Prédication du 26 avril 2021: “Qui est aveugle?!?”
Lecture: Jean 9, 1-41 (suite du thème de l’aveuglement de la Veillée Pascale)
Qu’est-ce que c’est, pour vous, la lumière? … La lumière… Quand je dis «lumière», à quoi pensez-vous?
Pour moi, quand j’entends «lumière», je pense: soleil… matin… joie… espoir… vie…
Imaginez un homme qui n’a jamais connu la lumière. Un homme pour qui rouge, vert, orange, bleu, ce n’est toujours que du noir.
Gardez svp les yeux fermés, et essayez d’imaginer un homme pour qui le sourire de son ami est à jamais invisible. Et la féérie des fleurs. Et la symphonie dorée des arbres d’automne…
Un homme pour qui tendre la main est la seule manière de pouvoir se payer à manger; pour qui tendre la main est la seule espérance, y sentir une pièce… Un homme pour qui la voix qui s’éloigne est la plus grande déception…
Et maintenant, les yeux fermés toujours, titubant pour trouver le chemin et la charité, maintenant vous entendez: «Dis-nous, Jésus, qui a péché pour qu’il soit né aveugle? C’est lui, ou ses parents?»
Les disciples, qui posent cette question, n’ont pas fait notre effort d’imagination. Ne serait-ce pas qu’ils sont un peu aveugles, eux aussi?
Regardez-les, maintenant, et ouvrez les yeux. Pierre, Jacques, André… Ne sont-ils pas les reflets du monde juif qui les entoure? Ne sont-ils pas imprégnés de cette superstition populaire: «Il n’y a pas de fumée sans feu»?
Personne n’a péché. Jésus est net. Personne n’a péché, cet homme est aveugle parce que le monde est monde, plongé dans la nuit de sa bêtise, dans la nuit de ses jugements trop rapides, de son injustice. Il est aveugle parce que, dans cette nuit, le Fils de Dieu vient briller. «Je suis la lumière du monde».
Jésus est la lumière du monde. Quand j’entends «Jésus», je pense: lumière… soleil… matin… joie… espoir… vie…
La lumière déchire l’obscurité. L’aveugle retrouve la vue - et devient clairvoyant. Tandis qu’autour de lui les aveuglements du monde se dessinent.
Aveuglement des parents, qui ont peur de se compromettre, qui ont peur des juifs: «Comment il a retrouvé la vue? On ne sait pas. Demandez-lui…». Ils se défilent. Peur de se faire mal voir (mal voir… c’est le cas de le dire!!). Lâcheté. L’évangile ainsi révèle notre peur de nous faire mal voir parfois; notre lâcheté.
Se dessine aussi l’aveuglement des voisins, des amis. Leur peine à se rendre à l’évidence. Ils disent: «C’est lui!». «Non, c’est quelqu’un qui lui ressemble». «Comment ça se fait?» «Où est-il, cet homme qui d’après toi t’a rendu la vue?». Scepticisme. Peine à se réjouir de l’événement heureux chez l’autre. Là encore, notre scepticisme parfois; notre peine à nous réjouir de l’événement heureux chez l’autre.
L’aveuglement enfin et surtout des pharisiens se révèle, et c’est toute l’ironie de l’évangile de Jean qui se déploie sur leur manque de clairvoyance. Les pharisiens ont des yeux qui fonctionnent, mais ils sont aveugles, tandis que l’aveugle est clairvoyant! «Cet homme ne vient pas de Dieu, il n’observe pas le sabbat». «Toi, aveugle, tu es péché, et tu viens nous faire la leçon?!».
Leurs principes les empêchent de voir la réalité. Nos principes nous empêchent parfois de voir la réalité. Moïse fait écran entre Jésus et leurs yeux. Nous avons aussi nos écrans! Leurs théories, leurs traditions, leur passé les empêchent de voir le futur, qui est venu à leur rencontre. Nos théories, nos traditions, notre passé nous handicapent également, parfois.
L’aveuglement des parents, des amis, des disciples; des voisins, des pharisiens est révélé par la lumière de Jésus, qui brille au milieu de la nuit, qui dessine les failles et les aspérités. Qui révèle nos ornières; nos fuites; nos égoïsmes. Garderons-nous les yeux ouverts sur ce qu’il nous dévoile?
La lumière divise le monde. Et les voisins sont divisés. Et les parents sont partagés. Et les pharisiens ne sont plus d’accord entre eux (certains disent «il ne peut pas venir de Dieu»; mais d’autres répondent: «Comment un pécheur ferait-il des signes pareils?»
Et lui, l’aveugle - celui qu’on disait tel - l’aveugle dont Jésus a ouvert les yeux, il suit son évolution; il se déploie au soleil de ce Seigneur inattendu.
D’abord, il ne sait pas grand-chose: il n’a pas cherché à revoir Jésus, il ne sait rien de lui.
Et puis, voyez, les amis, voyez clair: c’est l’opposition des pharisiens qui renforce sa conviction (relire les vv. 24-33). C’est l’opposition des pharisiens qui renforce sa conviction. Voyez clair, les amis! Notre ténacité dans nos traditions chrétiennes peut inversement renforcer la révolte de nos adolescents, ou de nos contradicteurs.
Nos principes, s’ils sont morts comme ceux des pharisiens, notre manque d’accueil peuvent fort bien entraîner l’opposition des nos jeunes à la foi - phénomène que la psychologie moderne a d’ailleurs bien mis en évidence.
L’aveugle se déploie au soleil du Christ. Et c’est la rencontre finale avec Jésus qui lui ouvre tout à fait les yeux, Jésus qui lui révèle être le Fils de Dieu.
Le miracle ne provoque pas automatiquement la foi (encore un de nos vieux démons que nous avons avantage à exorciser, sinon nous allons faire fuir nos catéchumènes!). Le miracle, ici, crée plutôt la division.
Rien n’est résolu, bien sûr. Tout reste à faire. Les yeux ouverts ne sont pas le Royaume arrivé sur Terre!
Au contraire, l’homme guéri voit soudain de bien plus grandes difficultés devant lui. «Être esclave en Egypte était au fond facile; mais vivre en homme libre est bien plus difficile» écrivait Philippe Zeissig. Être aveugle en Judée était au fond facile; mais suivre le Christ en homme libre est bien plus difficile!
L’aveugle guéri se heurte soudain au scepticisme, à l’incompréhension, à l’opposition. Il voit l’égoïsme, la lâcheté, la mauvaise foi… la peur…
Jésus, en le guérissant, coupe deux cordons ombilicaux pour lui:
- la vie immobile de la charité: il devra maintenant travailler pour vivre;
- et la sécurité religieuse: il est éjecté de la synagogue.
Jésus, lui ouvrant les yeux, le fait passer de la dépendance à l’état adulte. Jésus, nous ouvrant les yeux, nous fait grandir, nous aussi. La foi au Christ n’est pas toujours sécurisante, elle est souvent responsabilisante!
Ce Jésus va-t-il continuer de nous ouvrir les yeux?
Où cela nous mènera-t-il?
C’est vous qui donnerez la réponse!
Amen
Jean-Jacques Corbaz
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