De la difficulté de choisir un chemin
Plus la sortie de la crise sanitaire se rapproche, plus l’impatience grandit, plus les avis divergent, plus il semble difficile de trouver un consensus permettant d’avancer ensemble vers la sortie de ce long tunnel qu’aura été la pandémie.
D’autant plus que ce tunnel n’est pas rectiligne (ou légèrement incurvé) comme le sont en général les tunnels. Il ressemble plutôt à un labyrinthe souterrain. On ne saurait le suivre comme un rail qui nous conduirait sans coup férir à la lumière. Les questions en forme de carrefour sont nombreuses : faut-il privilégier l’assurance de pouvoir accueillir tous les malades qui se présenteraient à l’hôpital ou la santé psychologique de la population ? faut-il mettre la priorité sur la protection des personnes « à risque » ou sur les entreprises qui ne se relèveront pas des suites du semi-confinement ? faut-il écouter le ras-le-bol des personnes qui manifestent contre les règles de distanciation sociale ou les avis des experts qui prônent leur maintien ? La tâche de nos dirigeants est décidément bien complexe et notre prière n’est pas de trop pour les soutenir et leur permettre de garder la lucidité nécessaire leur permettant de prendre les décisions les plus sages.
Dans le brouhaha des voix discordantes qui s’expriment, on en oublierait presque la bonne nouvelle : la sortie de la crise est en vue.
Et nous voilà impatients comme des enfants à l’orée des grandes vacances, ne sachant plus comment ne pas anticiper ce moment de liberté retrouvée qui nous est promis. Gardons-nous pourtant de perdre le fil d’Ariane qui nous conduit en direction de la sortie de ce long tunnel !
Le dédale du Minotaure
Pour nous y aider revenons justement à ce fameux fil issu de la mythologie grecque, plus précisément à l’histoire de Thésée et du Minotaure. Le Minotaure était une créature hybride, mi-taureau, mi-humaine. Féroce et menaçant, il finit par être enfermé dans une prison dont il ne pouvait s’échapper. A la demande du roi Minos, Dédale avait en effet construit un labyrinthe dont il était impossible de ressortir. Ainsi enfermé, le Minotaure demeurait pourtant vorace et exigeant : tous les neuf ans, sept jeunes filles et sept jeunes gens devaient lui être envoyés pour qu’il les dévore.
La situation semblait dramatiquement bloquée jusqu’à ce que Thésée décide d’aller affronter le Minotaure pour le tuer. Pour l’aider à ressortir du dédale, Ariane, son amoureuse, lui donna une bobine de fil qu’il déroula et qui lui permit ainsi de retrouver son chemin une fois le monstre anéanti. Et c’est ainsi que Thésée parvint à mettre fin au règne de terreur du Minotaure.
Thésée et le Minotaure! |
Du dédale grec au labyrinthe chrétien
Le christianisme s’est beaucoup inspiré de ce mythe grec. Il a vu en Jésus un nouveau Thésée venu triompher des forces de destruction et de mort à l’œuvre dans notre monde.
C’est le cas notamment à la cathédrale de Chartres, dont le célèbre labyrinthe comportait à l’origine en son centre une représentation de Thésée affrontant le Minotaure.
Pourtant, à la différence du dédale antique, le labyrinthe de Chartres - tout comme les nombreux labyrinthes que l’on retrouve dans la chrétienté - ne comporte pas de pièges destinés à perdre celui qui s’y aventure. Le chemin y est certes sinueux, mais il n’y a qu’à le suivre pour en trouver la sortie. On touche là à l’une des différences majeures entre la vision grecque et la compréhension chrétienne de la vie humaine.
Les grecs valorisaient la figure du héros, en l’occurrence de Thésée qui surmonta les épreuves pour triompher du mal grâce à sa force, à son intelligence et à l’amour d’Ariane. De son côté, le christianisme valorise quant à lui la suivance des fidèles, faite de confiance et de mise en route. En suivant le chemin tracé par le Christ, les fidèles ne se perdront pas. Ils passeront à travers les pires épreuves – même à travers la mort – pour en ressortir régénérés, ressuscités à la suite de leur Maître et Seigneur.
La notion de suivance a été forgée par le théologien Dietrich Bonhoeffer[1]. Sa vie en est le plus parfait exemple : au nom de sa foi, il a notamment participé à un complot contre Hitler et a été exécuté par les nazis le 9 avril 1945.
La suivance ne préserve donc en rien la vie du chrétien, mais elle relève d’une fidélité à toute épreuve à la personne et au message libérateur du Christ. Juste avant de monter sur l’échafaud où il fut pendu, Bonhoeffer aurait d’ailleurs dit : « C’est la fin. Mais pour moi c’est le début de la vie. »
Cet exemple nous rappelle tout d’abord l’importance de nos choix de vie. Si Dietrich Bonhoeffer s’est engagé dans un complot contre Hitler, c’est fort de la conviction qu’il était de son devoir de chrétien de mettre hors d’état de nuire le monstre nazi.
De même, les décisions prises par nos autorités sont, elles aussi, lourdes d’une grande responsabilité, tout comme les décisions que nous prenons au fil de notre existence.
Mais il y a plus important encore, nous dit la foi chrétienne : la confiance en ce chemin inespéré dans lequel le Christ nous invite à le suivre.
Lorsqu’il traduisit le mot « foi » présent à d’innombrables reprises dans la Bible, André Chouraqui choisit fort judicieusement le mot « adhérence ».
Ce mot n’est pas seulement à comprendre en son sens figuré, comme c’est le cas lorsqu’on dit qu’on adhère à un parti politique ou à mouvement social, mais il est à prendre en son sens premier de coller à quelque chose, et en l’occurrence à quelqu’un.
Cette union, cette adhésion au Christ nous permet d’avancer dans chacun de nos dédales intérieurs, faits de contradictions, d’hésitations, de peurs, de choix plus ou moins assumés, plus ou moins judicieux.
Le fil d’Ariane auquel notre foi nous a accrochés est toutefois bien plus qu’un fil, puisque c’est une personne : le Christ Jésus. Il nous rejoint et nous prend par la main, ou par le cœur, et nous offre une piste à suivre : la voie d’une vie portée par l’amour de Dieu, animée par son Souffle Saint.
De notre adhésion à ce compagnon inespéré découleront nos nouveaux choix de vie, inspirés par son exemple, à l’instar de Bonhoeffer.
Dès lors, même si nos vies semblent parfois devoir se terminer en cul-de-sac dans un dédale infernal, le Christ y trace un chemin en forme de labyrinthe. Même si son tracé reste sinueux et parfois difficile à arpenter, son issue certaine s’appelle la Maison du Père.
Bon cheminement à toutes et tous !
Christian Vez
[1] "Nachfolge" en allemand, titre d’un livre de Bonhoeffer consacré au sermon sur la montagne, traduit en français sous le titre « Le prix de la grâce », labor et fides
[2] Jean 15,5
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