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vendredi 23 août 2024

(Hu, Co) Anecdotes vécues par JJC pasteur

J’ai plaisir à vous conter de brèves anecdotes vécues, qui m’ont fait sourire… ou sursauter! J’ai modifié quelques noms par souci de discrétion.



Le pasteur de Palézieux
Chaque mois, nous pratiquions un «échange de chaire» avec la paroisse voisine, ce qui nous permettait de ne pas avoir à préparer une prédication cette semaine-là. C’est ainsi que, de «Palouze», j’étais devenu un familier des voisins d’Oron-Châtillens, tout proches, en particulier des organistes, concierges d’église et lecteur-trices.

Or il arriva qu’un certain dimanche, mon collègue Jean de Benoit étant indisponible, un remplaçant fut mandaté par l’Eglise cantonale, un pasteur retraité. Arrivé à la sacristie de Châtillens, il y est reçu par la toute brave concierge, Simone. Et il se présente: «Bonjour, je suis le pasteur de Palézieux!»
Stupeur de l’accueillante, qui réplique: «Mais non, je le connais bien, le pasteur de Palézieux, il est nettement plus jeune que vous…»
Le remplaçant s’appelait Etienne de Palézieux!

Raciste, moi?
La scène se déroule pile au même endroit: la sacristie de Châtillens. Cette fois, c’est moi qui viens célébrer le culte. M’accueillent Simone, donc, ainsi que le lecteur, Jeannot, un jeune paysan des Tavernes à peine plus âgé que moi.
Le tutoiement était encore rare en ce temps-là. Je serre donc la main de Jeannot: «Bonjour Monsieur!». Et lui de répliquer: «Vous êtes raciste?»
J’en ravale ma chique, moi qui commence à être bien connu pour des positions plutôt progressistes et qui ai vécu une année au Cameroun pour mes études. Vraiment inattendu.
Je balbutie: «Mais pourquoi dites-vous ça?». Et lui de sourire: «Parce que vous tutoyez les jeunes de Palézieux, et pas ceux des Tavernes!»
«OK, alors volontiers! Salut Jeannot!»

Le «do»
Cette chorale répétait un morceau difficile. Les messieurs en particulier avaient de la peine à respecter le bon tempo.
Finalement, le directeur trouve la parade: «J’invite les soprani à rester plus longtemps sur le ‘do’, pour que les ténors puissent entrer plus facilement»!

Le candidat
J’avais sollicité un ami afin d’étoffer la liste de candidats pour l’élection au Grand Conseil. Je savais qu’il était connu et apprécié dans tout le district, et que c’était donc une bonne pioche pour le parti. Chance, il accepte. Merci, Max!
Peu après, je le rencontre et lui demande comment ça va. «Ben, il y en a beaucoup qui ont peur de ne pas être élu. Moi, j’ai plutôt peur d’être élu!»
Élu, il le sera, effectivement. Et brillamment.

Berthe et le thé de St-Gall
Cette paroissienne âgée était très attachante. Veuve depuis longtemps, elle se débrouillait plutôt bien dans son intérieur.
À chacune de mes visites, elle me servait du thé. Et toujours le même commentaire: «Vous verrez, il est bon! Il vient de St-Gall, je le commande par la poste!»
Sauf qu’avec les années, les gestes préparatoires devenaient… disons aléatoires! Elle mettait chauffer l’eau avec un plongeur, et il me semblait qu’à chacune de mes venues, elle retirait l’objet de plus en plus tôt. De bouillante, l’eau est devenue peu à peu simplement chaude, puis tiède… Et le thé de plus en plus fade, bien entendu. Je dégustais le breuvage en souriant intérieurement.
Lors de ma dernière venue, dix jours avant sa mort, l’eau était carrément froide. Elle avait oublié de brancher le plongeur. Comme pour anticiper une fin de vie devenue inéluctable.
Adieu, Berthe! Que l’eau de là-haut vous soit pleine de bon thé!

Repose en paix

Un entretien pour préparer un service funèbre. La défunte m’est inconnue, habitant une autre paroisse pour laquelle je suis de permanence pendant les vacances de mes collègues.
J’accueille les trois fils, que je ne connais pas davantage. Afin de les mettre à l’aise, je dis avec empathie: «J’imagine que vous êtes très tristes».
«Ah non, font-ils. C’était une charogne de bête!» Et de m’expliquer à quel point elle leur avait pourri la vie, du début à la fin… Aïe! Donc pas d’éloge funèbre, Monsieur le pasteur!
Pour une fois, ces fils ont fait mentir la chanson de Brassens: «Les morts sont tous des braves types»!

Mariage mixte
C’est l’histoire d’Evelyne et Raymond, elle catholique (d’une famille très engagée et conservatrice) et lui protestant. Et lui paysan. Il me téléphone un soir pour m’annoncer leur mariage, et nous prenons rendez-vous pour préparer la fête.
Le jour dit, je les attends à la cure. Mais au lieu de ma porte, c’est mon téléphone qui sonne.
Au bout du fil, le père de Raymond, notable du village. «Mon fils ne viendra pas, ce mariage n’aura pas lieu».
Aïe! Bien sûr, il se révèle que les dissensions confessionnelles sont à la base de ce refus. Je repense à l’histoire de Claire et de Louis, dans le même cas (Claire et Louis qui s’aiment, mais qui ont dû vieillir loin l’un de l’autre à cause de l’interdiction parentale. Avec l’âge, Claire est devenue sourde, et presque en même temps, Louis a perdu la vue. Logique: Louis ne pouvait plus voir clair, et Claire avait perdu l’ouïe!).
Mais Evelyne et Raymond, eux, trouvent rapidement une solution! Ils se débrouillent pour que l’amoureuse tombe enceinte. Dès lors, les parents n’osent plus s’opposer à «régulariser la situation», comme on dit en ce temps-là.
Le jour de la cérémonie religieuse, le père de Raymond reste un peu bloqué, ou peut-être intimidé, devant la chapelle catholique où nous allons bénir le couple. C’est l’heure de commencer, et il ne se décide pas à entrer. Je le prends alors par le bras et lui dis gentiment: «Venez, Monsieur Rochat, vos enfants vous attendent.»
Le mariage est béni par le prêtre et le pasteur, comme c’est souvent le cas alors. Et si la cérémonie a lieu dans une chapelle catholique, les enfants seront baptisés protestants. Jolie manière d’éviter qu’il y ait des perdants!
La morale de l’histoire, c’est que l’oubli d’une pilule peut faire avancer l’œcuménisme bien davantage que certains colloques spécialisés!

«Je me donne à toi»
Amour-sourire par contre, que de la bonne humeur, pour bénir l’union de Paulette et Jean-Luc. Elle aussi enceinte, et ça commence à se voir et se savoir. Une telle situation est fréquente autour de 1980, mais il y a toujours une petite gêne «morale» quand même, dans ce village paysan et plutôt conservateur.
Les mariés avaient choisi une formule en usage dans l’Église catholique, échanger les promesses sous forme de dialogue. Entre autres, chacun dit à l’autre «Je te reçois comme époux/se et je me donne à toi».
Au moment où Paulette, d’une voix émue, mais ferme, arrive au «je me donne à toi», son père, pince-sans-rire, ajoute mezzo voce, mais on l’entend dans toute l’église: «C’est déjà fait!»

Aloïs
Je me souviendrai toujours d’Aloïs, paysan qui avait perdu et sa femme et ses enfants, et qui s’accrochait à sa ferme comme un naufragé à sa planche. Malgré tous ses deuils, c’était un homme debout. Ses sourcils broussailleux faisaient front dans les orages, tel un chêne erratique au milieu des roseaux.
Lorsque, à passé 90 ans, il a dû être hospitalisé, il n’a tenu bon que pour retrouver son domaine. Mais voilà, les médecins avaient décidé que sa santé ne lui permettait plus de vivre seul. Placement à l’EMS du village voisin, pas le choix.
C’était en janvier. Il avait neigé, une belle couche de près de 50 cm recouvrait tout. À peine entré à la «Maison de repos», il demande à retourner chez lui, juste pour prendre quelques affaires personnelles. On lui accorde un taxi. Mais arrivé devant sa ferme, Aloïs paie et renvoie le chauffeur. Puis il empoigne une pelle et commence à dégager la place devant son habitation! Cinquante centimètres, donc.
On l’a retrouvé le lendemain, tout froid. Il avait voulu mourir chez lui. Exactement trente-trois-mille jours après y être né.
Aloïs: respect!

Les concierges

«Nous avons été concierges de l’église pendant 50 ans!» disait fièrement tante Clara. Un tel attachement s’explique-t-il par la hotte de bois qu’Ernest, le frère-chef, venait chercher dans le bûcher paroissial pour son propre fourneau? On m’a dit que c’était le seul travail qu’on l’ait vu faire. Les autres, il les commandait à ses frères et soeur, surtout Albert, le doux, qui obéissait si bien.
Cet attachement s’explique-t-il par la prise électrique à laquelle Roger, le troisième frère, venait brancher son rasoir le dimanche matin à l’heure des cloches, pour économiser son courant?
S’explique-t-il par l’amour du nettoyage? Pas sûr. En 20 ans d’usage, leur frigo n’avait jamais été tiré pour «poutzer» derrière, si bien que les souris avaient construit leur nid là, dans la tiédeur du moteur. On y trouva même les restes d’un billet de 50 francs disparu il y a belle lurette, à moitié grignoté.
Au divorce d’Albert, Clara, veuve, revint tenir le ménage de ses trois frères, Ernest et Roger étant vieux garçons. Elle remplaça la femme ou la mère jusqu’à la mort d’Ernest. Et là, pour l’amour d’Albert, elle quitta la fonction de domestique pour endosser l’habit de chef de famille! Elle couva son petit frère, plutôt maman que soeur, voire parfois épouse, si bien qu’il ne savait plus rien faire sans elle.
Tante Clara, si franche, si attachante! Quand elle eut une tumeur au sein, à 80 ans passés, le jeune médecin, emprunté, s’emberlificota dans une longue explication pour conclure qu’il valait mieux, si elle permettait, euh… enlever l’organe atteint. Clara ne perdit pas le nord et répliqua: «Pour l’usage que j’en fais maintenant, vous pouvez même m’ôter les deux!»

Le mort vivant
À mon retour de vacances, cette année-là, je rencontre un des organistes de la paroisse, qui sans prévenir m’accueille par ces mots: «Tu as su que j’étais mort?»
Me passent alors dans la tête des images de mon enfance, quand mon père coupait la tête des poules et qu’il les relâchait. Les «dzenoilles» sans tête pouvaient courir encore plusieurs centaines de mètres. Une fois, l’une d’elles était allée jusqu’à la vigne, où nous avons dû la chercher un bon moment! On m’a même raconté qu’un soldat décapité avait lui aussi continué de se battre pendant quelques minutes… Ciel! En serait-il de même pour mon ami?
Tandis que je me remets de ma surprise, l’organiste m’explique. Un avis mortuaire avait paru dans le journal, un parfait homonyme, même nom, même prénom. Aucune mention d’âge ni de domicile, ni de famille.
Plusieurs de ses amis se sont inquiétés. Ils ont essayé de lui téléphoner, plusieurs fois, mais ça ne répondait jamais. Normal: il était au volant sur les routes de France et avait éteint son natel. Et ce n’est qu’à son retour de vacances qu’il a pu dissiper le malentendu.
Le dimanche suivant, il a joué «allegro vivace»!

«Quand je serai morte»
Il me faut dire encore Anne-Claude, qui avec son humour naïf me fait quasi une déclaration d’amour le soir où nous préparons… son mariage! Et d’en rajouter à l’adresse de son fiancé: «Si tu es en retard, je me marie avec Jean-Jacques»!
Anne-Claude que je retrouverai pour baptiser leurs enfants. Puis bien plus tard auprès de ses parents âgés (je les accompagnerai dans leur départ avec EXIT, sous le signe du Cancer). Puis enfin que je reverrai sur ce lit d’hôpital, où le Crabe l’emportait elle aussi. À 62 ans. Me demande de présider le culte de son service funèbre. Me raconte à quel point elle en a bavé ces dernières années de maladie. Mais garde le sourire pour me dire: «Je te téléphonerai quand je serai morte!»

Le vieux régent

Alors qu’il avait 105 ans, Jules, le régent sévère d’Echallens, reçut une convocation pour… entrer à l’école enfantine! Explication: l’ordinateur ne tenait compte pour établir ses listes que des deux derniers chiffres de l’année de naissance. Jules, en bon citoyen conscient de l’importance de l’école, se présenta le jour dit au milieu des bambins ayant 100 ans de moins que lui!
Quelques mois plus tard quand, après une mauvaise chute, il appela le médecin, celui-ci diagnostiqua une fracture compliquée. Hospitalisation indispensable. Jules, aussi dur avec lui-même qu’il l’avait été avec ses élèves, refusa net. Le toubib insista, mais aucun argument ne put infléchir la tête de mule. Alors, à bout de patience, le disciple d’Hippocrate finit par lancer: «Dans ce cas, je ne peux rien pour vous. Au revoir Monsieur!». Ce fut Jules alors qui réclama son admission à Saint Loup, dans un grognement mémorable!

La centenaire

Léa, paysanne, avait «pécloté» toute sa vie. Ce qui ne la pas empêchée d’arriver jusqu’à 105 ans elle aussi! Pensionnaire à la maison de repos, elle avait gardé toute sa tête et se déplaçait encore facilement. Elle participait activement aux études bibliques interactives que j’animais au «Château» de Goumoens, lesquelles remplaçaient avantageusement certains cultes, car les résidents s’y endormaient beaucoup moins!
Un jour que je proposais un passage sur une guérison de lépreux, je la vois soudain ouvrir le journal et s’y plonger. Bah, me dis-je, elle a peut-être oublié que nous vivons une étude biblique; à son âge, c’est bien compréhensible. Mais non! Elle cherchait un article qu’elle avait lu le matin et qui parlait justement de la chapelle de la Maladière, longtemps dévolue aux lépreux. Article qu’elle a fini par trouver pour nous le montrer.
Sa surdité, par contre, était devenue légendaire. Quand j’animais le loto des Aînés de la paroisse, dont elle faisait partie, je commençais toujours par dire, pour vérifier si je parlais assez fort: «Madame Bezençon, vous m’entendez?» Elle répondait «oui, oui» de sa petite voix aigüe. Je savais alors que tout le monde pourrait m’ouïr. Ça ne l’empêchait pas toutefois, quasi après chaque nombre crié, de me faire répéter. «Le 37!» disais-je. «Combien?» faisait la voix aigüe. «Le 37, Madame Bezençon!». «Ah, merci!». «Maintenant, le 71!». «Combien?». «Le 71, Madame Bezençon!», «Ah, merci!». J’en ris encore.

Le poème d’amour
Un amour enthousiaste, pur et naïf a toujours porté Camille, une amie de la famille. Un jour, elle me montre, toute fière, un poème de son amoureux pour elle. Je m’en souviens encore par coeur, le voici (vous excuserez le niveau!!):

Fontaine de mon coeur,
Ruisseau de mon bonheur,
Amour toute ma vie
Naissant en une amie,
Car malgré moi je t’aime,
Oui, je t’adore même!
Inondé de malheur
Si tu es loin de moi!
Et je redis «je t’aime».

Elle n’avait pas remarqué que c’était un acrostiche, alors que les initiales de chaque vers étaient pourtant surlignées en rouge! J’ai doublement souri en me souvenant que l’ex de son amoureux était une certaine Françoise… Vous avez dit: recyclage? Là aussi, j’en rigole encore!


Jean-Jacques Corbaz, août 2024  
 


lundi 19 août 2024

(Pr, Li) « Lorsque j’étais œuvre d’art » - Prédication du 19 août et bénédiction

 

Lectures:  Proverbes 30, 7-9; Jacques 2, 1-7; Matthieu 7, 13-18


J’ai choisi de vous parler ce matin d’un roman qui m’a ému et fait réfléchir; il s’appelle «Lorsque j’étais
une œuvre d’art», écrit par Eric-Emmanuel Schmitt.


C’est l’histoire d’un homme, jeune, qui décide d’en finir avec la vie. Il se sent mal aimé, et surtout complètement nul: rien ne lui réussit. Il a l’impression de n’avoir aucune valeur. Le comble, c’est que même dans ses tentatives de suicide, il échoue. Plusieurs fois!

Ses deux frères aînés sont très beaux, et ils accomplissent une carrière facile comme mannequins. Ils deviennent riches sans peine, tandis que notre héros s’enfonce toujours plus. Il souffre de se sentir si quelconque, à côté d’eux.

Lors d’un énième tentamen, il fait la connaissance d’un artiste excentrique et célèbre qui s’appelle Zeus (comme le dieu grec). Zeus est un de ces créateurs experts dans l’art de faire parler de lui, et à qui tout réussit. Peintre et sculpteur, il a de lui-même une opinion tellement élevée qu’il juge avec mépris même les oeuvres de la nature: à côté des siennes, c’est zéro, pense-t-il. Plus mégalo, tu meurs!

Bien sûr, tout le monde s’aplatit devant Zeus, d’autant qu’il est doté d’un pouvoir de persuasion redoutable.

Or donc, Zeus propose à notre héros un singulier marché: plutôt que de s’ôter la vie, eh bien, qu’il la lui donne! Ou plus exactement, qu’il lui donne son corps, d
ans le but que l’artiste le transforme, et en fasse un chef-d’œuvre nouveau, une sculpture vivante! Zeus pourrait ainsi inaugurer une ère révolutionnaire de l’histoire de l’art: modeler un corps humain, avec son génie.

Notre héros finit par accepter. Il signe le contrat, sans se douter de l’évolution intérieure que cette transformation va entraîner.

Dans un premier temps, tout se déroule comme prévu: la sculpture humaine est une réussite, et devant elle tout le monde s’extasie et crie au génie. Expositions, exhibitions... Notre héros est heureux, il est enfin admiré, sur toute la planète.

Pourtant, peu à peu, il se rend compte qu’il n’est traité que comme un objet: son sculpteur lui interdit de parler (!), il est trimballé sans pouvoir donner son avis... En fait, ce n’est pas lui que les gens admirent, c’est la sculpture de Zeus. Ce dernier finit même par le vendre; après d’ailleurs un vol, enfin un prétendu vol organisé par Zeus lui-même, dans le but de faire monter la valeur marchande de son
œuvre!! Toute ressemblance avec certaines pratiques d’aujourd’hui n’est absolument pas fortuite!

Un jour, par hasard, notre héros fait la connaissance d’Hannibal, un autre peintre qui est l’opposé de Zeus: Hannibal est modeste, amoureux de la nature... Il crée des œuvres magnifiques qui reflètent la beauté du monde, sans tapage médiatique ni provocation. Il est étonnamment doué, mais peu connu, et donc pauvre. Et puis, détail surprenant, il est aveugle - tout en continuant de peindre!

Hannibal se lie d’amitié avec notre héros, sans se douter d’ailleurs qu’il a affaire à la sculpture vivante de Zeus dont tout le monde parle (évidemment, à cause de sa cécité). Cet artiste si authentique lui explique ce qu’il ressent en créant, il le fait si bien que notre héros découvre la beauté, et la passion pour la vie. Il se met à comprendre l’art du vieux peintre, et à l’aimer. Il se passionne pour les émerveillements que reflètent les 
œuvres d’Hannibal; il découvre auprès de lui, et auprès de sa fille, dont il tombe amoureux, un désir de vivre, et de donner... Il n’a plus du tout envie de se supprimer.

Malheureusement, il ne s’appartient plus. Il s’est livré à Zeus dans cet étrange marché; à Zeus et puis à ceux qui l’ont ensuite acheté. Il va même être mis aux enchères publiques, et... acquis par l’État... Et donc entreposé dans un musée!

Notre héros essaie alors d’obtenir un statut de fonctionnaire, mais le musée s’y oppose: car pour eux il est un objet, qu’ils ont payé, et c’est tout! On finit par organiser un immense procès dans le but de déterminer son statut: humain ou marchandise? Et, à cause du contrat qu’il a signé en faveur de son créateur, ce sont les arguments du musée qui l’emportent. Il n’est qu’un objet, rien de plus.

La solution viendra finalement de Zeus, grâce à la fille du vieux peintre. Celle-ci découvre que l’artiste mégalomane a commis autrefois un meurtre, bien caché. Sous la pression de la fille d’Hannibal, Zeus déclare que notre héros n’est pas son
œuvre; que c’est une imitation, un faux!

Du coup, le jeune homme est jeté au rebut, avec les ordures du musée. Mais donc il recouvre la liberté, puisqu’il n’appartient plus à personne! Il peut enfin se marier avec la fille du vieux peintre, et se consacrer à faire connaître l’
œuvre de l’aveugle, qui lui a ouvert les yeux.

Hannibal atteindra finalement la célébrité, mais seulement après sa mort. Il sera reconnu comme le plus grand créateur de sa génération, tandis que Zeus va peu à peu tomber dans l’oubli.
 


J’ai été touché par ce roman, qui pour moi pose des questions essentielles. Par exemple:
- qu’est-ce qui fait ma vraie valeur?
- quelle importance a pour moi le regard des autres?
- l’être et le paraître (comme nous y invite aussi la lettre de Jacques)...
- quelles sont pour moi les vraies richesses?
- réussir sa vie, c’est quoi? ...

Cela fait beaucoup d’interrogations, que je vais laisser à votre méditation, pendant le silence, puis le jeu d’orgue qui vont suivre. Beaucoup d’interrogations, auxquelles je joins encore des questions sur l’appartenance: à qui es-tu? (comme on disait quand nous étions petits)... Qui a des droits sur toi?

Ceux qui sont entre les mains de managers, de pygmalions de toutes sortes: les sportifs (avec le problème du dopage); les artistes; les vedettes en herbe; acteurs, chanteurs... pour tous ces gens: où s’arrête le pouvoir des autres sur eux? qu’est-ce qui fait leur véritable richesse? (donc celle qui ne se monnaie pas de façon sonnante et trébuchante).
 



Pour conclure, j’ai envie de vous partager quelques lignes de ce roman, dans les dernières pages:
 

«Le vieux peintre, Hannibal, nous a quittés dans son sommeil, avec autant de discrétion qu’il en avait mis à vivre. Depuis, sa cote s’est envolée, les amateurs l’ont découvert, les critiques le reconnaissent. (... ) Il s’est éteint presque pauvre, riche de l’estime de quelques-uns, entouré par notre amour et notre confiance. Suis-je pour quelque chose dans sa découverte? Il est présomptueux de le penser. Toujours est-il que j’ai passé des années à écrire des articles sur lui, expliquer les émotions que me donnaient ses toiles, raconter comment il a changé ma vie. (...) Avec lui, avec ma femme, mes enfants, j’ai l’impression d’avoir mon rôle. Des êtres ont besoin de moi, des vivants comme des morts. Qu’ai-je d’irremplaçable? Ça. Mes pensées. Mes soucis. Mes attachements. Mes amours. ...
 

«J’ai découvert que l’univers est beau, plein, riche, si j’accepte, moi, d’être médiocre, vide, pauvre. Hannibal fut mon père, pas seulement mon beau-père, car il sut, en un instant, me charger du désir de vivre en me donnant le sens de l’émerveillement. ...
 

«Jeune, j’ai voulu que la beauté soit en moi, j’ai été malheureux. Maintenant, je sais qu’elle est partout autour de moi, je l’accepte. Et je dis merci.»

Amen                                         


Jean-Jacques Corbaz



Bénédiction finale: 

Aux yeux de Dieu, chacun(e), nous sommes une œuvre d’art! Ce qu’il a de plus précieux! Du petit enfant, devant qui tous s’extasient, jusqu’à la personne très âgée qui se sent une charge pour les autres; toutes et tous, nous sommes le Trésor du Père, sa beauté majuscule. Allons dans la paix, Dieu nous bénit, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Amen

 

Jean-Jacques Corbaz


lundi 12 août 2024

(Po) La paix du soir…

La paix du soir a encore frappé…
Comme par hasard, sous un ciel étoilé,
Dans le bleu-noir la lune brillait
Berçait d’espoir mon
cœur en paix.

Que souhaiter? Rien au monde
Une lumière, un stylo, du papier,
Une flûte pèlerine, vagabonde,
Et la terre où poser mes pieds.

Je suis à nouveau en été,
Un soir, ainsi, je mourrai, apaisé,
En pleine nature, vivant, sans regrets,
Comme à chaque fois je m’envolerai.


Jean-Jacques Corbaz, Yaoundé, 22 novembre 1974   


(Po) Campagne, mon pays

Je dirai le pays lourd et lent de ma terre,
Je le dirai pour y trouver le repos.
Je le dirai si calme, sans hâte, sans folie,
Je le dirai longtemps, fort et vrai, mon pays.

Je dirai la campagne éparpillant ses fermes,
Fermement accrochées aux collines, au coteau,
Ses chemins serpentant et collés à la terre,
Je le dirai aimant, généreux, mon pays.

Je dirai le pays qui porte le village
Groupé vers les fontaines aux longs bassins carrés,
Avec ses chars de foin qu’on rentre avant l’orage
Je le dirai l’été, si chaud, mon pays.

Je dirai le pays qui façonne les gens,
Rythmé par les saisons, porteur de tant de vie,
Ses vols d’oiseaux, ses bourgeons, ses enfants,
Je le dirai gonflé d’espoir, mon pays.

Je dirai ma campagne, une bouche, un visage,
Riche et rond, c’est un sein qui nous parle d’amour,
Ses bêtes et ses fruits, et ses champs, ses labours,
Je le dirai fécond, puissant, mon pays.

Je dirai le pays que je ne sais chanter,
Mes mots maladroits, mon amour, humble hommage,
Mes racines, sa glaise lourde à mes souliers,
Je le dirai discret, mais mien: mon pays.


Jean-Jacques Corbaz, 4 juillet 1974   

 

(Co, Po) Adieu mon gars


Il était tard déjà. Une brume nonchalante montait du sol un rien trop humide. Une nuit moite mais froide semait l’inquiétude dans les moindres recoins de cette campagne immobile. 

 

Il était tard, et tu marchais sur la route désertée. Sans doute rentrais-tu de quelque assemblée où les cigarettes avaient noirci le plafond bas; où les mains s’étaient serrées plusieurs fois; où les coeurs avaient tenté de s’ouvrir.

 

Il était tard, tu marchais, lentement. Peut-être rêvais-tu à ce rayon de lune entrevu avant - ou encore avant. Peut-être dormais-tu déjà un peu. Peut-être pensais-tu aux tiens qui somnolaient bien au chaud.

 

Il était tard, tu marchais lentement. Personne ne saura jamais pourquoi c’est ce moment-là que choisit le clocher du village pour sonner minuit. À peine d’ailleurs t’es-tu posé la question, alors. L’air vibrait lourdement, bronze infini roulant dans la nuit.

 

Il était tard, minuit, et tu marchais lentement. Les trois bières que tu avais bues devaient ralentir ta réflexion. Ou était-ce la nuit? Le froid? Le brouillard?

 

Comme une torpeur, un cafard imprévu t’agressa vers le ruisseau caché dans les arbres. Il était encore plus tard. Peut-être déjà trop tard?

 

L’envie de t’arrêter, de t’asseoir ou te coucher. Elle a dû venir juste après. Sans doute as-tu cherché une grosse pierre, un tronc offert, quelque chose, quoi, où t’accrocher. Sans doute as-tu cherché et n’as-tu pas trouvé.

 

Tu avais encore du chemin à faire. Mais avais-tu envie d’avancer? Et même, avais-tu envie d’arriver? N’étais-tu pas déjà arrivé?

 

Un bruit furtif a dû te faire sursauter, venant des herbes hautes, au fond, là-bas. Et tu as ri ensuite au-dedans de toi. Ri jaune. 

 

La nuit. La grosse nuit, encombrante comme un quémandeur importun. Nuit trop vieille, aigre grand-mère à héritage qui refuse de mourir. Pour vous embêter.

 

Il était vraiment tard. Pourquoi donc s’attarder? Tu voulais pourtant t’arrêter, mais tu ne pouvais pas. Cette énergie qui se dissolvait dans la nuit, sucée, rongée, écrémée. 

 

Une ferme isolée dormait non loin de la route. Se coucher dans le foin, dormir, oublier. Mais à un kilomètre de chez moi à peine? Mais s’il y a un chien? Si on me surprend? 

 

Alors, bravement, tu as continué. Bien des soirs encore, tu passeras sur ce chemin - ou sur un autre. Tu faibliras, et puis tu poursuivras. 

 

Je t’ai perdu de vue maintenant, mais je sais que tu continues. Qui dira la bravoure de celui qui marche sans arrêt dans la vie et sa banalité?

 

Mais entre nous, dis-moi, la vraie bravoure n’est-ce pas, une fois, de s’arrêter?

 

Adieu, mon gars!  

 


Jean-Jacques Corbaz, 6.10.1976   


(Po) Moutons

Un troupeau de moutons
Propres et uniformes
Stationne au-dessus de ma tête
Dans la nuit toute neuve,
Voilant la lune qui les abaisserait,
Suivant l’étoile du berger.

Un long vol de moutons
Sages et doux
Appelle ma main pour quelle caresse
Mais ce sont mes yeux qui vous font l’amour.

Devant mon visage renversé
S’étale un tapis ouaté
Comme fait pour l’aspirer.

                 *

Un tapis de neige vu à la loupe
Se moule quelques mètres au-dessus de ma tête
Et j’oublie qu’il est renversé.

Pas de hâte, pas de peine,
La création vous met au repos
Récupérez, la laine en bas.

Demain, quand j’ouvrirai mes volets,
Me direz-vous ce que vous êtes devenus:
Quelques oiseaux difformes, pauvres et nus,
Lambeaux perdus d’une baleine,
Ou noirs cafards couvant l’orage?

Restez, ô mes moutons, mon troupeau.


Jean-Jacques Corbaz, Ndoungué, 21 avril 1975    


(Po) Nuit d’été

Nuit d’étoiles
Nuit de mille étoiles
Étoiles du ciel
Étoiles du lac
Étoiles des villes
Mille étoiles.

Souffle d’étoiles
Souffle frais de ma nuit d’été
Souffle du lac
Souffle des sapins
Souffle de vie.

Nuit d’été
Fleurs d’été dans la nuit
Nuit de fleurs sans un bruit
Nuit d’été.

Fleurs d’été
Odeur d’été dans le noir
Odeur de fleurs de l’espoir
Fleurs de paix.

Grillons d’été
Vers luisants, étoiles des prés
Nuit sereine, qui annonce juillet.

Mille étoiles
Mille étoiles du monde en mai
Mille étoiles pour me bercer
Un seul souffle de paix.

Et dans mon
cœur
un amour allumé
Un amour merveilleux dont je ne sais l’objet.


Jean-Jacques Corbaz, 19 mai 1974