Prédication du 24 avril 2023
Jonas 1, 1-16; Jonas 2, 1-3; Jean 14, 18-20 + 26-29; Luc 15, 11-32
Il était une fois un croyant comme vous et moi. Sûrement ni meilleur ni pire: Jonas. Mais Dieu l’avait choisi pour une mission impossible: aller à l’étranger, en Assyrie (c’était la grande puissance de l’époque, comme les USA aujourd’hui); donc aller chez les païens, à Ninive, ces gens guerriers, ces ennemis d’Israël, aller leur annoncer la colère du Dieu des juifs à cause de leur violence et de leur égoïsme. Aller leur demander de se repentir.
Ouyouille, on a vu des missions plus faciles. “Mais c’est impossible, Seigneur! Autant prier le feu de ne plus brûler! Autant supplier l’hirondelle de ne plus voler! Des messagers de mauvaise nouvelle se sont fait massacrer pour moins que ça!”
En Israël, on a toujours dit: si Dieu nous soutient, il doit donc exterminer nos ennemis. Si Dieu est de notre côté, alors il n’aura aucune pitié pour ceux qui nous font du mal. Donc, pense Jonas, son message pour Ninive ne peut être qu’une annonce donc de punition, de colère! Pour la Mésopotamie, pas de salut!
Et vous voyez comme cette histoire commence par un douloureux malentendu: persuadé que Dieu ne peut pas vouloir la grâce de Ninive, Jonas se croit envoyé pour déclencher le feu du Ciel sur la grande ville païenne. Alors que lui, Dieu, ne rêve que de pardon et de vie pour tous!
Donc, Jonas panique. La maxi-trouille! Au lieu de partir pour Ninive, qui se trouve 800 km à l’est d’Israël, il s’embarque pour l’autre côté: Tarsis, 3200 km à l’ouest, près de Gibraltar! À l’autre bout du monde. Au lieu d’aller vers le Levant, le point d’où naît la lumière, eh bien Jonas fuit vers le Couchant - le côté d’où vient la nuit!
Tout entier prisonnier de sa peur, il se ferme sur lui-même. Sans réaliser que le Dieu qui demande, c’est aussi le Dieu qui donne. Jonas s’enferme, physiquement, au fond du bateau. Et dans le sommeil! Signe de stress, comme quand nous nous sentons trop petits, incapables, fragiles... Signe de déprime. Comme quand, face aux difficultés de la vie, nous nous réfugions au fond de la cale pour dormir. Fatigués, écrasés par les défis, les missions impossibles.
Entre parenthèses, venir au culte pourrait devenir un moment où on se fait du bien, dans ce genre d’état. Où on essaie de se recentrer sur soi et sur Dieu sans s’enfuir. De lever les yeux au-dessus des tempêtes. Fermons la parenthèse.
Donc, Jonas se cache. Pourtant, les croyants juifs savaient bien que personne, jamais, ne peut fuir, lorsque Dieu nous confie une mission. Il nous cherche sans relâche. Nos refus ne l’arrêtent pas. Il est mille fois plus patient et persévérant que toutes nos idées sur lui!
Cette histoire nous dit, ainsi, que Dieu ne nous abandonne pas. Jamais. Même quand nous le fuyons. Même au milieu de la tempête -qu’elle agite nos coeurs ou le bateau dans lequel notre vie nous a embarqués. Dieu ne nous abandonne pas.
Et ce sont les marins qui vont aider Jonas à se désenfermer. Par leurs questions, ils le recentrent sur lui-même; et sur son Dieu; sur ses origines et sur le but de son voyage. Les marins ne prétendent pas détenir la vérité; mais ils interrogent le prophète et ils l’aident ainsi à se retrouver lui-même; retrouver son authenticité; sa relation avec son Dieu, qui n’est pas le leur!
Hélas, ces questions ne font pas tout: si Jonas, dans sa réponse, se situe bien comme croyant d’Israël, il continue pourtant de fuir: il ne prie pas son Dieu, comme on le lui avait demandé. La prière aurait pu ramener le calme dans son coeur stressé. Mais Jonas n’est pas prêt. Il est encore trop braqué.
Résultat: plouf! le grand plongeon! Le prophète se fait jeter à la mer, et... et la tempête se calme. Car Dieu veut que personne ne meure. La tempête se calme, comme dans l’évangile.
Vous savez, les juifs n’étaient pas des marins. La mer leur faisait peur. Dans l’esprit de l’Ancien Testament, la mer était source de tous les dangers, c’était le passage vers l’abîme, vers le grand gouffre d’où venaient les démons et les esprits impurs. On se souvient aussi de la Mer Rouge, qui avait englouti l’armée du Pharaon, à la sortie d’Egypte. Puissance mystérieuse et indomptable. Destructrice!
Seul, Dieu calme les flots déchaînés; et les coeurs agités et inquiets.
Et puis, voilà qu’une fois la tempête apaisée, ô surprise: les marins se mettent à adorer le Dieu d’Israël, ils lui offrent des sacrifices; ils lui rendent un culte!?
Etonnant! Voilà un résultat inattendu de la mission de Jonas, prophète qui se dérobe à sa vocation. Son premier succès! Ces marins, païens, commencent à adorer le Seigneur. Oui, Dieu agit, nous dit cette histoire. Dieu agit, même quand on le fuit!
La suite, vous la connaissez: Jonas est avalé par un monstre marin (le mot hébreu peut désigner aussi bien une baleine qu’un crocodile, ou un requin, ou un hippopotame, peu importe). Jonas est gobé par un monstre marin qui le garde trois jours, comme le tombeau de Jésus, puis qui le dépose, vivant, sur la terre ferme. Retour à la case départ.
Et là, Dieu redonne au prophète l’ordre d’aller à Ninive. Mais cette fois, Jonas obéit. Il annonce la colère qui va détruire la ville. Or voilà que, stupeur, le roi prend la chose très au sérieux; il ordonne au peuple entier de se repentir et d’implorer la clémence du Seigneur d’Israël.
Alors, second coup de théâtre, Dieu pardonne aux Ninivites, ciel! Ils sont sauvés!
Enfin vient le dernier acte, la colère de Jonas. Il se dit qu’il a pris tous les risques pour rien, puisque son oracle de malheur ne s’est pas réalisé. “Seigneur, mais j’sers à quoi, moi? Une tête de Turc?”
Jonas est fâché après Dieu; il boude longtemps, un peu comme le fils aîné de la parabole, confronté à un amour qu’il ne trouve pas normal; devant un pardon qu’il ne trouve pas normal.
Et c’est Dieu, là encore, comme le père des deux fils, c’est Dieu qui va venir à la rencontre de Jonas, et lui expliquer que sa pitié et sa clémence sont mille fois plus fortes encore que sa justice. Non, Dieu n’est pas juste: car il aime.
Il était une fois un croyant comme vous et moi. Sûrement ni meilleur ni pire. Vingt fois, Jonas s’est retrouvé au fond du trou confronté à une mission impossible. De fuite en dépression, enfermé dans son sentiment d’avoir tout loupé, il a même souhaité la mort. Disparaître à jamais. “Reprends-moi, Seigneur, disait aussi Elie, je ne suis pas meilleur que mes pères”...
Eh bien, nous non plus, nous ne sommes pas meilleurs que les autres. Et notre mission à nous, qui est pourtant nettement plus banale que celle de Jonas, notre mission à nous eh bien... vous voyez parfois le résultat!
Dieu nous appelle à quelque chose de moins dangereux, mais de pas si différent cependant: n’est-ce pas aussi d’annoncer à la Grande Puissance Contemporaine que Dieu souffre de voir sa violence; son égoïsme; son matérialisme; et son peu de respect pour les minorités? Et quand je dis la Grande Puissance Contemporaine, vous devinez qu’on peut y voir beaucoup de choses. Notre Ninive à nous, aujourd’hui, c’est peut-être l’argent, le Mammon moderne? Ou la publicité? La TV? Ou internet, et ses réseaux qui nous dirigent souvent à notre insu? Je dirais, de manière générale: cette société moderne si indifférente aux valeurs spirituelles; si matérialiste et violente; tellement inhumaine...
Notre mission à nous. Beaucoup de gens souhaiteraient voir aujourd’hui les chrétiens mettre en pratique leurs convictions; intégrer leur espérance et la résistance de leur foi dans leur vie quotidienne. Si ce que nous croyons se voit mis en pratique, ce sera le meilleur témoignage pour aider d’autres personnes à nous rejoindre. Tandis que si, au contraire, notre foi n’apparaît pas à travers nos actes, eh bien nous sommes plutôt un obstacle à l’évangélisation de nos contemporains.
Il était une fois un croyant comme vous et moi. Ni lâche, ni héros. Son histoire est un exemple; car, à travers lui, Dieu a agi: dans sa fuite; et dans son obéissance maladroite; et dans sa colère. Son histoire est un exemple; car, si nous sommes envoyés pour interpeller la Grande Puissance Contemporaine, comme Jonas, nous allons souvent découvrir que Dieu est infiniment plus clément et plus prompt à pardonner que tout ce qu’on nous avait enseigné. Et que notre mission peut devenir salutaire, au sens propre, salutaire: parce qu’elle permet à la Bonté majuscule de transformer des vies. Celles des autres; et peut-être même la nôtre!!
Comme Jonas, jamais nous ne sommes abandonnés, livrés à nous-mêmes. Notre “immersion” dans le monde, grâce au Saint-Esprit, est habitée: Dieu travaille à travers nous; même quand nous ne le sentons pas; même quand nous nous loupons dans les grandes largeurs. Vous le savez peut-être, on dit que l’Eglise est un bateau qui avance à coups de gaffes!
Comme Jonas, nous ne sommes ni des héros, ni des couards (et si vous prenez des notes, attention, écrivez bien un “U” pour la 3ème lettre, ne confondez pas avec un “N”!). Nous ne sommes ni des héros, ni des couards; ni des zéros; nous sommes des enfants du Père, sur lesquels il veille avec tendresse pour nous faire découvrir les uns par les autres, toujours mieux, les dimensions insoupçonnées de sa grâce et de sa paix. Amen
Jean-Jacques Corbaz
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