Le chant du pipeau
Dans un pays d’Orient, des
roseaux se balancent au bord d’une rivière. Il y en a de très grands, très
beaux. Ils dressent fièrement leurs longues tiges. Ils regardent dans l’eau le
reflet de leurs feuilles coupantes. Ils admirent la légèreté de leurs fleurs:
on dirait des bouquets de plumes blanches.
Il y a aussi des roseaux plus
petits. Ceux-là se tiennent tranquilles entre les grands. Pourtant, le vent qui
passe fait chanter tous les roseaux.
Tous? Non. Car il y en a un,
vraiment très, très petit, pas très joli, qui ne chante pas. Il murmure
tristement, pour lui seul:
- Je ne peux pas chanter. Je ne
pourrai jamais. Je suis trop petit ! Le vent n’arrive pas jusqu’à moi. Oh,
comme j’aimerais chanter moi aussi !
Près de la rivière, il y a des bergers qui gardent leurs moutons.
L’air est chaud dans ce pays d’Orient. Aussi, le troupeau et les bergers
restent-ils dehors toute la nuit.
Une nuit, il y a étonnamment
davantage d’étoiles que d’habitude. Puis une grande lumière apparaît dans le ciel.
Les bergers ont un peu peur. Ils
n’osent pas lever les yeux.
Mais des voix très douces, très
belles, se font entendre:
- N’ayez pas peur, bergers ! Nous vous annonçons une grande
nouvelle: un Roi est né pour vous sauver, pour vous dire que Dieu va vous
pardonner. Allez l’adorer ! Ce n’est qu’un bébé encore. Vous le trouverez
couché dans une crèche, dans une pauvre étable. Partez, bergers, et annoncez à
tous la bonne nouvelle !
Ce sont les anges qui parlent
ainsi. Ils chantent aussi de leurs voix pures. Et leurs chants remplissent le
ciel.
Les bergers n’ont plus peur.
Pourtant, ils se demandent si vraiment ils doivent partir?
- Mais oui, nous devons y aller,
puisque les anges l’ont dit !
C’est Raphaël, le plus jeune de
tous - encore un très petit garçon - qui a parlé. Lui n’a pas eu peur un seul
moment. Il a regardé, émerveillé, les grandes belles étoiles de cette nuit-là.
Et quand il a entendu la voix des anges, il n’a pas été étonné du tout.
- Bon, dit le vieux berger-chef,
nous partirons donc. Mais puisque cet enfant à la crèche est un Roi, il faut
que nous lui apportions des cadeaux.
Et voilà tous les bergers qui
cherchent ce qu’ils ont de mieux à offrir. L’un prend un agneau nouveau-né. Un
autre prépare des fruits dans une corbeille de jonc. Le troisième lie une grosse
gerbe de blé. Un autre encore remplit un pot de miel.
- Et moi, pense Raphaël,
qu’est-ce que je vais offrir au petit Roi ? Je n’ai rien, rien du tout qui soit
à moi!
Et il se désole en écoutant le
vent qui passe dans les roseaux. Alors, une idée lui vient; un grand sourire
éclaire son visage :
- Je sais ! Je vais faire un
pipeau et je le lui donnerai !
Raphaël descend vers la rivière.
Il écarte les hauts roseaux fiers. Ce ne
sont pas ceux-là qu’il veut. Il se baisse. Il cherche. Il ne voit pas
très clair malgré toutes les étoiles qui brillent jusque dans l’eau.
- Voilà! J’ai trouvé celui qu’il
me faut ! crie enfin Raphaël tout content.
Il coupe délicatement un petit
roseau à moitié étouffé parmi les grands. Et c’est - vous l’avez deviné - c’est
justement le petit roseau qui aurait tant voulu chanter !
Raphaël sait très bien tailler
les pipeaux. Pendant que les bergers se préparent, il a vite fait de fignoler
le sien.
- Regardez, vous autres, ce que
je vais offrir au petit Roi ! dit Raphaël aux bergers.
- Quoi ? ce bête pipeau ? Tu
rêves mon garçon!
- Et d’abord, l’enfant est trop
petit pour en jouer !
- Et sûr que sa mère ne voudra
pas s’encombrer de cette saleté !
- Oh! murmure tristement Raphaël
- Oh! souffle tristement le roseau.
- Tant pis, pense Raphaël, nous
irons quand même là-bas, mon pipeau et moi. Nous verrons bien !
Ce qu’ils on vu, d’abord, c’est
une très pauvre maison. Mais, au-dessus, brille une grande étoile.
Les bergers entrent. Ils
s’agenouillent devant la crèche où repose le petit enfant. Et ils offrent leurs
présents :
- Marie, voici du miel pour votre
bébé.
- Voici un agneau nouveau-né qui
vous donnera sa laine et son lait plus tard.
- Voici du blé pour en faire du
pain.
- Voici des fruits pour calmer
votre soif.
- Oh, merci, bonnes gens, merci
beaucoup! dit Marie.
Alors, tout à coup, on entend un
chant très pur, très doux, très beau.
Si beau que chacun se tait.
Ce chant est si doux que Marie
sent couler de douces larmes sur ses joues.
Si pur que le petit enfant
regarde vers le coin le plus sombre de l’étable.
Et là, se tient Raphaël, jouant
de son pipeau. Jouant de tout son cœur, de toute sa joie.
Un petit berger qui n’avait rien
à offrir,
Un petit roseau qui pouvait
-enfin- chanter.
Anonyme. Adaptation
J-J Corbaz
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