Prédication des 8 et 16 avril 2023
Lectures bibliques: Marc 16, 1-8; Marc 4, 35-41; Romains 8, 9-11
Une anecdote: À la sortie du culte de Pâques, deux enfants discutent. Léo demande: «Tu y crois, toi, à la résurrection?» «Euh oui, répond Julie, je pense. Et toi?» «Quoi? fait Léo, t’es assez bête pour gober des trucs comme ça? T’es naïve!» «Euh, enfin, marmonne Julie, j’sais pas… c’est ma maman qui m’a dit…»
Une autre histoire: Au bistrot, un de ces soirs, deux hommes échangent: «Tu sais, dit Emile, des fois, je me demande s’il n’y a pas quelque chose au-dessus de nous». «Ouhlà, fait Samy, tu deviendrais fanatique?!?»
Il n’est pas facile d’affirmer sa foi. Ni dans ce canton ni ailleurs! Il est encore moins facile d’affirmer sa foi en la résurrection. Quelque chose de si invraisemblable! Quelque chose qui échappe autant aux lois naturelles!
D’un autre côté, il y a, c’est vrai, les fanatiques. Les presque sectaires. Pour beau-coup d’entre eux, la religion a réponse à tout. La Bible aussi. Ils voient le Christ comme Seigneur absolu, sans contestation; il a tout pouvoir, il exauce tout. Et s’il ne répond pas, cela proviendrait d’un manque de foi chez la personne qui prie…
Dans ces milieux, on parle beaucoup de Christ glorieux, de victoire et de problèmes résolus. Et beaucoup moins d’un Jésus rejeté, souffrant, partageant jusqu’à nos doutes, nos peurs.
Nos peurs, justement! Si nombreuses… j’en ai peur! Et voici encore la crainte d’affirmer sa foi devant des incrédules; ou la peur d’être embrigadé parmi ces fanatiques, peur d’être confondu avec eux; ou crainte de ne plus avoir le droit d’avoir peur!
Nos peurs. Il s’agit d’un des thèmes majeurs de l’évangile selon Marc, un thème qui habite en filigrane tout ce qu’il nous dit de la vie de Jésus.
Comme nous, comme moi, les chrétiens à qui cet évangile s’adresse ont peur. Eux qui vivent dans une société imbibée de rationalisme grec et latin; eux qui sentent des persécutions se dessiner à l’horizon, alors oui, ils craignent d’exprimer leur foi. Et surtout de vivre leur foi. On les comprend.
À ces gens-là, Marc ne dit pas: «Le Christ a remporté une victoire éclatante, donc vous ne devez plus avoir peur. Un vrai chrétien n’a jamais peur, un vrai chrétien n’a jamais de doutes». Ça, ça ne résoudrait rien, évidemment!
Au contraire, l’évangile le plus ancien raconte l’histoire de ces amis de Jésus, sur le lac de Gennézareth, qui passent sur l’autre rive. Et vous savez que «Pâques» veut justement dire «passage»! Comme une préfiguration des évènements que nous fêtons ces jours, les disciples subissent une terrible tempête; et ils crèvent de trouille. Annonce de Vendredi saint! Et seules la présence et les paroles rassurantes du Christ debout pourront calmer l’ouragan qui agite le lac autant que leur coeur.
Et puis, deux jours après Golgotha, Marc relate l’histoire de ces femmes qui découvrent que Jésus a été ressuscité. Elles ont tellement la frousse qu’elles n’osent rien dire à personne! La résurrection leur fait peur. Le jeune homme en blanc leur fait peur.
L’auteur veut dire ainsi: «C’est normal d’avoir peur. C’est humain. Votre frousse ne remet pas en question la victoire du Christ. Vous avez le droit d’avoir ces craintes!»
Tout l’évangile selon Marc insiste particulièrement sur l’incompréhension des gens, même celle des disciples. Jusque dans la manière dont il est construit, il met en évidence l’impossibilité humaine de croire que le Fils de Dieu puisse souffrir la torture et la mort les plus infamantes. Quand par trois fois Jésus annonce à ses amis sa passion et ses souffrances à venir, personne ne le croit, par trois fois aussi. C’est tellement inimaginable!
À chaque épisode, Marc met en évidence le rejet que subit le Christ, et qui le mène jusqu’à la croix. La foi, ce n’est pas de voler de victoire en victoire! Après quasi chaque miracle, ou chaque controverse avec les autorités juives, on nous dit que ces dernières complotent pour tuer Jésus. Et ce n’est que face à la croix que se révèle qui il est véritablement. À cet instant, même l’officier romain qui assiste à l’évènement peut dire ce qui est sans doute la phrase-clé de tout l’évangile: «Cet homme était vraiment le Fils de Dieu». vitrail du crucifié égl StPaul Bienne
Après la résurrection, cette quasi impossibilité d’accueillir Jésus tout en nuances, avec ses fragilités, se traduit par la peur et le silence; la peur et le silence qui sont le pendant après Pâques de l’incompréhension dont Jésus a souffert avant sa mort. Comme si Marc voulait souligner fortement une espèce d’incompatibilité entre Dieu et nous. Comme s’il voulait bien nous faire comprendre que la transcendance reste en grande partie un mystère pour les croyantes et les croyants.
Pour le deuxième évangile, la résurrection n’est donc pas un phénomène rassurant, une espèce de compensation de la mort de Jésus; encore moins une manière de gommer ses tortures, ses souffrances et son trépas; car ces épreuves-là sont réelles, tout comme les nôtres, il a eu horriblement mal, il a crié, comme nous aussi. C’est humain. C’est normal.
Marc voit plutôt dans l’évènement de Pâques un mystère supplémentaire, qu’il s’agit d’accueillir avec délicatesse, en gardant mille questions ouvertes. Non pas donc, comme j’aime le dire, la réponse à toutes nos questions, mais plutôt la force donnée de vivre avec des questions sans réponse.
Nous aussi, chers disciples du Christ! Le ressuscité nous attend chez nous, dans nos maisons, dans nos vies banales et quotidiennes, dans nos coeurs comme dans nos travaux. Là où vous habitez, là où vous aimez, où vous souffrez, où vous espérez.
C’est au ras de nos pâquerettes qu’il veut vivre avec nous cette fête de Pâques. Nos pâquerettes si bien nommées, voilà le lieu le plus sacré, celui où nous pourrons approcher, avec délicatesse, le mystère du Vivant majuscule, lui qui nous appelle à devenir, à chaque instant, avec lui de plus en plus vivants! Amen
Jean-Jacques Corbaz
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