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vendredi 12 décembre 2014

(FA, SB, Vu) Comment s'est constitué Israël - Du polythéisme au Dieu unique


I  Des quatre coins du Proche-Orient


Le peuple d'Israël est présenté dans l'Ancien Testament (AT) comme une entité cohérente, et même comme une grande famille (les 12 tribus représentant les enfants de Jacob, le patriarche). Or, dans la réalité historique, il n'en est rien.    Le "peuple élu" est la résultante d'un grand mélange de divers groupes humains sémitiques, venus des quatre coins du Proche-Orient.

Aux 14ème et 13ème siècle avant J-C, l'Egypte contrôle ce qu'on nomme aujourd'hui la Palestine, et qui est alors peuplée en majorité de Cananéens. En ce temps-là, une population de déracinés turbulents (probablement d'anciens nomades en voie de sédentarisation) fait parler d'elle. On les appelle Shasou ou Habirou, terme accadien (= de Basse Mésopotamie) qu'on peut rapprocher du mot biblique "hébreu". Ils vivent en marge de la société cananéenne contrôlée par l'Egypte.

Ce sont probablement ces Habirou qui ont laissé des traces archéologiques sur les collines de "Palestine": des gens qui ne mangent pas de porc (logique pour des nomades, cet animal étant peu facile à déplacer, au contraire des moutons), et qui échangent leur viande contre des céréales cultivées par les Cananéens, sédentaires, des régions plus basses et plus fertiles. Les dieux des Habirou sont différents. Ils célèbrent leur culte dans des sanctuaires à ciel ouverts, où se pratiquent des sacrifices.

Entre les 14 ème et 11ème siècle avant J-C, la région côtière est envahie par des conquérants venus de la mer. Dans l'AT, on les appelle le plus souvent les Philistins. Ils sont en fait Mycéniens, donc Grecs. L'Egypte, qui est alors dans un creux de vague, ne parvient pas à les repousser.

Ces invasions font fuir les Cananéens sédentaires. Impossible donc désormais pour nos semi-nomades de troquer leurs produits. Ils vont dès lors se sédentariser et devenir eux-mêmes cultivateurs. Le récit de Caïn et Abel (Genèse 4) est-il un reflet de ces relations compliquées entre bergers et cultivateurs, voire la trace symbolique de ce moment où le sédentaire "tue" le nomade?



 




II  Les quatre groupes principaux


Ce peuple nouveau qui émerge n'est de loin pas monolithique. On a pu discerner plusieurs composantes, et au moins quatre origines diverses.

1. Certains sont venus de haute Mésopotamie au 13è siècle av. J.C.; ce sont les "Benê Jacob" ("fils de Jacob"), un groupe araméen en migration. Ils rencontrent, probablement dans la région de Sichem, un autre clan en déplacement, les "Benê Israël", et concluent une alliance avec eux. Pour cimenter cette union, ils vont fondre leurs traditions en une seule, faisant de leurs deux ancêtres, Jacob et Israël, une même personne.

2. Ces "Benê Israël" ont vécu quelque temps dans le delta du Nil, où ils auraient été employés à la construction de deux villes royales, Pitôm et Ramsès. Leur fuite d'Egypte, probablement sous le long règne de Ramsès II (~ 1279-1212), est devenue un élément mythique fondateur du nouveau peuple en formation.

La rencontre de ces deux groupes aboutit à l'"Alliance de Sichem" (Josué 24, notamment). Ce pacte leur donne un code de conduite commun, sous la tutelle d'un dieu nommé YHWH (Yahwé, Yahô ou Yahou). Ce dernier semble avoir été adopté comme puissance spirituelle après la sortie d'Egypte, et être resté l'emblème du nouveau peuple en particulier dans les périodes de guerres ou de catastrophes naturelles.

À côté de lui, on adorait d'autres divinités, soit féminines (Ishtar ou Astarté, déesse mère, notamment), soit masculines, dont le plus connu est El, dieu de la fertilité (il est le pendant du dieu cananéen Baal), et qui va progressivement voir son nom passer au pluriel ("Elohim" = dieux!). La religion est alors polythéiste, YHWH jouant le rôle de divinité de la victoire et de la liberté, à côté d'autres figures davantage centrées sur la fécondité.

3. Un troisième groupe sémitique habite la région d'Hébron, au sud de la Palestine. Population clairsemée de bergers et se réclamant d'un ancêtre nommé Abraham, ils peuplent peu à peu les zones montagneuses de Juda, entre Jérusalem (qui n'existe pas encore, en tout cas sous ce nom) et Hébron. De Bethléem, qui se trouve dans ce périmètre, sortira un chef de bande du nom de David. Ce dernier deviendra le roi le plus glorieux de toute l'histoire de ce nouveau peuple. Sous son règne, cette population se constituera peu à peu en "Maison" (= tribu) de Juda. Et lorsque David unira Juda à Israël sous sa domination, Abraham sera placé en tête des patriarches, comme ancêtre de Jacob/Israël.

(Notons qu'il n'est pas certain que cette unification ait été effective sous David. Peut-être n'a-t-elle été qu'un projet, plus ou moins concrétisé dans la réalité. Ou une vague confédération de tribus relativement indépendantes les unes des autres. Il est même possible que cette unification n'ait été imaginée qu'au 7ème siècle av. JC, par le roi Josias qui cherchait une justification historico-religieuse à ses désirs de conquête...).

4. Un quatrième groupe vient du Néguev occidental, soit également au sud du pays: le clan d'Isaac. Il est probable que ce groupe ait vu son territoire annexé par David et rattaché à Juda. À ce moment, on aurait assimilé leur ancêtre, Isaac, au fils du patriarche Abraham, à nouveau pour unifier les deux entités. Il était fréquent, à l'époque, de procéder ainsi, par amalgame.






III  Au long de l'histoire, pas à pas


À l'exception des règnes de David et Salomon (et encore, ce n'est pas certain, voir ci-dessus), Israël n'a jamais été un état uni. Il y a au nord le royaume d'Israël, plus fertile, où l'on adore davantage El/Elohim, Baal et Astarté (un synchrétisme, donc, entre les dieux cananéens et ceux d'Israël); et au sud celui de Juda, autour de Jérusalem, dont la population est plus pauvre, moins sédentaire et davantage soumise aux caprices de la météo.

La foi en un Dieu unique ne s'est imposée que tardivement, et probablement par à-coups. Ce sont surtout les tentatives d'unir les tribus sous une même autorité politique qui ont conduit à unifier, voire à centraliser la religion.

A
La première étape, imaginée ou réelle, est donc le règne de David, puis celui de Salomon (avec la construction d'un temple à Jérusalem, qui essaie de supplanter tous les "hauts lieux" sacrés du pays. Mais les anciennes croyances subsistent, et le pouvoir royal peinera toujours à éliminer les cultes secondaires.

B
La seconde étape commence avec la prise d'Israël (le nord) par l'Assyrie en 722 av. JC. Juda est menacé, et se sent à la merci des envahisseurs. Assiégée, Jérusalem résiste tant bien que mal grâce à sa topographie privilégiée. Et connaît alors un afflux de réfugiés du nord, fuyant l'ennemi. Au moment où les Mésopotamiens n'ont plus qu'à cueillir la ville, à bout de force après un long siège, coup de théâtre: une épidémie de peste décime les rangs des Assyriens, et les oblige à rentrer au pays.

Juda triomphe, et voit dans cette délivrance providentielle la main de YHWH, en réponse à ses prières. Pour assimiler les rescapés d'Israël, on réécrit les textes sacrés en unifiant les ancêtres, mais aussi les dieux. C'est là semble-t-il que l'identification entre El/Elohim et YHWH vit une étape importante.

C
Quelques années après, un roi de Jérusalem, Josias, se rend compte que les deux super-puissances de la région connaissent un temps d'essoufflement. L'Egypte et l'Assyrie, attaquées par d'autres peuples, laissent tranquille la Palestine. C'est l'occasion pour Josias de tenter un coup d'envergure: conquérir un vaste territoire, composé par les différentes tribus, villes et régions dont parlent les anciennes traditions.

La cour de Josias retravaille donc les écrits sacrés, produisant notamment le livre du Deutéronome, qui raconte la sortie d'Egypte d'une manière nouvelle. On centralise fortement la religion autour du temple de Jérusalem. Grandit alors une espérance immense, celle de voir Juda/Israël devenir une puissance régionale assez forte pour résister aux ennemis héréditaires, l'Assyrie et l'Egypte.

Malheureusement, Josias est vaincu et tué en 609 dans une bataille contre les troupes du pharaon. Et en 597, Babylone, qui a vaincu l'Assyrie, marche sur Juda et occupe toute la région, y compris Jérusalem. La ville est mise à sac, les principales constructions rasées, le temple est détruit. C'est la fin du dernier royaume juif totalement indépendant.

D
Et c'est alors le fameux exil à Babylone. Les élites sont déportées, et la religion subit l'une des pires remises en questions de l'histoire d'Israël. Pourquoi Dieu, qui a montré si souvent des signes de puissance, a-t-il laissé son peuple subir cette humiliante défaite?

Une réponse émerge lentement, douloureusement: Dieu nous punit parce que nous l'avons négligé. Nous avons adoré d'autres dieux à côté de lui. Elohim/YHWH demandait un exclusivisme, et il a été déçu.

À Babylone la foi juive se refaçonne donc de manière importante. Il n'y a plus de sacrifice possible, puisque le Temple n'existe plus. Et c'est autour de la volonté de Dieu, et du respect minutieux de sa Torah (= ses commandements), que s'articule la religion ainsi réformée. Eviter le péché (= négliger les projets d'Elohim/YHWH) devient essentiel, alors qu'auparavant on pouvait toujours, par l'offrande d'un sacrifice, tenter d'effacer nos manquements.

C'est pour fortifier ce respect et éviter les résurgences de polythéisme qu'on "serre les boulons" autour du Dieu unique. Avec en plus cet impératif de lutter contre l'influence des dieux babyloniens, forcément attrayants, puisque leurs protégés ont été victorieux!

C'est à ce moment, notamment, que les Juifs exilés réécrivent le récit de la Création. Ils veulent montrer, à travers la fameuse genèse en sept jours, que les astres, qui sont adorés à Babylone, ne sont que des objets façonnés par Dieu.

Tandis que les mythes de Mésopotamie présentent l'être humain comme jouet des "puissances" célestes, la Création des exilés affirme que le monde nous est offert pour que nous en soyons responsables. Tout ce que Dieu a fait (humains, animaux, végétaux, astres, éléments naturels, eaux, terres et montagnes), tout est positif et digne d'attention. Le Créateur nous appelle à respecter cette terre et à y cultiver une relation vivante avec lui.

E
Ce n'est qu'au retour de l'exil, à la fin du 6ème siècle avant JC, que cette religion réformée va s'implanter en Judée. On rebâtit le Temple de Jérusalem et on se promet bien de ne jamais retomber dans les désobéissances et dans le polythéisme qui ont causé la catastrophe.

La foi accorde énormément d'importance aux sacrifices, et surtout aux prêtres, qui opèrent une véritable prise de pouvoir sur le judaïsme. La livre du Lévitique consacre cette évolution.

Une religion nouvelle est née, résolument monothéiste et scrupuleusement respectueuse des commandements de Dieu. Cependant, Juda et Israël restent sous la domination perse, puis grecque (Alexandre le Grand et ses successeurs, dès 332 avant JC), et enfin romaine, dès 63 avant JC. L'ancien royaume "de David" ne constituera plus jamais une entité politique indépendante... tout au moins jusqu'en 1948.





IV  Dire qui est Dieu


Ces tribulations politico-religieuses nous aident à comprendre à quel point l'AT et le judaïsme ont évolué pour devenir ce que nous lisons dans la Bible. Loin de constituer un bloc uniforme, ils fourmillent de nuances, de couleurs multiples, de couches historiques entremêlées, qui chacune ont leur voix propre. Aucune n'est plus "vraie" ou plus "fausse" qu'une autre, pas plus que les fleurs diverses qui constituent un bouquet.

Souvent, l'AT a été réécrit, en commettant parfois de gros anachronismes (Abraham nous est montré traitant avec des rois qui vivaient à des époques tout à fait différentes; les murs de Jéricho sont tombés plusieurs siècles avant Josué et n'ont jamais été rebâtis, etc).

Ces réécritures n'avaient aucune prétention historique ou journalistique: leurs auteurs faisaient de la théologie, ils parlaient de leur relation avec Dieu, quitte à déformer les faits!

Il s'agissait à chaque fois de dire qui était Dieu et quelle était la religion, la relation avec lui qu'il appelait, afin de répondre aux difficultés et aux défis d'une époque nouvelle qui se présentait.

Fortifier la cohésion, autant entre les Juifs qu'avec la transcendance. Montrer que Dieu était là, tout proche, malgré les événements qui lui semblaient contraires. Encourager à garder la foi, et la confiance; à rester debout et responsables, au milieu des mutations. Toujours, Dieu agit. Sans cesse, il nous aime et tient à nous. Continuellement, nous sommes infiniment précieux à ses yeux. Il est vivant!

Jean-Jacques Corbaz, mai 2012




P. S. Depuis que j’ai rédigé ce texte, la recherche a progressé, notamment grâce à Thomas Römer. Certaines de mes affirmations ci-dessus mériteraient d’être nuancées ou modifiées, même si le sens général subsiste. Pour plus de précisions, je vous invite à consulter les ouvrages de Thomas Römer: “La Bible, quelles histoires!” (Bayard et Labor+Fides); et “L’invention de Dieu” (Seuil).




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