Prédication du 30 octobre - "L’évangile au Far West"
Lectures: Matthieu 28, 16-20; Jean 15: 11-15; Jean 3, 16-17
Un vieil arabe était parti pour le Far West - je veux dire qu’il avait émigré aux USA... Un jour de printemps, il veut planter des pommes-de-terre dans son jardin. Mais zut, le sol est trop dur, et ses bras n’ont plus assez de force... Alors il envoie un e-mail à son fils, qui est resté au pays. Il lui écrit: “Si tu étais ici, tu pourrais labourer pour moi!”
Le fils lui répond aussitôt, par courriel également: “Papa, surtout, ne touche pas au jardin, c’est beaucoup trop dangereux, avec ce que j’y ai caché!”
Deux heures plus tard, voilà que la police débarque, avec la CIA et l’armée... Ils envahissent le jardin de notre homme avec des machines, des outils, des chiens... Ils retournent le sol de fond en comble... mais ils ne trouvent rien.
Le lendemain, le fils envoie un nouveau courriel à son père: “Maintenant, papa, tu peux planter tes pommes-de-terre: le sol doit être parfaitement labouré!”
J’aime cette histoire parce qu’elle me parle de Dieu et de nous! Je me dis que c’est un peu ainsi que Dieu travaille, dans notre monde, pour défricher et cultiver son jardin. Pour faire germer chez nous des relations plus humaines, plus amicales et solidaires. Pour venir en aide à celles et ceux qui en ont besoin. Pour que nous nous respections mieux les uns les autres.
Lui, il n’a pas d’autres mains que les nôtres pour lutter contre le mal, alors, il nous embauche! Il nous utilise, parfois de manière inattendue, comme le fils de notre histoire utilise la police américaine!
C’est ainsi en tout cas que Jésus a conquis le Far West, l’Ouest sauvage de son temps; c’est-à-dire l’Empire romain. Son Père du Ciel n’ayant pas de bras pour répandre l’évangile en Europe, le Fils a mis en route des hommes - et même des femmes, ce qui était un scandale pour l’époque. On les appelle apôtres, ce sont Paul, Barnabas, Pierre, Silas... Des gens comme vous et moi!
Bien sûr, ils ne cherchaient pas des bombes, ni des armes de destruction massive. Au contraire: ils portaient sur eux une espèce d’”arme de reconstruction massive”! Ils ont traversé les contrôles aux frontières, les détecteurs des aéroports (euh, j’adapte, bien sûr!), tout ça sans se faire stopper.
Car cette arme de reconstruction massive, vous l’avez deviné, c’est le pardon de Dieu! C’est son message étonnant: le Créateur veut le bien-être de chacun(e), sa liberté, sa paix!
Oh, je sais ce que pensent quelques-uns, en entendant ce discours. Ils ou elles ont trop souffert d’une religion rigide, intolérante... jugeante... Une religion qui semblait se complaire à culpabiliser l’humanité.
Ces personnes se disent, en entendant mes paroles: “Où est le piège? Où est-ce que le carcan bondieusard va se refermer?” - Un peu comme quand nous recevons des mess@ges nous annonçant que nous avons gagné à la superloterie du million! Forcément, y a un hic, c’est un attrape-gogo!
Pour les loteries publicitaires, c’est vrai. Mais pas pour l’évangile! Dieu ne veut pas nous avoir! Il ne rêve que de nous rendre la vie plus belle.
Ce sont des textes religieux antérieurs, comme certains dans l’Ancien Testament (AT), qui jouaient sur la peur et la culpabilité. Ceux du Nouveau Testament ont opéré une révolution copernicienne (si j’ose dire!): ce n’est plus “Dieu au centre, et l’être humain à son service”. Mais c’est “l’être humain au centre, et Dieu à son service”. Relisez les évangiles! Voyez les paroles de Jésus lui-même: c’est lui qui se présente comme notre serviteur, et pas l’inverse!
Malheureusement, vous le savez bien, les responsables religieux sont souvent tentés par le pouvoir. Manipuler les foules. Jouer le jeu des puissants. Tant de dignitaires, chrétiens aussi, ont surfé sur ces vagues, accusateurs, prêchant un Dieu qui comptabiliserait nos fautes et nous punirait.
Encore une fois, ce n’est pas ainsi que Jésus nous invite à croire. Et c’est pour cela que son message est une réelle libération. Si je place ma confiance dans ce gaillard étonnant, qui a préféré mourir plutôt que de laisser Dieu me punir, alors, je n’aurai plus peur d’aucun prophète de malheur; je ne me laisserai plus aliéner par des menaces, ni pour le vin d’ici, ni pour l’eau de là!!
Et à propos de flotte, est-ce que vous voyez la relation de tout ça avec le baptême?
Pour moi, le rapport, il est ici: l’eau reçue ce matin par Kyrian, comme par chaque personne baptisée, eh bien cette eau est un symbole de ce qui lave et de ce qui fait vivre.
Quand je demande à des enfants à quoi sert l’eau, “tu l’utilises pour faire quoi?”, eh bien, ils me répondent qu’ils l’emploient pour se laver; et pour boire.
Et c’est exactement le symbole du baptême. L’eau qui lave, c’est la promesse de Dieu de toujours enlever les salissures de nos vies, celles qui pourraient nous faire croire que nous ne sommes pas dignes d’être aimés, par Jésus ou par les autres. Comme l’eau nettoie la saleté, de même le baptême nous assure que toujours, Dieu nous aime pleinement, sans qu’aucune impureté ne nous sépare de lui. Allez, on va le dire en anglais, ce sera plus rigolo: le baptême nous dit “God loves you”, donc Dieu te lave... euh, je veux dire: Dieu t’aime! Baptême = Dieu t’aime!
Après l’eau qui lave, il y a celle qui fait vivre. On emploie l’eau pour boire, me disent les enfants. Et c’est tout à fait vrai: tous les êtres vivants, les plantes comme les animaux, tous ont besoin d’eau pour vivre. Sans eau, on se dessèche. Comme chantait Gilbert Bécaud: “L’important, ça s’arrose”!
Le baptême est donc aussi une promesse de vie. Par l’eau versée sur le front de Kyrian, nous lui disons que le Créateur a pour lui un projet. Un projet de vie belle et heureuse, tout comme une plante pourra s’épanouir si tu l’arroses. Pour Kyrian, et pour chaque personne sur terre!
Baptême = Dieu t’aime. Mais souvenez-vous de ma petite histoire d’arabe et de CIA. Pour nous aimer, pour dire sa passion à chacun(e), pour nous aider à vivre heureux et libres, eh bien Dieu n’a pas d’autres mains que les nôtres. Donc, il a besoin de nous, il nous appelle à devenir ses bras, sa voix, son coeur pour faire du bien à tous. Sans nous, il reste impuissant!
Voilà. Vous avez donc compris que la conquête du Far West n’est de loin pas terminée. Parce qu’elle dépend de nous! De notre engagement. De nos gestes d’amitié, de solidarité, de paix, pour concrétiser ceux du Créateur. Pour Kyrian, et pour tous nos enfants, et pour tous nos contemporains.
Oui, il reste du pain sur nos planches! La liberté et le respect de Jésus ont encore bien du chemin à faire, pour être tangibles et efficaces sur notre terre, à l’est comme à l’ouest - au nord comme au sud! Entre nous et en nous.
Cette progression vers le bonheur et la paix, elle est votre affaire, gens du pays! C’est votre tour de vous laisser parler d’amour!
Amen
Jean-Jacques Corbaz
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Vous trouverez sur ce blog différentes sortes de contributions:
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Bonne balade entre les mots!
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dimanche 30 octobre 2016
dimanche 23 octobre 2016
(Pr) Cochons, peurs et passerelles - Prédic. du 23 octobre 2016
Lectures bibliques: Marc 4, 35-41 + Marc 5, 1-20
Quelle histoire étrange et étonnante, que celle du possédé et des cochons! Un chapitre de roman d’aventures! Pour bien comprendre ce qu’elle veut nous dire, il faut savoir deux ou trois choses. La plupart d’entre vous les connaissez sans doute, mais permettez que je les rappelle, ce matin.
D’abord, il faut savoir que les récits surnaturels, dans les évangiles, sont fréquents. Ils sont nés dans une culture où les connaissances médicales n’ont rien à voir avec celles d’aujourd’hui, évidemment. Ces histoires miraculeuses sont écrites par des gens et pour des gens qui baignent dans cette mentalité un peu magique. Alors, ne nous laissons pas arrêter par tout ce qui semble impossible ou fantastique, sinon nous passerions à côté de ce que la Bible veut nous dire. Souvenons-nous du dicton “Quand on montre la lune du doigt, le benêt regarde le doigt”. Le miracle, c’est un doigt qui désigne une réalité difficile à saisir, et c’est sur elle qu’il faut essayer de tenir notre attention.
Pour bien regarder la lune, dans ce récit, il faut savoir ensuite qu’en ce temps-là déjà, le peuple d’Israël (les Juifs) avait un sens très aiguisé du territoire: ils habitaient un pays promis par Dieu, donc considéré comme saint. Les frontières n’étaient pas seulement des découpages administratifs; c’était, bien plus, des limites fortes entre (d’une part) un sol béni par le Seigneur, et (d’autre part) des contrées dites païennes, donc sans lien avec Dieu.
Israël, au temps de Jésus, avait un autre sens très aigu: c’était la distinction entre ce qui était pur et ce qui était impur. Selon les croyances juives, des forces invisibles opposées au Seigneur, donc impures, essayaient sans arrêt d’envahir la Terre Sainte. Et il fallait absolument les contenir et les refouler, soit par des prières ou des sacrifices, soit par des rites de purification (c’est le sens premier du baptême de Jean, le Baptiste). Si vous alliez à l’étranger, ou si vous entriez en contact avec du sang ou des excréments, eh bien du coup, vous étiez considéré comme contaminé par cette impureté.
Dans ce contexte, vous imaginez qu’on ne se déplaçait à l’étranger que rarement, et au prix d’extrêmes précautions religieuses. Ce n’était donc pas vraiment l’idéal pour s’ouvrir aux autres peuples et essayer de les comprendre!
Or, dans l’évangile, surprise: on voit Jésus qui traverse sans arrêt la mer de Galilée, donc la frontière avec le territoire païen. Il voyage continuellement, à pied ou en bateau, sans craindre les forces impures, ni les reproches des prêtres ou autres chefs religieux d’Israël. On dirait qu’il veut sans cesse jeter des ponts, tisser des liens par-dessus la frontière. Entre les pays, entre les peuples. Et même à l’intérieur des gens!
J’ai écrit en majuscules “sans craindre les forces impures”. Car c’est exactement ici l’essentiel du message de notre épisode, dans l’évangile de Marc. Jésus se montre plus fort que la peur; et souverain face aux esprits impurs. Ni les reproches ni les craintes ne pourront l’empêcher de se rapprocher de nous, et de nous rapprocher les uns des autres!
Mais ce rapprochement ne se fait pas sans mal. Je veux dire: pas sans douleur, ni sans peur! C’est ce que souligne le premier passage de notre histoire. Car sur le lac, Jésus et ses amis se heurtent aux éléments déchaînés. La tempête! Danger de mort! Savez-vous que, pour les Juifs, la mer (la mer, pas la mère!) est la source et l’origine des esprits mauvais, et des énergies impures. Ces dernières semblent ainsi se soulever avec violence contre le Christ, comme pour se défendre par avance, comme pour l’empêcher de dresser ces passerelles dont nous parlions. Mais bien sûr c’est en vain: Jésus se montre le plus fort, il apaise la tempête!
À peine Jésus et ses amis ont-ils posé le pied sur le rivage qu’ils se voient à nouveau confrontés à ces forces païennes, justement: un homme, tourmenté par un esprit impur, vient vers eux, sortant d’une zone de grottes où il s’est réfugié; des grottes utilisées comme tombeaux. Vous imaginez: ça devait sentir horriblement mauvais! Le lieu impur par excellence... Cet homme passe son temps à hurler, à se lacérer le corps avec des pierres; donc à faire du mal et à faire peur, à lui-même au moins autant qu’aux autres!
Ses voisins et sa famille sont complètement impuissants face à ces tourments. La seule solution qu’ils ont trouvée, c’est de l’éloigner. À l’image des lépreux ou autres pestiférés, notre homme est tenu à distance, obligé de demeurer (je n’ose même pas dire: de vivre!) dans des lieux de mort, de pourriture. De solitude.
Quand il voit Jésus débarquer, l’homme a une attitude étrange. Ou plutôt, il a deux attitudes contradictoires, comme pour bien montrer qu’il souffre d’une séparation à l’intérieur de lui-même. D’une part, il court vers le Christ et s’agenouille devant lui! Mais d’autre part, il lui dit en substance: “Fiche-moi la paix! Laisse-moi tranquille!”... L’homme tourmenté supplie Jésus de ne pas le tourmenter! Jésus.
Mais celui-ci, nous le disions, veut sans arrêt jeter des ponts, tisser des liens par-dessus la frontière. Entre les pays, les peuples. Et même à l’intérieur des gens! “Quel est ton nom?”. “Moi? Mais c’est Légion; parce qu’un armée de forces agressives m’habite. Un régiment de semeurs de mort m’agite”.
Alors, Jésus va raccommoder notre homme. L’unifier. Le pacifier. Les énergies impures qui le possèdent vont devoir le quitter; le libérer. Ou: l’acquitter! - comme on gracie un accusé reconnu innocent. Mais: où vont-elles aller? En effet, on croyait à l’époque que les esprits mauvais, s’ils étaient chassés, devaient chercher asile chez un autre être vivant. C’est pour ça qu’ils supplient le Christ de ne pas les faire sortir du pays. Sans doute perdraient-ils de leur pouvoir, au-delà de la frontière.
Alors, Jésus les prend au mot. Il leur permet d’aller posséder un troupeau de cochons (clin d’oeil: vous savez que, pour les Juifs, les porcs sont considérés comme impurs!). Et ce sont les cochons qui vont quitter le pays, dans un gigantesque mouvement de terreur panique. Ils se précipitent dans la mer. La mer, source et origine de tous les esprits mauvais. Comme un retour à l’expéditeur, en somme!
Vous l’avez remarqué, il y a un sentiment qui accompagne tout notre récit, en continuo. C’est la peur. Depuis la tempête déchaînée jusqu’au possédé qui brise ses liens... Depuis les énergies impures qui craignent Jésus jusqu’aux cochons affolés... Depuis les disciples atterrés jusqu’aux villageois effrayés par la puissance du Christ... Tout le monde a peur. Sauf, bien sûr, Jésus. Car lui, c’est la Confiance majuscule. Le prince, le premier de la paix.
Celui qui ne craindra pas même le supplice de la croix, c’est auprès de lui que nous pouvons trouver la libération de nos trouilles.
La peur, on le sait, est mauvaise conseillère. Elle nous rend capables du pire, comme notre possédé. Elle nous disperse à l’intérieur de nous-même. Elle nous fait faire, ou dire, des choses complètement contradictoires. Elle nous sépare les uns des autres, et nous enferme derrière des murailles d’incompréhension. Elle nous possède, nous ne nous appartenons plus nous-mêmes. Vous connaissez tous des récits où la panique fait mille fois plus de mal que ce dont on a peur.
S’approcher de Jésus peut donc nous aider à redevenir libres face à nos terreurs. Comme les disciples sur la barque agitée par la tempête. Comme l’homme autrefois habité par “Légion”.
Mais attention, ne ratons pas l’aiguillage: car ici, trop souvent, on dérape. Vous connaissez le discours pieux qui démarrerait à partir de ces considérations: donne ton coeur au Christ, approche-toi sans cesse du Seigneur, et tu seras sauvé.
Or ce n’est pas cela que dit l’évangile. Car l’homme guéri, eh bien Jésus refuse qu’il l’accompagne: “Reste ici, auprès des tiens”. Il s’agit toujours de raccommoder, et pas de séparer. De relier, et non de quitter. Ne jamais s’approcher du Christ sans également s’approcher de ses prochains!
Vous le pressentez sans doute, pour nous guérir de nos peurs, Dieu nous appelle donc à aller les uns auprès des autres. À nous mettre en relation... ou en religion, ce qui est la même chose! S’il veut sans cesse jeter des ponts, tisser des liens par-dessus la frontière; entre les peuples; et même à l’intérieur des gens, alors ils nous invite à faire de même! Être chrétien, c’est vivre relié, non seulement avec le Ciel, mais aussi avec les humains et la terre!
C’est, entre autres, ce à quoi souhaite nous inviter le Conseil de notre paroisse, qui voudrait privilégier l’accueil concret entre nous, aux cultes comme dans tous les secteurs de notre communauté chrétienne. Nous pouvons transformer notre paroisse en lieu de vie spirituelle, d’échanges, de découvertes. Être Eglise ensemble, en unissant nos forces, dans cette société où nous devons parler de plus en plus fort pour être entendus; dans ce monde où nous devons nous relier plus nettement les uns aux autres pour devenir visibles et pour qu’on nous prenne au sérieux.
Dresser des passerelles entre les hommes et les femmes de ce temps. Ici, à Blonay et Saint-Légier. Jeter des ponts, tisser des liens aussi avec nos contemporains, et nos voisins, même quand ils ne sont pas intéressés par la foi chrétienne. Et c’est toute la réflexion que notre Eglise entreprend depuis quelques années dans le domaine de l’évangélisation. Stimuler le rayonnement des chrétiens d’ici, pour que les paroles du Christ, remplies de respect, de pardon et de liberté, que les paroles du Christ touchent davantage de personnes, et leur permettent d’accéder mieux à cette qualité de vie pacifiée que nous trouvons auprès de lui.
Ici tout près comme à travers les continents, Jésus a besoin de nous, il nous appelle à tisser sans fatigue les passerelles dont il a besoin pour vivre sa proximité bienfaisante. Il nous invite à ne jamais nous replier sur nos coutumes, nos traditions, si bonnes soient-elles, car tout seul, on s’étiole. Au contraire, sans cesse ouvrir nos portes, et nos coeurs, pour progresser ensemble dans l’humanité habitée par le Christ. Pour raccommoder les personnes, entre elles et à l’intérieur d’elles-mêmes.
Alors, pour éviter de rester barricadés par crainte des autres, rendons-nous visite! Comme ces gens qui invitent des voisins étrangers, pour qu’ils leur deviennent moins étranges. Parlons-nous, et nous verrons nos appréhensions diminuer. Mangeons ensemble, et nous découvrirons, derrière cette personne qui nous faisait peur, un frère, une soeur en Dieu.
Oui, il reste du boulot! Voyez les murs qui se dressent, depuis quelques années, en Europe, en Palestine ou en Amérique. Ou encore... mais n’allongeons pas. Plutôt: allongeons le pas! Allongeons le pour, avec Christ, franchir les frontières de nos peurs. Amen.
Jean-Jacques Corbaz
Quelle histoire étrange et étonnante, que celle du possédé et des cochons! Un chapitre de roman d’aventures! Pour bien comprendre ce qu’elle veut nous dire, il faut savoir deux ou trois choses. La plupart d’entre vous les connaissez sans doute, mais permettez que je les rappelle, ce matin.
D’abord, il faut savoir que les récits surnaturels, dans les évangiles, sont fréquents. Ils sont nés dans une culture où les connaissances médicales n’ont rien à voir avec celles d’aujourd’hui, évidemment. Ces histoires miraculeuses sont écrites par des gens et pour des gens qui baignent dans cette mentalité un peu magique. Alors, ne nous laissons pas arrêter par tout ce qui semble impossible ou fantastique, sinon nous passerions à côté de ce que la Bible veut nous dire. Souvenons-nous du dicton “Quand on montre la lune du doigt, le benêt regarde le doigt”. Le miracle, c’est un doigt qui désigne une réalité difficile à saisir, et c’est sur elle qu’il faut essayer de tenir notre attention.
Pour bien regarder la lune, dans ce récit, il faut savoir ensuite qu’en ce temps-là déjà, le peuple d’Israël (les Juifs) avait un sens très aiguisé du territoire: ils habitaient un pays promis par Dieu, donc considéré comme saint. Les frontières n’étaient pas seulement des découpages administratifs; c’était, bien plus, des limites fortes entre (d’une part) un sol béni par le Seigneur, et (d’autre part) des contrées dites païennes, donc sans lien avec Dieu.
Israël, au temps de Jésus, avait un autre sens très aigu: c’était la distinction entre ce qui était pur et ce qui était impur. Selon les croyances juives, des forces invisibles opposées au Seigneur, donc impures, essayaient sans arrêt d’envahir la Terre Sainte. Et il fallait absolument les contenir et les refouler, soit par des prières ou des sacrifices, soit par des rites de purification (c’est le sens premier du baptême de Jean, le Baptiste). Si vous alliez à l’étranger, ou si vous entriez en contact avec du sang ou des excréments, eh bien du coup, vous étiez considéré comme contaminé par cette impureté.
Dans ce contexte, vous imaginez qu’on ne se déplaçait à l’étranger que rarement, et au prix d’extrêmes précautions religieuses. Ce n’était donc pas vraiment l’idéal pour s’ouvrir aux autres peuples et essayer de les comprendre!
Or, dans l’évangile, surprise: on voit Jésus qui traverse sans arrêt la mer de Galilée, donc la frontière avec le territoire païen. Il voyage continuellement, à pied ou en bateau, sans craindre les forces impures, ni les reproches des prêtres ou autres chefs religieux d’Israël. On dirait qu’il veut sans cesse jeter des ponts, tisser des liens par-dessus la frontière. Entre les pays, entre les peuples. Et même à l’intérieur des gens!
J’ai écrit en majuscules “sans craindre les forces impures”. Car c’est exactement ici l’essentiel du message de notre épisode, dans l’évangile de Marc. Jésus se montre plus fort que la peur; et souverain face aux esprits impurs. Ni les reproches ni les craintes ne pourront l’empêcher de se rapprocher de nous, et de nous rapprocher les uns des autres!
Mais ce rapprochement ne se fait pas sans mal. Je veux dire: pas sans douleur, ni sans peur! C’est ce que souligne le premier passage de notre histoire. Car sur le lac, Jésus et ses amis se heurtent aux éléments déchaînés. La tempête! Danger de mort! Savez-vous que, pour les Juifs, la mer (la mer, pas la mère!) est la source et l’origine des esprits mauvais, et des énergies impures. Ces dernières semblent ainsi se soulever avec violence contre le Christ, comme pour se défendre par avance, comme pour l’empêcher de dresser ces passerelles dont nous parlions. Mais bien sûr c’est en vain: Jésus se montre le plus fort, il apaise la tempête!
Ses voisins et sa famille sont complètement impuissants face à ces tourments. La seule solution qu’ils ont trouvée, c’est de l’éloigner. À l’image des lépreux ou autres pestiférés, notre homme est tenu à distance, obligé de demeurer (je n’ose même pas dire: de vivre!) dans des lieux de mort, de pourriture. De solitude.
Quand il voit Jésus débarquer, l’homme a une attitude étrange. Ou plutôt, il a deux attitudes contradictoires, comme pour bien montrer qu’il souffre d’une séparation à l’intérieur de lui-même. D’une part, il court vers le Christ et s’agenouille devant lui! Mais d’autre part, il lui dit en substance: “Fiche-moi la paix! Laisse-moi tranquille!”... L’homme tourmenté supplie Jésus de ne pas le tourmenter! Jésus.
Mais celui-ci, nous le disions, veut sans arrêt jeter des ponts, tisser des liens par-dessus la frontière. Entre les pays, les peuples. Et même à l’intérieur des gens! “Quel est ton nom?”. “Moi? Mais c’est Légion; parce qu’un armée de forces agressives m’habite. Un régiment de semeurs de mort m’agite”.
Alors, Jésus va raccommoder notre homme. L’unifier. Le pacifier. Les énergies impures qui le possèdent vont devoir le quitter; le libérer. Ou: l’acquitter! - comme on gracie un accusé reconnu innocent. Mais: où vont-elles aller? En effet, on croyait à l’époque que les esprits mauvais, s’ils étaient chassés, devaient chercher asile chez un autre être vivant. C’est pour ça qu’ils supplient le Christ de ne pas les faire sortir du pays. Sans doute perdraient-ils de leur pouvoir, au-delà de la frontière.
Alors, Jésus les prend au mot. Il leur permet d’aller posséder un troupeau de cochons (clin d’oeil: vous savez que, pour les Juifs, les porcs sont considérés comme impurs!). Et ce sont les cochons qui vont quitter le pays, dans un gigantesque mouvement de terreur panique. Ils se précipitent dans la mer. La mer, source et origine de tous les esprits mauvais. Comme un retour à l’expéditeur, en somme!
Vous l’avez remarqué, il y a un sentiment qui accompagne tout notre récit, en continuo. C’est la peur. Depuis la tempête déchaînée jusqu’au possédé qui brise ses liens... Depuis les énergies impures qui craignent Jésus jusqu’aux cochons affolés... Depuis les disciples atterrés jusqu’aux villageois effrayés par la puissance du Christ... Tout le monde a peur. Sauf, bien sûr, Jésus. Car lui, c’est la Confiance majuscule. Le prince, le premier de la paix.
Celui qui ne craindra pas même le supplice de la croix, c’est auprès de lui que nous pouvons trouver la libération de nos trouilles.
La peur, on le sait, est mauvaise conseillère. Elle nous rend capables du pire, comme notre possédé. Elle nous disperse à l’intérieur de nous-même. Elle nous fait faire, ou dire, des choses complètement contradictoires. Elle nous sépare les uns des autres, et nous enferme derrière des murailles d’incompréhension. Elle nous possède, nous ne nous appartenons plus nous-mêmes. Vous connaissez tous des récits où la panique fait mille fois plus de mal que ce dont on a peur.
S’approcher de Jésus peut donc nous aider à redevenir libres face à nos terreurs. Comme les disciples sur la barque agitée par la tempête. Comme l’homme autrefois habité par “Légion”.
Mais attention, ne ratons pas l’aiguillage: car ici, trop souvent, on dérape. Vous connaissez le discours pieux qui démarrerait à partir de ces considérations: donne ton coeur au Christ, approche-toi sans cesse du Seigneur, et tu seras sauvé.
Or ce n’est pas cela que dit l’évangile. Car l’homme guéri, eh bien Jésus refuse qu’il l’accompagne: “Reste ici, auprès des tiens”. Il s’agit toujours de raccommoder, et pas de séparer. De relier, et non de quitter. Ne jamais s’approcher du Christ sans également s’approcher de ses prochains!
Vous le pressentez sans doute, pour nous guérir de nos peurs, Dieu nous appelle donc à aller les uns auprès des autres. À nous mettre en relation... ou en religion, ce qui est la même chose! S’il veut sans cesse jeter des ponts, tisser des liens par-dessus la frontière; entre les peuples; et même à l’intérieur des gens, alors ils nous invite à faire de même! Être chrétien, c’est vivre relié, non seulement avec le Ciel, mais aussi avec les humains et la terre!
C’est, entre autres, ce à quoi souhaite nous inviter le Conseil de notre paroisse, qui voudrait privilégier l’accueil concret entre nous, aux cultes comme dans tous les secteurs de notre communauté chrétienne. Nous pouvons transformer notre paroisse en lieu de vie spirituelle, d’échanges, de découvertes. Être Eglise ensemble, en unissant nos forces, dans cette société où nous devons parler de plus en plus fort pour être entendus; dans ce monde où nous devons nous relier plus nettement les uns aux autres pour devenir visibles et pour qu’on nous prenne au sérieux.
Dresser des passerelles entre les hommes et les femmes de ce temps. Ici, à Blonay et Saint-Légier. Jeter des ponts, tisser des liens aussi avec nos contemporains, et nos voisins, même quand ils ne sont pas intéressés par la foi chrétienne. Et c’est toute la réflexion que notre Eglise entreprend depuis quelques années dans le domaine de l’évangélisation. Stimuler le rayonnement des chrétiens d’ici, pour que les paroles du Christ, remplies de respect, de pardon et de liberté, que les paroles du Christ touchent davantage de personnes, et leur permettent d’accéder mieux à cette qualité de vie pacifiée que nous trouvons auprès de lui.
Ici tout près comme à travers les continents, Jésus a besoin de nous, il nous appelle à tisser sans fatigue les passerelles dont il a besoin pour vivre sa proximité bienfaisante. Il nous invite à ne jamais nous replier sur nos coutumes, nos traditions, si bonnes soient-elles, car tout seul, on s’étiole. Au contraire, sans cesse ouvrir nos portes, et nos coeurs, pour progresser ensemble dans l’humanité habitée par le Christ. Pour raccommoder les personnes, entre elles et à l’intérieur d’elles-mêmes.
Alors, pour éviter de rester barricadés par crainte des autres, rendons-nous visite! Comme ces gens qui invitent des voisins étrangers, pour qu’ils leur deviennent moins étranges. Parlons-nous, et nous verrons nos appréhensions diminuer. Mangeons ensemble, et nous découvrirons, derrière cette personne qui nous faisait peur, un frère, une soeur en Dieu.
Oui, il reste du boulot! Voyez les murs qui se dressent, depuis quelques années, en Europe, en Palestine ou en Amérique. Ou encore... mais n’allongeons pas. Plutôt: allongeons le pas! Allongeons le pour, avec Christ, franchir les frontières de nos peurs. Amen.
Jean-Jacques Corbaz
dimanche 11 septembre 2016
(Pr, Vu, SB) Bon, le Samaritain?
Prédication du 11 septembre 2016
Lectures bibliques: Luc 10, 25-37; Luc 18, 18-23; Lévitique 19, 17-18
La parabole que je propose à votre attention, ce matin, elle est sans doute celle qui a le plus marqué la chrétienté. À tel point que le mot «Samaritain» a passé dans le langage courant, pour désigner les secouristes. Il y a même à Vevey un hôpital qui a pris ce nom: le Samaritain!
C'est un peu dommage, car le héros de la parabole que Jésus raconte n'a au départ pas grand-chose à voir avec le domaine médical!
Au temps du Christ, les Samaritains sont les habitants du pays voisin d'Israël, au nord. Leur religion et celle des juifs se ressemblent beaucoup, mais ils se battent comme des ennemis. Bref, le Samaritain dont parle Jésus, ce serait plutôt aujourd'hui un Libanais, un Palestinien ou un Syrien, davantage qu'un infirmier. Imaginez un dialogue saugrenu du genre: «Tu as passé ton diplôme de Libanais?» - «Je vais être opéré à l'hôpital du Palestinien»...
Ça choque, n'est-ce pas? Or Jésus aussi voulait faire sursauter ses auditeurs. Le prêtre et le lévite dont il parle, ce sont les spécialistes du sacré, en Israël. Mais quand ils voient un blessé, abandonné: ils passent tout droit! Les apôtres de la charité refusent de se mouiller pour un inconnu couvert de sang.
Au contraire, le Samaritain (le Palestinien, le Libanais – biffer ce qui ne convient pas), bref, l'étranger détesté, le musulman, eh bien lui, il s'arrête. Non seulement il soigne le blessé, mais encore il le transporte à l'hôtellerie, et paie de sa poche tout le nécessaire!
.

Voilà. On pourrait presque s'arrêter ici. Vous imaginez la suite: faites comme le Samaritain (ou le musulman)! Soyez bons et secourables, ayez pitié du misérable, etc. etc...
Eh bien, pas du tout! Non seulement cette conclusion passerait complètement à côté de ce que Jésus veut dire, avec sa parabole; mais pire encore, cela ajouterait du bois à un incendie néfaste qui a déjà fait beaucoup trop de dégâts! Je m'explique.
Jésus ne veut pas nous faire la morale. Il refuse de nous faire évoluer en nous culpabilisant, comme l'ont hélas trop fait certains chrétiens. Ça ne mène à rien, de mettre à vif la culpabilité. Pire, ça dégoûte et ça démobilise. L'amour du prochain, selon l'évangile, ce n'est pas cela, mais pas du tout!
Là où ça commence à déraper, c'est déjà dans le titre que nous donnons à la parabole. Jésus ne dit jamais que notre Samaritain est bon. On moralise déjà, avec cet adjectif, nous entrons dans le récit par la fausse porte.
Car comment Jésus y entre-t-il, lui, dans cette histoire? Voici: «Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho... Il se fait attaquer, voler, molester... Il reste là, au bord du chemin, à moitié mort...». Ce n'est pas innocent, cette entrée en matière. Dans l'évangile, rien n'est jamais là par hasard! On aurait pu le dire en deux mots: un homme était couché, blessé, au bord de la route... ça suffisait. Mais ce que veut Jésus, vous comprenez, c'est que le héros de la parabole, ce soit l'homme attaqué et roué de coups, et non le secouriste.
Quand vous racontez une histoire à des enfants, ils s'identifient au héros de l'aventure, ils se mettent dans sa peau, ils vibrent à ses heurs et malheurs et font corps avec lui. «Il était une fois dans un château, une pauvre jeune fille que sa marâtre faisait travailler du matin au soir...» - et c'est parti, la magie opère, mes gamins se mettent dans la peau de Cendrillon ou Blanche-Neige...
Jésus fait de même. Il raconte sa parabole de telle manière que ceux qui l'entendent s'identifient, non pas au secouriste, mais au blessé, à celui qui est couché là, meurtri par la souffrance, sans espoir.
Est-ce que vous comprenez l'enjeu? Si notre premier mouvement, je devrais dire notre premier faux mouvement, c'est de nous mettre dans la peau du Samaritain, nous rallumons l'incendie de la culpabilité: «Je devrais prendre exemple sur lui... Il faut que je fasse mieux, que je donne davantage, etc.»
C'est justement pour éviter que nous nous engagions sur ce chemin du moralisme que Jésus, dans un récit très semblable, répond, à un riche notable qui l'appelle «Bon maître»: «Mais non! Pourquoi m'appelles-tu bon? Tu sais, personne n'est bon, sinon Dieu seul!»
Il ne s'agit donc pas de la parabole du Bon Samaritain, mais de celle du blessé secouru! Pour me dire qui est mon prochain, Jésus ne me fait pas la morale. Pour savoir comment aimer mon prochain, il me propose d'entrer dans la peau d'un homme qui n'a plus rien, ni argent ni santé; un homme qui ne peut que tout attendre des autres. Tout attendre des autres. À l’image du jeune homme riche, que Jésus invite à quitter toute sa fortune.
Dans la religion juive, les théologiens avaient de graves débats sur la question «qui est mon prochain?». Les maîtres de la loi, c'est-à-dire les spécialistes de la théologie, étaient partagés. Pour certains, le prochain, c'est seulement un juif (et des passages de l'Ancien Testament, c'est vrai, l'affirment). Pour d'autres, le prochain, c'est toute personne qui a besoin d'aide, quel qu'elle soit (et on trouve d'autres versets de l'AT qui le confirment). Le maître de la loi dont parle notre récit voulait certainement entendre l'avis de Jésus sur ce grave débat.
Mais lui, le Christ, il refuse de répondre par une définition. Il ne veut pas faire de la théorie, pas plus que de la morale: il nous fait entrer, par son histoire, au coeur de la détresse d'un homme, d'un homme qui souffre et qui dépend entièrement du secours des autres! «Je ne te dirai pas qui est ton prochain. Mais tu le découvriras toi-même, quand tu te seras mis dans la peau de ce type molesté, violenté, volé, à moitié détruit, là, au bord du chemin».
… Et ça marche! Parce que voici la conclusion, donnée par le maître de la loi lui-même: «Mon prochain, eh bien je découvre que c'est l'homme qui lui a porté secours!».
Comprenez-vous le retournement? Le prochain, ce n'est plus le type à sortir de la mistoufle. Non, je suis le blessé, et mon prochain, c'est celui qui vient à mon aide!
Voilà. Cette fois, on peut s'arrêter. Car la conclusion, vous allez, aussi, la tirer vous-même. Mon prochain? Mais c'est celui qui s'approche! Et ce n'est que parce que je suis d'abord secouru que je deviens capable, à mon tour, d'aider les autres. D'avoir pour eux des gestes d'amour. Et vu que j'ai passé par là, je sais de quoi l'autre a vraiment besoin.
Amen. Ah, vous éteindrez l'incendie en partant. Merci!
Jean-Jacques Corbaz
Lectures bibliques: Luc 10, 25-37; Luc 18, 18-23; Lévitique 19, 17-18
La parabole que je propose à votre attention, ce matin, elle est sans doute celle qui a le plus marqué la chrétienté. À tel point que le mot «Samaritain» a passé dans le langage courant, pour désigner les secouristes. Il y a même à Vevey un hôpital qui a pris ce nom: le Samaritain!
C'est un peu dommage, car le héros de la parabole que Jésus raconte n'a au départ pas grand-chose à voir avec le domaine médical!
Au temps du Christ, les Samaritains sont les habitants du pays voisin d'Israël, au nord. Leur religion et celle des juifs se ressemblent beaucoup, mais ils se battent comme des ennemis. Bref, le Samaritain dont parle Jésus, ce serait plutôt aujourd'hui un Libanais, un Palestinien ou un Syrien, davantage qu'un infirmier. Imaginez un dialogue saugrenu du genre: «Tu as passé ton diplôme de Libanais?» - «Je vais être opéré à l'hôpital du Palestinien»...
Ça choque, n'est-ce pas? Or Jésus aussi voulait faire sursauter ses auditeurs. Le prêtre et le lévite dont il parle, ce sont les spécialistes du sacré, en Israël. Mais quand ils voient un blessé, abandonné: ils passent tout droit! Les apôtres de la charité refusent de se mouiller pour un inconnu couvert de sang.
Au contraire, le Samaritain (le Palestinien, le Libanais – biffer ce qui ne convient pas), bref, l'étranger détesté, le musulman, eh bien lui, il s'arrête. Non seulement il soigne le blessé, mais encore il le transporte à l'hôtellerie, et paie de sa poche tout le nécessaire!
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Voilà. On pourrait presque s'arrêter ici. Vous imaginez la suite: faites comme le Samaritain (ou le musulman)! Soyez bons et secourables, ayez pitié du misérable, etc. etc...
Eh bien, pas du tout! Non seulement cette conclusion passerait complètement à côté de ce que Jésus veut dire, avec sa parabole; mais pire encore, cela ajouterait du bois à un incendie néfaste qui a déjà fait beaucoup trop de dégâts! Je m'explique.
Jésus ne veut pas nous faire la morale. Il refuse de nous faire évoluer en nous culpabilisant, comme l'ont hélas trop fait certains chrétiens. Ça ne mène à rien, de mettre à vif la culpabilité. Pire, ça dégoûte et ça démobilise. L'amour du prochain, selon l'évangile, ce n'est pas cela, mais pas du tout!
Là où ça commence à déraper, c'est déjà dans le titre que nous donnons à la parabole. Jésus ne dit jamais que notre Samaritain est bon. On moralise déjà, avec cet adjectif, nous entrons dans le récit par la fausse porte.
Car comment Jésus y entre-t-il, lui, dans cette histoire? Voici: «Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho... Il se fait attaquer, voler, molester... Il reste là, au bord du chemin, à moitié mort...». Ce n'est pas innocent, cette entrée en matière. Dans l'évangile, rien n'est jamais là par hasard! On aurait pu le dire en deux mots: un homme était couché, blessé, au bord de la route... ça suffisait. Mais ce que veut Jésus, vous comprenez, c'est que le héros de la parabole, ce soit l'homme attaqué et roué de coups, et non le secouriste.
Quand vous racontez une histoire à des enfants, ils s'identifient au héros de l'aventure, ils se mettent dans sa peau, ils vibrent à ses heurs et malheurs et font corps avec lui. «Il était une fois dans un château, une pauvre jeune fille que sa marâtre faisait travailler du matin au soir...» - et c'est parti, la magie opère, mes gamins se mettent dans la peau de Cendrillon ou Blanche-Neige...
Jésus fait de même. Il raconte sa parabole de telle manière que ceux qui l'entendent s'identifient, non pas au secouriste, mais au blessé, à celui qui est couché là, meurtri par la souffrance, sans espoir.
Est-ce que vous comprenez l'enjeu? Si notre premier mouvement, je devrais dire notre premier faux mouvement, c'est de nous mettre dans la peau du Samaritain, nous rallumons l'incendie de la culpabilité: «Je devrais prendre exemple sur lui... Il faut que je fasse mieux, que je donne davantage, etc.»
C'est justement pour éviter que nous nous engagions sur ce chemin du moralisme que Jésus, dans un récit très semblable, répond, à un riche notable qui l'appelle «Bon maître»: «Mais non! Pourquoi m'appelles-tu bon? Tu sais, personne n'est bon, sinon Dieu seul!»
Il ne s'agit donc pas de la parabole du Bon Samaritain, mais de celle du blessé secouru! Pour me dire qui est mon prochain, Jésus ne me fait pas la morale. Pour savoir comment aimer mon prochain, il me propose d'entrer dans la peau d'un homme qui n'a plus rien, ni argent ni santé; un homme qui ne peut que tout attendre des autres. Tout attendre des autres. À l’image du jeune homme riche, que Jésus invite à quitter toute sa fortune.
Dans la religion juive, les théologiens avaient de graves débats sur la question «qui est mon prochain?». Les maîtres de la loi, c'est-à-dire les spécialistes de la théologie, étaient partagés. Pour certains, le prochain, c'est seulement un juif (et des passages de l'Ancien Testament, c'est vrai, l'affirment). Pour d'autres, le prochain, c'est toute personne qui a besoin d'aide, quel qu'elle soit (et on trouve d'autres versets de l'AT qui le confirment). Le maître de la loi dont parle notre récit voulait certainement entendre l'avis de Jésus sur ce grave débat.
Mais lui, le Christ, il refuse de répondre par une définition. Il ne veut pas faire de la théorie, pas plus que de la morale: il nous fait entrer, par son histoire, au coeur de la détresse d'un homme, d'un homme qui souffre et qui dépend entièrement du secours des autres! «Je ne te dirai pas qui est ton prochain. Mais tu le découvriras toi-même, quand tu te seras mis dans la peau de ce type molesté, violenté, volé, à moitié détruit, là, au bord du chemin».
… Et ça marche! Parce que voici la conclusion, donnée par le maître de la loi lui-même: «Mon prochain, eh bien je découvre que c'est l'homme qui lui a porté secours!».
Comprenez-vous le retournement? Le prochain, ce n'est plus le type à sortir de la mistoufle. Non, je suis le blessé, et mon prochain, c'est celui qui vient à mon aide!
Voilà. Cette fois, on peut s'arrêter. Car la conclusion, vous allez, aussi, la tirer vous-même. Mon prochain? Mais c'est celui qui s'approche! Et ce n'est que parce que je suis d'abord secouru que je deviens capable, à mon tour, d'aider les autres. D'avoir pour eux des gestes d'amour. Et vu que j'ai passé par là, je sais de quoi l'autre a vraiment besoin.
Amen. Ah, vous éteindrez l'incendie en partant. Merci!
Jean-Jacques Corbaz
jeudi 1 septembre 2016
(Vu, SB, FA) Osée et son aventure... osée!
Reçu cette question intéressante d'une responsable de l'Eglise évangélique réformée vietnamienne de Lausanne (qui se réunit à St-Paul, Avenue de France):
Dans notre communauté, nous avons étudié le thème "La dernière fois que Dieu m'a fait signe, c'était quand?" du cahier suivant:
Le
texte d'Osée nous a semblé très difficile d'accès, savez-vous un peu
sur le texte d'Osée et pourquoi (quel lien) on a voulu faire un rapport
avec le thème du dialogue avec Dieu?
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Réponse:
Le prophète compare Israël à une prostituée, qui ne reconnaît plus tout ce que son mari lui donne. Israël ne discerne plus ce qu'il doit à son Dieu, et va chercher auprès de divinités païennes ce que le Seigneur veut lui offrir. Donc, Israël ne discerne pas les signes de Dieu.
Le prophète compare Israël à une prostituée, qui ne reconnaît plus tout ce que son mari lui donne. Israël ne discerne plus ce qu'il doit à son Dieu, et va chercher auprès de divinités païennes ce que le Seigneur veut lui offrir. Donc, Israël ne discerne pas les signes de Dieu.
Osée
vit une relation difficile avec sa femme, qui se prostitue et qui
abandonne son mari. Le prophète fait de cette relation une sorte de
parabole de la relation d'Israël avec Dieu. Israël aussi abandonne son
Seigneur pour se tourner vers les Ba'al. Or, nous dit cette histoire, or
Dieu veut instaurer avec nous une relation d'amour, basée sur le
dialogue et la confiance. Mieux encore, Osée va payer une nouvelle fois
une somme d'argent pour "racheter" sa femme de la prostitution; de même,
Dieu va nous racheter, c'est lui qui paie tout le prix pour nous
libérer et pour vivre avec nous dans le bonheur et la paix.
Cette
relation, il nous appartient de la nourrir, de la faire vivre. Dieu a
besoin de notre réponse pour entrer dans nos coeurs et dans nos vies!JJC
dimanche 28 août 2016
(Pr, Co, SB) Comment Jacob a été tordu
Narration du 28.8.2016
- «Comment Jacob a été tordu»
Lectures bibliques:
Genèse 32, 23-32; Jean 3, 1-5
- Dis,
grand-père, pourquoi tu boites?
Cette question, Jacob l’a entendue souvent. Il a tant de
petits-enfants! Et il n’aime pas trop y répondre, ça lui rappelle des souvenirs
un peu... embarrassants.
Mais cette fois, c’est Ephraïm qui l’interpelle. Ephraïm, son
préféré; le plus jeune des fils de Joseph. Ephraïm qui a l’esprit vif et l’oeil
perspicace.
Quand Jacob a retrouvé son fils Joseph en Egypte, il a été touché
par Ephraïm et Manassé, les deux gamins; et dès lors il s’en est occupé avec
tendresse, comme pour rattraper le temps perdu. Surtout le cadet, Ephraïm, si
intelligent, et qui aime tant la compagnie de ce grand-père presque tombé du
ciel.
Jacob est très vieux, maintenant. Tout tordu par l’âge, les
travaux et les luttes... Mais sa mémoire est intacte, à propos de ces jours
étonnants, quand il est revenu de chez Laban. Surtout cette nuit, si étrange...
- Grand-père,
insiste Ephraïm, pourquoi tu boites?
- Tu sais, c’est une vieille histoire, répond Jacob. Et il sent
bien que, cette fois, il devra tout dire, à cause de cette complicité qui le
lie à son petit-fils. Même s’il a été, toute sa vie, un spécialiste en
tromperies... Même si son nom, Jacob, veut dire “le fraudeur”, cette fois, il
ne pourra pas s’échapper. Comme cette fameuse nuit, d’ailleurs. Exactement
comme cette nuit-là!
- Raconte-moi
cette vieille histoire, grand-père!
- Tu sais, commence Jacob, c’était à un moment délicat de ma vie.
Dans ma jeunesse, j’avais trompé mon frère, Esaü, je l’avais roulé pour qu’il
me cède son droit d’aîné, sa bénédiction - en échange d’une soupe aux
lentilles! ...
J’ai dû m’enfuir, il voulait se venger. J’ai été chez mon oncle
Laban, très loin d’Esaü. Et là, grâce à mes ruses, je me suis enrichi. Euh...
pas toujours honnêtement, je crois. ... Bref, Laban s’est fâché contre moi.
J’ai dû m’enfuir, encore une fois. Mais là, je suis parti avec toute ma
famille, et mes richesses. Mes troupeaux, mes serviteurs. Ça formait une
immense caravane. ... Et du coup, je me suis retrouvé coincé! Derrière moi,
Laban, avec sa colère. Et devant, Esaü m’attendait, avec ses anciennes
rancunes. Que faire? ...
J’ai eu recours à mon astuce, une nouvelle fois. J’ai envoyé plein
de cadeaux de valeur à Esaü, pour le calmer: des troupeaux, des objets de
valeur... Puis j’ai fait passer à ma famille le gué du Yabboq; la frontière;
pour les préserver. C’était un vrai passage à gué, dans tous les sens du terme.
Une traversée décisive dans ma vie. La nuit tombait. Je suis resté seul, près
du gué. Je ne savais pas de quel côté les choses allaient basculer. Je
réfléchissais.
- Et tu n’avais
pas peur, seul dans le noir?
- Petit curieux! Quelle question... Mais oui, bien sûr, j’avais
peur. Terriblement peur. Je craignais d’affronter Esaü. Qu’est-ce que j’allais
devenir? Il faisait nuit sur ma vie, comme sur le Yabboq, ce soir-là.
- Et après,
grand-père?
- Tout à coup, dit Jacob, quelqu’un m’a attaqué. Impossible de
voir qui c’était, à cause de la nuit. Il m’est tombé dessus, et nous avons
roulé dans la poussière. Nous nous sommes battus, à la vie à la mort, jusqu’à
l’aurore.
- Mais c’était
qui? Tu l’as reconnu?
- Non, je me suis posé la question toute la nuit. Etait-ce Laban?
Ou alors, Esaü? Etait-ce un brigand inconnu? Mais est-ce que c’était même un
homme, ou une force maléfique, un démon de la nuit? ... Parfois, quand j’y
repense, je me demande si je ne me battais pas avec tout ce qui était obscur et
menaçant dans ma propre vie, avec mes démons à moi. Comme si tout ce qui
m’angoissait s’était rassemblé en une force violente qui m’attaquait.
Finalement, n’était-ce pas contre moi-même que je luttais?
- Et vous vous
êtes battus toute la nuit? Mais qui des deux a gagné, pour finir?
- Eh bien, répond le patriarche, c’est difficile à dire. L’aube
s’approchait quand mon adversaire m’a fait un coup tordu. Il m’a frappé à la
hanche, et mon articulation s’est déboîtée. C’est pour ça que je boite,
aujourd’hui encore.
- Alors, c’est
lui qui a gagné?
- Attends, petit impatient! Je voulais continuer la lutte. Mais
l’aube approchait. Et, comme s’il avait peur de la lumière, mon adversaire m’a
dit: “Laisse-moi partir, le jour se lève!”
... Mais moi, je lui ai répondu: “Je ne
te laisserai pas sans que tu m’aies béni.”
- Qu’est-ce que
ça veut dire, bénir? demande Ephraïm.
- Eh bien, c’est dire une promesse à quelqu’un. Bénir, c’est
placer la vie de l’autre sous le signe d’une promesse, qui le rende heureux,
qui lui donne un avenir.
- Alors, celui
qui t’a attaqué t’a béni?
- Non, pas tout de suite. D’abord, il a changé mon nom.
- Changé ton
nom? Mais tu t’appelais comment, avant?
- Euh... je m’appelais déjà Jacob... Mais il m’a demandé mon nom,
puis il m’a dit: “Tu ne t’appelleras plus
“Jacob” (le fraudeur), mais “Israël” (c’est-à-dire celui qui lutte avec Dieu).
Car tu t’es battu avec Dieu, et tu l’as emporté.” Et c’est pourquoi,
depuis, je porte les deux noms: Jacob et Israël.
- Mais alors,
c’est toi qui as gagné, c’était toi le plus fort?
Jacob sourit, et regarde son petit-fils avec tendresse.
- Ce n’est pas si simple, mon enfant. Peut-être qu’il n’y a eu
aucun vainqueur. Tu sais, quand quelqu’un peut changer le nom d’un autre, c’est
qu’il est plus fort que lui. C’est que l’autre lui appartient, en somme. ...
Moi aussi, je lui ai demandé son nom, mais lui ne me l’a pas
donné. Donc, c’était lui le maître.
- Mais
interrompt Ephraïm, il t’avait dit que tu avais gagné! Et c’était lui le
maître? Je ne comprends pas.
Une nouvelle fois, Jacob sourit. Il se reconnaît tellement dans la
curiosité de son petit-fils!
- Tu sais, ce n’était pas une lutte qui finit par une victoire
pour l’un et une défaite pour l’autre. Je crois que nous avons été tous les
deux vainqueurs.
En tout cas, il m’a béni.
- Et tu ne
savais toujours pas qui c’était?
- Si, je crois que je commençais à deviner. Ce quelqu’un que je ne
pouvais pas vaincre, qui luttait contre moi dans ce moment décisif, je devinais
que c’était «Dieu». D’ailleurs, il m’avait dit que je m’étais battu avec Dieu.
...
Et quand il m’a béni, j’y ai vu plus clair, à l’image de la
lumière du jour qui faisait sortir le paysage de l’ombre: j’avais lutté avec
Dieu, et il m’avait béni! Moi qui l’avais fui toute ma vie, moi qui ne faisais
confiance qu’à mes ruses, et qui refusais toujours son alliance et sa
bénédiction, eh bien, Dieu avait fini par m’avoir: il avait obtenu que ce soit
moi-même qui lui demande de me bénir!! ...
C’est pour ça que j’ai appelé cet endroit Peniel, c’est-à-dire “Dieu-face-à-face”.
- “Dieu-face-à-face”? Mais quel drôle de
nom !
- Tu as raison, c’est un nom bizarre. Mais tu sais, c’était une
expérience extraordinaire. J’avais vu Dieu de tout près, plus près tu meurs!
J’ai risqué d’y laisser ma peau. Mais j’étais vivant, et la lumière
resplendissait sur mon coeur. Dans le soleil qui se levait, j’avais enfin le
courage d’aller à la rencontre de mon frère Esaü, pour lui demander pardon.
Rempli de ce face-à-face avec Dieu.
*
*
- Dis,
grand-père, il t’avait fait un coup tordu. Comment as-tu pu lui demander de te
bénir?
- Ah, dit Jacob, embarrassé, si seulement je le savais moi-même!
J’y ai beaucoup réfléchi. Peut-être était-ce parce que tout me menaçait, tout
semblait se dresser contre moi. J’avais besoin de protection, j’avais besoin de
la promesse de quelqu’un de grand, de fort...
- Mais pourquoi
demander ça à celui que se battait contre toi? Tu aurais pu chercher de l’aide
ailleurs!
- Non, celui qui te bénit ne vient pas d’ailleurs. Il est là, dans
la lutte. La prière, c’est toujours un combat, un peu comme ça. Tu y affrontes
ce qui t’angoisse, tu te bats contre tes peurs... Et ça peut être long jusqu’à
ce que la lumière se fasse, jusqu’à ce que l’aurore te rende plus fort.
Ephraïm n’est pas encore satisfait.
- Grand-père,
cette nuit-là doit t’avoir changé. Tu es devenu un autre homme? ... Mais
pourquoi n’as-tu pas abandonné le nom de Jacob?
Le patriarche soupire. Il a l’impression que son petit-fils le
pousse dans ses derniers retranchements.
- Ecoute, petit, ta curiosité m’épuise. Je suis vieux, tu sais. Je
suis resté Jacob. J’ai changé, ça oui. Mais je n’ai jamais réussi à devenir
tout à fait un autre homme. On est ce qu’on est. C’est difficile de se quitter
soi-même...
- Mais alors,
rien n’a vraiment changé? demande Ephraïm, visiblement déçu.
- Si, la clarté de Péniel est restée dans ma vie, même si elle ne
m’a pas transformé entièrement. Elle m’a accompagné, comme une bénédiction
constante. Ce matin-là, j’ai trouvé le courage d’aller à la rencontre d’Esaü.
J’avais vu Dieu face-à-face, j’ai pu regarder aussi mon frère face-à-face.
Mieux encore, j’ai réussi - oh, pas toujours - à me regarder moi également,
face-à-face. Comme délivré de moi-même.
- Tu dis “délivré
de moi-même”, mais tu boitais. N’as-tu pas souhaité, n’as-tu pas prié pour être
débarrassé de ce handicap?
- Oh si, bien sûr! Mais à la longue, j’ai appris à vivre avec ce
problème. C’est devenu pour moi comme un signe, une marque de la bénédiction
reçue. Un nomade doit beaucoup marcher; je ne risquais pas d’oublier une telle
blessure. Elle me dit que Dieu m’a touché au point névralgique. Essentiel. Moi
qui ai toujours cherché à tordre les autres, me voilà tout tordu...
Ils sont soudain interrompus. C’est sa mère qui l’appelle:
- Ephraïm, viens, j’ai
besoin que tu m’aides!
- J’arrive,
maman! Mais dis-moi, grand-père, une dernière question.
- D’accord, mon enfant, une dernière...
- Grand-père,
est-ce que tu crois que, moi aussi, je devrai... un jour... me battre, comme tu
l’as fait?
Jacob est ému.
- Je ne sais pas, Ephraïm. Je ne le souhaite pas, mais qui sait?
Nous avons tous, dans notre vie, des passages à gué, avec leurs obscurités et
leurs clartés naissantes. Ni toi ni moi ne pouvons connaître le futur. Mais,
quel qu’il soit, ce futur, sache une chose: celui qui t’a créé, toujours te
bénira. Il ne te laissera jamais tomber.
L’enfant se lève; sa mère s’impatiente. Il regarde son aïeul, qui
sourit. Il semble à Ephraïm que l’aube de Peniel, de “Dieu-face-à-face” éclaire le vieux visage qu’il aime. Il sort,
songeur encore.
*
*
Jacob est épuisé, mais aussi rempli d’un bonheur chaleureux. “Quel garçon, cet Ephraïm! Il faudra que je le bénisse avant de mourir.” - Et, en disant cela, il vient au patriarche une idée, comme une ultime malice: “Il aura la bénédiction de l’aîné, il passera avant Manassé!”
Et aussitôt, il pense qu’il est étrange de voir l’histoire qui se
répète. Comme un signe... Lutte et bénédiction ont alterné toute sa vie...
Prière, désir de changer... parfois échec! Oui, ce n’est pas facile de laisser
Dieu nous transformer. Feras-tu mieux que moi, Ephraïm?
En repensant au jeune garçon, un doux sourire illumine le visage
de Jacob, qui s’endort en murmurant “Amen”...
dimanche 14 août 2016
(Ci, FA) Le mystère de Dieu
Ce que nous comprenons des paroles de Dieu, c'est beaucoup moins que ce qui nous échappe...
Ses paroles sont comme une source où chacun peut se désaltérer, mais que personne ne peut épuiser...
Réjouis-toi donc d'avoir pu apaiser ta soif, mais ne te désole pas que la richesse de la source te dépasse.
Ne t'attriste surtout pas d'être incapable d'épuiser cette richesse: mieux vaut que la source étanche ta soif plutôt que ce soit ta soif qui épuise la source.
Si elle n'est pas tarie, tu pourras y boire encore, chaque fois que tu auras soif. Mais si, en te rassasiant, tu épuisais la source, ta victoire deviendrait ton malheur!
Remercie pour ce que tu as reçu, et ne t'en fais pas pour ce qui n'est pas utilisé. Dieu a truffé sa parole de richesses multiples, pour que chacun puisse y contempler un trésor, selon ce qu'il aime...
D'après Saint Ephrem de Nisibe
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