Lectures: Apocalypse 3, 14-22; Luc 24, 1-7
Mon ami François est un pasteur chaleureux et apprécié. Un jour, il voit revenir au culte un ancien catéchumène, qui lui dit: “Monsieur le pasteur, j’ai découvert quelque chose de formidable: il paraît que Dieu nous aime tous, tels que nous sommes”.
François en est resté pantois: il avait répété cela de nombreuses fois au caté, chaque hiver! Pourquoi donc ce jeune le découvrait-il si tard?
Comme il me racontait cette anecdote un jour de Pâques, François en tira cette conclusion: “Ça ne sert à rien que le tombeau soit ouvert si nos coeurs et nos oreilles ne le sont pas aussi!”
La communauté chrétienne de Laodicée ressemblait à ce catéchumène: elle avait de la peine à s’ouvrir à la passion de Dieu. Cette ville d’Asie Mineure (c’est-à-dire de Turquie actuelle) était riche. À l’époque où l’Apocalypse est écrite, Laodicée vit une grande expansion économique. Or, peu d’années auparavant, elle a été victime d’un tremblement de terre. Rome lui avait offert son aide matérielle, mais la cité de Laodicée avait refusé, disant: “Je suis riche, je n’ai besoin de rien”. Ces paroles ont été reprises dans notre passage biblique presque mot pour mot (v. 17). Vous avez dit: suffisance? orgueil?
Dans l’Apocalypse, la lettre à Laodicée est ainsi truffée d’allusions à l’actualité de l’époque et du lieu. Par exemple, les médicaments pour les yeux; c’était justement un des produits d’exportation renommés de la cité! “Tu te crois riche, mais tu es pauvre. Tu fabriques des remèdes pour la vue, mais tu fais preuve d’un aveuglement spirituel énorme. Tu es tiède, ni froid ni bouillant”. Savez-vous que Laodicée n’avait aucune source d’eau potable, et qu’elle recevait cette dernière de la ville voisine; la plus grande partie de l’année, le précieux liquide arrivait complètement tiède, donc imbuvable! À vomir! “Tu es imbu, imbuvable, tu es inutilisable” lui dit l’Apocalypse.
On le voit bien, ce qui est dénoncé, ce n’est pas la faiblesse de l’être humain, mais c’est sa prétention à se sauver tout seul; quand il ne voit pas qu’il est nu, fragile. C’est cet aveuglement qui le perdra, s’il ne sait pas voir la réalité en face; qu’il a besoin de l’amour de son Créateur pour s’en sortir.
Après ce constat désolant, on verrait bien le Dieu juge monter sur ses grands chevaux et châtier la cité coupable avec sévérité! On attend des sanctions exemplaires...
Mais voilà, le Dieu du Nouveau Testament n’est pas un juge. Et quand il chevauche, ce n’est que sur un âne, comme au jour des Rameaux, que nous avons fêté dimanche dernier! Parce que, savez-vous, sur un âne, on est à la même hauteur qu’un piéton. Dieu veut se mettre à notre portée! Et la conclusion de la lettre, vous la connaissez: “Ecoute, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entrerai, je mangerai avec lui, et lui avec moi”.
Dieu ne juge pas. Il appelle sans relâche, il frappe à la porte. Il sait que parfois nos coeurs et nos oreilles ne sont pas ouverts. Parce que les circonstances ne s’y prêtent pas; parce que c’est trop tôt, ou que l’appétit nous manque. C’est souvent le cas des adolescents, quand leurs préjugés les empêchent de comprendre ce que nous voulons leur dire. Alors, Dieu sait qu’un jour, peut-être, comme pour le catéchumène de François, la porte s’ouvrira. Donc, en attendant... non: en espérant ce jour, il frappe, il appelle. Patient, disponible.
Patient, mais pas passif. Je suis frappé du nombre de choses que fait le Christ dans ce passage (relisez-le!): il parle; il témoigne; il crée; il conseille; il éduque. Il veut vendre; il rend visite; il frappe; il appelle; il remporte la victoire! La vie du Ressuscité est une intense activité pour sauver ceux qui se perdent. C’est sa manière à lui d’être bouillant!
Christ fait des quantités de choses, sauf une: il ne peut pas ouvrir la porte à notre place! Ça, c’est notre partie du job!
Si souvent, nous disons: “Qu’est-ce que Dieu fabrique, dans ce monde mal fichu? Il est inactif, il ne fait rien”. Et un jour nous réalisons que Dieu agissait, mais que c’était nous qui étions fermés; que notre porte close empêchait Dieu d’agir en nous et autour de nous.
Tiens, ça me rappelle la fois où le père Ouin-Ouin, âgé de 84 ans, se plaignait à son médecin:
- Docteur, j’ai l’impression que ma femme devient sourde.
- Ah, répond le toubib. C’est léger, ou déjà prononcé, cette surdité?
- Oh ben, c’est difficile à dire...
- Ecoutez, reprend le médecin, vous allez faire un test. Vous vous placez à une quinzaine de mètres d’elle, et vous lui posez une question. Si elle ne répond pas, vous vous approchez et répétez, jusqu’à ce qu’elle réagisse. ...
C’est ainsi qu’en rentrant, le père Ouin-Ouin voit sa femme qui prépare à manger. Du corridor, il lui demande:
- Qu’est-ce que tu fais pour dîner?
Pas de réponse. Alors, Ouin-Ouin fait trois pas, et renouvelle sa question. Toujours rien. Il se rapproche encore, deux fois, même jeu, même résultat. Et ce n’est que lorsqu’il est à un mètre
qu’il entend Madame hurler:
- Pour la cinquième fois: DES ROESTIS!!
Voyez-vous, je me demande parfois si nous ne serions pas avec Dieu comme le père Ouin-Ouin avec sa femme. Nous disons qu’il doit être sourd, puisqu’il ne répond pas à nos prières. Mais... question: et si c’était nous qui n’entendions pas ses réponses?
Christ ne peut pas ouvrir la porte à notre place. Ça, c’est notre boulot!
Bien sûr, il n’est pas facile, ce boulot! Car la porte où Jésus frappe n’a qu’une seule poignée, et elle se trouve de mon côté! Cette porte ne s’ouvre que de l’intérieur! Et c’est tout un travail à faire sur moi-même pour permettre à Dieu de franchir le seuil.
Bien sûr, ce n’est pas facile d’ouvrir! Car cette porte où Jésus frappe n’a qu’une seule poignée, et elle se trouve de mon côté! Cette porte ne s’ouvre que de l’intérieur! Et c’est tout un travail à faire sur moi-même pour permettre à Dieu de franchir le seuil.
Nous aimons parfois qu’on nous fasse violence. Si Dieu forçait la porte, ça nous arrangerait plutôt! Mais voilà: on ne peut me donner ni boisson ni nourriture, ni connaissance, ni amour si je n’en ai pas faim ou soif. Un zélateur de la foi, dans une rencontre d’évangélisation, peut bien enfoncer la porte; si je n’ouvre pas, le Christ ne pourra pas entrer, de toute façon. “Ça ne sert à rien que le tombeau soit ouvert si nos coeurs et nos oreilles ne le sont pas aussi!”
“Ecoute, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre, j’entrerai, je mangerai avec lui, et lui avec moi”. En ce matin de Pâques, ce verset nous invite non pas à assister à la victoire du Ressuscité, à l’ouverture du tombeau, à l’irruption de la Vie Nouvelle dans notre vieux monde; non, il nous appelle à nous ouvrir nous-mêmes à son action créatrice, en nous et autour de nous. La victoire, c’est aussi nous qui la remporterons, et c’est sur nous-mêmes qu’elle se remportera: sur les forces de repli, de rouille, d’engourdissement qui nous empêchent d’ouvrir la porte.
Et si nous ne nous sentons pas les forces de livrer ce combat; et si nos bras tombent avant même de saisir la poignée, peut-être à cause d’une maladie, d’un état dépressif ou dépendant, eh bien gardons ferme au coeur la patience du Christ, qui continue de cogner à la porte, et de travailler pour venir à notre rencontre, fût-ce à travers la paroi sombre de la mort! Et puis, gardons ferme en mémoire que cette lettre de l’Apocalypse est adressée à une Eglise, et non à un individu; et que par conséquent nous sommes toute une communauté pour tâcher, ensemble, d’ouvrir la porte!
C’est ce que signifie aussi la communion, que nous allons vivre tout-à-l’heure. En célébrant la liturgie eucharistique de Pâques, en partageant le pain et le vin ensemble, nous recevons comme un avant-goût de la Grande Journée Portes Ouvertes qui nous est promise, au dernier jour!
Oui, le Ressuscité nous accueille tou(te)s à sa table, gratuitement, pour nous aider à nous libérer de nos rouilles et de nos trouilles, et pour ainsi aller plus loin, les uns vers les autres... et vers le Christ vivant.
Car même quand mes gonds sont coincés, eh bien ma communauté, en essayant de s’ouvrir mieux, me porte dans mon isolement et veut m’aider à accueillir le Ressuscité!
Et puisque c’est Pâques aujourd’hui, terminons sur une histoire d’oeuf. Savez-vous que beaucoup d’espèces de poussins (sauf erreur la plupart des canards et des cygnes) ne peuvent vivre après l’éclosion que si ce sont eux qui brisent la coquille? Si cette dernière se casse de l’extérieur, le poussin sera incapable de survivre.
J’aime cette image. Dans beaucoup d’équipes sportives, la catégorie la plus jeune s’appelle les poussins, justement. C’est aussi vrai pour le christianisme!
Joyeuses Pâques, les poussins! Amen
Jean-Jacques Corbaz
P.S.: pour plus de renseignements sur l’Apocalypse, on peut voir sur ce blog un document plus général qui donne quelques indications sur les codes, les chiffres ou les nombres, les couleurs et autres difficultés de ce livre biblique pas comme les autres:
http://textesdejjcorbaz.blogspot.ch/2012/11/lapocalypse-revelation-que-le-dernier.html
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