?
Le pasteur (prend le journal par la fenêtre et la lettre sous la porte):
Merci, Monsieur Dorg! Je ne vous offre rien, vous comprenez…
(Voix du facteur):
En effet, je commence à comprendre.
Le journal:
Une catastrophe à l’Île de Pâques. Un raz-de-marée a détruit trois villages. 15 morts, 217 blessés, 45 disparus. Les Eglises organisent les secours sur place…
La lettre:
Le Département Missionnaire cherche d’urgence plusieurs pasteurs pour l’Outre-Mer: un au Togo, un pour l’Île de Pâques…
La femme du pasteur (faisant irruption):
Roger, le dîner est prêt!
Le téléphone (rigole):
Oh! oh! oh! Roger Larage, pasteur! C’est fin, comme witz!
Le Moraliste:
La morale n’a pas été respectée longtemps…
Le pasteur:
Ella, nous partons dans six mois pour l’Île de Pâques.
La femme du pasteur:
Comment? Depuis quand tu décides sans me demander mon avis? Ça vient d’où, cette lubie?
Le pasteur:
Ce n’est pas une lubie, c’est Dieu qui m’a appelé. C’est une vocation!
La femme du pasteur:
Tu y crois, toi, à la vocation?
Le pasteur:
Bien sûr! Et il y a le journal, et la lettre du Département Missionnaire.
La femme du pasteur:
Rien à faire! On ne part pas! Maintenant que je commence à me faire des amies ici. (Un temps) Et puis, ton histoire, c’est ridicule!
Le pasteur:
Mais ça vient de Dieu, nom de… euh, d’une pipe!
La femme du pasteur:
Ça sent un peu trop la farce. Quel jour sommes-nous?
Le pasteur:
Jeudi 1er octobre. Dimanche, c’est la fête du Département Missionnaire.
La femme du pasteur:
Pauvre naïf! Dans six mois, c’est le 1er avril! Jour de Pâques! Île de Pâques! Tu t’es fait encore avoir par tes catéchumènes!
Le pasteur:
On m’y reprendra à prêcher sur la vocation…
Jean-Jacques Corbaz, janvier 1980
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