Pâques en « para-bol »
Une femme inconsolable et remarquable
Anne-Dauphine
Julliand est une femme inconsolable. Ses deux filles sont décédées dans
leurs premières années de vie d’une même maladie génétique rare : la
leucodystrophie métachromatique.
Dans son
premier livre : « Deux petits pas dans le sable mouillé », elle raconte
de façon poignante l’accompagnement de sa fille aînée jusqu’à la fin.
Mais
Anne-Dauphine Julliand est aussi une femme remarquable. Ces deuils qui
l’ont marquée ont beau l’avoir broyée et l’avoir laissée avec une
souffrance non-cicatrisable, elle vient de sortir un nouveau livre
qu’elle a sobrement intitulé : « Consolation ».
Elle y raconte comment elle a trouvé des paroles, des gestes, des présences consolantes au cours de ses années de chagrin. Et comment elle s’efforce elle-même d’être aujourd’hui une agente de la consolation: en accueillant la tristesse, la souffrance, les silences, l’impuissance, la révolte qui habitent les êtres meurtris. Elle le fait tout simplement, s’inspirant de celles et ceux qui l’ont consolée, sans leur apporter de réponse préfabriquée, en restant le plus souvent dans le silence, dans l’intensité d’une présence aimante et compatissante.
A la fin de son livre, elle compare l’art de la consolation à la technique japonaise du kintsugi.
Qu’est-ce donc que le kintsugi ?
C’est l’histoire d’un bol cassé.
Le général japonais à qui il appartenait y tenait beaucoup.
Il envoya ses serviteurs le faire réparer en Chine.
Lorsqu’ils revinrent de leur long périple, le bol avait certes été réparé, mais de manière si grossière que le général en fut très attristé.
Ne pouvant se satisfaire de ce résultat, il demanda à ses artisans de trouver une meilleure solution.
Ceux-ci appliquèrent alors un fil d’or entre les différentes parties du bol cassé pour en souder les jointures. Le kintsugi était né, des mots japonais « kin » : or et « sugi » : jointure. Le général fut émerveillé par le nouvel éclat de son bol, qui était bien plus beau qu’avant.
Si Anne-Dauphine Julliand voit dans l’art du kintsugi une image de la consolation, j’y ai vu quant à moi une manière de dire ce à quoi pourrait ressembler la résurrection : remettre ensemble des vies brisées, des éclats d’histoires dispersées, des morceaux de relations éparpillées en les faisant briller d’une nouvelle manière.
La résurrection ou le kintsugi de Dieu
C’est en tout cas ce qui se passe dans les récits bibliques qui nous racontent la résurrection de Jésus. Celle-ci n’y est en effet jamais présentée comme un évènement en tant que tel. Elle s’inscrit toujours dans une relation. Autrement dit, ce n’est pas seulement Jésus qui revient à la vie au matin de Pâques, mais c’est surtout la relation qu’il avait tissée avec l’un ou l’autre de ses compagnons qui se trouve rétablie. Jésus ne ressuscite jamais pour lui-même, mais il apparaît vivant à quelqu’un. Que ce soit à Marie de Magdala dans le jardin du cimetière, à Cléopas et à son compagnon en train de marcher en direction d’Emmaüs, à Pierre, au disciple que Jésus aimait ou à Thomas l’incrédule, les apparitions de Jésus ont toujours lieu pour une personne ou un groupe de personnes. Lors de ces différentes scènes, Jésus restaure la relation que ses vis-à-vis croyaient irrémédiablement détruite, suite à sa mort.
Plus encore, ces rencontres inespérées donnent un élan nouveau à chacune de ces personnes. Elles les dynamisent. Elles régénèrent leur vie et leur foi en leur offrant une solidité nouvelle, qui leur fera affronter parfois les pires tourments sans défaillir.
Le Christ, maître du kintsugi humain
Et je me plais à imaginer le Christ en grand orfèvre spécialisé dans l’art du kinstugi humain. Je le vois à l'œuvre en train de restaurer les lambeaux de nos existences et les cassures de nos communautés divisées, appliquant le fil d’or de la résurrection sur chacune de nos blessures pour rendre nos vies plus belles encore, plus lumineuses, plus solides, plus cohérentes.
Ça me rappelle ce que l’apôtre Paul écrivait aux Corinthiens : nous portons le trésor de l’Evangile dans des vases d’argile.[1]
L’année de pandémie que nous avons vécue nous a rappelé la fragilité de nos existences, menacées par un organisme minuscule.
Outre le virus, les grains de sable ne manquent hélas pas pour nous rappeler nos fragilités : ennuis de santé, disputes, échecs, incompréhensions, ou, comme cela a été le cas pour Anne-Dauphine Julliand : maladie génétique de ses enfants.
On est bien peu de chose, dit-on parfois à raison.
Mais le fil d’or du matin de Pâques qui nous reconstruit de l’intérieur est d’une autre nature. C’est la signature du Christ ressuscité qui nous a rejoint, nous a réparé en nous donnant cet éclat nouveau que nous ne possédons ni ne maîtrisons, puisqu’il vient de Dieu.
En recollant ainsi les morceaux de nos vies brisées, éparpillées ou dispersées, il transforme chacune d’entre elles en un kintsugi humain, leur donnant des allures de "para-bol".
Joyeuses Pâques à vous !
Christian Vez
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